[Bâtiment] Le Stade de Melandis

[Taliesin]

Taliesin était extrêmement embarrassé pour Deverell qui, désormais, jouirait d'une réputation peu enviable. Mais par quel autre moyen aurait-il pu, en présence de son maître, lui transmettre les indices censés lui faire comprendre qu'il était en présence non d'un ennemi, mais d'un allié ? De surcroît, le barde oublia - temporairement - sa gêne lorsqu'il entendit le prix exigé pour la caution. Quatre mille pièces d'or... Une véritable fortune ! Cependant, approcher le paladin était si difficile que la seule autre alternative probante serait de le racheter purement et simplement, ce qui coûterait encore plus cher...
-Une nuit, répondit-il sans hésiter. C'est ce que souhaitait d'emblée la personne dont je suis l'envoyé. Et puis, une durée inférieure ne saurait suffire. D'abord parce que, le Luménien devant être consentent, il faudra lui montrer sa récompense puis lui permettre d'en profiter un peu. Ensuite, parce que mon commanditaire, tout richissime qu'il soit, trouverait la caution que vous demandez proprement indécente pour une heure seulement : or, ni vous ni moi n'avons envie de le mettre en colère.

[Galathée]

Mais Taliesin avait surestimé la capacité du paladin à supporter une insulte supplémentaire.
" Je n'ai jamais touché d'enfant ! cria-t-il avec colère, sans quitter son coin de mur. Jamais ! Lathandre ne le permettrait pas !"
Ses deux voisins de cellule explosèrent de rire.
" Est-ce que vous ne pouvez pas aller parler de ça ailleurs, bon sang ? intervint le vieux guerrier. Pelleas, il faut le retirer de l'affiche de cet après-midi, il ne va jamais être en état de combattre...
— Demande à Ulrich de l'apaiser.
— Ça ne suffira jamais ! Je vous en prie, allez parler ailleurs. Votre commanditaire n'aura accès à rien s'il se fait tuer."
Gargon fit signe à Taliesin de le suivre, une grimace sur les traits, manifestement inquiet. Il tenta cependant de retrouver son calme une fois qu'ils furent à bonne distance du paladin, entre les râteliers d'arme. Il soupira et jeta un oeil derrière son épaule, sembla sur le point d'ajouter quelque chose, mais renonça en secouant la tête. Il se fendit d'un sourire qui n'atteignait pas ses yeux.
" Pour quand le voulez-vous ? "

[Taliesin]

-Le plus tôt sera le mieux, je pense. La personne dont je suis le commanditaire est assez impatiente, je dois l'admettre. Et puis, comme le Luménien paraît pour le moins... hum... troublé par la perspective de cette "rencontre" et de ce qui l'accompagnera, autant faire en sorte que cet épisode soit rarement derrière lui. Lorsque ce sera le cas, vous n'aurez plus à craindre qu'il combatte mal...
L'évasion de Deverell devrait forcément avoir lieu lors de cette fameuse nuit. Dans l'absolu, il aurait fallu du temps pour préparer soigneusement une telle opération. Cependant, compte tenu des circonstances... Il leur faudrait agir vite.

[Galathée]

" Bon, alors passons aux détails pratiques. Je vous laisse choisir les lieux, vu que votre commanditaire ne peut pas se déplacer n'importe où. Nous vous livrerons le Luménien à l'heure qui vous convient. Attendez que je pense bien à tout..."
Il leva la main.
" Je vous fournirai deux gardes. Ils resteront à l'extérieur de la pièce, bien sûr, mais ils pourront intervenir s'il y avait un souci. Il y en a eu un la dernière fois. Mais bon."
Il se mit à compter sur ses doigts.
" Les vêtements. Il sera vêtu mais je ne m'attends pas à récupérer quoi que ce soit, je sais comment ces choses se passent. Vous pouvez me le rendre nu, mais je vous fournirai quelque chose au cas où. Si vous voulez qu'il soit équipé d'une manière particulière, vous pouvez m'en faire la demande, mais ce sera un frais supplémentaire."
Il leva un second doigt.
" Nous avons déjà parlé des frais de clerc, donc ça c'est réglé."
Un troisième doigt.
" Il sera entravé de manière à ce que votre commanditaire ait accès aux zones utiles sans avoir à le détacher. Je vous donnerai quand même les clés, mais je vous déconseille vraiment de le libérer. Il a peut-être aimé les gamins dans sa jeunesse, j'ai honnêtement beaucoup de mal à le croire, mais c'est certainement terminé. Ça ne suffira jamais pour qu'il accepte d'être touché, en particulier par un Mélandien. Mais bon... Si vous le détachez et que les choses tournent mal, ma responsabilité n'est pas engagée."
Quatrième doigt.
" Il y a deux grandes conditions pour l'avoir. Premièrement, pas d'animaux. Deuxièmement, je vous demande de ne pas le tuer sans bonne raison. Je l'ai déjà relevé quatre fois depuis que je l'ai et il est toujours dans un état dramatique pendant la veille qui suit. Bref, si les choses tournent mal parce que vous l'avez détaché et qu'il décide d'arracher la tête de votre commanditaire, je comprendrai que vous le liquidiez, mais les frais de résurrection sont également à votre charge, dans ce cas, et je demanderai un supplément pour incapacité temporaire de travail."
Cinquième doigt.
" Je vous donnerai la liste des sorts autorisés quand nous signerons le contrat."
Il soupira.
" Je crois que c'est tout. Pour le reste vous pouvez faire ce que vous voulez du moment que vous me le retapez ensuite. Pour la date... Il a deux engagements importants aujourd'hui et demain, et donc il risque d'être assez fatigué demain soir... mais il n'a rien le lendemain. Donc ça dépend un peu de ce que votre commanditaire espère."

[Taliesin]

-Demain soir pourrait convenir, mais attendre le soir suivant me parait l'idéal : pour avoir la chance de rencontrer le Luménien alors qu'il sera en pleine forme, mon commanditaire est prêt à patienter une journée supplémentaire. Pour le reste, les conditions que vous avez énumérées ne posent absolument aucun problème. Enfin, soyez rassuré : je suis prêt à parier qu'il vous reviendra indemne et tout à fait apte à combattre dès le lendemain.
Deux jours et demi... Ce ne serait pas de trop pour planifier l'opération. Mais elle se déroulerait dans le lieu de leur choix, ils auraient les clefs pour désentraver Deverell et ne devraient gérer que deux gardes : il était donc confiant, pensait que la libération du paladin pourrait être rondement menée. Il espérait juste que les hommes de Gargon ne voudraient pas fouiller la chambre ou faire la liste des personnes présentes, car il leur faudrait alors recruter des figurants pour une sinistre mise en scène, ce qui complexifierait grandement les choses.

[Galathée]

" Marche conclu, dans ce cas, fit Gargon dans un soupir. Dites à votre commanditaire, cependant, que la chose ne pourra pas se reproduire. Et je réalise que nous n'avons pas parlé du prix en tant que tel. Je demande 300 pièces d'or pour la nuit. Revenez quand vous avez la caution et nous signerons les papiers. J'imagine que votre commanditaire ne voudra pas donner son nom, donc ce sera pour vous. Je suis ici tous les jours jusqu'au crépuscule, plus ou moins."
Il paraissait nerveux et le clerc vêtu de noir s'arrêta derrière lui pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Gargon opina du chef, les lèvres pincées.
" Si nous en avons fini, je vais laisser mon secrétaire vous reconduire. J'ai des hommes en lice incessamment et je voudrais... vérifier que tout est en ordre."

[Taliesin]

-Le prix convient parfaitement. Pour les papiers, je peux me charger de leur rédaction, si vous le souhaitez. Enfin, concernant la caution, je pense que mon commanditaire tiendra à ce que je ne vous la remette qu'au moment de prendre réception du Luménien.
Il parut hésiter puis ajouta, extrêmement sérieux :
-Un dernier mot, messire Gargon. Si je puis me permettre une humble suggestion... Intimez à vos gens le silence le plus absolu. Si ce qui c'est dit dans cette pièce devait en sortir, cela serait très, très mauvais, et des têtes pourraient bien rouler. Ne prenez pas cela pour une menace, je vous prie, car la mienne risquerait fort de faire partie du lot. Mon commanditaire serait littéralement hors de lui si l'affaire n'était pas réglée en toute discrétion. Et croyez-moi, ses fureurs sont dévastatrices.

[Galathée]

Gargon leva les yeux au ciel.
" Pardonnez-moi, Messire Baelish, mais les inimitiés et l'esprit de compétition qui règnent entre les combattants d'une arène sont légendaires. Certaines des informations que vous avez livrées aujourd'hui vont circuler rapidement en dehors de cette pièce et je ne pourrai rien faire pour les en empêcher, à moins que vous ne m'imposiez de couper la langue de tous mes esclaves séance tenante."
Il soupira.
" Mais ne vous en faites pas, ne circuleront que les choses propres à déforcer mon paladin dans l'arène, pas les secrets de votre commanditaire qui restera, lui, bien protégé derrière son anonymat."
Il fit signe à l'elfe esclave de s'approcher.
" J'ai des documents déjà rédigés. Nous les signerons quand vous m'apporterez des informations sur les lieux de la transaction."

[Taliesin]

-Très bien, dit-il en s'inclinant courtoisement. Je suis enchanté d'avoir fait affaire avec vous, messire Gargon. Et si un jour, vous avez besoin de mes services pour, par exemple, récompenser ou motiver l'un de vos combattants, n'hésitez surtout pas : je serai ravi de travailler pour vous et je suis en mesure de trouver même les perles les plus rares !
Il lui sourit, fit signe à Guéric de le suivre puis emboîta le pas à l'esclave, pas mécontent de quitter ces lieux.

[Galathée]

Gargon semblait lui aussi soulagé de les voir sortir et la porte se referma rapidement sur leurs talons. L'elfe les guida dans les couloirs et les ramena vers la surface, jusqu'au palier sur l'escalier monumental. Il s'inclina ensuite très bas et s'esquiva, les laissant au milieu d'une foule plus dense qui montait vers les gradins. Guéric ne disait rien. Sa face de nain continuait à refléter une forme de stupéfaction, à moins que ses sourcils broussailleux ne soient naturellement implantés très haut.
Il fut cependant le premier à s'engager à contrecourant, vers la rue.
" Je crois que j'ai besoin d'un remontant." dit-il lorsqu'ils eurent dépassé l'arche de pierre et les deux demi-orques qui la surveillaient.

[Taliesin]

-Je suis vraiment désolé pour la tournure qu'a pris la conversation... souffla-t-il. Je n'avais pas du tout prévu de... Enfin, tu vois. Et pour être franc, je ne sais toujours pas pourquoi j'ai agi ainsi. Enfin, l'essentiel est que ça ait marché, qu'on s'en soit sortis..
Il soupira.
Je n'aurais rien contre un petit verre, au contraire. Cependant, mieux vaut sans doute attendre d'avoir regagné nos pénates pour nous l'offrir. Je me vois mal m'installer tranquillement dans une taverne, et m'attarder à l'extérieur risquerait d'être dangereux : dans mon état, pour peu que je remarque quelque chose de particulièrement révoltant, je ne suis pas certain que je pourrai m'empêcher d'intervenir...
Il ne mentait pas : fébrile, il n'avait qu'une hâte, retrouver la sécurité du Comptoir.

[Galathée]

Ils cheminèrent donc dans les rues, en direction de leur refuge, à pas pressés. Guéric devait trottiner pour se maintenir dans le sillage de Taliesin et s'il demeura silencieux un moment, il ne tarda pas à reprendre la parole.
" Est-ce que tu étais vraiment obligé de lui balancer un truc aussi atroce ? Je ne sais pas moi... Je ne suis pas barde, loin de moi l'idée de dire que j'aurais pensé à autre chose dans le feu de l'action, mais... il était vraiment défait, après ça... et je me demande même s'il n'est pas à moitié convaincu que tu détiens ses parents prisonniers... Je veux dire, le Furieux, ça aurait pu être le nom d'un bateau ou d'une taverne, que sais-je !"

[Taliesin]

-Crois-moi, je suis extrêmement embarrassé pour Deverell, à ce niveau. Et j'espère bien qu'on ne devra pas pousser plus loin cette comédie. Cependant... Je n'ai pas trouvé d'autre idée pour lui transmettre ces informations en présence de Gargon. Comment mentionner le nom de ses parents, sans dire qu'ils appartenaient à des esclaves ? Comment parler de sa passion pour débourrer les chevaux, sans employer cette expression en tant qu'euphémisme ? Comment faire en sorte qu'il comprenne que Furieux n'était pas un simple mot casé au hasard, mais bien le nom donné au premier étalon qu'il a débourré en compagnie de son père ? Je suis prêt à admettre qu'il y avait beaucoup d'autres façons de tourner les choses. Mais sur le moment, dans le feu de l'action, je n'ai pas trouvé mieux.
Il soupira derechef.
-Je pense qu'après ce coup là, nos compagnons vont décider qu'il vaut mieux me garder en permanence dans leurs murs ou sur la Liberté. J'aurais du mal à ne pas leur donner raison.

[Galathée]

" Non, ne dis pas ça... fit Guéric tandis qu'ils parvenaient dans le quartier du port et bientôt en vue du comptoir. C'est juste que... je pense que... tu ne te rends pas toujours compte combien tu peux être convainquant. Tu as commencé par lui reprocher ses travers avant de glisser tes informations, il était déjà dans un état de fureur terrible... Alors avec ça en plus... Non, je ne suis pas certain qu'il ait compris que nous étions de son côté. Mais bon... Nous avons obtenu la rencontre... Il nous manque juste quatre mille pièces d'or."
Puis, sur ces entrefaites, le nain hirsute poussa la porte du Comptoir et y pénétra.

[Galathée]

Les arènes étaient très proches des Thermes, aussi Calliope et Taliesin y parvinrent-ils rapidement. C'était la grande foule autour du stade, les gens se pressaient pour y entrer et en sortir, devisant avec animation dans la file qui s'était formée pour franchir l'arche de pierre qui menait aux gradins. Les mêmes panonceaux étaient affichés à l'entrée, si ce n'est que le Demi-Ogre avait été remplacé par Cyd la Fureur Mélandienne, un nom qui ne faisait pas l'unanimité parmi les spectateurs, qui le trouvaient beaucoup trop ronflant pour un guerrier encore peu expérimenté. Baelish avait la possibilité d'aller à la queue, comme tout le monde, ou de chercher cette entrée plus sélective qu'empruntaient les gens de la noblesse... avec le risque qu'on ne le laisse pas passer.

[Taliesin]

C'est néanmoins la direction que prirent Calliope et Taliesin. La riche vêture de Baelish et l'assurance avec laquelle il avançait, signe qu'il pensait être dans son bon droit et connaissait parfaitement cette entrée, suffiraient peut-être à ce qu'on ne l'ennuie pas. Mais si on lui faisait malgré tout barrage, il dirait simplement qu'il devait rencontrer Gargon et que celui-ci l'attendait. N'était-ce point la pure vérité ?
Tout en marchant, il se remémora les détails importants : ceux concernant la rencontre du lendemain, l'adresse qu'il devait donner... Il essaya, aussi, d'anticiper la manière dont se passerait l'entretien, la façon dont il résoudrait les éventuelles difficultés que pourrait bien causer le Mélandien rétif... Il espérait, cependant, que la discussion ne serait pas aussi tendue que celle de la veille.

[Galathée]

Peter Baelish et son garde du corps furent reçus avec déférence à l’entrée de la noblesse. Ils croisèrent plusieurs autres membres de cette caste sous le porche abrité et dans le couloir d’accès, âges et genres mélangés, du patriarche grisonnant et sévère au groupe d’adolescentes bruyantes. Lorsqu’il présenta sa requête à l’un des serviteurs dévoués à leur accueil, celui-ci acquiesça et fit signe de le suivre.
« Maître Gargon est dans sa loge. Son Luménien monte sur en lice dans quelques minutes seulement et après le combat mouvementé d’hier, tous les regards sont tournés vers sa performance du jour. » dit-il.
Ils débouchèrent rapidement à l’air libre, dans les gradins, surplombant l’immense arène de sable où un duel était en cours. Autour d’eux, le bruit était assourdissant : les spectateurs hurlaient, invectivant ou encourageant les combattants, dans un déluge de sons, d’odeurs et de couleurs. L’employé du stade guida rapidement Taliesin et Calliope le long d’une allée, entre deux rangées de plébéiens agités, ouvrit un portail bas qui menait dans la zone un rien plus calme, mais néanmoins animée, des familles plus aisées. Apparemment, celles-ci pariaient également car leurs cris étaient à peine moins tonitruants que ceux du peuple. Les fragrances étaient moins répugnantes, cependant. Personne ne prêta attention à Baelish, tout le monde avait les yeux fixés sur le sable et le combat qui s’y déroulait. Même sans réellement regarder, Taliesin vit qu’il s’agissait d’un affrontement entre deux personnes seules, l’une d’entre elles apparemment capable de lancer des sorts, et les exclamations autour de lui l’informèrent du caractère serré de la rencontre.
La loge de Gargon, large d’environ trois toises et profonde de deux, était bien située, disposant d’une vue parfaite sur l’arène . Divers fauteuils y étaient installés, mais pour l’heure, aucun n’était occupé. Gargon s’y trouvait, en compagnie du guerrier Max, de son magicien et de son secrétaire, ainsi que d’une jeune femme alanguie sur un parterre de coussins, qui semblait s’ennuyer profondément. Le secrétaire était comme figé, absent, tandis que les trois autres hommes observaient le combat avec attention.
« Il va se faire avoir, commenta Gargon. Regarde la vitesse à laquelle il porte son assaut, il est manifestement crevé…
- Ça pourrait être du bluff, commenta le magicien.
- Non, trancha Max. Il n’est pas assez malin. J’ai eu ce gamin dans mes classes, c’est une tête brûlée. Il a grillé toute son énergie en croyant prendre rapidement le dessus, et maintenant ça va être la boucherie.
- Et c’est tant mieux pour nous. » ajouta Gargon avec un sourire.
L’employé du stade attira l’attention du noble en toussant légèrement et l’entraîneur se tourna vers lui. Lorsqu’il aperçut Baelish, son expression s’altéra momentanément, le temps pour Taliesin de comprendre que le Mélandien avait espéré qu’il change d’avis et ne revienne plus jamais.
« Messire Baelish. » fit-il néanmoins en lui tendant une main de bienvenue, alors que le guide l’introduisait dans la loge et prenait congé.

[Taliesin]

Le barde fit mine de ne pas avoir remarqué sa prime réaction.
-Messire Gargon, dit-il, affable, en serrant la main tendue. Je suis désolé de venir vous déranger dans un tel moment. Cependant, ayant réglé tous les détails de notre affaire, étant amené pour d'autres à passer dans le quartier et sachant par ailleurs que le Luménien n'allait pas tarder à combattre, j'ai pensé que venir vous trouver avant cela, pour signer les divers documents, vous permettrait peut-être, ensuite, de ne plus penser à autre chose qu'à cet affrontement.
Le Melandiens connaissant parfaitement les raisons de sa visite, il n'avait pas vu la nécessité de tourner autour du pot.

[Galathée]

" Je crains que vous n'ayez pas le temps de régler ça avant qu'il ne monte en lice..." intervint Max.
La foule explosa alors d'un cri unique, tout le monde sembla se lever dans les loges alentours, et Taliesin constata que l'un des deux combattants venait de mordre la poussière. L'autre levait un poing victorieux vers le public, lequel hurlait, huant et applaudissant.
" Au temps pour la Fureur Mélandienne." fit le mage avec un haussement d'épaules.
— Ça vous gênerait de vous mettre à l'arrière de la loge ? demanda alors Gargon. J'aimerais autant qu'il ne vous voit pas quand il arrive dans l'arène... S'il pouvait être un peu moins amoché qu'hier, je pense que nous en profiterions tous : moi et votre commanditaire, et donc vous."
Il se tourna vers l'elfe.
" Devlyn, peux-tu aller me chercher les documents ?"
L'esclave acquiesça et fila rapidement entre les stalles. Gargon poussa un bref soupir.
" Mais asseyez-vous. Je peux vous servir quelque chose à boire ?"

[Taliesin]

-Si vous avez de l'eau, j'accepterai volontiers ! répondit-il, plus amical que jamais. Malheureusement, je ne bois rien d'autre "pendant le service", comme l'on dit... Pour le reste, j'irai bien évidemment m'installer au fond de la loge. Je ne voudrais surtout pas que ma présence influe négativement sur le cours du combat.
Pourquoi avait-il fallu qu'il arrive pile à ce moment là ? Une heure plus tôt, une heure plus tard, et l'affaire aurait été rondement menée. Alors que là, il allait devoir s'attarder jusqu'à la fin du combat... C'était vraiment un coup de déveine. Enfin, là où il serait placé, il pourrait faire en sorte de ne rien regarder sans qu'on ne remarque son manège. C'était le seul et unique côté positif de la situation.

[Galathée]

Mais Gargon ne semblait pas désireux de s'attarder en bordure de la loge et il vint s'asseoir à côté de Baelish. Le mage et le guerrier demeurèrent près de la barrière et commencèrent à discuter du combat qui venait de se dérouler. A voir l'excitation de la foule, le vainqueur paradait encore en contrebas.
" Votre commanditaire a accepté mes conditions, alors ? demanda Gargon. Puis-je m'enquérir du lieu qui a été choisi ?"

[Taliesin]

-Je ne vous cacherai pas qu'il a été surpris, trouvant l'ensemble de ces conditions quelque peu... drastique. Néanmoins, il était tellement heureux de pouvoir partager une nuit avec le Luménien qu'il les a toutes acceptées. Pour la rencontre, j'ai loué une suite aux Thermes de la Rose Fanée, qui remplissent tous les critères en matière de discrétion et de sécurité. Nous en prendrons possession un peu avant le coucher du soleil.
Sans en avoir l'air, il se montrait extrêmement attentif aux réactions du Mélandien. Il espérait que ces dispositions lui conviendraient tout en craignant fort qu'il ne soulève, avant peu, des objections, des difficultés voire de nouvelles conditions.

[Galathée]

L'annonce que les conditions avaient été acceptées sembla détendre Gargon, qui poussa un bref soupir de soulagement.
" Je ne vous mentirai pas en avouant que j'espère que cette affaire sera rapidement terminée, dit-il finalement. Mais j'ai réfléchi de mon côté. Je dois dire que le désir de votre commanditaire de le voir consentant m'a beaucoup inquiété, parce que je crains sa colère... s'il réalise que c'est chose impossible. Beaucoup de gens, dans cette ville, cherchent à nuire à mon combattant, et je ne suis pas surpris qu'un informateur vous ait livré des rumeurs infondées quant à... ses inclinations. Mais il ne touchera jamais à un gosse, je peux vous l'assurer. Ce n'est pas comme ça que vous le plierez..."
Il lâcha un bref soupir.
" Je ne peux pas vous empêcher de le contraindre par la force, ça ne fait pas partie des clauses, mais je le connais bien, et il est relativement insensible à ce type de châtiments. Par contre, en y réfléchissant, je me suis dit que si vous avez vraiment un gosse luménien, que le gosse peut le prouver, et qu'ensuite, vous menaciez l'enfant... Vous auriez peut-être un meilleur levier pour obliger mon esclave à se plier à vos ordres. A ceux de votre commanditaire, je veux dire. Je ne peux pas vous garantir que ça marchera, et si j'étais vous, je prendrais le minimum de risques : une résurrection coûte cher... et je serais navré que votre commanditaire soit... esquinté dans une rixe, mais... vous pouvez essayer."

[Taliesin]

-Vous savez, si mon métier m'a bien appris quelque chose, c'est qu'on ne soupçonne jamais ce que les gens aiment vraiment, en ces matières, sans parfois oser se l'avouer à eux-mêmes. C'est vrai pour les Luméniens comme pour tout le monde. Peut-être encore plus que pour tout le monde : je pourrais devenir richissime en travaillant seulement quelques mois dans cette cité. Enfin, si l'esclavage y était autorisé, cela va de soi. Je pense donc ne pas être dans l'erreur, concernant votre combattant. Néanmoins, je ne suis pas orgueilleux au point de me croire infaillible. D'autant que vous le connaissez bien... Je vous remercie donc pour votre conseil et, comme nous avons vraiment un petit Luménien, nous serons en mesure de tester l'une et l'autre méthode pour voir laquelle fonctionne le mieux. Pour le reste, nous ferons preuve d'une extrême prudence, soyez en certain. Et si je devais me rendre compte que les choses peuvent potentiellement mal tourner, vos deux gardes ne seront pas loin.

[Galathée]

Gargon eut un sourire tranquille.
" Vous vous trompez sur lui. Au cours de sa captivité, il a été mille fois en contact avec de jeunes esclaves, de tous les horizons, de tous les âges, et il n'a jamais bronché. Vous êtes Mélandien. Vous avez besoin de croire qu'il a des vices cachés, que la pureté luménienne, cette bonté qu'on nous apprend à exécrer dès le berceau, est un mythe. Mais ce n'est pas un mythe."
Il secoua la tête.
" Je ne vous convaincrai pas. Mais vous verrez, demain soir. Vous serez forcé de le contraindre. Par la force ou par la menace."
Il soupira.
" Vous ne voudrez sans doute pas me répondre mais... tant pis... Je suis curieux. Savez-vous pourquoi votre commanditaire tient tant à passer la nuit avec lui ? Je veux dire... ce n'est pas exactement l'idole des foules, et... et même s'il est bien bâti, c'est loin d'être le combattant le plus appétissant des arènes..."

[Taliesin]

Il eut l'air désolé.
-Malheureusement, je n'ai pas le droit de répondre à ce genre de questions. C'est pour cela que j'ai dû refuser, aux Thermes, l'offre de l'employée qui me proposait de décorer la suite d'une façon particulière : connaître les goûts ou les motivations de quelqu'un, c'est avoir un début de piste pour l'identifier. Un début de piste infime, certes, mais les maîtres espions savent les exploiter.
Il sourit.
-Toutefois, pour être franc, la personne qui m'a commandité ne m'a pas dit pourquoi elle le voulait et je ne lui ai pas posé la question. Mes clients me passent commande, je les satisfais : mon rôle se limite à cela. En revanche, je peux vous dire comment, à titre personnel et de manière générale, j'interprèterais ce type de désir. Votre combattant est un Luménien ; c'est même un paladin de Luménis, incarnation ultime des soit-disant valeurs dont cette cité prétend brandir l'étendard. Coucher avec lui est donc une sorte de profanation. Mieux : le forcer à se soumettre volontairement et à céder à ses potentiels désirs refoulés, c'est... le vaincre. Le vaincre lui et, symboliquement, vaincre tout ce qu'il représente, à commencer par sa ville natale. Voilà comment, dans l'absolu, j'interpréterais une telle demande, sans tenir aucun compte de l'identité de la personne qui l'a faite.
Son sourire s'élargit.
-Enfin, pour être plus juste : voilà comment j'aurais jadis interprété une telle demande. Car mon métier m'a appris autre chose : en ces sujets, les grandes théories sont souvent les plus erronées. D'autant qu'il y a une foule d'autres raisons beaucoup plus terre à terre pouvant expliquer que quelqu'un veuille coucher avec le Luménien : son adresse, sa vigueur, la couleur de ses yeux, de ses cheveux, de sa peau, la forme de telle ou telle partie de son corps, son style de combat, le fait que toute la ville le déteste, la combinaison de tout ou partie de ces éléments... J'en passe et des meilleurs. Voilà ce qui, en général, fait naître le désir.

[Galathée]

" Vous avez raison, bien sûr... Les possibilités sont multiples, fit Gargon avec une légère grimace. Je ne sais pas si votre commanditaire acceptera que le Luménien le voie, cependant, ou qu'il se souvienne de la rencontre... Il sera masqué en arrivant mais si vous devez lui effacer la mémoire ensuite... Veillez à avoir un barde de qualité. Ces affaires sont souvent mal exécutées et on m'a raconté le cas d'un combattant chez qui on a par mégarde effacé tous les mouvements défensifs. Une catastrophe pour son maître, et pour lui... d'autant qu'il ne s'en est rendu compte qu'une fois dans la lice..."
Le public se mit alors à siffler et huer, dans un tintamarre qui interrompit leur conversation. Le noble eut un sourire blasé et se leva.
" Je suis à vous dans une minute."
Il abandonna Baelish et regagna l'avant de la loge, échangeant à voix basse avec ses compagnons. Le secrétaire elfe en profita pour se glisser auprès de Taliesin et lui tendre les documents.
" La liste des sorts interdits est en page 4. Les noms et les lieux à remplir sont sur la première. Pour le reste, le maître vous aura exposé toutes les clauses, je suppose."

[Taliesin]

-Oui oui, il m'a donné la plupart des détails.
Une fois les documents en sa possession, il entreprit de les lire avec une grande méticulosité. D'abord parce que c'était ce que ferait Baelish, ensuite parce qu'il devait s'assurer qu'aucune clause n'avait été subrepticement ajoutée, enfin parce que plus il resterait longtemps absorbé par sa lecture, moins il aurait à songer à ce qui se passait face à lui, dans l'arène.
Si tout était conforme à ce dont Gargon et lui avaient convenu, il écrirait les informations demandées... et cette affaire serait réglée. Ou presque, car il lui faudrait discuter avec le Mélandien de la livraison du combattant et de la remise de la caution.

[Galathée]

Gargon le rejoignit cependant rapidement, nerveux. Le brouhaha régnait tout autour d'eux tandis que les cris de la foule rythmaient les échanges invisibles. Taliesin vit le guerrier grimacer brusquement, puis lâcher un rire nerveux, tandis que la foule hurlait de dépit.
" Quelle brute... commenta le mage, dégoûté.
— Il l'avait cherché, fit le vétéran avec un sourire.
— Il en reste trois."
Le noble mélandien se rassit, sourit, contraint, puis désigna les documents.
" Comme vous pouvez le constater, il n'y a rien de plus que ce dont nous avons parlé... hormis les sortilèges, bien sûr. Nous proscrivons l'usage des sortilèges des écoles de nécromancie, transmutation et d'enchantement. Je sais que cela peut paraître contraignant, et si votre commanditaire l'exige, je veux bien transiger sur la transmutation, mais en tout cas, les enchantements sont proscrits. Ce n'est pas tellement pour le Luménien, c'est davantage pour vous : il a une sacrée force de caractère, et ces sortilèges échouent de plus en plus souvent... Bref, je vous demande de ne pas en user."
Il eut une grimace.
" Une seconde. Max ?
— Il gère, Pelleas, détends-toi.
— Il fait plus que gérer, il donne dans le contraste. Il a dû observer la défaite de leur Fureur juste avant... Ouich, ça doit faire mal, ça..."
Gargon refit face à Taliesin, un sourire embarrassé sur les traits.
" D'autres questions ?"

[Taliesin]

-Je ne crois pas qu'il soit prévu de lui lancer de sortilège mais, dans tous les cas, nous respecterons scrupuleusement les clauses de ce contrat : c'est la moindre des choses. Pour le reste, je n'ai pas de questions, mais nous devons discuter de la remise du Luménien. Concernant la caution, comme je l'avais laissé entendre hier, la personne qui m'a commandité a insisté pour qu'elle ne vous soit donnée qu'une fois votre combattant confié à nos soins.