[Bâtiment] Thermes de la rose fanée

[Galathée]

" Non, c'est juste..."
Il pinça les lèvres.
" Je n'ai nul désir d'être libéré. Je ne peux pas retourner à Luménis. Je ne suis plus paladin, je suis un combattant d'arène... Même si je rentrais, je ne pourrais pas rattraper le temps perdu..."
Il se tourna vers Taliesin.
" Mais je peux encore aider la cause luménienne, demeurer un champion de Lathandre. Je suis le grand méchant du stade, le Luménien invincible, honni mais victorieux... Pour des milliers de Mélandiens, je suis la seule image qu'ils auront jamais de Luménis. En me battant, en massacrant mes ennemis, je bouleverse leur représentation de notre cité... C'est une propagande formidable, comprenez-vous ? On leur a parlé de Luménis la faible, de Luménis la naïve, la pathétique, inféodée à son dieu flamboyant et stupide. Chaque jour je peux invoquer Lathandre sous leurs yeux. Chaque jour, je leur montre ce que valent réellement les Luméniens. Je tue quiconque tente de me mettre à terre. Morts-vivants, monstres, et tous leurs Mélandiens. Ce que je fais... c'est nécessaire. Je dois continuer à le faire."

[Taliesin]

Il faillit littéralement tomber à la renverse. Un esclave, refuser d'être libéré ? Il n'aurais jamais imaginé une telle chose. Jamais.
Il resta donc un moment à le dévisager, yeux écarquillés, bouche entrouverte, incapable de trouver quoi que ce soit à dire. Pourtant, il fallait bien qu'il parle... Alors lui revint en mémoire la discussion qu'il avait eu, le matin même, avec Fulgence.
-Vous êtes honni et victorieux, oui, et ils ne peuvent rien contre vous, souffla-t-il. Et cela rend certains Mélandiens tellement furieux qu'ils ont besoin d'un exutoire, qu'ils s'en prennent aux seuls Luméniens qu'ils peuvent atteindre. A savoir ceux qui, comme vous, ont été arrachés à leur cité natale et asservis en cette ville. Les Melandiens leur font payer chaque victoire que vous remportez.

[Galathée]

Deverell secoua la tête, et une grimace fendit un instant son visage.
" C'est... regrettable, je suppose. Mais... ça ne doit pas être si répandu que cela et... et les esclaves luméniens sont peu nombreux..."
Il se tut un instant.
" Je n'avais pas vu les choses sous cet angle..."
Il se massa lentement le visage. A ses côtés, Taliesin vit Guéric grimacer. Meloenn s'ébattait quelque part sur leur gauche, forme rose et floue derrière un rideau de vapeur.
" Mais le mal est fait, quelque part... et vous allez libérer ces Luméniens, n'est-ce pas ? C'est pour cela que vous êtes là. Libérez-les. Je peux rester."

[Taliesin]

-Mais vous pourriez aussi partir et aider Luménis d'une autre manière, tenta-t-il. Elle s'est bien relevée, depuis la fin de la dictature. Mais celle-ci a tué tant de ceux qui s'opposaient à elle qu'en certains endroits, on manque cruellement de monde. C'est le cas à la Commanderie, où je suis sûr qu'un instructeur serait mille fois bienvenu, pour former la relève, pour faire en sorte que, plus jamais, la ville ne tombe aux mains d'êtres malfaisants. De plus, il y a des rumeurs de guerre avec Mélandis... Si cela se confirme, votre aide serait précieuse, sur le champ de bataille. Alors que si vous restez ici... Ils vous exécuteront purement et simplement. Pour faire un exemple.

[Galathée]

" Je ne suis plus paladin, murmura-t-il. J'ai conservé mes pouvoirs car je n'ai pas déchu mais... mais c'est une voie qu'on ne peut retrouver une fois qu'on s'en est écarté..."
Son regard s'embua.
" Je ne pourrais pas retourner à la Commanderie..."
Il avait l'air complètement perdu.
" Je reprendrais bien un verre... Si ça ne vous dérange pas..."
Guéric se leva.
" Pensez-vous que je me sois fourvoyé ? Que c'était une erreur... d'agir comme je l'ai fait ?"

[Taliesin]

Cette fois, le barde était allé lui-même remplir le verre.
-En aucun cas, répondit-il d'un ton doux, en le lui tendant. Vous auriez pu vous laisser tuer, oui, mais à quoi cela aurait-il servi ? En quoi cela aurait-il été profitable à votre cité ? En rien. Au lieu de cela, vous avez trouvé le moyen de retourner contre eux ce que vous infligeaient les Mélandiens. Vous vous êtes battu, vous avez tenu bon, vous avez été extrêmement utile. Et courageux, aussi. Incommensurablement. Vous n'avez donc rien à vous reprocher : c'est même tout le contraire. Et grâce à votre ténacité... Nous sommes en mesure de vous libérer, aujourd'hui. De vous permettre de soutenir Luménis d'une autre manière.

[Galathée]

Il soupira.
" Je me suis laissé tuer. Pendant un mois. J'ai tout encaissé, tout ce qui venait... Je suis mort plusieurs fois. Pelleas Gargon m'avait dit qu'il ne me laisserait pas partir tant que je ne lui aurais pas rapporté trois fois ce que je lui avais coûté. Avec les soins qu'il a dû me prodiguer pour me sauver quand j'étais amoché en lice, pour me ramener quand je me faisais tuer, ce coût augmentait... mais ça m'était égal. J'ai continué à ne pas bouger."
Il eut une grimace, sans doute au souvenir de quelque expérience douloureuse.
" Mais c'est devenu une sorte de duel de volontés... Il ne pouvait pas capituler. Alors il m'a mis un collier de domination pour me forcer à me battre. Pendant trois semaines, j'ai dû agir contre mon gré. Deux fois, j'ai réussi à lutter contre son effet et deux fois je suis mort."
Il eut un sourire.
" Quand il m'a libéré, j'étais toujours aussi déterminé à mourir... Et puis j'ai réalisé que les Mélandiens avaient appris à me craindre et à me haïr, durant ces semaines où je n'avais pas pu m'empêcher de massacrer mes adversaires dans l'arène. Le Luménien. C'était une manière de me rabaisser, pour mon maître, de m'arracher mon identité... et puis c'est devenu mon titre. Alors j'ai décidé de me battre. Gargon a toujours pensé qu'il avait réussi à casser quelque chose en moi, et pourtant... Je n'ai nul plaisir à tuer, nul plaisir à vivre enfermé et contraint, mais... cela me semblait un sacrifice valable, pour ma patrie... A présent... A présent, je ne sais plus."

[Taliesin]

-Vous n'avez aucun doute à avoir, Deverell, répondit-il, encourageant. Compte tenu des circonstance, vous avez adopté la meilleure attitude possible. Comme je l'ai dit, vous avez pris les Mélandien à leur propre jeu, sans pour autant être gagné par la corruption de cette ville. Grâce à vous, Mélandis réfléchira à deux fois avant de déclarer la guerre à Luménis. Et si conflit il y a malgré tout... Ils penseront que tous les Luméniens sont aussi valeureux que vous. Que paraisse un régiment de paladins, et ils auront peur et, de ce fait, ils auront perdu la bataille avant même qu'elle ne commence. Vous avez semé quelque chose qui a déjà été fort utile et qui pourrait se révéler crucial, un jour. Cependant, je crois que votre tâche ici est terminée. D'autres vous attendent, sans doute aussi primordiales. Mais vous pourrez les accomplir chez vous. Et en homme libre.

[Galathée]

" Je ne sais pas si j'en ai terminé, dit-il au bout d'un moment. Comment les gens vont-ils interpréter ma brusque disparition ? N'est-ce pas lâche ? Ne vont-ils pas penser que sentant le vent tourner, j'ai préféré capituler avant d'être tué ? J'ai remporté une belle victoire, hier, mais la veille, j'ai laissé le Talosien me malmener un certain temps avant de reprendre le dessus... Je suis supposé combattre deux élus de Cyric la prochaine veille, et sans doute un nécromancien. Cela enverrait un signe fort aux Mélandiens, si j'avais l'opportunité de les vaincre..."
Il secoua la tête.
" En même temps, je sais que tout ceci doit finir dans le sang. Je ne suis plus si jeune, et plusieurs écuries, soutenues par l'Empereur lui-même, préparent des combattants dans le but avoué de me faire mordre la poussière... Je devrais être flatté, je suppose... Mais je crains... si je pars trop tôt, ne vais-je pas réduire à néant tout ce que j'ai entrepris ? Ne vais-je pas... gâcher mon propre sacrifice ?"

[Taliesin]

-C'est si vous vous attardez trop que vous risquez de voir tous vos efforts réduits à néant. Certes, vous pourriez encore remporter des victoires et, ainsi, enfoncer un peu plus le clou. Mais croyez-moi, il est déjà bien enfoncé. En revanche, quand ceux qu'on forme en vue de vous défaire seront arrivés à maturité, quand l'un d'entre eux sera assez doué pour remplir l'objectif auquel on le destine... Alors, les Mélandiens ne retiendront qu'une seule et unique chose : qu'ils sont capables d'entraîner des guerriers pouvant vaincre même le plus habile des Luménien. Alors, tous vos triomphes passés seront oubliés, tous vos sacrifices n'auront servi à rien... Il est impératif que cela n'arrive pas, Deverell. De surcroît, nous ne comptons pas vous faire simplement disparaître, comme si vous aviez réussi à vous enfuir. Un peu avant l'aube, le fiacre de Gargon, vous ramenant à sa demeure, sera victime d'une embuscade... Pour tout Melandis, vous aurez été enlevé et tué par des hommes qui vous détestaient et qui ont saisi l'unique opportunité de s'en prendre à vous sans risquer le trépas : alors que vous étiez entravé, incapable de vous défendre. Vous quitterez donc la scène sans jamais avoir été vaincu, et sans avoir cherché à fuir. Votre légende restera intacte.

[Galathée]

Le paladin regarda Baelish pendant quelques secondes, pensif, la main droite posée sur le collier de fer qui marquait toujours son asservissement. Puis il opina lentement du chef.
" Il faudra tuer Ulrich, le clerc. C'est lui qui me marque. S'il survit, il saura que je suis vivant, dans quel état et où me trouver. Si vous parvenez à le décapiter et à perdre la tête, Gargon ne pourra le ramener qu'à grands frais et il aura perdu ses sortilèges..."
Il grimaça.
" Mais Gargon pourra toujours me faire chercher par des moyens magiques, il a assez d'argent et je lui en rapporte trop pour qu'il abandonne à la première occasion... Il faut qu'il soit convaincu que je suis mort et que mon cadavre est hors d'atteinte, c'est la seule solution... Sinon... sinon, je constituerai un risque pour votre organisation."

[Taliesin]

-Ne vous inquiétez pas. En cours de nuit, celui qui va diriger l'embuscade nous rejoindra : vous pourrez alors lui transmettre toutes ces informations, le conseiller pour rendre l'assaut encore plus efficace et crédible. C'est quelqu'un d'extrêmement compétent en de telles matières, vous verrez.
Il s'autorisa un sourire.
-D'ici là, vous pouvez vous reposer, vous restaurer... Profiter, en somme, de vos premières heures de liberté.
Lui-même n'aurait pas été contre un petit remontant : il avait craint, un moment, de ne pas réussir à convaincre Deverell, et le soulagement qu'il éprouvait pour y être arrivé malgré tout n'en était que plus grand.

[Galathée]

" Je vais aller chercher le repas." dit alors Abel en se levant.
Guéric servit du vin à Taliesin. Il n'y avait que deux verres, aussi lui fit-il signe qu'il voulait bien partager. Quand le nain sortit de la pièce, ils se turent tous un instant. Meloenn émergea du bassin absolument nue au moment où le paladin se levait. Il se détourna rapidement tandis que l'elfe s'approchait, dans le plus simple appareil, des trois convives.
" Nous pouvons aussi en profiter pour nous adonner à d'autres activités, roucoula-t-elle. Je suis certaine que ces deux-là ont envie d'aller prendre l'air et vous n'avez sûrement pas touché de femme depuis longtemps..."

[Taliesin]

S'étant détourné lui aussi, le barde ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel et de pousser un profond soupir.
-Meloenn ? Aucun d'entre nous n'a l'intention de sortir. De plus, Fulgence peut rentrer à tout moment. Alors... Je crois que tu devrais garder ce genre de projets pour plus tard.
Le côté positif, c'est que si on les espionnait, les extravagances de sa consœur rendraient leur comédie crédible...

[Galathée]

" A quoi bon m'avoir fait venir si je n'ai rien à faire ?" grommela la jeune femme en s'écartant.
Fulgence en profita pour reparaître.
" Je crois qu'il y a quelqu'un qui escalade le mur... dit-il. Oh..."
Le paladin le dévisagea avec surprise.
" Je te connais, lâcha-t-il.
— Moi aussi, je vous connais. Vous êtes un paladin.
— Tu es le cadet de ce clerc... Clothaire. Qu'est-ce que tu fais ici, mon garç... Oh."
La stupeur se peignit sur ses traits.
" J'aide les gens de la Réunion à sauver le Luménien, même si à cause de lui, j'ai pris des tas de coups. Taliesin dit qu'il ne peut sans doute pas faire autrement. Mais bon, je voulais quand même lui dire que... oh... mais c'est vous, le Luménien, en fait."
Deverell grimaça.
" Et je suis désolé."
Fulgence eut un sourire embarrassé.
" C'est pas grave, je suppose. Vu que ça va s'arrêter, maintenant."
Le paladin chercha un siège du regard et finit par s'asseoir près de la table, fuyant Meloenn qui s'était calfeutrée dans un fauteuil, sa cape jetée presque nonchalamment sur elle.

[Taliesin]

-Je n'en reviens pas : Kerun arrive pile au moment où le repas va être servi... Il doit avoir un sixième sens, ça n'est pas possible autrement. Et dire que je pensais que seuls les halfelins étaient dotés d'une telle capacité... Il faut croire que c'est valable pour certains elfes aussi...
Il donna le verre - dont il n'avait bu qu'une moitié - à Guéric puis s'approcha de la porte de la cour, affin d'accueillir le Luménien sitôt qu'il ferait son apparition.

[Galathée]

Taliesin arriva au moment où Kerun se laissait tomber dans la cour. Il se redressa, épousseta ses vêtements et jeta un coup d’œil concentré à l’entremetteur.
« Comment est-ce que ça se passe ? » demanda-t-il avant de franchir le seuil.
Le barde n’eut pas le temps de répondre que Meloenn surgissait, le bousculait et allait se suspendre au cou du Luménien.
« Kerun, enfin ! Ils sont méchants avec moi ! Ils ne me laissent rien faire. »
L’agent secret grimaça et regarda Taliesin par dessus l’épaule nue de la jeune femme.
« J’ai gagné au change, souffla-t-il. Peux-tu m'apporter... Quelque chose pour la couvrir ?"

[Taliesin]

-Franchement, ça ne servirait à rien : elle s'en débarrasserait à la première occasion. En fait, je crois qu'il serait salutaire pour tout le monde que je vous enferme un certain temps à l'extérieur. Peut-être serait-elle plus... calme, ensuite. Quel dommage que j'aie trop de scrupules, que je ne veuille pas être la cause de la rupture de tes vœux...
Il soupira théâtralement.
-Allez, viens. Meloenn se tient plus tranquille à l'intérieur, vu... vu qu'il y a un certain témoin.
Quelques instants plus tard, ils étaient tous trois de retour dans la grande salle.
-Deverell, je vous présente Kerun : c'est lui qui va diriger l'embuscade, annonça-t-il.

[Galathée]

Comme ils entraient, Abel reparut avec le dîner. Son plateau était couvert d’un nombre de victuailles impressionnant. Les estomacs de Fulgence et de Deverell couinèrent de concert et les deux Luméniens échangèrent un sourire de connivence. Le paladin se tourna ensuite vers Kerun, songeur.
« Je vous connais, répondit Deverell. Vous êtes l’agent luménien infiltré.
— En effet. »
Deverell poussa un bref soupir.
« J’ai des nouvelles de plusieurs paladins... Mais Galehaut est mort.
— Je sais, dit Kerun.
— Il s’est bien battu, mais il était très jeune… Je suis désolé.
— Vous ne devez pas être désolé, s’il y a bien quelqu’un qui doit être désolé dans cette histoire, c’est moi. »
Il pinça les lèvres, en proie à une émotion vive, une seconde, qui disparut aussitôt.
« Mais parlons de l’embuscade. Je n’ai pas beaucoup de temps. »
Kerun et le paladin discutèrent ensuite des détails de l’intervention, et l’elfe des bois écouta les inquiétudes de Deverell avec attention, les réfutant quand il y avait déjà songé et proposant des solutions quand ce n’était pas le cas. Le problème le plus épineux était de convaincre Gargon que le paladin était mort et impossible à ramener.
« Le plus simple sera de vous tuer sous ses yeux, puis de l’assommer. Nous laisserons une grande quantité de sang derrière nous… peut-être un message… C’est sans doute le mieux que nous puissions faire… A moins que tu aies une autre idée, Taliesin ? »

[Taliesin]

Le barde ne fit rien pour masquer son embarras.
-Ça m'ennuie beaucoup que Deverell doive connaître à nouveau une telle... expérience. Et je pense qu'il y aurait des chances pour que Gargon renonce à le retrouver s'il voit les assaillants l'emporter tout en annonçant, par exemple, qu'ils vont le tuer et le démembrer pour que, plus jamais, il ne puisse combattre dans une arène. Néanmoins, je n'ai pas mieux à proposer, alors si vous estimez que l'autre méthode est la plus probante, et si bien sûr Deverell est d'accord...
Il se tourna vers le paladin, qui avait quand même son mot à dire, dans cette histoire.

[Galathée]

Kerun haussa les sourcils tandis que le paladin grimaçait.
" Oh mais... vous vous méprenez ! s'exclama l'agent secret. Je ne parlais pas de le tuer réellement... Une petite mise en scène dans le feu de l'action suffira. Je reviendrai avant l'heure dite pour vous équiper. Un couteau trafiqué, un flot de sang qui sort d'une bouche..."
Il se tourna vers le paladin.
" Vous avez vu mourir suffisamment de gens pour savoir comment ça se passe... Un égorgement est toujours spectaculaire et la présence de votre collier devrait me permettre d'y dissimuler le nécessaire. Ensuite, le corps est emporté... Perceval et Sedanius sont assez forts pour vous soulever. Il faudra que Calliope vous égorge. Je me chargerai du clerc. Pensez-vous que le mage sera présent ?
— Probablement.
— Les deux guerriers... Hum... Il est tentant de les empoisonner à l'avance, surtout s'ils sont juste là derrière..."
Il échangea un regard avec Guéric et celui-ci sourit derrière sa grande barbe.
" Parfait.
— Ce n'est pas très loyal.
— La loyauté, c'est votre rayon. L'efficacité, le mien, dit Kerun avec un sourire contraint. Je vais jeter un oeil à ces chaînes pour qu'on puisse vous les ôter dès que vous serez hors de vue. En attendant, vous feriez mieux de manger et de vous reposer. La nuit n'est pas terminée."
Il se leva et s'éloigna ensuite pour aller trafiquer les entraves du Luménien. Meloenn boudait toujours dans son fauteuil tandis que Fulgence avait entamé son repas avec entrain.

[Taliesin]

Le barde se leva pour rejoindre Kerun.
-Juste une question... fit-il, embarrassé. Si on empoisonne les gardes, tu n'as pas peur qu'ils présentent des signes étranges... avant l'embuscade ? Et que, par conséquent, Gargon se doute que Baelish et son mystérieux commanditaire sont liés à toute l'affaire ?
Cette possibilité l'inquiétait énormément. Il se doutait, évidemment, que Kerun y avait pensé et ferait en sorte que rien de tel ne se produise. Toutefois, il préférait en parler, ne serait-ce que pour être rassuré. Ensuite, il irait se sustenter à son tour et, qui sait, se servir encore un peu de vin...

[Galathée]

Kerun sourit.
" Guéric va leur inoculer un poison qui n'a d'effets que lorsqu'il entre en contact avec une autre substance. Ils ne présenteront aucun symptôme avant l'embuscade et lors de celle-ci, ils réagiront uniquement lorsqu'ils respireront le catalyseur. Ils n'en mourront pas, et les effets paraîtront naturels... Ils ne réaliseront même pas qu'ils ont été empoisonnés : ils croiront aux effets d'une fatigue bien naturelle après une nuit de veille."
Il repoussa les chaînes qu'il venait d'altérer.
" Quand Gargon aura récupéré son poulain, il faut que vous agissiez exactement comme si tout était normal. Payez la chambre, rentrez au Comptoir. Sans doute Gargon cherchera-t-il à te retrouver, mais il passera par l'adresse que tu lui as laissée, et Elliot nous relaiera ce que nous devons savoir. Il est fort probable qu'il voudra te revoir, mais nous aviserons en temps utiles."
Son regard courut sur la pièce, s'arrêtant sur le paladin qui mangeait près de l'enfant.
" N'oubliez pas de lui déchirer ses vêtements, de mettre un peu de désordre dans la chambre... Définis avec lui le scénario de la soirée. Gargon l'interrogera sans doute déjà dans le fiacre et il faut qu'il sache quoi répondre sans éveiller la méfiance de son maître, sans quoi celui-ci le sondera et nous serons mal embarqués."

[Taliesin]

-N'aies crainte, nous prendrons toutes les précautions nécessaires. En plus, mettre un peu de bazar et inventer une histoire seront des occupations bienvenues : sans ça, nous aurions fini par nous ennuyer... Et qui sait ? Peut-être Meloenn aimera-t-elle tant imaginer de croustillants détails qu'elle y passera des heures, sans plus rien faire de... déconcertant !
Sur un sourire, il rejoignit les autres et entreprit de manger. Car son estomac aussi réclamait son dû.

[Galathée]

Kerun termina ce qu'il avait en cours, les salua et s'apprêta à repartir, non sans prendre Taliesin à l'écart pendant quelques minutes avant d'escalader le mur.
" Ne laisse pas Meloenn faire n'importe quoi. C'est toi le chef de cette équipe, c'est en toi que j'ai confiance. Certainement pas en elle." lui dit-il, sérieux.
Ensuite, avec une tape amicale sur l'épaule, il s'éclipsa.
Taliesin put rejoindre les agapes de son petit groupe.
" Il y a un truc que je ne comprends pas, disait Guéric. Hier, vous étiez prêts à pendre Kerun et aujourd'hui, tout le monde lui obéit comme s'il avait été votre chef depuis toujours.
— J'imagine que ça s'appelle reconnaître où se trouvent les compétences." répondit Abel avec un haussement d'épaules.
Meloenn lâcha un rire de gorge et s'approcha de la table, toujours nonchalamment drapée dans sa cape.
" Ça s'appelle un fond de culpabilité." dit-elle.
Deverell la surveillait du coin de l'oeil, prêt à bouger si elle faisait mine de s'approcher. Elle s'arrêta juste derrière Fulgence ce qui ne parut pas rassurer le paladin et posa les mains sur les épaules du garçonnet, qui rougit comme une pivoine.
" Bon, définissons un peu dans quel état Gargon va vous retrouver..." dit-elle avec un sourire.
Le Luménien la dévisagea, inquiet.
" Je propose attaché sur le lit, moi vous chevauchant."
Guéric toussa dans son verre.
" Il n'en est absolument pas question.
— Taliesin ? Tu vois ? Il m'embête !"

[Taliesin]

Surtout, ne pas s'emporter. Rester au contraire calme, détendu, patient... Assumer, en quelque sorte, son statut de chef, quoi qu'il n'ait en rien souhaité occuper une telle position.
-Je suis désolé, Meloenn, mais il a raison. Le commanditaire ne voulant pas être reconnu par Gargon, il aura renfilé la tenue qu'il portait au tout début de la soirée. Quant à Deverell, il sera tel qu'il était quand on nous l'a confié : vêtu, quoique ses affaires seront passablement déchirées, et soigneusement entravé. Nous aurons également veillé à mettre un peu de désordre dans la pièce. Pas trop, cependant : les gardes, dans le couloir, n'auront entendu ni cri, ni bruit de lutte. C'est donc que les choses se seront passées sans trop d'incidents, sans trop de violence.

[Galathée]

" Je crois que le désordre est déjà là... fit Abel en jetant un regard circulaire autour d'eux.
— Et... qu'en est-il de Fulgence ? demanda Guéric, un peu embarrassé. As-tu l'intention de suggérer que, enfin, tu vois...
— De quoi ? demanda le petit garçon.
— Il n'en est absolument pas question, dit le paladin. Si je dois disparaître cette nuit, je refuse que cela soit avec confirmation de cette rumeur."

[Taliesin]

Le barde grimaça.
-Je vous comprends, Deverell. Mais cela voudrait donc dire que Baelish s'est trompé, qu'il s'est fié à des informateurs qui n'étaient pas fiables... Bref, qu'il n'est pas aussi compétent qu'il prétend l'être. Sa crédibilité en prendrait un coup. Mais soit, il peut faire des erreurs, ça n'est pas non plus impossible. Nous pourrions donc laisser croire que nous avons opté pour la solution que m'a suggérée Gargon : à savoir que nous avons menacé de faire du mal au petit, voire que nous lui en avons fait pour que vous vous montriez coopératif. Cela impliquerait trois choses, cependant : d'abord, que nous nous arrangions pour que Fulgence ait l'air d'avoir été malmené. Ensuite, que le commanditaire n'ait pas... eu ce qu'il voulait : car si vous avez pu céder et vous montrer docile pour protéger le garçon, vous n'aurez pas pu... allez au-delà, si vous voyez ce que je veux dire. Enfin, que le même commanditaire soit sans doute furieux et que, s'estimant floué par Baelish qui l'avait assuré disposer d'un moyen sûr pour qu'il soit satisfait, l'oblige à payer lui-même le coût de cette nuit. Seule conséquence de ce point : un Baelish faisant grise mine et pensant sa carrière fichue.

[Galathée]

" Excusez-moi, mais je me fiche de la réputation de votre personnage fictif ! s'exclama le paladin avec humeur. Gargon n'a pas besoin d'être au courant des détails de la nuit, de toute façon, je ne lui dirai rien ! Et il sait très bien que je ne lui dirai rien, il me connait. A mon avis, il ne me retirera même pas mon masque pendant le trajet, de peur de se prendre une volée de bois vert. Il sait aussi qu'il a intérêt à me ménager dans les jours qui viennent... et il a beau être mélandien et répugnant sous bien des angles, je pense qu'il est quand même un peu désolé de ce qu'il m'inflige. Ne fût-ce que parce que Maxence est furieux."
Le Luménien soupira.
" En réalité, vu la peur que vous lui avez faite, je pense qu'il ne posera aucune question. Il vérifiera juste que je vais bien, et remisera la chose au fin fond de son esprit. Et si ça le travaille plus tard, j'aurai pris la poudre d'escampette, de toute façon."

[Taliesin]

Le barde ferma les yeux un instant. Il n'en avait pas envie et pourtant, il se devait d'être ferme.
-Deverell, je sais que vous connaissez bien Gargon et que vos hypothèses ont toutes les chances de se vérifier. Malheureusement, vous l'admettes vous même en usant des termes "je pense" et "à mon avis", il y a une probabilité, aussi infime soit-elle, pour que les choses tournent autrement. Que se passera-t-il si le Mélandien remarque un élément étrange ou discordant, en revenant ici ? Peut-être vous ôtera-t-il votre masque, tout compte fait. Peut-être demandera-t-il à son mage de vous lancer un sortilège de domination pour vous obliger à parler : alors, vous lui direz la vérité. Et même s'il ne fait rien sur le moment, s'il se dit qu'il vaut mieux attendre d'être rentré chez lui pour vous interroger... Après l'embuscade, il repensera à ce petit détail qui clochait, et toute notre mise en scène pourrait tomber à l'eau. Vous vous fichez de la réputation de Baelish ? Pas moi, car, même si je le hais, il m'a permis, hier matin, de sauver Fulgence. Aujourd'hui, il me permet de vous sauver, vous. Demain, il pourrait en sauver d'autres. Et admettons qu'il disparaisse à tout jamais, pour éviter les risques... Gargon a des moyens. S'il a le moindre doute, il mènera une enquête poussée, payera un mage pour tenter de vous localiser... Et alors la Réunion tombera. Or, nous ne pouvons accepter que cela arrive. Nous devons encore libérer une jeune femme nommée Polyanna. Nous devons encore libérer ma compagne. Nous devons encore libérer douze enfants asservis, sans compter les paladins dont vous avez parler, sans compter les disparus que viendront chercher le prochain groupe de Luménien qui débarquera ici... et les suivants.
Il regarda le paladin bien en face.
-A nouveau, j'en suis désolé, Deverell, mais qu'elles vous plaisent ou non, nous prendrons toutes les précautions nécessaires pour que la Réunion puisse continuer son travail. C'est notre devoir.