[Quête] Dans les contreforts des Pics des Orcs

[Galathée]

Il se tourna vers elle, repoussant le luth dans l'herbe, et l'embrassa. Mais, juste avant que leurs lèvres se touchent, rapprochant leurs visages, Astrée vit qu'il avait lui aussi les yeux humides, et leur baiser s'éternisa. Quand il la relâcha, il ne lui permit pas de s'éloigner et la regarda droit dans les yeux, leur nez se touchant.
" Je vais partir, mais je viendrai te parler demain. Je n'ai droit qu'à trente mots. Tu n'en pourras pas davantage. Si tu as besoin de moi... Dis-le. Je viendrai. Nous ferons l'amour, même en pleine montagne, même dans les racines de l'Arbre de Vie, je m'en fous !"
Il ferma un moment les paupières, puis les rouvrit et la relâcha.
" Attends..." fit-il.
Il se retourna, reprit son luth et déserra une des chevilles, détendant complètement une des cordes, qu'il retira ensuite précautionneusement du chevalet. Il la roula ensuite et la lui tendit.
" Tiens. Tu me la rendras quand nous nous retrouvons."

[Voyageuse]

- Merci... J'en prendrai grand soin, murmura Astrée d'une voix trop rauque. Le cadeau, symbolique, la touchait au-delà de ce qu'elle aurait pu exprimer. Elle observa un instant le mince fil métallique, image peut-être du lien qui les unissait, puis l'enfouit au fond de sa poche.
- Je ne sais pas si je saurai résister à l'envie de te supplier de venir, soupira-t-elle. Juste un aller-retour, pour le plaisir de sentir encore ton corps contre le mien...
Elle eut un sourire un peu tremblant et l'embrassa à nouveau, passionnément.
- Et surtout, toi, n'hésite pas si tu as envie de t'échapper et me rejoindre un moment. N'importe où, n'importe quand. Je serai là... chaque fois que tu voudras un peu d'amour et de tendresse.
Il aurait peut-être besoin, davantage encore qu'elle, de moments de plaisir, dans les veilles à venir qui s'annonçaient si sombres pour lui...
- Je t'aime, Reynald d'Erhedun..., murmura-t-elle en lui caressant la joue, sans parvenir à empêcher ses yeux de s'embuer.
Ne me laisse pas, criait silencieusement son coeur.

[Galathée]

" Oh dieux, souffla-t-il. Je t'aime tant..."
Il l'embrassa sur les yeux, les lèvres, le visage, et avant qu'ils n'aient pu s'en empêcher, ils partagèrent à nouveau une étreinte. Contrairement à la précédente, elle fut furieuse, catharsis de leurs émotions terribles, et quand ils se séparèrent, il faisait nuit et ils étaient épuisés. Un million d'étoiles piquetaient le ciel, il faisait froid, Reynald déambula nu jusqu'aux ânes, revint avec une couverture qu'il étendit sur Astrée. Il demeura assis près d'elle, frissonnant.
" Si ta quête était autre, j'essaierais de te convaincre de repartir à Bortheias avec moi. Mais je ne le puis pas..."
Il attrapa sa chemise.
" Quelques veilles... Nous sommes adultes. Nous y survivrons. On dit parfois que l'absence renforce les liens."

[Voyageuse]

Astrée soupira.
"J'imagine qu'on est assez grands pour faire face à cette séparation, oui. Et j'espère que tu me parleras, de temps en temps, même si ce ne sont que trente mots. Simplement... si je te manque trop, ou si là-bas la vie deviens trop impossible, n'hésite pas, viens me chercher. Tu es plus important pour moi que n'importe quelle quête. Et surtout... si c'est ce que tu veux, je peux repartir immédiatement avec Bortheias avec toi, ajouta-t-elle gravement. J'en meurs d'envie, au fond, tu le sais bien, même si je tente de me raisonner. Je peux abandonner ma recherche, ou simplement la repousser... Si c'est important pour toi, je le ferai.
Elle ne le quittait pas des yeux, s'imprégnant de chacun de ses gestes. Elle était épuisée, et ressentait un étrange mélange d'alanguissement bienheureux et de désespoir. Il allait partir... Elle avait beau savoir depuis le début que c'était inéluctable, cela ne rendait pas la séparation plus facile pour autant.

[Galathée]

Il resserra les liens de sa chemise, tâtonna dans la pénombre pour retrouver sa veste, puis attrapa ses chausses qu'il passa avec un rien moins d'élégance, avant de se rasseoir et de prendre la main de la jeune femme.
" Je ne veux pas que tu me suives, Astrée. Je veux que tu vives, que tu ailles au bout de ta quête. Les veilles à venir n'auront rien de passionnantes et je m'en voudrais de t'emprisonner dans la geôle dorée de Goran. Malgré ce que je ressens... malgré ce que tu ressens... Je ne vaux pas la peine que tu brides ta liberté."
Il secoua la tête et lui souleva le menton pour l'embrasser.
" J'aime cette authenticité qui imprègne chacun de tes gestes, chacune de tes paroles... Et quand tu me reviendras... J'aimerai me taire pour t'écouter. Je suis clerc... et un peu barde... je ne souhaiterai jamais que tu te réduises à moi."
Il la relâcha, attrapa une botte, puis la suivante, revint vers elle.
" Vis ton aventure et essaie d'en retenir chaque détail. Cela fera une bonne chanson."

[Voyageuse]

Astrée avait fini par repousser la couverture et se lever pour enfiler une tunique.
Elle lui sourit, malgré sa peine, et lui prit les deux mains, entrelaçant leurs doigts.
"Je te raconterai tout, c'est promis. Et toi aussi, tu me conteras comment tu as trouvé un jour cet arbre. Et je veux aussi toutes les autres chansons que tu m'as promises. Même s'il faut pour cela que je supplie Goran de m'héberger plusieurs veilles !"
Elle l'embrassa à nouveau, passionnément.
"Que c'est dur de te laisser partir ainsi, murmura-t-elle. Je penserai à toi nuit et jour, je crois. Et j'espère que ton beau-frère ne te rendra pas la vie impossible... Contacte-moi de temps en temps, et n'hésite pas une seconde si tu veux me voir.
Elle soupira.
- Oh, tu vas tellement me manquer...
De toutes ses forces, elle le serra dans ses bras. Une dernière fois.

[Galathée]

Reynald lui rendit son étreinte puis l’embrassa une dernière fois et se leva. Il parut inquiet une seconde, ce que révélaient les rayons de la lune, puis secoua la tête.
« Tu sais mieux que moi si cet alpage est un endroit sûr pour passer la nuit… Puis tu sais te défendre… et la présence de Prince est un réconfort… » fit-il, à moitié pour lui-même.
Il lui refit face, pinça les lèvres.
« Au revoir, Astrée. Je reviendrai. »
Puis, sans attendre, il fit volte-face et marcha vers les ânes, qu’il arracha à leur sommeil pour les entraîner jusqu’à un espace dégagé, un peu plus loin dans la prairie.

[Voyageuse]

Astrée le regarda s'éloigner, le coeur serré. Elle fit un pas vers lui, un autre, hésita... puis courut vers lui, pieds nus et simplement vêtue de sa tunique, pour lui voler un dernier baiser, avant de le lâcher enfin et de reculer de quelques pas pour ne pas gêner son incantation.
- Reviens-moi vite... lança-t-elle d'une voix étranglée. Elle ne pouvait détacher son regard du sien.
Elle eut envie de s'accrocher à lui, de partir avec lui, et s'obligea à reculer encore d'un pas ou deux. Ils se reverraient bientôt. Elle devait pouvoir survivre sans lui, il le fallait. Elle devait se montrer forte, ne pas flancher, rester digne de lui, des sentiments qui les liaient.
Elle sentit ses jambes flageoler et préféra s'asseoir, serrant ses genoux contre elle, pour le regarder partir. Et surtout pour ne pas être tentée de courir vers lui à nouveau.

[Galathée]

Reynald la regarda, assise, dans l'herbe, les yeux humides, puis lui décocha un sourire encourageant, brave, avant de commencer à incanter. Sa voix claire s'éleva dans la nuit, transformant l'incantation en un chant qu'Astrée avait déjà entendu.

" Seigneur, c'est l'heure du départ,
Du grand saut, de l'aventure,
Lançons-nous sans retard,
Franchissons l'ouverture,

La ville la plus grise,
La cime la plus élevée,
Les forêts sous la bise,
Les collines et les prés,

J'irai, j'irai où tu m'emportes,
Et mon corps est à toi, seigneur,
Fais lui franchir les portes,
Voyageons vers ailleurs."

Une lumière dorée tomba en cascade autour de lui, comme si mille étoiles filantes s'étaient abattues sur la terre, et il disparut, ainsi que les ânes, dans ce tourbillon aveuglant.

Puis ce fut la nuit, et il ne restait plus aucune trace du clerc. Prince posa sa grosse tête sur l'épaule de la rôdeuse et souffla doucement.

[Voyageuse]

Astrée garda longtemps les yeux fixés sur l'endroit où il avait disparu, le regard vide. Perdue. Incapable de faire un mouvement ou d'avoir la moindre pensée cohérente. Elle ne réalisa pas immédiatement que les larmes roulaient sur ses joues.
Ce fut le froid qui l'obligea à se lever et à se diriger lentement vers la couverture qu'elle avait abandonnée, s'appuyant contre Prince. Elle grelottait. Et elle savait que ce n'était pas seulement à cause du froid.
Une vague de détresse l'envahit. Elle ne voulait pas rester seule cette nuit. Ni les suivantes. Elle aurait dû courir vers lui tant qu'il était encore temps, et l'accompagner à Bortheias. Sa quête pouvait attendre, elle serait revenue une autre fois. C'était lui, la priorité, pas ce stupide arbre. Elle se répéta qu'il aurait été déçu, peut-être, de la voir abandonner, qu'il l'aurait jugée trop faible. Mais elle aurait dû, tout de même. Ne pas accepter de se séparer de lui. Profiter encore de cette passion si forte. Ne pas prendre le risque de la laisser s'éteindre... Elle essaya de se dire qu'elle ne s'éteindrait pas si vite, qu'elle brûlait trop fort pour cela, qu'elle devait garder confiance. Mais le désespoir qu'elle ressentait était trop irrationnel pour être jugulé par des mots. Il allait l'oublier...

Elle se laissa tomber au sol et s'enroula dans la couverture, roulée en boule en position fœtale. Elle avait trop froid sans lui. Elle se fichait complètement de l'endroit où elle se trouvait, des vaches non loin, du risque d'être dérangée pendant la nuit. Il lui manquait trop, et rien d'autre ne comptait que cette absence qui lui vrillait le coeur. Elle sentit une plainte sourde s'échapper de sa gorge, une sorte de gémissement qui se mua en sanglots. Elle laissa les larmes couler encore, intarissables, seul moyen d'évacuer cette souffrance, ce manque physique qu'elle ressentait. Elle était trop épuisée pour penser davantage. Demain... Demain, elle aurait la force. Ou peut-être pas. Mais il fallait qu'elle dorme, d'abord. Pour ne plus penser, ne plus ressentir. Elle continua à pleurer, jusqu'à n'avoir plus de larmes, jusqu'à être trop épuisée pour cela, jusqu'à ce que la douleur s'apaise enfin et cède la place à l'oubli bienfaisant du sommeil.

[Galathée]

Et l'aube vint, cruelle, déversant ses rayons flamboyants sur le monde. Les oiseaux rivalisèrent d'ardeur pour réveiller la malheureuse, rouge-gorges et pinsons, troglodytes et grives, accenteurs, verdiers et fauvettes, tous donnèrent de la voix, couvrant la prairie d'une musique sauvage et pourtant mélodieuse, qui finit par l'arracher à son sommeil agité.
Il faisait encore frais, Prince s'était couché, cheval, à côté d'elle. Les vaches carillonnaient, non loin, et un bourdon ventru vint butiner à proximité avant d'être chassé par deux papillons rouges se poursuivant dans les fleurs. Nulle trace humaine, cependant, juste la nature, la montagne, le ciel encore bleu jaune et quelques nuages paresseux, le souffle du vent dans l'arbre en fleurs, des pollens voyageurs et quelques mouches, la silhouette noire d'une buse flottant dans les hauteurs.

[Voyageuse]

Le chant des oiseaux, trilles, sifflements, roucoulades et autres pépiements, vint chatouiller agréablement les oreilles d'Astrée, la tirant doucement du sommeil. Ses membres ankylosés, lorsqu'elle voulut se retourner dans une semi-torpeur, lui rappelèrent immédiatement qu'elle était allongée sur le sol, quelque part au milieu des pâturages. Et tout le reste lui revint. Son départ. L'absence. Elle se roula en boule et garda les yeux obstinément fermés, espérant se rendormir. En vain. Le soleil brillait trop fort, elle sentait sa lumière sur ses paupières closes.
Elle ouvrit difficilement les yeux, avec la sensation que ses paupières étaient restées collées, et que la peau de ses joues était boursouflée d'avoir tant pleuré. Elle ferait bien de trouver le ruisseau le plus proche et de se plonger la tête dans l'eau glacée... mais elle se contenta de s'asseoir, enveloppée dans la couverture, laissant son regard parcourir sans le voir le magnifique paysage qui s'offrait à elle. Elle se sentait assommée, aussi barbouillée qu'après une bonne cuite. Incapable de penser. Ou plutôt, elle se refusait à penser. Elle essaya de s'imprégner de la beauté de l'endroit, de retrouver un peu de sérénité. Peine perdue.

Il faudrait qu'elle fasse un feu. Qu'elle mette un peu d'eau à bouillir pour un thé. Qu'elle mange quelque chose. Elle n'avait pas faim, mais ces gestes du quotidien l'aideraient à sortir de cet état de stupeur, à revenir à la réalité. Elle regarda son sac posé près d'elle. Elle n'avait décidément pas le courage.
Elle s'adossa à Prince, le caressa doucement cherchant un peu de réconfort dans ce contact physique.
- Il me manque, tu sais, lui souffla-t-elle. Je sais que je le reverrai bientôt, mais... c'est plus fort que moi. Et puis... j'ai peur, aussi... de ce qu'il adviendra après.
Ou plutôt de ce qu'il n'adviendra pas, peut-être. Et peur, aussi, de ce qui l'attendait à Luménis. De ce qu'elle devrait affronter là-bas, de cet immense gâchis qu'elle n'arrivait même pas à regretter. De la peine qu'elle allait faire à Kasumi.
Mais il était inutile de s'en préoccuper maintenant. Elle verrait bien à l'équinoxe, et après. Pour le moment, elle devait juste survivre à ce manque de lui. Elle soupira. C'était loin, l'équinoxe.

Elle tendit la main pour attraper sa gourde, but une gorgée d'eau, espérant dénouer sa gorge trop sèche. Elle se répéta, encore une fois, que le paysage était magnifique et le soleil agréable. Sans vraiment réussir à s'en convaincre.
Peut-être devrait-elle tout simplement rester assise là, à attendre que sa peine se tasse, que son courage revienne... ou que la faim la décide à bouger ? Elle sentit les larmes perler à nouveau, son corps se mettre à trembler, sa respiration devenir hachée, la sueur perler sur son front. Une véritable crise de manque, analysa une petite voix amusée au fond d'elle. La colère, aussi, contre le destin contraire, contre elle-même qui tombait stupidement amoureuse au risque de se briser le coeur, contre lui qui semblait ne pas vouloir y croire tout l'aimant pourtant comme un fou. Elle serra les dents. Une envie de se faire mal, d'avoir mal, pour évacuer cette souffrance psychique. Elle connaissait ce symptôme, elle l'avait déjà vécu autrefois, bien plus fort, et vaincu. Il fallait juste qu'elle bouge, qu'elle s'épuise physiquement, pour faire refluer ce mal-être ou au moins le maîtriser, vider son esprit et ne plus penser.
Rageusement, elle s'habilla à la hâte, et se dressa d'un bond.
- Prince... Suis-moi..., fit-elle en accrochant ses affaires à la va-vite sur le dos de sa monture.
Et elle se mit à courir, droit devant elle, à travers les pâturages ensoleillés, puis le long de sentiers à peine visibles. Courir pour oublier, pour évacuer cette colère irrationnelle, courir pour se sentir vivante peut-être. Sa respiration redevint rapidement plus régulière, plus profonde, moins saccadée. Elle se concentra sur ses pas, sur l'effort physique. Et se vida peu à peu l'esprit. Un pied devant l'autre, encore, sans faiblir. Respirer. Elle s'arrêterait lorsqu'elle se sentirait à bout de force. Et peut-être même qu'elle aurait faim...

[Galathée]

Lorsque sa course prit fin, Astrée se trouvait sur un plateau d'herbe rase, perché entre ciel et terre, encadré d'un chaos rocheux gris, acéré, qui tranchait sur le vert de la vie. Une plaque de neige avait survécu dans l'ombre de l'une ou l'autre des épines de roche, signe que l'été n'avait pas encore étendu ses rayons sur la moyenne montagne. Le vent était froid, indiscipliné, et un peu plus haut, des nuages bas enserraient les sommets, en moutons tranquilles. En contrebas, on devinait un village de plaine, qui n'était pas les Etourneaux.
Astrée avait faim, mal aux jambes et le souffle un peu rauque. Prince qui l'avait suivie tant bien que mal, résistant à l'envie de se faire abeille ou écureuil, profita de cet arrêt momentané pour se restaurer.
La jeune femme était peut-être apaisée, peut-être pas. En tout cas, elle était complètement perdue.

[Voyageuse]

Complètement épuisée, elle se laissa tomber au sol, adossée à un rocher. Elle vida la moitié de sa gourde pour étancher sa soif, et fouilla dans son sac pour y trouver à manger. Il lui restait quelques provisions, assez pour tenir la journée sans doute vu son appétit de moineau, mais guère plus. Elle chercha de quoi allumer un feu, brindilles d'herbes sèches ou menus branchages, juste pour faire chauffer du thé. Elle avait la tête vide, tout lui paraissait un peu irréel.
Elle s'appliquait à avoir des gestes calmes, méthodiques.

Ce n'est qu'une fois sustentée qu'elle s'autorisa enfin à laisser vagabonder ses pensées.
Oui, il lui manquait. Elle avait un peu la sensation d'être descendue d'un manège en marche, l'impression d'un soleil brusquement éteint. La veille qu'elle venait de vivre avait été un tourbillon d'émotions et de bonheur. Quelque chose d'unique, de merveilleux. Il était normal qu'elle ne parvienne pas facilement à reprendre ses esprits. Mais qu'est-ce qu'il lui manquait... Elle se sentait perdue, seule au milieu de nulle part, sans personne à qui parler - mais de toute façon elle ne voulait parler à personne. Sauf lui. Elle qui avait toujours aimé la solitude, aujourd'hui elle aurait donné n'importe quoi pour qu'il soit là.
Elle soupira. Il avait dit qu'il la contacterai aujourd'hui. Mais elle n'allait tout de même pas passer la journée à l'attendre en se morfondant. Goran ne lui en laisserait peut-être pas la possibilité avant le soir. Elle grimaça. Le pauvre, il allait vivre un enfer là-bas.... Elle était tout de même mieux lotie que lui.
Elle jeta un coup d'oeil au village en-dessous. Elle pourrait descendre, s'informer de son nom, le repérer sur sa carte, et retrouver ainsi son chemin jusqu'aux étourneaux. Mais elle n'avait envie de croiser personne. Non, elle allait d'abord tenter de revenir sur ses pas. Elle passerait la journée à marcher, à chercher les simples qui lui manquaient encore, et la nuit prochaine dans les alpages. Demain, sans doute, elle aurait la force de revenir aux Etourneaux. Elle avait une quête à mener, et vouait avoir terminé avant l'équinoxe.

Elle se mit en marche à une allure tranquille, Prince à ses côtés, essayant de faire le chemin en sens inverse. Elle se sentait l'esprit plus clair. Elle s'inquiétait, bien sûr, au sujet de ce qu'il adviendrait après tout ça. Elle ne savait pas combien de temps durerait cette flamme, ni s'ils pourraient se revoir encore. Elle savait bien, aussi, que la passion risquait de s'amenuiser, que le quotidien pouvait leur peser à long terme : ils étaient très différents, même s'ils avaient en commun le goût de voyager. Bref, elle savait quelque part que tout ceci risquait de ne mener à rien. Mais elle l'aimait pourtant, et lui aussi, et c'était magnifique... Le reste viendrait en son temps. Elle devait juste, dans l'immédiat, parvenir à faire abstraction du vide de l'absence.

[Galathée]

Astrée retrouva aisément sa propre piste, c'était après tout une de ses spécialités. Courant sans prendre garde à son environnement, toute à sa peine, elle avait piétiné les herbes, bousculé les fleurs, éparpillé les pierres et brisé les branches basses. Remonter son chemin fut donc relativement facile jusqu'à ce qu'elle se retrouve à des endroits où le passage avait été simple dans un sens mais était pratiquement impossible dans l'autre, surtout pour un cheval. Si la jeune femme et sa monture trouvèrent des solutions de contournement les quelques premières fois, s'ils résolurent leur problème en hissant le matériel vers le haut avec une corde, tandis que Prince-Ecureuil escaladait l'obstacle d'une autre façon, dans les cas suivants, cela leur prit beaucoup plus de temps qu'à l'allée et Astrée commença à réaliser qu'elle n'atteindrait pas les Etourneaux avant la nuit. De plus, insidieusement, le ciel avait commencé à se couvrir et le vent soufflait de manière plus soutenue, glacial. Il ne tarderait pas à pleuvoir et ces averses printanières étaient capricieuses, pouvant durer quelques secondes comme plusieurs heures.
La jeune femme repéra cependant le toit croulant d'une bergerie, un peu plus loin sur sa droite, au creux d'un alpage couvert de coquelicots. C'était peut-être un abri acceptable, pour peu qu'elle craigne les flots célestes.

[Voyageuse]

Astrée n'hésita pas longtemps. Elle n'avait de toute façon pas l'intention de rejoindre les Etourneaux avant le lendemain, et si le temps se gâtait, mieux valait trouve un abri. Seule dans une minuscule bergerie au milieu de la montagne... c'était exactement ce dont elle avait besoin. Elle s'y sentirait parfaitement bien.

Une seule chose obscurcissait encore son humeur, et pas des moindres. Reynald ne l'avait pas encore contactée. Il avait dit qu'il le ferait aujourd'hui... Certes, Goran devait certainement le tyranniser, peut-être n'aurait-il pas un instant à lui de la journée. Mais si jamais... Si jamais il lui était arrivé quelque chose ? Son inquiétude, d'abord diffuse, ne faisait que s'accentuer avec les heures qui passaient. Elle parvenait à se raisonner un peu, à se persuader qu'il ne la contacterait peut-être qu'au milieu de la nuit, peut-être même le lendemain. Que s'il ne l'avait pas encore fait, cela n'était que parce que Goran l'en empêchait - ce type-là était capable de tout sur un accès de colère. Elle se répétait qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, sans vraiment réussir à s'en convaincre complètement.
Elle ne pouvait s'empêcher de guetter malgré elle le moment où elle entendrait sa voix dans son esprit, tout en se dirigeant avec circonspection vers la vieille bergerie.

HRP : bon, c'est décidé... j'éteins l'ordi ! Bonnes vacances !

[Galathée]

HRP : moi pas o

En approchant de la bergerie, Astrée devina l'odeur d'un feu éteint, aperçut des empreintes de pas dans la terre meuble devant la porte, remarqua les hautes herbes pliées sur le parcours d'un visiteur. Les lieux avaient été occupés... probablement la veille. Mais le silence était désormais total, il n'y avait plus personne à l'intérieur.
La porte tenait encore par un seul gond et révéla un espace confiné, malodorant, mais dégagé, sous un toit percé en plusieurs endroits. Des brins de laine étaient accrochés à droite à gauche dans les aspérités des murs, signe que l'endroit servait encore à abriter des moutons. Il n'y en avait cependant aucun à proximité.

[Voyageuse]

Astrée hésita un moment. Elle n'avait pas envie de croiser quiconque... Mais d'un autre côté, le ciel était un brin menaçant, et puis, rien ne disait que l'occupant de la veille reviendrait ce soir. Il serait dommage de laisser de côté le seul abri potentiel qu'elle avait découvert sous prétexte d'éviter toute rencontre. Et il serait toujours temps de céder la place si sa présence s'avérait indésirable...

Elle laissa Prince vagabonder librement, déchargea ses bagages, et commença par ouvrir grand la porte, espérant chasser les mauvaises odeurs. Au pire, elle dînerait dehors, et dormirait peut-être même la porte ouverte. Puis elle inspecta les murs, à la recherche d'un endroit où fixer son hamac. Il ne lui restait plus qu'à se mettre en quête d'un peu de bois sec pour allumer un feu.

HRP : droguée, moi ? Meuh non... je profite juste d'une borne wifi gratuite inespérée ! Je sais absolument pas si j'en aurai d'autres...

[Galathée]

HRP : ce n'est pas moi qui m'en plaindrai o

Astrée comprit bientôt que la seule manière de conjurer les odeurs de bétail qui régnaient dans la bergerie était d'y inviter d'autres senteurs et elle s'improvisa maîtresse de maison pour garnir sa chambrette de fleurs sauvages. Elle trouva de quoi attacher son hamac, alluma son feu, et put contempler l'orage qui s'approchait dans le crépuscule. Luttant contre les nuages sombres, le soleil les nimbait d'une couleur presque irréelle, un bleu-gris-jaune qui semblait chargé de magie ancienne, et couronnait les hauts sommets qui s'étendaient au nord de l'alpage. La rôdeuse terminait son repas quand elle entendit quelque chose frémir non loin, le front de pluie en approche. Puis quelque chose la fit frissonner et une voix murmura à côté d'elle. Ou en elle. Quelque part.
" Bonsoir mon aimée."
Elle se souvint qu'il n'avait que trente mots, il lui en restait vingt-sept.
" Ma chambre est confortable et je vais chanter incessamment."
Dix-huit.
" Comment vas-tu ?"
Quinze.

[Voyageuse]

Astrée avait retrouvé un semblant de quiétude en s'occupant à ces banales tâches quotidiennes, faisant reculer le manque qu'elle ressentait, le vide de son absence. Durant la journée, celle-ci lui avait moins pesé. Elle s'était même surpris à apprécier le silence retrouvé des montagnes. Mais le soir approchant, la perspective de passer une nuit seule, loin de ses bras, avait réveillé sa mélancolie. Elle ne pouvait s'empêcher de guetter le contact promis.
Mais elle avait beau l'attendre depuis quelques heures -voire depuis le matin- la voix la fit tout d'abord sursauter, avant que son coeur explose de joie.
- Bien... Tu me manques, mon amour. Surtout quand vient la nuit. Et toi ? Goran est supportable ?
Ca faisait combien de mots ça ? Une bonne quinzaine sans doute...

[Galathée]

Il lui sembla percevoir le sourire de Reynald même sans le contempler réellement. Une braise craqua dans le feu. Il faisait curieusement moins froid.
" Tu me manques. Je garde ton odeur, je ne me laverai plus ! Je t'aime."
Il était arrivé au bout des mots auxquels il avait droit et sans doute Goran ne méritait-il pas qu'il en gaspille, du moins à ses yeux.

[Voyageuse]

Astrée recompta mentalement le nombre de mots qu'elle avait déjà prononcés. Seize. Il ne lui en restait que quatorze. Tellement peu...
La réponse de Reynald la fit sourire. Mais elle avait une foule de choses à lui dire et si peu de mots pour ça...
- Je pense dormir aux Etourneaux demain soir, si tu veux venir...
Il connaissait l'endroit, il pouvait sans doute se téléporter s'il voulait. S'il pouvait surtout. Si Goran lui en laissait le loisir. Rien n'était moins sûr.
Plus que trois mots. Faciles à trouver...
- Je t'aime.
Et... c'était tout ? Déjà trente... Elle n'aurait pas de réponse à sa suggestion, et préférait ne pas trop y compter pour éviter toute déception.
Elle soupira, puis finit par sourire. Elle se sentait moins seule. Apaisée malgré la frustration de ne pouvoir parler plus. L'orage approchant la fit frissonner légèrement. Il lui restait à peine assez de jour pour laver sa vaisselle. Ensuite elle irait dormir, tandis que lui chanterai, quelque part loin d'ici.

HRP : wifi très aléatoire en Roumanie... je ferai ce que je peux !

[Galathée]

HRP : Te mets pas la pression, je m'adapte à toi

Reynald ne répondit effectivement rien et le silence remplaça les mots doux qu'ils venaient de s'échanger en pensée. Il se mit subitement à pleuvoir, en rideau serré, et Astrée dut renoncer à ses velléités de vaisselle. Les flots du ciel qui martelaient le pâturage autour d'elle feraient peut-être aussi bien l'affaire. Les quelques trous du toit percèrent rapidement et la jeune femme dut déplacer ses affaires puis boucher quelques interstices un peu trop généreux. Il faisait désormais très noir, malgré les dernières braises, froid et humide, et Prince l'écureuil se réfugia dans le hamac, profitant de la couverture encore sèche pour se mettre à l'abri.
Le tonnerre roula, désormais très proche, le vent siffla, et un éclair craqua, illuminant un instant la bergerie en profitant de mille fissures. C'était la nuit, dans un cocon de fureur et de bruit, isolé au milieu de nulle part.

[Voyageuse]

Astree soupira, et prit un instant, comme un talisman, la corde de luth roulee en boule au fond de sa poche. Elle la regarda d un air songeur avant de la ranger.
Elle se hissa sur son hamac, se blottit sous les couvertures. Leur conversation, meme trop courte, avait fait reculer un peu cette solitude, ce manque de lui. Un peu... Il faisait noir, et elle se rappela leur premiere nuit, a l auberge de Maedron, lorsqu il etait venu la trouver dans l obscurite complete. Visite tant attendue sans jamais se l avouer... Instants magiques ou sa vie avait bascule. Instants inoubliables.
Elle sourit, mi nostalgique, mi heureuse. Ils se reverraient bientot. Demain, elle descendrait aux Etourneaux. Elle avait une quete a mener, une quete peut etre absurde et impossible, mais elle entendait bien faire son maximum...

[Galathée]

Le tonnerre grondait toujours, mais son vacarme était noyé par les sanglots du ciel, serrés, sonores, presque hypnotiques. Les éclairs se faisaient plus rares, plus distants. La jeune femme put se réfugier dans son couchage, bousculant l'écureuil qui gagna le creux de son cou, pour la première fois depuis que Reynald s'était incrusté dans leur quotidien. Prince ne paraissait pas rancunier.
Puis la porte grinça et s'ouvrit sur une silhouette.
" Désolée, j'vois bien qu'y'a déjà quelqu'un, mais ça mouille, dehors ! s'exclama une voix jeune, féminine. Entre, Frobert, tu vas attraper la mort."
Portant lampe tempête et houppelande détrempée, la nouvelle venue chercha Astrée du regard avant de lever les yeux vers le hamac. La rôdeuse distingua un sourire sur des traits humains, à peine sortis de l'enfance.
" Bonsoir ! Désolée encore ! Ça vous dérange pas si je passe la nuit avec vous ?"
Elle était accompagnée d'un chien noir et blanc de taille moyenne, qui s'installa aussitôt sur le sol, où il se roula en boule.

[Voyageuse]

Astrée réprima un sursaut inquiet en entendant grincer la porte, puis un soupir en comprenant que ça en était fini de sa tranquillité. En même temps, vu le temps et le manque d'abris des environs, la visite n'était guère surprenante. Elle qui avait envie d'être seule et de ne parler à personne... et bien c'était raté pour ce soir.
- Non, bien sûr, répliqua-t-elle aussitôt. Il fait vraiment trop mauvais pour dormir dehors !
Elle observa la nouvelle venue avec curiosité. Une jeune bergère peut-être...

[Galathée]

La jeune femme portait deux gros paniers qu'elle déposa sur le sol, avant de refermer la porte derrière elle, tant bien que mal. Elle mit sa main en visière pour tenter de discerner la propriétaire de la voix qui avait retenti.
" Ça tombe sévèrement, là dehors ! J'espérais une bonne pluie histoire de faire sortir les cagouilles, mais c'est un peu plus qu'une averse, mille dieux ! Enfin, j'vous embête, vous dormiez déjà, sûrement. "
Elle retira sa houppelande et l'étendit sur le sol, non sans boucher quelques trous supplémentaires au préalable, usant de paille qu'elle semblait avoir dans les poches. Ensuite, elle fouilla dans son sac, en retira une couverture, et s'emmitoufla dedans.
" Je suis Marguerite, au fait. Mais les gens m'appellent Margot. Enchantée ! Et désolée encore pour le débarquement !"

[Voyageuse]

- Enchantée. Je m'appelle Astrée.
Elle sourit dans l'obscurité, et se pencha par-dessus le bord de son hamac pour lorgner en-dessous.
- Et je ne dormais pas encore, ne vous en faites pas.
Elle se demandait vaguement ce que pouvaient bien être les cagouilles. Des grenouilles, peut-être ? Elle hésita à poser la question... mais après tout, on l'avait sûrement déjà identifiée comme étrangère à son léger accent.
- Qu'est-ce que vous appelez cagouilles ? s'enquit-elle finalement

[Galathée]

La jeune femme sourit.
" Ce sont des escargots. C'est délicieux, sur feu, avec une pointe d'ail des ours, un peu de beurre, quelques herbes sauvages... J'ai réussi à en remplir un panier, c'est déjà pas mal, mais il pleuvait trop dru... Je remplirai le deuxième demain : ils sortiront après l'orage."
Elle soupira.
" Ou alors je ramasserai des champignons, je ne sais pas encore. Ça dépend de ce que je trouve en premier... et en quantité !"
Astrée l'entendit se retourner sous sa couverture.
" Et vous ? Vous faites quoi dans la montagne ? Vous êtes pas d'ici, ça s'entend !"

[Voyageuse]

- Moi ? Je suis en cueillette, comme vous.
Astrée sourit.
- Je suis à la recherche d'herbes médicinales, de simples, pour une amie herboriste.
Reynald lui avait déconseillé de mentionner l'arbre de vie, simple légende pour les gens d'ici... sauf sans doute pour ceux qui l'avaient vu et n'avaient pas le droit d'en parler ? Bah, il était peu probable de toute façon que cette jeune fille en fasse partie.
Elle retint un soupir, toujours dubitative quant à ses possibilités de trouver cet arbre sans jamais pouvoir en demander le chemin à quiconque...
- Et je viens de Luménis. Et, avant, de Dorrandin, ce qui explique sans doute mon léger accent.