[Lieu] L'Antre du Dépeceur

[Taliesin]

Au sud de Solarcis, à mi-chemin entre les villages de Fergast et de Beaupré, le voyageur traverse une région d'allure moins civilisée que le reste de la Côte du Soleil : le terrain, plus accidenté, est parsemé de hauteurs aux pentes raides et d'affleurement rocheux, et même les bois ont l'air plus touffus, plus sauvages. Là, à quelque distance sur la droite de la rune, une grotte s'ouvre à flanc de colline. Dans le pays, on l'appelle l'Antre du Dépeceur, et bien des histoires courent à son sujet. Sans doute n'ont-elles aucun fondement, mais... qui sait ?

[Taliesin]

Avant de quitter la grotte, Maître Ekhart avait demandé à son plus jeune fils d'aller chercher deux des torches rangées sous le banc de leur charrette. A présent, l'une, éteinte, était glissée à sa ceinture, tandis qu'il tenait l'autre, allumée, dans sa main gauche. La droite était refermée sur le manche de Câline, sa hache gigantesque. Ainsi s'avançait-il sur les talons d'Hubert.
Le boyau descendait encore en pente douce, même si la déclivité, insensiblement, se faisait plus prononcée. Le courant d'air glacé venu des profondeurs semblait essayer de les ralentir, quoiqu'il soit pour l'heure assez ténu. Il apportait toujours le son lointain d'un sourd gémissement et, comme auparavant, paraissait charrier un sentiment diffus mais poignant de peur, de malaise, de menace latente.
A nouveau, le bruit de cailloux qui roulent, loin en contrebas.

[Hubert de Maleval]

Malgré les murmures du gouffre, Hubert n’avait pas peur. C’était une émotion dont les paladins se débarrassaient très tôt dans leur carrière, au détour d’un combat, d’une victoire, d’une prière, parfois. Et comme il n’avait pas peur, il avait fatalement confiance en lui-même et en ses capacités à faire face à ce qui les attendrait plus bas. Peut-être ne craignait-il pas non plus de mourir. C'était une question qu'il ne s'était jamais réellement posée. A l’instant présent, il essayait surtout de ne pas déraper sur la pierre glissante du conduit. Certains trépas étaient plus stupides que d’autres. Non, sa seule inquiétude concernait ce maudit Luménien et les risques qu’il refuse désormais de continuer leur périple. Albérich était anxieux, de nature, Hubert ne l’ignorait pas, et il avait à cœur de le ménager. Mais les peurs se dépassent en les affrontant, de cela, le paladin était convaincu.

Il écarta ces pensées inutiles et s’immobilisa pour incanter à nouveau. La lueur de la torche d'Ekhart l'éclairait par derrière, révélant la pierre et la pierre encore, dont les replis rendaient l'efficacité de son sortilège incertain. Le pire était qu'il était obligé de remettre son épée au fourreau pour le lancer. Ce serait donc la dernière fois. Ensuite, il ferait confiance à ses sens et au tranchant de sa lame.

[Taliesin]

Mais, encore une fois, son incantation se révéla inutile : s'il y avait une présence maléfique en ces lieux, elle se trouvait encore à trop grande distance pour qu'il puisse la repérer ainsi. Peut-être le tunnel n'abritait-il rien, au final, sinon un désagréable courant d'air. A moins, bien sûr, qu'on ne cherche à les attirer sans cesse plus avant...
Quelques minutes plus tard, ils débouchèrent dans une nouvelle grotte, légèrement plus petite que la précédente. Autre différence : elle possédait deux issues. Le souffle froid provenait du boyau qui leur faisait face et qui paraissait continuer à descendre. L'autre, sur leur gauche, donnait l'impression de rester plat.
Détail intéressants : aucun ossement, aucun signe indiquant qu'un animal sauvage ait jamais choisi ces lieux comme tanière.

[Hubert de Maleval]

Hubert s'immobilisa au centre de la caverne et maudit Beshaba à mi-voix. Bon, la situation aurait pu être pire, il aurait pu y avoir trois conduits plutôt que deux. Ou dix. Ou trente-cinq. En même temps, ce n'était pas surprenant : la colline pouvait être truffée de galeries menant un peu n'importe où.
" Bon... Nous avons plusieurs possibilités... Soit nous nous séparons, soit vous restez ici pendant que je descends plus bas, soit nous restons tous les deux ici et montons la garde à distance de la grotte. Je pense risqué d'opter pour l'un des conduits et de négliger l'autre : nous offririons une voie royale à ce qui se terre ici bas... Pour autant qu'il y ait quelque chose, bien sûr."

[Taliesin]

Tobias se mit à jouer avec sa barbe, pensif.
-Mes garçons savent mieux se défendre qu'on ne pourrait le croire, le gouverneur doit très bien se débrouiller et votre destrier, et bien, j'ai l'impression qu'il ne vaut mieux pas s'y frotter quand il est de mauvais poil... On pourrait donc partir du principe que, tous ensemble, ils seront en mesure de faire face... Mais j'avoue ne pas aimer l'idée de laisser quelque chose se faufiler jusqu'à eux, alors oublions. Pour le reste... A quoi bon monter la garde ici ? Autant remonter, si nous décidons de ne pas avancer davantage. Quant à me faire rester ici pendant que vous iriez plus loin, c'est tout bonnement hors de question : vous êtes peut-être chevalier mais, pour ma part, je n'ai pas toujours été un simple fermier. Enfin, reste la possibilité de nous séparer. Je crois que quiconque assisterait à une telle opération nous traiterait d'imbéciles. Et cependant...

[Hubert de Maleval]

" Je ne suggérais pas que vous restiez ici à m'attendre pendant les six prochains jours, messire. Je me proposais d'explorer chacun des deux conduits afin d'essayer de déterminer... de déterminer quoi, je n'en sais rien. Je ne suis pas certain que nous poursuivions quoi que ce soit..."
Il haussa les épaules et soupira. Ils auraient mieux fait de rester en haut, cette expédition ne rimait à rien. Ils risquaient de se perdre dans des boyaux sans fin, à la poursuite d'une chimère. Jusqu'ici, seul un vent froid les avait frappés et leur imagination, saupoudrée de récits sinistres, avait fait le reste. Hubert était prêt à parier que s'il n'avait rien su de la réputation de la grotte, il aurait à peine remarqué ce souffle glacé, ou l'aurait mis sur ce qu'il était probablement : le résultat d'une crevasse quelque part. Mais bon... Il était trop tard.
" Je vais suivre le vent, si ça ne vous gêne pas. Nous devrions nous donner un délai d'exploration... Même si mesurer le temps dans ces ténèbres promet d'être hasardeux."

[Taliesin]

Maître Ekhart éclata d'un grand rire moqueur.
-Vous avez vraiment cru que je pourrais rester planté ici comme un crétin tandis que vous vérifieriez les deux tunnels ? Si c'est le cas, vous vous êtes mis le doigt dans l’œil jusqu'au coude ! Je vous donne peut-être l'impression d'être un gros plein de soupe de fermer faisant joujou avec une hache dont il sait à peine par quel bout on la tient, mais vous vous trompez. Ah, il aurait fallu que je vous raconte comment j'ai tué ces ogres. Et ces zombies. Et comment j'ai récupérer cet or dans la cité en ruines...
Il secoua la tête.
-Or donc, vous vous réservez le plus amusant. Soit, vous êtes paladin, alors on va dire qu'il est courtois de ma part de vous le laisser. Mais je vous préviens : si le boyau dans lequel vous m'envoyez est un foutu cul de sac, je vous emboite le pas. Jusqu'au prochain croisement, s'il y en a un : il ne faut pas se perdre. Sinon, disons que nous nous retrouvons ici dans... Allez, une demi heure ?

[Hubert de Maleval]

Pendant une seconde, Hubert songea à rétorquer quelque chose. Il commençait à en avoir par dessus la tête de cet insupportable personnage et de ses railleries continuelles. Mais il se tempéra. Il n'était plus capitaine, plus chef de rien, il ne pouvait pas se permettre de remettre Ekhart à sa place. Après tout, malgré sa langue bien pendue, dans laquelle le chevalier aurait volontiers fait un noeud bien serré, il avait été efficace et bienveillant à leur égard, et il constituerait un allié de poids si les choses devaient mal tourner. Le paladin se demandait cependant ce qui lui attirait une telle hostilité. Peut-être les gens se lâchaient-ils subitement, à présent qu'il avait perdu toute autorité légitime.
Vivement, vivement, vivement que je sois loin de Solarcis, songea-t-il.
" Une demi-heure, très bien. Puisse Lathandre veiller sur vous."
Puis, sans attendre que le guerrier-fermier puisse ajouter quoi que ce soit, il s'engagea face au vent, dans le conduit obscur.

[Taliesin]

La pente s'accentua encore et il fallut bien des précautions au paladin pour ne pas trébucher. Le sol humide était gelé par endroits, tandis que des cailloux, qu'on aurait dit placés là tout exprès, semblaient n'attendre qu'une chose : qu'on pose le pied dessus pour se dérober. Cependant, après une trentaine de mètres environ, le tunnel forma un replat. Puis, au-delà d'un coude, il se mit brusquement à remonter.
Le froid s'était fait plus intense, le sol comme les parois étaient couverts de glace. Le sinistre gémissement dont ils avaient entendu les échos dans la grotte était également mieux audible et, plus que jamais, il faisait penser à celui du vent.

[Hubert de Maleval]

Par acquis de conscience, Hubert décida d'aller jusqu'au bout. Il était à présent convaincu de s'être laissé abuser par l'atmosphère sinistre que les histoires d'Ekhart avaient distillée dans la grotte. S'il était fâché sur le fermier, pour n'avoir pas compris que l'épuisement du corps fragilisait la rationalité de l'esprit et qu'il était peu propice d'aller raconter des balivernes dans ce genre de circonstances, il était surtout furieux contre lui-même, d'avoir assez bête pour s'inquiéter d'un souffle de vent. Décidément, il était temps qu'il se reprenne en main : toutes ces années tranquilles à Solarcis, à gérer la petite criminalité humaine, le mécontentement d'une foule ou les malversations des marchands, l'avaient complètement abruti. Une fois qu'il aurait constaté de ses yeux qu'il n'y avait là qu'une crevasse menant sur l'extérieur, il retournerait à la petite grotte où Ekhart l'attendait probablement.

[Taliesin]

Aussi périlleuse que ne l'avait été la descente, l'ascension se révéla autrement plus fatigante que celle-ci et donna à Hubert un bon aperçu de ce qu'il devrait affronter sur le chemin du retour. Davantage qu'un aperçu, même, car il eut la nette impression que cette partie du tunnel était bien plus longue que la précédente.
Enfin, il parvint dans une nouvelle caverne, aussi vaste que haute. Loin au-dessus de sa tête, la voûte rocheuse était fissurée, et c'est par cette brèche que la tempête s'engouffrait, poussant de furieux hurlements et charriant des flocons de neige qui s'amoncelaient sur le sol en un épais tapis. Quant aux parois, elles étaient percées d'anfractuosités, de crevasses, de trous, tous trop étroit pour qu'un homme puisse s'y engager.
Or, il sembla au paladin que c'est de l'une de ces ouvertures, située sur la gauche, que provenait l'invisible flux malsain qui, porté par le souffle du blizzard, était parvenu jusqu'à la grotte où ils avaient trouvé refuge.

[Hubert de Maleval]

Le paladin contempla un moment la tempête qui se déversait par le plafond fissuré de la caverne, maudissant Aurile de leur avoir joué pareil tour en leur premier jour sur les routes. Pour l'heure, il avait bien du mal à imaginer comment il allait pouvoir convaincre Albérich de poursuivre leur périple : c'était seulement le début de l'hiver et de tels blizzards deviendraient peut-être chose commune une fois qu'ils seraient plus bas dans la Lande. Sans compter qu'ils ne disposeraient pas d'un guide local pour les mener à l'abri à la première bourrasque. Non, il était mal embarqué, il en était bien conscient. Mais bon, tout bien réfléchi, s'il le fallait absolument, il s'accommoderait d'un hiver oisif, quitte à rayonner autour du village qu'ils choisiraient pour trouver des choses à faire.
Des torts à redresser, songea-t-il, doucement ironique.
La demi-heure était probablement presque écoulée, il fallait qu'il songe à remonter. Il ne pouvait cependant pas partir sans aller jeter un oeil à cette anfractuosité étrange... Il remit son épée au fourreau pour incanter à nouveau, laissant néanmoins plusieurs toises entre la crevasse et lui-même.

[Taliesin]

N'ayant rien détecté d'inquiétant, Hubert pu s'approcher de l'ouverture et l'examiner à loisir. Il s'agissait d'un conduit large d'à peine un pied qui s'enfonçait profondément dans la terre. Et, de ce qu'il pouvait en juger, il semblait se diriger dans la direction du tunnel qu'avait emprunté Maître Ekhart. Cependant, vu les différents niveaux que comportait ce réseau souterrain, il était difficile de savoir si les deux boyaux se rejoignaient ou non.
Une chose était sûre, en revanche : l'air qui émanait de ce trou mit le paladin très mal à l'aise.

[Hubert de Maleval]

Hubert rebroussa rapidement chemin. L'ascension promettait d'être difficile et il dut remettre son arme au fourreau pour pouvoir s'aider de ses deux mains. Les parois étaient glissantes, le sol à l'avenant, et ses bottes n'étaient pas exactement munies de crampons, mais il était déterminé, pas encore complètement épuisé, et surtout, il voulait vérifier qu'Ekhart était sauf dans la grotte intermédiaire.
Il était possible, pourtant, que l'autre conduit ait été plus dangereux que celui menant vers l'hiver. Il y avait songé, s'était fié au fiel flottant sur l'air glacé et avait opté pour le vent. C'était peut-être une erreur. Mais le fermier était un homme capable. Il fallait juste s'en assurer.

[Taliesin]

L'avantage de ce retour rapide quoique prudent, c'est que le paladin n'avait plus du tout froid en l'achevant. Il avait dérapé à quelques reprises, failli tomber en au moins deux occasions mais, à chaque fois, son adresse lui avait permis d'éviter l'accident. Et, enfin, il émergea du tunnel, pénétrant dans la caverne aux trois issues.
Ekhart ne l'y attendait pas.

[Hubert de Maleval]

Hubert n'hésita pas une seconde. Ekhart n'était pas dans la caverne. Il n'était pas descendu à sa rencontre. Il n'était pas non plus remonté à la grotte principale sans lui. Il s'engouffra donc dans le second tunnel, d'un pas rapide, l'épée à la main, et, après avoir franchi quelques mètres, chercha la lumière de la torche des yeux. Il y avait sûrement une explication toute simple : évaluer le temps dans ces conduits obscurs, avec la fatigue qu'ils avaient accumulée, était chose difficile. Le fermier s'était sûrement aventuré un peu trop loin et tardait à remonter. Il n'était nul besoin d'imaginer le pire.

[Taliesin]

Le passage demeura plat sur une bonne centaine de mètres tout en effectuant un lent virage sur la droite. Il commença ensuite à descendre, d'abord doucement, ensuite de manière de plus en plus accentuée. La déclivité n'atteignit pas la raideur de celles que le paladin avait déjà affrontées, mais le terrain était en certains points beaucoup plus accidenté, ce qui obligeait à quelques acrobaties. S'il avait eu des doutes sur le fait que Tobias soit passé par là, des signes tels que des pierres qui paraissent avoir été récemment délogées de leur emplacement originel le lui confirmèrent.
Bientôt, des fissures et des trous firent leur apparition sur les parois, toutes de taille très réduite. Bientôt, aussi, l'atmosphère immobile commença à devenir oppressante, désagréable. A chaque nouveau pas, insensiblement, le malaise grandissait.

[Hubert de Maleval]

Hubert avançait avec de plus en plus de circonspection, aux aguets, scrutant l'obscurité autour de lui à la recherche d'un signe, n'importe lequel... Il était conscient du malaise distillé dans l'air autour de lui, de la tension qui le gagnait peu à peu, du fait qu'il était absolument seul, aussi, et que s'il était arrivé quelque chose à Tobias, s'il lui arrivait à présent quelque chose, il n'y aurait personne pour remonter et prévenir les autres, personne pour s'opposer à la force noire qui régnait au creux de cette colline... Mais peut-être cela resterait-il une impression, une menace intangible, l'empreinte d'un maléfice ancien, oublié, impuissant... Jusqu'ici, il n'avait rien détecté de démoniaque, même s'il était conscient que les tonnes de roche autour de lui pouvaient suffire à expliquer l'inutilité de son sortilège. De toute façon, il n'était plus question qu'il lâche son épée.
Où diable était ce maudit fermier ? Pourquoi n'avait-il pas songé à revenir le chercher alors qu'il avait dû percevoir cette... atmosphère viciée autour de lui ?
Parce qu'il est stupidement fier et les hommes fiers meurent jeunes, songea-t-il.
Quelqu'un lui avait dit ça, autrefois, à la commanderie. Qui ? Il ne se souvenait plus.
Il adressa, presque réflexe, quelques mots à Lathandre, puis poursuivit son exploration.

[Taliesin]

Encore cinq minutes, dix peut-être, et il parvenait en un point où s'était produit un éboulement. Il avait dû bloquer complètement le tunnel mais quelqu'un, Tobias sans doute, avait déplacé des rochers d'une taille imposante pour se frayer malgré tout un passage. Et au-delà...
Si la caverne par laquelle s'engouffrait la tempête était vaste, celle que découvrit alors le chevalier se révéla proprement gigantesque. Son plafond disparaissait dans les ténèbres, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de sa tête. Le côté opposé, face à lui, devait être à une distance plus grande encore. Quant au sol, il n'y en avait tout bonnement pas, ou peu s'en fallait : en effet, à un ou deux mètres devant le paladin, béait un gouffre ténébreux que seul un étroit rebord séparait des parois rocheuses - dans lesquelles, par ailleurs, s'ouvraient une multitude de boyaux.
C'était du gouffre que remontait le souffle infernal qui, en ces lieux, était si malsain qu'il vous prenait à la gorge.
Et de Maître Eckhart, toujours nulle trace.

[Hubert de Maleval]

Hubert s'immobilisa et mena une main à sa bouche, piètre défense contre les remugles environnants. Ce n'était pourtant pas une odeur, c'était une sensation insidieuse, prégnante, douloureuse. Il se demanda ce qu'un homme qui n'était pas protégé par le pouvoir d'un dieu devait ressentir, agressé par cette infamie volatile. Il se demanda ce qui était passé par la tête d'Ekhart, d'aller déplacer les pierres d'un éboulement pour continuer sa route. Peut-être avait-il là sa réponse, peut-être cette atmosphère rendait-elle dément celui qui ne pouvait la vaincre...
" EKHART ! OÙ ETES-VOUS ?" cria-t-il finalement, sans s'approcher du bord du gouffre.
Albérich et les trois adolescents attendaient toujours en haut, ou du moins l'espérait-il, ce n'était pas le moment de se montrer stupidement téméraire. Il regretta de ne pas avoir emmené une torche qu'il aurait pu jeter dans le trou pour tenter d'en voir le fond. Son regard chercha quelque chose de l'autre côté, ou dans les boyaux qui débouchaient sur la caverne. Le fermier n'avait pas pu tomber... mais aurait-il été assez bête pour tenter de passer sur le bord ? Ou assez ensorcelé ?

[Taliesin]

Son appel déchaîna de si tonitruants échos que si quelqu'un lui répondit, il n'entendit rien. En revanche, son attention fut attirée par une vague lueur venant du gouffre. Un pas lui suffit pour en découvrir la source : à au moins cinquante mètres au-dessous de lui rougeoyaient encore quelques braises, peut-être les vestiges d'une torche tombée sur un affleurement rocheux de la paroi. En tout cas, le trou abyssal lui-même paraissait autrement plus profond...

[Hubert de Maleval]

Hubert jura à mi-voix.
Ce n'était que la torche. Cela ne signifiait pas qu'Ekhart était tombé, lui aussi. Il avait pu la perdre, simplement. Mais sans lumière, où donc était-il allé ? Le paladin plissa les yeux pour tenter d'y voir un peu plus loin. Il était toujours parvenu à se repérer assez aisément dans l'obscurité, sans doute la résurgence d'un peu de sang elfe loin dans sa généalogie, mais le fermier ne lui avait pas paru particulièrement doué dans le domaine. Il n'avait pas pu aller bien loin...
Il ferma les yeux, rengaina lentement son arme.
Il est peut-être tombé, Hubert.
Peut-être. Mais peut-être pas.
Il écouta un moment le silence, tentant de museler ce mal être qui voulait l'abattre. Le bord du gouffre était large, il pourrait le contourner mais pour aller où ? Entrer dans un de ces mille conduits au hasard ? Cela n'avait aucun sens. Non. Il fallait remonter à la grotte et s'équiper : de la lumière, de la corde, et de l'aide. Tenter n'importe quoi d'autre serait du pur suicide et Hubert n'avait pas vraiment envie de mourir. Surtout pas maintenant, à l'aube d'une autre vie...
Que ferait un paladin ? se demanda-t-il, malgré lui.
Un paladin ferait marche arrière.
Il hésita. Il pouvait peut-être juste aller jeter un oeil dans les premiers conduits... ceux qu'Ekhart aurait pu atteindre... Puis, s'il ne voyait rien sur les premiers mètres, il rebrousserait chemin.
Il prit une profonde inspiration. C'était une mauvaise idée. Il savait que c'était une mauvaise idée. Et dans le fond, il n'avait pas envie de risquer sa peau parce qu'un crétin de fermier avait joué les aventuriers. Mais il y avait le devoir, tout ça, et la tête que ferait Albérich s'il remontait sans son compagnon.

[Taliesin]

Le premier tunnel était obstrué au bout de quelques pas seulement. Le deuxième, à vingt mètres de distance, montait tellement que s'y aventurer aurait voulu dire s'adonner à une périlleuse séance d'escalade. Le troisième...
...était illuminé par la lueur d'une torche brandie par Tobias, qui se rapprochait d'un pas tranquille.
-Ah, capitaine ! Je me doutais bien que vous finiriez par venir ! lui lança-t-il, guilleret.

[Hubert de Maleval]

Hubert eut une brusque envie de l'étrangler. Mais il se contint et décocha un sourire contraint au fermier.
" La ponctualité, ça vous dit quelque chose ? Vous m'aviez dit une demi-heure, et ça fait plus d'une heure que vous êtes descendu jusqu'ici ! J'ai cru qu'il vous était arrivé malheur. Vous auriez pu au moins me laisser un signe, je ne sais pas ! J'imagine que vous avez l'habitude de n'en faire qu'à votre tête, mais travailler en équipe demande un minimum d'efforts !"
Au temps pour la diplomatie. Mais il était temps de mettre certaines choses au point.

[Taliesin]

Tobias ni ne se laissa démonter, ni ne s'emporta. Il conserva son sourire et répondit, tranquille :
-A quoi ça aurait rimé que je me farcisse toute la remontée, alors que nous serions redescendus ici, au final ? Vous auriez voulu voir ces lieux de vos propres yeux, ne le niez pas... Alors je me suis simplement dit que vous finiriez par me suivre, ne me trouvant pas au lieu de rendez-vous. N'avais-je pas annoncé que c'est ainsi que je procéderais, si ce tunnel ne menait à rien ? Bref, je ne me suis pas trompé, et si je suis désolé que vous vous soyez inquiété pour moi, et bien... Je ne peux que répéter ce que je vous ai déjà dit : je sais me débrouiller.

[Hubert de Maleval]

Hubert dévisagea l'homme un moment et se demanda comment il avait fait pour diriger, sans difficultés notoires, un contingent de plus d'une centaine de gardes pendant six ans. La réponse était simple : il les avait choisis. En écartant les personnages arrogants, les fortes têtes, les fiers à bras. Jamais au grand jamais, il n'aurait volontairement choisi d'avoir un tel individu comme compagnon de route ou d'armes. Un instant, une seconde, Albérich lui manqua terriblement. Puis il poussa un bref soupir.
" Pourquoi aurais-je tellement envie de voir ce trou ? Qu'avez-vous découvert de si intéressant, au juste ? Nous sommes descendus pour nous assurer que nous étions en sécurité, pas pour chercher un trésor englouti."

[Taliesin]

Cette fois, le fermier eut un geste d'humeur.
-Au cas où vous l'auriez oublié, capitaine, j'ai mes trois fils, là haut. Et je vous prie de croire que je me préoccupe autant de leur sécurité que vous vous souciez de celle du gouverneur. Or, qu'ai-je fait en descendant ici, sinon rechercher la source de ces sensations désagréables qui nous ont assaillis dans la grotte ? Mais voilà, contrairement à vous, j'estime que mener une telle opération avec un minimum de bonne humeur et d'entrain, et non en affichant une mine d'enterrement, ne nuit en riean à son efficacité.

[Hubert de Maleval]

" Soit. Rien ne nous oblige non plus à faire conversation au risque d'attirer mille goules sur nos têtes." fit Hubert.
Ce n'était pas parce qu'on campait sur un nid de vipères qu'on était obligé d'aller farfouiller dedans, mais la nuance échapperait sans doute au fermier. Il faillit faire volte-face, puis se ravisa.
" Bon. Vous avez trouvé quelque chose ou sommes-nous partis pour six mois d'exploration souterraine ?"
Il ne pouvait s'empêcher de se demander comment le groupe resté en surface gérait leur absence... Albérich avait une certaine habitude des adolescents, mais dans son état d'épuisement, Hubert ne pouvait pas croire qu'il prenait grand plaisir à devoir les surveiller. En fait, le chevalier s'estimait plutôt bien loti dans sa caverne puante... malgré la compagnie.

[Taliesin]

-Quand j'ai ouï votre douce voix se répercuter tout autour de moi, j'avais remonté ce tunnel sur à peine une centaine de mètres. Mais je ne serais pas allé beaucoup plus loin, de toute façon : il ne donnait pas du tout l'impression d'avoir envie de descendre et il commençait à sacrément se rétrécir.
Il dévisagea un instant le paladin.
-Après, on peut aussi quitter cet endroit et reboucher le boyau avec les rochers. A mon arrivé, quelle qu'en soit la cause, l'éboulement avait déjà été en partie dégagé : le passage était assez grand pour que quelqu'un de moins corpulent que moi s'y faufile. Mais je pense qu'il est possible de remettre tout ça en place.