[Lieu] L'Antre du Dépeceur

[Hubert de Maleval]

" Si c'est un dragon, murmura Hubert, et que nous nous approchons pour aller voir, il va nous griller sur place... Mais en tout cas, nous avons de la chance, il est bien attaché..."
Il s'humecta les lèvres, scrutant toujours le sommet du gouffre.
" Vous avez déjà vu un dragon ? Moi je dois avouer que non... Et je ne suis pas certain d'être extrêmement tenté... Il n'a pas l'air commode et si c'était un dragon... sympathique... Je devine qu'il aurait répondu à mes questions... Ces bêtes-là parlent, non ?"

[Taliesin]

-C'est ce qu'on dit. On dit aussi qu'ils prennent souvent une apparence humaine pour se mêler aux commun des mortels. Alors si j'en ai croisé un, c'était sous cette forme là, et sans le savoir. Pour le reste... C'est pour en trouver que je me suis rendu dans les Rocheuses du Dragon, mais tout ce que j'ai récolté, ce sont des rumeurs. Voilà pourquoi j'ai fini par renoncer et par gagner les Landes des Sirènes. Au moins, là-bas, j'ai vu quelques trucs intéressants.
Il se tourna à nouveau vers la colossale caverne.
-En tout cas, je suis d'accord : celui-là ne m'a pas l'air très sympathique. Alors, si on lui faisait tomber un rocher dessus ? Avec un peu... d'accord, beaucoup de chance, on lui briserait le crane ! Et si ça lui tombe sur une aile, ou sur une patte, ça lui ferait quand même quelques dégâts, non ?

[Hubert de Maleval]

" Un caillou sur un dragon ? Tobias, vous êtes vraiment une tête brûlée de première classe ! s'exclama Hubert. Avez-vous vu la puissance de son souffle ? Il vente comme un ouragan dans un tunnel où nous pouvons nous tenir tous deux debout ! Si nous nous approchons de ce gouffre et s'il est près de la surface, il nous fauchera sans difficultés. Même si son... feu ou je ne sais quoi... ne nous touche pas directement, la violence de sa haine nous brisera les os en nous envoyant valdinguer contre les parois de cette caverne ! Tobias, vous m'avez demandé de surveiller les élans de votre témérité... Je ne suis pas expert en dragons, et vous êtes un vétéran des Landes, mais... jeter un rocher ? Etes-vous sérieux ? Je pense que nous en savons suffisamment... Quelqu'un de versé dans les créatures de l'ombre pourra identifier la bête sur base de ce que nous avons observé."
Le paladin était tiraillé entre sagesse et curiosité. Il songea à cette chanson ridicule qui le voyait défaire des adversaires de plus en plus puissants, inventée par ce crétin d'Elwin pour se moquer — gentiment — de son manque d'exploits. Mais retourner vers le gouffre serait-il une preuve de courage ou une preuve de stupidité ? Se croire capable d'affronter un dragon, sans préparation, sans armes adéquates, sans armure digne de ce nom, n'était-il pas une démonstration d'arrogance ? Les chants de barde n'étaient-ils pas pleins d'histoires de héros téméraires mais idiots qui finissaient morts pour s'être cru plus puissants qu'ils n'étaient ?
Etait-ce lâcheté, était-ce bon sens ?
Il y avait de plus belles causes que celle-ci. De meilleures raisons de vivre et mourir.
" Remontons."

[Taliesin]

-Sans essayer de savoir au moins à quelle espèce il appartient ? Ce serait pourtant une donnée utile... Nous pourrions nous avancer discrètement et nous contenter de jeter un œil en bas. Nos chances de passer inaperçus seraient élevées, surtout si son attention est accaparée par la chaîne qui le retient apparemment prisonnier. Enfin, je me laisse peut-être aveugler par ma curiosité... La prudence et la raison sont de votre côté, je dois le reconnaître.
Il soupira. Rebrousser chemin ne l'enthousiasmait guère, mais il paraissait prêt à se ranger à l'avis du paladin.

[Hubert de Maleval]

" Très bien, fit Hubert, avec un soupir. Vous restez ici et je vais voir. Avec votre torche, vous allez attirer son attention. J'ai une meilleure vue que vous. Et je vous promets que je vous raconterai ! De toute façon, je devrai vous le décrire pour que vous me disiez ce que c'est."
Puis il repassa l'éboulement, veillant à être le plus silencieux possible, espérant que le monstre était assourdi par son propre vacarme. Il n'avait pas droit à l'erreur sinon... ce serait de la bouillie de paladin au menu. Par précaution, il se couvrit cependant les oreilles des deux paumes.

[Taliesin]

La créature ne lui prêta pas la moindre attention : furieuse, démente, elle tirait de toutes ses forces sur l'imposante chaîne qui était rivée à l'une de ses pattes arrières et qui l'avait immobilisée à une vingtaine de mètres plus bas. C'était bien un dragon, mais savoir de quelle espèce était impossible, car il ne s'agissait plus que d'une gigantesque carcasse aux os totalement dépourvus de chair et aux ailes parcheminées, Dracoliche ? Dragon squelettique ? Malheureusement, les connaissances d'Hubert étaient trop parcellaires pour qu'il puisse avoir un avis tranché sur la question.

[Hubert de Maleval]

Si Hubert n'avait pas d'idée tranchée sur le type de bestiole qui habitait les profondeurs, il était par contre certain d'une chose : il fallait battre en retraite au plus vite, et sans être vu. Aussi fit-il quelques pas en arrière, prudents, avant de déguerpir, silencieusement mais rapidement, pour regagner l'éboulement et retrouver le fermier. Une fois en relative sécurité — tant que la chaîne tenait bon, du moins —, il s'assit sur un rocher et sourit à Ekhart.
" Et bien, ce n'est pas joli... C'est une sorte de dragon squelette, avec des ailes encore plus ou moins fonctionnelles... qui n'est pas content... mais qui est bien attaché, pour l'heure, du moins. J'imagine qu'il doit garder quelque chose... Je dois dire que je suis assez ébahi que personne ne l'ait trouvé avant nous... Enfin... Peut-être que ceux qui l'ont trouvé étaient... un peu trop téméraires et on voulut le priver de son trésor sans réfléchir aux nécessités de l'expédition..."
Il regarda le fermier droit dans les yeux.
" Honnêtement, à moins que vous me disiez que vous connaissez la technique infaillible pour venir à bout de ce type de... machin, je pense que nous devons accepter que nous sommes allés au bout de nos possibilités."

[Taliesin]

-La technique infaillible, je l'ai : on lui saute sur le dos et on lui tranche la tête. Vu qu'il n'a plus d'écailles, son cou constitue un énorme point faible dont votre épée et ma hache devraient venir à bout en un coup ou deux; Et ensuite, on récupère son trésor. Un jeu d'enfant !
Il se redressa de toute sa taille et brandit Câline.
-Alors, on y va ?

[Hubert de Maleval]

" Tobias ! s'exclama Hubert. Même si une chose pareille était possible... et vous devez avoir une hache sacrément puissante pour imaginer trancher le cou de cette bête qui est manifestement imbue d'une magie maléfique, songez-vous à la chute libre ensuite ? Des dizaines de mètres dans un gouffre ? Suis-je supposé aller récupérer votre cadavre désarticulé pour le rapporter à votre famille ? Sans compter que vous imaginez quoi ? Sauter du bord du trou ? Sur un dos qui n'est qu'os pointus ? Sans tomber ? Sans rater votre coup ? Sans être heurté par une aile au passage ? Qui êtes-vous, au juste ? Devrais-je avoir entendu parler de vos exploits ? Je dois dire que... je ne vous comprends pas."

HRP : je n'ose pas imaginer la tête du MJ si ce Tobias était un personnage joueur

[Taliesin]

-C'est pourtant très simple. Une vieille croyance veut que les choses qui n'ont qu'une chance sur un million de se produire... se produisent à coup sûr. Alors, sachant que je ne suis qu'un modeste fermier, que sauter dans le gouffre est suicidaire, qu'espérer trancher la tête du dragon est illusoire, que survivre à la chute est impossible... Je pense qu'on y arrive, à cette fameuse chance sur un million. Voilà pourquoi je vais tenter la chose. Je suis certain que tout ira bien et qu'une fois la bête terrassée, ses ailes permettront à sa carcasse de planer en douceur jusqu'au sol !

[Hubert de Maleval]

Cet homme était dément. Ou alors il se fichait de lui. L'un dans l'autre, Hubert ne pouvait pas prendre le risque qu'il passe à l'acte. Peut-être était-ce un effet de la bête, un sortilège de domination quelconque, qui donnait des idées suicidaires à ses proies pour qu'elle puisse les dévorer plus facilement...
" Je ne peux pas vous laisser faire une chose pareille, dit le paladin avec une grimace. Combien de litres de ce vin chaud avez-vous bu ? Etes-vous... une sorte de petit-fils caché de Tymora ? Vous n'êtes pas sérieux. Vous allez vous tuer, et je ne vais pas vous laisser faire. Remontons. Vos fils doivent s'inquiéter. Même si vous leur avez chanté vos prouesses d'autrefois... Ils n'ont pas besoin d'un héros mort dans leur généalogie. Ça n'a aucune utilité. C'est l'hiver. Reprenez-vous, Tobias."
Il tendit alors une main conciliante, lentement, vers le manche de la hache.

[Taliesin]

-Je vous taquine et vous ne marchez pas : vous courrez ! fit Tobias, qui avait manifestement toutes les peines du monde à contenir son hilarité. Franchement, capitaine, je sais que je suis une grande gueule invétérée et que je parais impulsif, mais tout de même, imaginer que je puisse sciemment envisager de me jeter dans ce gouffre...
Il sourit puis arbora une mine embarrassée.
-Ne prenez pas mal mon attitude, je vous prie. Je ne cherche pas à me ficher de vous... Simplement, cette chose... Les émotions qu'elle exhale ou qui émanent d'elle sont si néfastes que mon seul moyen pour les combattre est d'être quelque peu... léger, dirons-nous.
Il pivota, tournant le dos à la caverne et à son sinistre occupant.
-Allons-y. Vous n'êtes déjà pas verni en devant supporter un Ekhart, alors imaginé le gouverneur, qui doit en affronter trois... J'espère qu'ils l'auront un peu ménagé, mais je ne saurais jurer de rien.

[Hubert de Maleval]

Hubert était légèrement vexé d'avoir été incapable de percevoir que le fermier plaisantait, mais comme il était soulagé de ne pas devoir le désarmer ou pire, l'assommer et le jeter sur son épaule pour le remonter, il décida de ne pas se formaliser. Apparemment, sa connaissance des gens était parfaitement inutile quand on en arrivait à Tobias Ekhart. Peut-être était-ce parce qu'il était un hybride d'ours et de nain. Peut-être était-ce une leçon supplémentaire... Les années solarciennes étaient révolues et il devait tout réapprendre à partir de rien. C'était peu encourageant, mais il avait du temps devant lui... Et il en aurait encore plus quand Albérich l'aurait consigné dans une auberge de campagne pour les trois mois à venir... Il imaginait déjà la tête du Luménien lorsqu'il lui raconterait ce qu'ils avaient trouvé dans le trou : oh, juste une sorte de dragon squelette, Albérich, rien de grave, il faut bien commencer par quelque chose d'un peu spectaculaire !
Il faillit en rire tout en emboîtant le pas du fermier vers les hauteurs, mais dans le fond, il n'était pas très fier de leur première journée dans la broussaille.

[Taliesin]

La remontée fut lente et rude : ils avaient déjà dépensé beaucoup d'énergie et se ressentaient de leur choc contre l'éboulement - Tobias, surtout, qui grognait parfois quand il devait faire un effort intense. Mais aucun incident désagréable ne se produisit : ils n'eurent pas même à affronter une nouvelle bourrasque. En fait, seuls les échos de la lutte du dragon pour se libérer de ses entraves attestaient de la réalité de ce qu'ils avaient vu. Et l'attestèrent longtemps, puisqu'ils ne cessèrent de les percevoir qu'à peu de distance de la grotte.
Enfin, ils débouchèrent dans celle-ci... et la trouvèrent déserte, si l'on exceptait leurs cinq chevaux. Aucun signe d'Albérich ou des adolescents, aucun indice sur ce qu'ils avaient bien pu faire, en dehors d'un jeu de cartes abandonné près des braises mourantes du feu et du coffret des Hermines, laissé bien en évidence.

[Hubert de Maleval]

Au soulagement d'être enfin arrivé à bon port, succéda une étrange bouffée de panique, qui obscurcit les sens du paladin le temps d'un battement de coeur, quand il découvrit la grotte vide. Des images apocalyptiques se bousculèrent dans son esprit, comme la silhouette du dragon décharné lui revenait en mémoire, et c'est seulement le calme de Grand Vent qui lui fit retrouver sa contenance. Il rejoignit rapidement le destrier et posa la main sur son encolure, désireux de savoir ce qui s'était passé. Il le devinait : les autres n'avaient pas su attendre. Mais étaient-ils sortis ou étaient-ils descendus ? Tout en cherchant le contact avec l'esprit tranquille de sa monture, il balaya la pièce du regard. Ils avaient emporté leurs manteaux.
" Ils sont sortis, annonça-t-il finalement. Il y a peut-être une heure, mais la notion du temps des chevaux est douteuse... Où diable ont-ils bien pu aller par ce temps ?"
La peur s'était tue mais la colère affleurait. C'était le blizzard, dehors. Albérich n'avait-il aucune notion de survie ? Avec des gosses, en plus... Mais qu'est-ce qui leur avait pris ?
Il repoussa la vision de leurs corps gelés dans la neige, chercha et trouva un semblant de sérénité. Avec un peu de chance, ils auraient laissé des traces...

[Taliesin]

Tobias, lui, ne paraissait pas particulièrement inquiet.
-Il y a la grotte dont je vous ai déjà parlé, mais vu son éloignement, je doute qu'ils l'aient choisie comme destination. Non, à mon avis, ils ont dû opter pour une autre, toute petite, qui est beaucoup plus proche d'ici et qu'on peut atteindre en suivant simplement le flanc de cette colline. J'imagine qu'affronter la neige puis devoir s'entasser là-bas leur a semblé préférable à une longue attente en ces lieux à l'ambiance si lourde... Bon, évidemment, on ne peut pas exclure le coup de folie. Cependant, si ça avait été le cas, il n'auraient pas pris des vivres, des couvertures, du matériel...

[Hubert de Maleval]

Hubert lui jeta un regard aigu puis acquiesça sur un soupir.
" Vous connaissez assurément bien mieux vos garçons que moi..." dit-il.
Un peu par réflexe, il alla chercher son jeu d'Hermines, qu'il n'aimait pas voir abandonné aussi près de braises potentiellement capricieuses. Le message que leur avait laissé Albérich s'en échappa aussitôt et il en prit connaissance avec une grimace.
" Vous aviez raison... Si vous voulez, allez donc les rejoindre. Je vais rester avec les chevaux."

[Taliesin]

-ah ! Tout ça pour pouvoir aller tuer le dragon tout seul... répondit-il. Non, je me doute que vous m'offrez une opportunité d'échapper à l'atmosphère viciée de cette grotte. Sans compter qu'il faut que l'un d'entre nous aille les rassurer quant à notre sort. Pour être franc, m'aventurer dans ce blizzard ne me tente guère, mais je le ferai si vous préférez ne pas bouger. Reste juste à savoir si nous devons les ramener ici. Certes, ils doivent être épuisés, mais ce serait plus confortable. Et puis, lorsqu'ils sauront que nous ne courrons aucun danger, puisque le dragon ne pourrait pas quitter son antre même s'il triomphait de ses entraves, peut-être supporteront-ils mieux ce souffle. Hum, d'ailleurs, il me semble qu'il a cessé. Notre amis le tas d'os a probablement plus envie de malmener sa chaise que de faire peur aux pauvres mortels réfugiés dans les environs.

[Hubert de Maleval]

Hubert lorgna la tourmente qui soufflait avec violence à l'extérieur.
" Ecoutez... S'ils sont partis il y a peu, ils doivent effectivement être épuisés... Ce serait sans doute inhumain de leur demander de faire le chemin à l'envers... Et nous sommes épuisés nous aussi. Il est vrai cependant que j'aimerais être rassuré sur leur sort... S'il était arrivé quelque chose, une mauvaise chute, une mauvaise rencontre... Il est peut-être encore temps d'intervenir..."
Il se frotta le visage des deux mains puis se releva.
" Allons-y ensemble. Les chevaux peuvent encore prendre soin d'eux-mêmes un moment, je suppose. Et vous avez raison : notre ami semble être à bout de souffle pour l'instant."
Il reprit son manteau qui avait quasiment séché et le passa au-dessus de sa cote de mailles, puis se dirigea vers l'hiver.

[Taliesin]

La tempête avait à peine baissé d'intensité et, dans leur état de fatigue, la progression s'avéra difficile. Cependant, une fois encore, ils n'eurent à déplorer aucun incident, pas davantage qu'ils ne remarquèrent de corps étendu sur la neige. Ils marchèrent simplement, presque courbés en deux pour lutter contre le blizzard, et les minutes s'égrenèrent, semblables à toutes celles qui les avaient précédées, si ce n'est qu'elles paraissaient de plus en plus longues. Enfin, Tobias annonça qu'ils avaient atteint leur destination.