[Quête] Dans les contreforts des Pics des Orcs

[Galathée]

S'il lui fut facile de trouver de l'eau — les ruisseaux paraissaient innombrables, cavalant dans les pentes depuis les neiges éternelles qu'elle apercevait dans le lointain —, le bois présenta un défi autrement plus complexe, et elle comprit rapidement que, si elle ne voulait pas s'éloigner, il lui faudrait tenter de descendre jusqu'au bois touffu en contrebas de la crête. Sous forme d'écureuil ou d'abeille, Prince pouvait aisément l'accompagner, mais il lui serait impossible de devenir cheval, ni dans la rocaille, ni dans la broussaille qui, dense, semblait n'avoir jamais été arpentée par quiconque. Il était probable que la rôdeuse en ressortirait avec des égratignures, peut-être ses vêtements en souffriraient-ils également. Mais l'escalade n'était pas impossible et les branches nombreuses.

[Voyageuse]

Astrée grimaça en contemplant la pente. Ce bois avait pourtant bien été amené par quelqu'un, et il provenait bien de quelque part... Peut-être simplement des voyageurs en chariots voyageant avec une petite provision ? En ce cas, ils l'auraient emmené avec eux. Ou, s'ils l'avaient laissé, c'est qu'ils comptaient revenir.
Elle fut un instant tentée de laisser tomber sa recherche de bois. Mais elle s'obstina : puisqu'elle avait utilisé le bois, il était normal qu'elle le remplace.
Elle pouvait choisir de revenir sur ses pas : elle avait vu des bois plus accessibles la veille. Mais ils étaient loin, l'aller-retour lui prendrait un bon moment. Ou elle pouvait descendre jusqu'à ce petit bois en contrebas. Mais sans Prince pour transporter le bois, la remontée serait fastidieuse. Bah, avec une bonne corde pour remonter le bois, étape par étape, c'était faisable. Inconfortable, épuisant, sans doute, mais faisable.
Elle laissa donc son paquetage dans la grotte, ne prenant que sa corde, et, à tout hasard, quelques pitons et son petit marteau dans un sac de toile. Elle fit comprendre à Prince qu'il était libre de faire ce qu'il souhaitait et n'avait pas besoin de redevenir cheval immédiatement, et commença à descendre précautionneusement la pente.

[Galathée]

Heureusement, Astrée constata qu'il ne lui faudrait pas se déplacer loin dans le bois pour rassembler tout ce dont elle avait besoin : il y avait des branches mortes partout. C'était du sapin, pas exactement la meilleure essence pour une flambée durable, mais elle parviendrait à en remonter suffisamment pour compenser, sans nul doute. Prince s'était fait écureuil, pendant ce temps, et s'offrait une orgie de pommes de pin en bondissant d'un tronc à l'autre. Il battit cependant en retraite précipitamment, soudain, et se fit abeille dans les cheveux de la rôdeuse. Celle-ci eut le temps d'apercevoir la silhouette furtive d'un petit carnivore, sans doute une martre ou une fouine, bondissant d'arbre en arbre, puis rebroussant chemin en apercevant l'humaine. Une fois son balluchon de branchages prêt, cette dernière put reprendre l'ascension de la crête, qui présenta plus de difficultés que le chemin inverse. En effet, la pierre était très humide, et donc glissante, et Astrée manqua perdre l'équilibre à plus d'une reprise. Elle était cependant leste, ne manquait pas d'expérience en la matière, et elle put grimper jusqu'en haut sans casse. Au moment où, ses affaires rassemblées, elle put reprendre sa route, le soleil était levé depuis moins de deux heures, et le ciel demeurait bleu, magnifique, lui promettant un certain temps au sec.

[Voyageuse]

Astrée jeta un dernier regard à la grotte ornée, satisfaite d'avoir pu ramener suffisamment de branchage pour compenser ce qu'elle avait emprunté. Cet abri avait été véritablement providentiel, et semblait placer le début de son expédition sous le signe de la chance.
Elle fixa soigneusement ses bagages sur le dos de Prince et rejoignit à pied la piste rouge qui serpentait plus loin, quelque part au-dessus d'eux. Ce n'est qu'une fois sur ce chemin bien entretenu qu'elle se remit en selle. Elle avait conscience que plus loin, peut-être, le chemin pouvait devenir trop escarpé pour chevaucher ainsi. Autant profiter des moments où elle le pouvait.

Elle sourit au soleil, à la nature qui s'éveillait après le long hiver, s'emplit les poumons d'air frais et les oreilles du chant des oiseaux. Reynald aurait su mettre tout ça en vers, il aurait sans doute parlé d'une aventurière partant sous un soleil radieux, prête à affronter mille et un périls dans la montagne afin de trouver l'objet de sa quête et sauver un enfant... Les bardes, ça exagère toujours tout. Elle n'était qu'une simple voyageuse, et si elle cherchait bel et bien un arbre mythique, elle était parfaitement consciente que sa quête pouvait s'avérer vaine, et certainement pas prête à braver mille et un dangers... Elle ferait ce qu'elle pouvait, aurait la satisfaction d'avoir essayé de son mieux. Peut-être même qu'elle réussirait après tout. Mais tout de même, elle aurait bien voulu savoir ce qu'elle était sensée faire et où elle devait diriger ses pas pour cela... Montequine, puisque le chemin y menait. Et ensuite ?
Mais non, voyons, elle s'était mille fois répété, la veille, de cesser de se tourmenter à propos de "et après"... Elle verrait bien là-bas.

[Galathée]

La seconde journée de son périple fut similaire à la première. Il fit beau, parfois humide, la route s'élevait toujours globalement, mais elle redescendit parfois dans le creux d'un vallon, traversant un pâturage verdoyant, un petit bois épineux, une combe rocailleuse. Prince allait bon train, gêné par les mouches mais volontaire, pour autant qu'Astrée le laisse, de temps en temps, se remplir l'estomac à la faveur d'une prairie accueillante. Ils virent d'autres oiseaux, d'autres chèvres, et la rôdeuse put tirer un lapin pour son repas. Elle décela aussi le passage d'une ourse, sans doute avec un ou deux petits, mais les traces dataient déjà de plusieurs jours. Elle chemina sous le soleil, sous la pluie, les cailloux dégringolaient sous les sabots de son petit étalon, et la nature resplendissante paraissait maîtresse en ces terres vides de toute présence humaine. Il y avait cependant la route rouge, bien dessinée, toujours praticable. Et lorsque le soir commença à tomber, que les premières étoiles surgirent sur le bleu sombre du ciel, Astrée aperçut une bergerie toute simple, nichée dans le col qu'elle abordait.

[Voyageuse]

La soirée s'annonçait sur de meilleurs hospices que la veille. Un abri confortable s'offrait à elle sans qu'elle ait besoin de le chercher. Elle s'approcha de la bergerie et démonta, déposant également son sac pour libérer Prince. Elle prit le temps de s'étirer quelques instants : même si elle commençait à avoir l'habitude des longues chevauchées, elle avait besoin de se dérouiller les muscles.
- Y a-t-il quelqu'un ? demanda-t-elle, par acquis de conscience, avant d'appuyer sur la poignée de la porte. Même si elle n'avait pas aperçu de troupeau récemment, la bergerie pouvait servir d'abri à un voyageur égaré. Certes, il ne semblait guère y en avoir dans les environs. c'était presque grisant d'avoir ainsi la route à elle seule...

[Galathée]

La bergerie était déserte. Son sol de terre battue était presque dégagé, parsemé de quelques pierres, tout au plus. Mais il y avait une odeur... Une odeur désagréable... Ce n'était pas dû aux crottes de mouton éparses, qui ne sentaient pas, mais à quelque chose d'autre... qui venait du dehors... Prince hennit doucement, un son grave, comme un grommellement, tandis qu'elle regagnait l'extérieur et contournait le bâtiment. Elle identifia l'odeur comme elle reconnaissait un bruit sourd, qu'elle avait à peine perçu jusque là, masqué par le grésillement des criquets et le souffle du vent.
Ça puait le cadavre. Relativement frais. Sang caillé, bribes de pourriture. Et ce bruit... c'étaient des mouches. Des milliers de mouches.
On avait enterré quelque chose à l'arrière de la bergerie, à quelques mètres seulement des murs. La fosse était récente, la terre encore très noire, mais le trou avait été manifestement trop peu profond pour décourager les charognards. Ceux-ci avaient éventré la tombe pour en extirper leur nourriture. Lorsqu'Astrée parut, elle fit fuir deux corneilles et vit la silhouette d'un rat ventru s'écarter dans les hautes herbes. Les insectes, eux, n'avaient aucune intention d'interrompre leur festin et bourdonnaient en essaims denses autour de la viande qu'un animal plus gros, sans doute un ours ou un lion de montagne, avait ramenée à la surface. Si la jeune femme avait espéré, un moment, qu'il s'agisse des restes d'un mouton, elle dut déchanter en découvrant un bras déchiqueté, pointant hors du sol retourné.

[Voyageuse]

Astrée blêmit, et recula instinctivement de quelques pas en comprenant ce qui exhalait une telle odeur. Un cadavre... Elle sentit son estomac se retourner. Pas à cause de l'odeur : celle d'un cadavre humain ne différait pas de celle d'une charogne, et elle y avait déjà été confronté, bien évidemment. Mais c'était un cadavre humain, ici, et qui plus est déchiqueté par les charognards... Comme à chaque fois qu'elle était confrontée à la mort, des images lui revinrent immédiatement en tête : celle des corps sans vie de son mari et de sa fille, puis d'autres villageois victimes du même mal pendant cette terrible épidémie. D'autres corps, aussi, entrevus. Le sharite qu'elle avait tué. Images qu'elle chassa très vite, s'efforçant de maîtriser les battements désordonnés de son coeur. Ce n'était qu'un mort, un mort inconnu...
Elle revint à l'avant de la bergerie, respirant à fond pour retrouver son calme. Mais l'odeur, qui lui avait paru relativement atténuée tout à l'heure, semblait maintenant omniprésente, tout comme l'image de ce bras sortant de terre. Elle était au bord de la nausée. Elle ferma quelques instants les yeux. Décidément, elle avait toujours autant de mal à se trouver confrontée à la mort.

Une envie de fuir loin de là l'envahit. Elle ne réussirait de toute façon pas à dormir ici. Elle s'approcha de Prince et chargea ses bagages sur son dos, gestes simples du quotidien qui l'aidaient à retrouver une contenance, à se remettre du choc de la découverte. Elle trouverait un replat où planter sa tente. Mais elle savait qu'elle ne pouvait pas partir ainsi. Il fallait auparavant qu'elle enterre le corps. Il l'avait déjà été, une première fois, mais pas assez profondément... Elle devait l'enfouir à nouveau, par respect pour le défunt. Ou au moins le recouvrir de davantage de terre, si creuser un trou s'avérait trop difficile.
Pendant quelques minutes, elle se surprit à échafauder des hypothèses sur les circonstances de sa mort, qui semblait récente... Peut-être avait-il été gravement blessé par un animal, ou gravement malade, et ses compagnons avaient été obligés de renoncer à le soigner. Peu importait, au fond. Ce qui comptait c'était de lui offrir une sépulture plus décente.
Mais pour cela, il lui faudrait des outils... Une pioche, une pelle, quelque chose... Peut-être trouverait-elle ce qu'il lui fallait dans la bergerie ? Elle se dirigea à nouveau vers la porte, entra, et observa plus attentivement ce qui s'y trouvait, s'efforçant sans vraiment y arriver de faire abstraction de l'odeur et de son origine.

[Galathée]

Il n'y avait malheureusement rien de tel dans la bergerie. Elle semblait pourtant avoir été occupée peu de temps auparavant, ne fut-ce que parce qu'elle avait manifestement été nettoyée sommairement. A force de chercher, Astrée trouva une cache dans l'un des murs, derrière plusieurs gros cailloux. Mais elle y dénicha seulement un rouleau de corde sale et usée, qui dégageait une odeur pestilentielle de sang séché, un grand couteau dentelé, propre, lui, et de quoi allumer un feu. Rien de tout cela ne pouvait lui servir de bêche.

[Voyageuse]

Astrée grimaça en découvrant la corde ensanglantée. Peut-être avait-elle servi à transporter le corps... Ou peut-être que cela n'avait rien à voir, après tout. Quoiqu'il en soit, la seule chose qui devait la préoccuper était l'absence d'outils.
Elle soupira. Peut-être devrait-elle brûler le corps, à défaut de pouvoir l'enterrer ? Et puis, était-ce si important, dans le fond, de s'en préoccuper ? Sans doute que oui : le défunt n'aurait sûrement pas aimé apprendre que sa dépouille serait dévorée par des charognards. Mais si elle le brûlait, il n'en resterait nulle trace pour quelqu'un qui, peut-être, voudrait venir se recueillir sur sa tombe. Ou, savait-on jamais, pour quelqu'un qui aurait eu besoin, pour quelque obscure raison, de savoir ce qui l'avait tué.
Bon, avant de s'avouer vaincue, elle pouvait peut-être essayer de se bricoler quelques outils... Avec un bâton solide et des bouts de planche si la terre était suffisamment friable, ou une roche plate tranchante à manier à la main... Mais elle allait en avoir pour des heures, et la nuit tombait. Mieux valait sans doute attendre le lendemain pour ce genre de travaux. En attendant, il fallait couvrir le corps, un minimum, pour décourager les charognards. Avec une pierre en guise d'outil sommaire, elle pouvait certainement amasser un peu de terre par-dessus, compléter avec des herbes et des branchages si nécessaire. Elle irait planter sa tente plus loin, si elle trouvait un replat, et elle reviendrai le lendemain : à la lumière du jour, elle verrait mieux comment se bricoler un outil adéquat.
Sans enthousiasme, s'efforçant d'oublier l'odeur pestilentielle, elle se dirigea à nouveau vers l'arrière de la bergerie. Couvrir sommairement le corps devait être à sa portée, même sans outils vraiment adéquat. Même si elle préférait ne pas trop regarder ce qu'elle recouvrait.


hrp : j'avoue que je ne sais pas vraiment les moeurs de l'époque concernant les morts... je veux dire, je ne sais pas ce qui leur semble acceptable et naturel ou pas, donc je fais comme je le sens, j'espère ne pas être à côté de la plaque.

[Galathée]

HRP : Fais à ta guise, je ne sais pas non plus

Aidée par la pénombre, Astrée put recouvrir le trou sans trop regarder ce qu'elle faisait. Elle réalisa cependant, malgré elle, qu'il y avait au moins deux corps dans la fosse, empilés l'un au dessus de l'autre, car elle compta trois mains à moitié dévorées. On n'avait pas mis plus de deux ou trois pouces de terre par-dessus, c'était une tombe sommaire pour dire le moins, et les pierres et les branchages qu'elle y empila lui donnèrent déjà meilleure allure. L'odeur demeurait forte mais une petite pluie printanière aida à chasser les mouches et à faire respirer la prairie alentours. La rôdeuse put donc s'écarter, plus ou moins satisfaite, pour aller planter sa tente un peu plus loin. Prince, qui était resté à ses côtés pendant toute l'opération, parut soulagé de pouvoir enfin s'écarter du charnier.

[Voyageuse]

Astrée avait beau s'être éloignée autant que possible, elle avait la sensation que l'odeur la poursuivait, qu'elle imbibait ses vêtements, ses mains. Sensation totalement irrationnelle, sans doute, puisqu'elle n'avait pas touché les corps. Il lui fallut absolument trouver de l'eau pour se laver un peu, et ce fut seulement ensuite qu'elle se préoccupa de monter sa tente.
Deux corps, au moins. Qu'avait-il pu leur arriver ? L'endroit présentait-il un danger quelconque ? Elle n'avait rien remarqué d'inquiétant, pourtant... Prince ne semblait guère rassuré, lui non plus, mais le seul motif objectif d'inquiétude semblait la présence de ces corps.
Elle soupira. Elle n'avait rien mangé ce soir, mais se sentait incapable d'avaler la moindre bouchée de quoi que ce soit. Même l'eau lui semblait avoir un drôle de goût. Un feu était donc inutile puisqu'elle n'allait pas cuisiner. Certes, il aurait chassé un moment l'humidité et le froid, lui aurait peut-être redonné un peu de chaleur au cœur, mais et elle se sentait fourbue. Elle se souvint de la forêt maudite, de la nécessité absolue du feu pour chasser les morts-vivants. Mais il n'y aurait rien de tel ici, heureusement, d'autant qu'elle avait enterré les corps de son mieux.
Elle se glissa donc simplement sous ses couvertures, chaudement emmitouflée.

[Galathée]

Elle allait sombrer dans le sommeil lorsqu'elle sentit un petit picotement au niveau de ses tempes, un doux sifflement dans ses oreilles. La torpeur s'écoula en une seconde comme elle percevait le contact, par delà les lieues.
" Mon amour." fit simplement la voix de Reynald dans son esprit.
Elle eut l'impression de ressentir autre chose, comme une étreinte spirituelle, un baiser invisible. C'était sans doute son imagination.

[Voyageuse]

Effet de son imagination, sans doute... mais cette sensation de tendre étreinte était rudement agréable, et chassait d'un coup toute sombre rumination causée par la vue des deux cadavres. Astrée n'avait pas osé l'attendre, craignant d'être déçue, mais il était là, et c'était merveilleux. Elle sourit dans l'obscurité, songeant qu'elle aurait voulu lui rendre son étreinte imaginaire. Suffisait-il de le vouloir, de le ressentir, pour qu'il en perçoive la sensation ? Elle s'y employa de son mieux, tout en murmurant.
"C'est bon de t'entendre..."
Déjà six mots, réalisa-t-elle. Bon, ça lui laissait encore de la marge...
"Comment vas-tu ?"

[Galathée]

" Plus de voix. Trop bu, trop mangé. Crevé. Et toi ?"
Prince écureuil avait grimpé sur sa poitrine où il restait posté, aux aguets. Sans doute était-il surpris de l'entendre parler toute seule dans le noir...

[Voyageuse]

Astrée caressa machinalement, d'un doigt, l'écureuil roux inquiet. Elle se doutait que Reynald avait dû banqueter toute la nuit dernière, et tout ça en assurant l'animation de la soirée. Et la nuit précédente, il était avec elle. Il avait de quoi être épuisé en effet. Non, décidément, elle préférait cent fois sa place à elle. Elle sourit.
"Un voyage magnifique, tout est parfait..."
Oui, tout était merveilleux jusque-là... à l'exception de ces deux corps qui la faisaient frémir, tout de même. Elle grimaça.
"Sauf deux cadavres abandonnés que je terminerai d'enterrer demain."
Elle se demanda un instant pourquoi elle en parlait. Sans doute parce que le clerc était beaucoup plus serein qu'elle face à la mort, et qu'elle avait besoin de sentir sa sérénité. Ou parce que la présence de ces morts l'inquiétait, révélant peut-être un danger non loin.
Elle tenta de compter, a posteriori, les mots qu'elle avait prononcés. Neuf, et maintenant six et dix... Vingt-cinq. Oups. Elle ne pourrait plus lui dire grand-chose. Il fallait absolument qu'elle s'oblige à parler en moins de mots.

[Galathée]

La déclaration d'Astrée semblait avoir, pour une fois, coupé le sifflet au Sorlyn. Elle eut la sensation de l'entendre réfléchir.
" Astrée, sois prudente, dit-il finalement. Ta quête sera immanquablement dangereuse. Tu es de taille, mon amour. Aie confiance en toi."
Il était arrivé au bout de son message... Elle eut à nouveau l'impression de sentir cette étreinte, ou le battement d'un coeur, proche, la frôlement de quelque chose sur son front. Peut-être un papillon de nuit...

[Voyageuse]

Astrée grimaça. Ça avait été stupide de lui dire. Il allait se faire du souci, maintenant, alors qu'il n'y avait sans doute absolument rien d'inquiétant dans la présence de ces deux cadavres. Sans doute. Elle aurait juste voulu en être parfaitement sûre. Mais tout de même, la prochaine fois, il fallait qu'elle fasse attention à ne pas l'inquiéter pour rien... Comment le rassurer, maintenant en si peu de mots ?
"Merci, mon amour. Pour tout..."
Elle arrivait au bout des trente mots... Merci d'être là, de me parler ainsi, t'entendre me fait tant de bien... Décidément, elle n'avait vraiment pas assez de mots pour lui dire son amour.

En attendant, au lieu de la rassurer, les paroles du clerc étaient plutôt en train d'augmenter son angoisse diffuse. Avoir confiance en elle , facile à dire... Certes, lorsqu'elle avait pris la route deux jours plus tôt, elle se sentait d'un optimisme inébranlable et de taille à faire face à presque n'importe quoi. La vue des cadavres avait un peu douché son bel enthousiasme. Mais pourquoi donc avait-il besoin de lui rappeler que sa quête était dangereuse ? Et, mince, après tout, pourquoi diable devrait-elle l'être ?
Bon, peut-être, pour une fois, que le clerc était trop pessimiste. C'était de sa faute, elle l'avait inquiété inutilement...
Elle sourit dans l'obscurité. Tout de même, c'était si bon de l'entendre... Frustrant de ne pouvoir parler davantage, mais bien agréable de se sentir moins seule.

[Galathée]

Reynald était désormais loin, hors d'atteinte, et la nuit avait saisi la montagne, plus noire que jamais en l'absence de braises chaleureuses. Le vent secoua la toile de la tente, la pluie tambourina sur son double-toit, mais comme l'avait annoncé Keyth, elle était en parfait état et beaucoup moins odorante qu'il ne l'avait supposé. Peut-être était-ce le contraste avec les effluves de mort qui régnaient autour de la bergerie... Toujours est-il qu'Astrée n'était incommodée en rien.
Pendant un moment, le sommeil sembla la fuir. La nature environnante regorgeait de craquements et de sifflements étranges. Mais la jeune femme connaissait bien les combes, les rochers, les cols et les versants escarpés. Aussi, caressant doucement les poils de son écureuil, finit-elle par s'apaiser puis par glisser dans un néant plus lumineux, en fait, que la réalité.
Car ses rêves furent colorés, emplis de rires et de musique, et lorsqu'elle ouvrit les yeux, sur une aube qu'elle devinait au travers des pans de son refuge, elle se sentait, paradoxalement peut-être, parfaitement reposée.

[Voyageuse]

Astrée s'étira doucement. La nuit avait été bonne, bien meilleure que ce qu'elle aurait escompté étant donné les événements de la veille au soir. A croire qu'elle était véritablement épuisée par son expédition. Ou, plus probablement, avoir entendu Reynald avait eu comme toujours un effet positif sur son moral. Oui, ce devait être ça, pour qu'elle ait la sensation d'avoir rêvé de musiques... Quoiqu'il en soit, elle se sentait fraîche et dispose. Et affamée ! Elle n'avait rien mangé depuis la veille à midi - où elle s'était régalée d'un bon lapin grillé, certes, mais il était déjà bien loin.
Elle s'habilla chaudement et sortit de la tente, le coeur léger, avant de se mettre en quête de petit bois pour faire un peu de thé. La bergerie était toute proche, et elle savait qu'elle devait terminer d'enterrer les morts, mais elle y parviendrait certainement mieux avec l'estomac plein.

[Galathée]

Même à la distance à laquelle elle se trouvait, Astrée devina qu'un charognard avait tenté de déterrer sa pitance pendant la nuit. Elle parvint cependant à repousser toute urgence : après tout, les morts l'étaient depuis un certain temps et quelques minutes de plus n'y changeraient rien. De son côté, Prince semblait hésiter sur la forme à prendre, et devint abeille, puis cheval, à nouveau écureuil, avant de redevenir abeille et de s'éloigner quelque peu, sans doute pour se noyer dans le parfum des fleurs. Pendant que la jeune femme préparait son petit déjeuner, il se remit à pleuvoir, en gouttes fines et légères, presque imperceptibles, et le soleil jouait à cache-cache avec les nuages, timide puis impérieux. En faisant abstraction de la macabre scène qui gisait un peu plus loin, le panorama demeurait somptueux, de courbes et d'arêtes grises et vertes, ruisselant d'eau vive, de végétation, de vie et de lumière.

[Voyageuse]

Astrée s'efforçait de son mieux de faire abstraction de la tâche qui l'attendait. La montagne était magnifique, et le soleil allait peut-être finir par s'imposer et mettre fin à cette petite pluie. Elle observa un moment le vol d'un rapace, puis les facéties de Prince. Mais malgré elle, la présence des deux corps, trop proches, continuait de l'oppresser.
Pourquoi Reynald avait-il eut ce temps de silence ? Bah, c'était compréhensible : entendre parler de but en blanc de cadavres, c'était pour le moins inattendu et guère réjouissant, et sans doute cherchait-il quoi dire dans le peu de mots qui lui étaient impartis. Mais ses mots, justement, n'avaient fait qu'accentuer ses craintes. Est-ce que la présence de ces deux corps pouvait avoir un sens, pour lui ? Une sorte de présage ? Non, c'était totalement absurde. Cela n'avait fait que lui rappeler les dangers auxquels elle pouvait être confrontée, rien d'autre. Ou peut-être avait-il lui même, un jour, dû enterrer des corps, et ensuite fait face à un danger grave, par exemple celui qui avait causé les morts ?
Décidément, elle réfléchissait trop, et laissait ses idées partir dans n'importe quel sens. Il avait très certainement senti son angoisse lorsqu'elle en parlait, et l'avait partagée. C'était normal...

Elle inspira à fond, laissa son regard errer sur les montagnes alentours, évitant soigneusement de regarder vers la bergerie. Vraiment, la nature était magnifique, et la parcourir ainsi, seule avec sa monture, était infiniment agréable. Elle avait passé une bonne nuit, pleine de musique, sans doute avait-elle rêvé de Reynald. Elle n'allait pas se laisser gâcher le moral par son étrange trouvaille.
Elle termina rapidement son petit déjeuner, rangea ses affaires, plia sa tente. Il lui faudrait mettre tout ça à l'abri, dans la bergerie sans doute, si la pluie continuait à tomber ainsi. Elle chargea l'ensemble sur son épaule, grimaçant sous le poids, et s'approcha de la bâtisse, réfléchissant à la meilleure façon de s'y prendre pour sa macabre tâche. Elle n'arriverait pas à les déplacer pour les enterrer dans un nouveau trou, elle en était parfaitement incapable. Le plus simple était sans doute de les recouvrir d'une bonne épaisseur de terre, en une sorte de tumulus.

[Galathée]

Comme elle l'avait supposé, ses efforts de la veille avaient été dérangés par des animaux en maraude. A voir la manière dont les pierres et les herbes gisaient désormais autour de la fosse, il avait dû s'agir d'un carnivore de taille moyenne, peut-être un blaireau ou un renard. Un bras était à nouveau exposé, bien qu'il soit désormais rongé jusqu'à l'os, et la main avait disparu. Les insectes prêtèrent peu d'attention à la jeune femme qui s'approchait, mais les oiseaux — deux corbeaux imposants, une sorte de petit vautour, un groupe d'étourneaux bagarreurs — s'envolèrent pour aller se poser un peu plus loin, la dévisageant de leurs yeux noirs tandis qu'elle surplombait la tombe éventrée.
Il ne lui fut pas nécessaire de s'intéresser davantage à ce que renfermait la fosse et elle put relativement rapidement improviser son tumulus au-dessus des corps. Mais malgré la pluie, la terre alentours restait dure — ce qui expliquait sans doute la faible profondeur du trou original — et elle dut surtout utiliser des pierres pour couvrir les corps. Elle n'eut pas l'impression qu'ils étaient plus que deux, et n'en vit de toute façon pas grand chose : les bras, une épaule à un endroit, l'arrière d'un crâne poisseux de sang.
Elle termina son macabre travail passablement fatiguée. L'étalon broutait un peu plus loin, hésitant à s'approcher. Mais il lui était désormais possible de se remettre en marche.

[Voyageuse]

Astrée se sentait sale, et, comme la veille, elle avait la sensation d'être imprégnée de l'odeur nauséabonde des corps en décomposition. Au point qu'elle osait à peine s'approcher de Prince, de peur de le faire fuir... Après un dernier regard vers la bergerie, elle chargea néanmoins ses bagages sur son dos, mais se contenta de marcher à côté de lui. Elle espérait chasser ainsi la sensation de nausée qui ne la quittait pas. Elle aurait dû prier, sans doute pour les morts... Mais il y avait trop longtemps qu'elle ne priait plus.
Elle était trop fatiguée pour aller bien loin, et elle n'avait qu'une envie, se laver un peu mieux, avec une bonne dose de savon, pour chasser cette épouvantable odeur. Elle s'arrêta donc au premier ruisseau qu'elle croisa pour un bon brin de toilette. Rien ne pressait, elle pouvait en profiter pour se reposer un moment, ou même manger un morceau... non, elle n'avait décidément pas faim. Mais une pause était de toute façon bienvenue.

[Galathée]

Elle reprit sa route sous un soleil agréable, bien que le fond de l'air soit désormais froid, signe qu'elle avait atteint une altitude respectable. Elle était à présent au coeur de la moyenne montagne, et si elle avait des vues superbes sur les monts plus élevés, le chemin de la vallée avait disparu derrière la succession des crêtes et cols qu'elle avait franchis depuis son départ. Partout où se portait le regard, roche et bois sombres masquaient rapidement l'horizon, et seule la route rouge l'ancrait dans un semblant de direction. La flore colonisait l'univers, en couleurs et senteurs qui lui rappelaient sa lointaine demeure, bien plus au sud. Tout n'était pas identique, cependant. Certaines plantes, certains insectes, certains oiseaux lui étaient peu familiers, parfois inconnus.
A la mi-journée, elle dut s'enduire d'un onguent de sa connaissance pour chasser de gros taons qui avaient élu domicile autour d'une petite rivière féconde. Elle put cependant pêcher deux belles truites avant de fausser compagnie aux insectes voraces.
Plus tard, alors qu'elle gravissait une pente particulièrement escarpée, Prince la suivant, tête basse, pour examiner son propre parcours, elle entendit un juron. Prononcé par une voix humaine. Masculine, assurément. Suivirent des pleurs d'enfant, presque incongrus, vu le décor.

[Voyageuse]

Astrée fut si surprise d'entendre des voix humaines, après ces journées solitaires, qu'elle sursauta, faisant rouler un cailloux sous son pied, et faillit bien se retrouver sur les genoux. Elle se redressa et se retourna, fouillant du regard les paysages environnant. Un homme et un enfant, ça ne passait pas inaperçu, et ils devaient être proches.
Elle posa une main sur l'encolure de Prince pour lui demander d'attendre un instant. L'endroit était particulièrement escarpé, pas du tout adapté à une pause, et il aurait été préférable de continuer à monter sans interruption, mais elle voulait auparavant repérer les inconnus. Leur présence n'était pas si surprenante, au fond : elle devait s'approcher petit à petit des hameaux dont on lui avait parlés.

[Galathée]

Ils étaient juste de l'autre côté du versant qu'elle escaladait, aussi put-elle continuer sur sa lancée. Le terrain s'aplanissait quelques mètres plus bas, en une petite lande rocailleuse, couverte de buissons épineux. C'était un plateau, relativement vaste, tout bien observé : un bois épais le mangeait presque intégralement, sur la gauche, avant que le terrain ne s'élève à nouveau, plus rocailleux que jamais. Un groupe de quatre personnes, ainsi qu'un âne, se trouvaient un peu plus loin, près de la route. Astrée eut du mal à distinguer ce qu'ils faisaient, exactement, mais l'enfant était assis par terre, un homme penché sur lui. Les deux autres observaient les alentours, manifestement aux aguets.
" Là !" s'exclama l'un d'entre eux et la jeune femme le vit bander son arc... dans sa direction.

[Voyageuse]

Astrée avait eu le temps de détailler la scène, de se demander si l'enfant s'était fait mal, si l'adulte penché sur lui était son père... et fut proprement stupéfaite de se voir ainsi prise pour cible. Elle ne perdit pas de temps à essayer de comprendre pourquoi.
- Ne tirez pas, cria-t-elle en levant ses mains bien en évidence pour qu'ils sachent qu'elle n'était en rien une menace pour eux. Elle se prépara toutefois à plonger de côté si l'homme ne baissait pas son arc, même si cette attitude lui paraissait inimaginable.

[Galathée]

Le second guetteur leva la main en disant quelque chose d'inintelligible à cette distance à son compagnon, qui baissa son arme. Les trois adultes se tournèrent alors vers la jeune femme et elle devina leur surprise de la trouver là à leur gestuelle. Ils ne bougèrent pas d'un centimètre, ne lui firent aucun signe, mais n'étaient désormais plus menaçants. L'archer reprit rapidement son guet, surveillant la forêt en particulier, une flèche encochée, tandis que les deux autres continuaient à l'observer.

[Voyageuse]

Astrée hésitait sur la conduite à tenir. Ils ne la menaçaient plus, elle pouvait poursuivre sereinement sa route. Ils avaient été surpris de la voir dans cette région où les visiteurs semblaient extrêmement rares. Rien de plus. Mais tout de même, de là à la menacer... Et pourquoi lorgnaient-ils la forêt avec tant d'inquiétude ? Craignaient-ils des créatures dangereuses qui y seraient tapies ? Ou peut-être qu'ils cherchaient du gibier, tout simplement ?
Peut-être ferait-elle mieux de descendre les rejoindre, pour leur demander s'il y avait quoi que ce soit à craindre dans les parages. Ils semblaient tellement sur leurs gardes...
Elle soupira. Tous ces efforts pour grimper là-haut, pour redescendre ? Bah, mieux valait s'assurer qu'il n'y avait pas de réel danger. Aussi, lentement, se mit-elle à redescendre en s'aidant de son bâton, tout en guettant leur réaction.