[Quête] Montequine

[Galathée]

Aucun éclair de reconnaissance ne s'alluma dans le regard des deux Montequins, mais ils se dévisagèrent un moment.
" Peut-être à Lustac ? dit finalement Antoine, avec un haussement d'épaules.
— Ce nom ne me dit rien. Ça ne sonne pas très montagnard." ajouta Bertille, interdite.
Ils se tournèrent à nouveau vers Astrée.
" Des nomades passent parfois dans la région. Mais cela fait longtemps que nous n'en avons plus vus, dit l'herboriste.
— Peut-être vit-elle dans un village du versant est, plus près de la Lorien ?"
Bertille secoua la tête, incertaine.
" Bon, quoi qu'il en soit, à table, mesdames. Je vous ai mijoté un petit filet aux oignons de printemps dont vous me direz des nouvelles."

[Voyageuse]

Ils ne semblaient pas la connaître. Bah, elle s'y attendait tellement, au fond, qu'elle ne fut même pas déçue. Au moins avait-elle essayé.
- Ca m'a l'air délicieux, répondit-elle en humant le fumet qui se dégageait du plat.
Étrange auberge, au fond, où il n'y avait jamais personne. Finalement, c'était presque comme loger chez l'habitant, un peu comme aux Étourneaux. Et la cuisine avait l'air fameuse.
Elle sourit à Antoine en se servant copieusement.
- J'imagine que vous n'êtes pas qu'aubergiste... Je veux dire, si vous ne deviez compter que sur l'argent donné par vos rares clients pour vivre, vous feriez faillite !

[Galathée]

Antoine parut surpris de la question et mit quelques secondes à répondre.
" Oh... Heu... Je suis... Comment appeler ça... Une sorte de boucher ? De charcutier ? Je ne sais pas bien... Je gère les stocks de viande, je les apprête, je les redistribue à chacun...
— Montequine n'utilise pas d'argent, intervint Bertille. Les chasseurs ramènent leurs prises, et Antoine s'occupe de la préparation de la viande, tandis que d'autres s'occupent des peaux, par exemple, ou de la gestion des déchets."
En parlant de viande, celle que l'aubergiste leur avait servie était particulièrement goûteuse, délicate et tendre, au fumet délicieux. Il sourit de voir le plaisir que ses invitées avaient d'en déguster.
" Je fais parfois un peu restaurant... ou alors je teste des recettes et je distribue... ça dépend un peu des moments de l'année...
— Tu es notre cuisinier des grandes fêtes.
— Voilà, aussi. Du coup, vous allez vous rendre compte que le lit est bien moins bon que la nourriture..."

[Voyageuse]

Astrée rit.
- Cela fait quelques nuits que je dors sur le sol des alpages, au demeurant plutôt confortable cela dit. Un lit avec un matelas est presque un luxe ! Donc ne vous en faites pas, cela ira très bien. Et vous êtes vraiment un bon cuisinier, c'est vrai...
Elle aurait dû se douter qu'ils n'utilisaient pas d'argent, puisqu'ils ne commerçaient quasiment pas avec l'extérieur. Le troc était de rigueur, un peu comme à Grange-Blanche, le hameau près duquel elle vivait. En plus marqué encore.
- Au fait, si vous n'utilisez pas d'argent... Comment vais-je pouvoir vous dédommager pour la nuit et le repas ? Bon, je sais chasser, si vous avez besoin de ravitaillement, mais je me doute que la viande ne vous manque pas...
Peut-être, comme aux Étourneaux, l'hospitalité était-elle une tradition et ne réclamerait-il pas de paiement. Mais elle se devait de proposer quelque chose, par principe.

[Galathée]

" Ne vous en faites pas. Nous ne recevons pour ainsi dire jamais personne. Vous êtes des nôtres pendant les quelques jours de votre séjour, et voilà tout. Vous alimenterez les conversations un certain temps, déjà... ce qui n'est pas rien !" s'exclama Antoine avec bonne humeur.
Bertille sourit à son tour.
" Et puis nous échangerons nos connaissances demain en allant cueillir vos plantes. Vous m'en apprendrez sûrement sur les vertus de l'une ou l'autre."

[Voyageuse]

Vu le peu d'étrangers qui montaient ici, elle ne doutait pas d'être une mine inépuisable de sujets de conversation pour les jours à venir. Elle se serait bien passée d'une telle célébrité, mais c'était ainsi.
- Je serai ravie d'échanger sur le peu que je sais en herboristerie, répondit Astrée à Bertille, mais honnêtement j'en sais certainement bien moins que vous sur les plantes d'ici ! C'est tout de même votre montagne.... Et merci pour votre accueil, d'ailleurs, ajouta-t-elle en se tournant vers Antoine. Si je peux vous aider, à faire quoi que ce soit, n'hésitez pas à me demander, ce sera avec plaisir.
Elle s'efforcerait de faire en sorte que sa présence lui donne le moins de travail possible. Un peu un comble, vu qu'elle était sensée être dans une auberge. Mais puisqu'on l'hébergeait gratuitement, pouvait-on encore appeler cela une auberge ?
Elle étouffa un bâillement. Il était tard, et elle avait bien marché ces derniers jours. Et la perspective d'un vrai lit n'était pas pour lui déplaire. A croire que Reynald lui déteignait dessus...

[Galathée]

" Vous êtes fatiguée. Je vais vous montrer la chambre."
Bertille en profita pour prendre congé, promettant de revenir de bon matin pour l'emmener le long de la falaise. Antoine se chargea du sac de la rôdeuse, refusant de prêter oreille à ses protestations, puis l'entraîna dans l'escalier craquant de la petite maison, qui ne comptait qu'un seul étage. Il lui montra la salle d'eau rudimentaire, proposa de lui préparer de l'eau chaude si elle en avait encore l'envie et la force, puis la conduisit en bout de palier, jusqu'à une petite pièce dont la fenêtre donnait sur l'arrière de la bâtisse et la rue voisine. Il y avait là un lit de bois haut et étroit, une petite table usée, une chaise à l'assise de paille, le tout très rudimentaire, et il parut gêné.
" J'ai changé les draps, ils sont donc frais, mais... hum... Ce n'est pas la Taverne de la Bienveillance, c'est sûr."

[Voyageuse]

Astrée sourit à la mention de la meilleure taverne de Luménis. Ou du moins la seule qu'elle connaissait. C'était là-bas qu'elle logeait habituellement avec Kasumi. Non, elle ne voulait pas y songer maintenant.
Désireuse d'atténuer la gêne de l'aubergiste, elle répondit immédiatement.
- Ca n'a pas d'importance, vous savez : je dors rarement dans des auberges, même si j'ai déjà testé la taverne de la Bienveillance. J'ai plutôt l'habitude de ne trouver qu'une grange ou une grotte... Et du reste, pour tout vous dire, je vis la plupart du temps dans une grotte que j'ai aménagée moi-même, avec un lit moins confortable que celui-ci !
Elle aurait peut-être pu se passer de ce petit détail qui allait à coup sûr la faire passer pour une drôle de personne...
- En fait, je préfère souvent la tranquillité d'un abri sommaire à la foule des auberges, avoua-t-elle.
Bon, avec toutes ces explications, totalement sincères au demeurant, il ne devrait normalement plus se sentir aussi gêné de ne proposer qu'un lit dur et étroit dans une toute petite chambre.
- Et pour l'eau... Ca attendra demain je crois ! Et si vous n'avez pas le temps de la faire chauffer, je suis habituée à l'eau froide, ne vous en faites pas...

[Galathée]

" A l'eau froide, ne dites pas n'importe quoi..." s'offusqua Antoine, avant de la laisser seule.
Il n'avait pas complètement menti, cependant. Quand Astrée s'assit sur le lit, elle devina tout de suite que le sommier était vieux et dur, peut-être grinçant. Le silence dans la petite chambre était presque total, reflet de ses nuits précédentes, mais il y avait davantage de lumière, émanant de la bougie qu'il lui avait laissée, de la rue au dehors, de l'étage inférieur, qui laissait aussi monter la chaleur bienfaisante de l'âtre encore vif. Elle entendit les pas de l'aubergiste improvisé qui redescendait au rez-de-chaussée. Le miaulement ténu d'un chat. Pas de traces de Prince, en revanche. Et pas de traces de Reynald.

[Voyageuse]

Astrée soupira, se retourna. Elle se demanda si Reynald, Tybert et Maedron étaient passés par Montequine et avaient logé ici. Elle aurait pu s'en enquérir auprès d'Antoine... Mais elle ne voyait guère comment aborder le sujet, d'autant qu'elle ne savait pas la raison qui les avait poussés, à l'époque, à parcourir les montagnes. Et puis, peut-être avaient-ils pris un tout autre chemin qu'elle. La seule certitude, ou quasi certitude, était qu'ils avaient dû suivre la route rouge.

Le lit était dur, guère confortable. Elle en aurait presque regretté son hamac. Non, tout de même : elle avait un toit sur la tête et était en sécurité, il n'y avait pas de cadavres inquiétants à proximité, pas de danger à craindre. Elle pourrait dormir tranquille. Elle se dit que les villageois d'ici étaient décidément très accueillants, plus qu'on le lui avait laissé entendre.

Mais elle aurait bien voulu entendre la voix du Sorlyn... Goran avait dû organiser quelque chose, requérir ses services jusqu'à une heure avancée. Peut-être pourrait-il lui parler, quelque part au milieu de la nuit. Mais il était complètement déraisonnable de l'attendre, elle avait besoin de dormir. Sentir sa présence dans son esprit, entendre sa voix, la réveillerait immédiatement, elle en était certaine. Elle devait cesser de le guetter. Essayer de dormir.

Les pensées tournoyèrent encore un moment dans son esprit. Cet arbre mystérieux qu'elle ne voyait absolument pas comment elle pouvait avoir la moindre chance d'atteindre. Les cadavres d'hier. Les dangers d'ici qui rendaient tout le monde nerveux alors qu'elle-même ne les avait pas perçus, le long de la route, trop confiante sans doute. Une angoisse diffuse à propos de ce qui l'attendait dans les jours à venir. Le sentiment de solitude, trop prégnant. Elle guettait son contact.
Il lui fallut un long moment pour se sentir enfin sombrer.

[Galathée]

Elle s'éveilla plusieurs fois pendant la nuit, mais jamais à cause de Reynald. Il y eut d'abord un moustique entreprenant, puis des souris dans la charpente, enfin des... créatures voraces dans le matelas. Chaque fois, elle parvenait à se rendormir, mais ce sommeil haché l'empêcha de réellement se reposer et lorsque la lumière d'un nouveau matin se glissa sous les volets, l'arrachant à la nuit, elle réalisa qu'elle était épuisée. Elle avait aussi une colonie de morsures irritantes le long du dos et dans le haut du bras gauche, et la piqûre déjà bombée d'un vampire miniature dans la gorge.
En bas, Antoine était manifestement déjà levé. Elle l'avait entendu sortir en fin de soirée, le claquement d'une porte, mais s'était endormie avant qu'il revienne, si seulement il logeait là. Quoi qu'il en soit, il était de retour.

[Voyageuse]

Finalement, une toilette à l'eau chaude ne serait pas du luxe. Avec beaucoup de savon puis du baume apaisant sur toutes ces traces de morsures. Et dire qu'elle avait osé songer que la nuit à l'auberge serait confortable... Elle avait beaucoup mieux dormi sous la tente ! Peut-être devrait-elle envisager d'accrocher son hamac dans un coin de la pièce pour fuir les bestioles du matelas ? Elle était quasiment certaine de mieux dormir. Mais elle ne voulait pas vexer Antoine... Et puis, elle risquait de lui dégrader son mur, non ? Bon, il faudrait qu'elle regarde si elle pouvait faire ça sans rien abîmer. Parce que tout de même, elle avait besoin de dormir, vraiment...
Elle soupira, et se leva à contrecœur, consciente que rester allongée ne lui apporterait pas davantage de repos. Elle s'habilla rapidement, s'arrêta un instant dans la salle d'eau pour commencer à apaiser ses démangeaisons avec un peu d'eau glacée, et descendit dans la salle principale, pour demander un peu d'eau chaude avant de déjeuner.

[Galathée]

Antoine fut mortifié d'apprendre qu'elle avait eu des déboires avec le matelas et promit de l'aérer, si elle avait l'intention de passer une seconde nuit parmi eux, bien sûr. Il se répandit en excuses : ils n'avaient pas l'habitude de recevoir des étrangers, les conditions étaient spartiates, il allait agir pour un mieux. Il lui mit rapidement de l'eau à chauffer sur l'âtre et lui porta une belle marmite à la salle d'eau, avant de l'abandonner à ses ablutions et de retourner préparer le petit déjeuner, qui serait, à voir ce qui était déjà sur la table quand elle était entrée, très copieux.

[Voyageuse]

Astrée prit, pour une fois, le temps de profiter de la salle d'eau. Elle avait mal partout, elle se sentait sale et avait besoin de se soigner... un peu partout ! Bon sang, il y avait encore plus de mal qu'elle ne l'aurait cru, elle avait l'impression de découvrir de nouvelles morsures de minute en minute...
Elle s'en voulait un peu d'avoir mis l'aubergiste mal à l'aise... Elle en avait pourtant dit le moins possible, et sur un ton qu'elle espérait léger, mais il avait deviné que l'affaire était sérieuse... Bah, elle ne pouvait pas lui en vouloir pour les parasites du lit : l'auberge servait une ou deux fois dans l'année, et elle était arrivée à l'improviste donc il n'avait rien pu préparer. La nuit prochaine serait certainement meilleure. Et puis, elle devait bien avoir dans sa pharmacie quelque chose pour décourager quelque peu ces voraces bestioles, en cherchant bien...

Parfaitement récurée et enduite de baume, elle se sentait mieux en redescendant dans la salle principale. Toujours aussi épuisée, bien sûr, mais au moins pouvait-elle se concentrer sur ce qu'elle disait et faisait sans avoir l'esprit parasité par de multiples démangeaisons et douleurs.
A défaut de repos, elle pouvait au moins compter sur un bon repas : thé, lait, jambon, oeufs, lard fumé, gruau, pain, marmelade, miel... et même une part de tarte. L'air vif des montagnes et les longues marches des jours précédents avaient éveillé son appétit et la cuisine d'Antoine était décidément excellente. Et puis, elle ne savait pas ce qui l'attendait aujourd'hui, peut-être des heures de marche pour trouver les herbes. Elle engloutit donc sans se faire prier le copieux petit déjeuner.

[Galathée]

Antoine ne lui tint pas compagnie, affairé dans sa cuisine, passant juste la tête par l'embrasure de la porte pour vérifier que tout allait bien. Il paraissait relativement fatigué, lui aussi, mais un sourire planait en permanence sur ses traits. Astrée n'avait pas terminé son plantureux repas que Bertille survint, poussant la porte en habituée, saluant l'aubergiste d'un geste et d'un mot, avant de rejoindre la jeune femme dans la salle à manger. Elle s'assit en face d'elle et grimaça.
" Antoine a oublié de vous donner du baume protecteur, je vois. Vous avez la tête de quelqu'un qui a conversé avec les moustiques."

[Voyageuse]

Astrée grimaça en retour et porta la main à la boursouflure qui ornait son cou. Une autre commençait à gonfler sur le bas de sa joue, un autre près de ses oreilles. Les démangeaisons étaient heureusement supportables, grâce au baume apaisant.
"Ca se voit tant que ça ? Le pire c'est que j'ai aussi mon propre baume, peut-être pas aussi efficace contre les bestioles d'ici mais ça aurait sûrement été mieux que de me faire dévorer... Seulement, lorsque j'ai pris conscience de la présence d'habitants indésirables dans les lieux, j'étais à demi endormie et je n'ai pas eu le courage de me lever pour fouiller dans mon sac... je ne pensais pas qu'il y en aurait tant, je pense. La nuit prochaine je prendrai mes précautions."
Elle avait veillé à ne pas parler trop fort, pour ne pas gêner davantage Antoine.
Souriant à l'herboriste, elle ajouta.
"Quoiqu'il en soit, je suis ravie de pouvoir bénéficier de vos conseils pour ma cueillette d'herbes. Et j'imagine qu'il vaut mieux que j'emmène mon arc, en cas de mauvaise rencontre..."

[Galathée]

Bertille haussa les sourcils.
" Sans doute, oui... Mais nous n'allons pas nous éloigner du village et partir vers l'est... Les chasseurs sont sortis tôt ce matin et nous devrions être tranquilles : les créatures dangereuses sont manifestement vers le sud-ouest. Si nous rencontrions des difficultés, les guetteurs les verront venir de loin et nous sommerons de rentrer. Je doute qu'un arc... aussi expertement manié soit-il... puisse tenir en échec une bande affamée... Mais ils sont parfois couards, on ne sait jamais..."
Un sourire revint sur ses traits parcheminés.
" Dès que vous êtes prête, nous irons. La mi-journée est le moment le plus sûr."

[Voyageuse]

- En ce cas, je monte vite me préparer !
Elle acheva d'engloutir un dernier morceau de tarte, avala d'un trait le restant de son thé, et s'en fut dans sa chambre. Elle se sentait toujours l'esprit un peu embrumé, mais le petit déjeuner lui avait redonné un peu de forces et d'énergie.

Elle n'avait pas vraiment pris le temps de défaire son sac la veille au soir, trop fatiguée. Elle s'obligea à en sortir ses vêtements pour les aérer, réalisant qu'une petite lessive ne serait pas du luxe quand elle trouverait un peu de temps. Mais pour l'heure, elle devait juste prendre sa sacoche à herbes, un bon couteau, et de quoi se défendre au cas où.
Elle se sentait aussi parée qu'elle pouvait l'être. En temps ordinaire, elle ne se serait peut-être pas encombrée autant, et puis Bertille avait dit qu'elles allaient dans un secteur ne présentant pas le moindre danger. Mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une légère inquiétude, reflet de la tension qu'elle avait sentie la veille chez les habitants d'ici, qui semblait peu à peu la contaminer. Au point qu'au dernier moment, se souvenant qu'Isaure et Hugo avaient parlé de nécrophages, elle vérifia que les flèches données autrefois par Alice étaient bien à leur place, facile d'accès. Elle était pourtant consciente que ses armes seraient de piètres défenses si elles devaient faire face à toute une meute de créatures hostiles.
Elle secoua la tête. Il n'y avait aucune raison pour que cela arrive : l'endroit où elles allaient était sûr. Il était évident que les montequins avaient à coeur d'éviter toute mésaventure à leur invitée. Mais ce n'était pas une raison pour ne pas prendre un minimum de précaution, ce qui impliquait d'emmener bâton, arc et trousse de secours, juste par principe : leur stress était communicatif.

Elle redescendit dans la salle à manger, équipée de pied en cap. Elle aurait volontiers pris Prince avec elle, juste pour le plaisir de marcher à ses côtés, mais les gens d'ici n'avaient pas l'habitude de s'encombrer de montures et sa guide aurait peut-être trouvé cela étrange.

[Galathée]

Bertille et Astrée partirent donc pour leur cueillette. Elles retraversèrent le petit village en à peine quelques minutes, ne croisant quasiment personne. En arrivant aux grandes portes, la vieille femme alla à la rencontre d'un homme en armure de cuir, qui lui confia un épieu. Bertille le soupesa avec un sourire interdit, écarquillant de grands yeux mélodramatiques à l'intention d'Astrée. Ensuite, la herse se leva dans un grincement sonore, puis le pont-levis glissa au bout de ses chaînes, et elles purent gagner la plaine. Ni les moutons, ni les vaches ne semblaient de sortie et elles se retrouvèrent seules avec les fleurs, l'herbe verte et les milliers d'insectes. L'herboriste l'entraîna le long de la muraille, vers la gauche, afin qu'elles contournent entièrement Montequine jusqu'au pied de la falaise. Le ciel était bleu, parsemé de nuages blancs, et le vent soufflait fort. De nombreuses hirondelles louvoyaient, relativement bas, promesse d'une averse plus tard dans la journée. Bertille, malgré son grand âge, était encore vive et elle se servait de son épieu menaçant comme d'un bâton de marche. Astrée constata que la prairie regorgeait de plantes diverses, de plus en plus variées à mesure qu'elles approchaient du bas de la montagne. La cueillette pouvait débuter.

[Voyageuse]

Astrée connaissait une bonne partie des plantes, identiques à celles des Montagnes de Fer. Digitales et épilobes, armoise et reine-des-prés, absinthe et gentiane, menthe et serpolet, pulmonaire et millepertuis... tout s'y trouvait à profusion. Elle prit le temps de sélectionner les plus belles pousses, échangeant avec sa guide sur les vertus de celle qu'elle connaissait moins, essayant d'enregistrer toutes les informations que l'herboriste acceptait de partager avec elle. Bien sûr, la vieille femme en savait dix fois plus qu'elles sur les vertus de chaque plante, et Astrée se retrouva rapidement à l'abreuver de questions, oubliant pour un temps les dangers de la région, toute à l'enthousiasme de ses découvertes. Elle se concentra sur celles qui ne poussaient pas chez elle, comme le raisin-ours, l'herbe aux teigneux, ou le maître-des-maléfices qu'elle finit par trouver enfin, au pied des falaises.
L'herboriste était un puits de science - bon, peut-être pas autant qu'Isudë, mais elle avait quelques siècles de moins... Elle connaissait réellement à la perfection les plantes de son milieu de vie. Le temps passa sans qu'elle en ait conscience vraiment, et elle s'aperçut finalement que sa besace s'était remplie presque à son insu. Elle finit même par trouver un pied de la langue-de-boeuf dite couleuvrée, dont Bertille lui détailla les vertus anti-inflammatoires, qu'elle repiquerait une fois de retour si toutefois elle parvenait à le ramener intact.

[Galathée]

Chemin faisant, les deux femmes s'étaient éloignée du village, suivant le pied de la falaise qui s'incurvait vers le nord, petit à petit. La prairie fleurie commençait à descendre, d'abord en pente douce, avant de rejoindre une zone plus rocailleuse, chaotique, qui semblait précéder un ravin.
" C'est la limite du plateau... Il y a là un dédale de roches, puis un bois épais, enfin les alpages plus bas. Les sentiers sont très escarpés mais pas impraticables. Certains de nos cueilleurs les connaissent bien. Autrefois, j'y musardais, moi aussi, mais toutes mes bonnes tisanes ne peuvent rien contre le passage cruel des années... Je pense que c'est par là que vous devriez envisager de redescendre. La route rouge ne sera plus praticable avant quelques jours, à mon avis."
Elles entendirent alors le bruit d'une course derrière elles et un jeune homme en sueur surgit.
" Bertille... Hugo te cherche.
— Ils sont rentrés, déjà ?
— Seulement le premier groupe."
Elle acquiesça.
" Bredouilles ?
— Oui. Enfin. Ils ont eu un ours, je crois."
La vieille femme soupira et se tourna vers Astrée.
" Je dois retourner à Montequine. Je ne voudrais pas que cela vous presse, cependant... Si vous restez dans l'ombre de la falaise, sans vous écarter, il ne devrait rien se passer... Marc va rester avec vous. Il peut porter vos affaires."
Le jeune homme eut une grimace embarrassée, mais ne se défila pas.

[Voyageuse]

Astrée avait écouté les explications concernant son probable chemin de retour sans grand enthousiasme. Elle ne pouvait pas partir maintenant, elle n'avait pas trouvé ce qu'elle cherchait. Et puis, pourquoi la route rouge ne serait-elle plus praticable ? Bien sûr, ils voulaient faire des battues, mais... à si grande échelle ?

Surprise de voir le jeune homme arriver à vive allure, elle l'écouta avec inquiétude, mais secoua la tête lorsque Bertille proposa qu'il reste avec elle.
- Je n'ai pas besoin qu'on porte mes affaires. Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais me débrouiller...
Pourquoi diable avait-on besoin de la vieille femme de façon si urgente ? Elle avait la sensation que la situation était grave, sans qu'elle sache le moins du monde quel était le problème. Tout le monde semblait tendu, et elle aurait bien voulu savoir pourquoi. En tant qu'étrangère au village, elle craignait que sa curiosité soit mal perçue, mais après tout il était compréhensible qu'elle s'inquiète...

Elle se tourna donc vers l'herboriste avant qu'elle ne parte, et posa la question qui lui brûlait les lèvres.
- Bertille... Qu'est-ce qui se passe exactement ? Pourquoi tout le monde est-il si inquiet ?
Et pourquoi avaient-ils réuni le conseil hier, et pourquoi devaient-elle les rejoindre maintenant, et que cherchaient les chasseurs... Bien sûr, il y avait ces créatures hostiles, ettins, ogres, nécrophages, mais Hugo et Isaure étaient restés vagues, et elle avait la sensation, peut-être fausse, que le danger qui inquiétait les montequins était plus précis que ce qu'ils en avaient dit. Et de plus en plus proche, aussi...

[Galathée]

L'herboriste lui décocha un sourire qu'elle voulait manifestement rassurant mais qui ne l'était pas vraiment.
" Ne vous en faites pas. Ce sont nos affaires, nous avons l'habitude. Nous avons des ennuis... avec un groupe de sangliers sanguinaires, depuis plusieurs années, déjà. Nous avons la possibilité d'éradiquer une partie de la harde et il faut absolument que nous le fassions... Ils nous pourrissent l'existence de bien des manières et ces bêtes sont plus rusées qu'elles ne devraient l'être... Avec les autres créatures qui hantent le bois en ce moment... Il était temps que nous agissions de manière plus ferme. Les informations qu'Hugo et ses chasseurs nous ont ramenées hier étaient ce qu'il nous manquait... Si on a besoin de moi... J'imagine que c'est parce qu'il y a des nouvelles importantes."
Elle sourit à nouveau.
" Mais Marc reste avec vous. Deux bras armés valent toujours mieux qu'un, en cas de grabuge. Ne tardez pas trop."
Cette fois, elle partit à grands pas.

[Voyageuse]

Astrée grimaça. Des sangliers sanguinaires... Des bêtes redoutables, assurément. Si leur territoire était trop proche du village, cela avait de quoi les inquiéter, tout autant que les autres créatures dont on lui avait parlé. Mais tout de même, elle se demandait quelles étaient ces nouvelles importantes.
Elle soupira. En tant qu'étrangère au village, il était peu probable qu'on lui en dise plus. Les gens d'ici voulaient régler leur problèmes seuls, ils étaient habitués à le faire depuis toujours et ne voyaient en elle qu'une charge de plus, une étrangère à la région qu'ils devaient protéger. Leur attitude était compréhensible, certes, mais un peu frustrante pour elle qui se faisait une fierté de se débrouiller toujours seule dans la nature. Elle se gourmanda intérieurement de cet orgueil mal inspiré : vu la teneur des dangers environnants, la sagesse dictait de se conformer bien sagement à leurs conseils.
Elle eut un sourire gêné à l'adresse de Marc, obligé de lui tenir compagnie alors qu'il aurait certainement préféré être ailleurs, et proposa :
- Je me doute que vous préférez rentrer vite, et pour ma part j'ai trouvé l'essentiel de ce que je cherchais. Nous pouvons donc tout simplement revenir au village...

[Galathée]

Le jeune Marc acquiesça et ils repartirent vers le village. Les remparts étaient à bonne distance, encore, gris sombre sur le vert de la prairie, et la silhouette de Bertille avait disparu. Le soleil était au zénith, combattant les nuages grisés, les hirondelles frôlaient le sol avant de remonter vers le firmament, il y avait une odeur de pluie dans l'air. La vue était brouillée au sud, bouchée par une averse lointaine. Marc marchait plus vite, comme s'il craignait d'avoir une meute de loups aux trousses.
" Ce n'est pas de chance, fit-il sur le ton de la conversation, la respiration un peu sifflante. Si vous étiez seulement venue dans deux veilles..."
Le son d'un cor résonna alors quelque part devant eux et il se figea comme une bête aux abois.
" C'est une alerte, souffla-t-il. Nous devons nous hâter."
Lui attrapant la main, il se mit à courir vers le village.

[Voyageuse]

Astrée fut légèrement déséquilibrée, déstabilisée par la poigne du jeune homme, mais elle ne perdit pas de temps à poser des questions inutiles. Apparemment, la situation était grave et urgente. Elle le pressentait, du reste, depuis que son compagnon avait consciemment ou non accéléré le pas, et elle avait immédiatement compris que le son du cor était une alerte, une exhortation à rentrer au plus vite.
Elle dégagea sa main, tout de même, pour être plus libre de ses mouvements, et emboîta le pas au jeune homme, courant aussi vite que lui, inquiète de ce qui pouvait provoquer une telle effervescence. Par réflexe, par habitude, elle guettait la moindre anomalie dans la nature alentour, surveillant l'horizon, sans savoir vraiment ce qu'elle était sensé craindre ni où porter son regard. Mais le village n'était plus très loin, il suffisait qu'ils le rejoignent avant que survienne le danger, quel qu'il soit. Elle hâta encore le pas.

[Galathée]

Au moment où ils atteignirent les abords du village fortifié, les portes s'ouvrirent pour laisser le passage à cinq chasseurs montequins, parmi lesquels Astrée reconnut Hugo et Jack. Ils étaient armés d'arcs et d'épieux, à pied, et ils coururent sur la route rouge, en direction de la crête, d'abord en file, puis se déployant en éventail. Des cris provenaient de cette direction, un âne surgit au galop, seul, traversant la ligne humaine pour filer vers le village. Une silhouette s'encadra sur l'éminence, faisant de grands gestes, avant de jeter un coup d'oeil derrière elle, puis de courir vers Montequine.
" Venez, il faut rentrer..." fit Marc, juste à côté d'Astrée.

[Voyageuse]

Astrée avait les yeux fixés sur la scène qui se déroulait devant elle. Elle continuait à se diriger vers les portes, mais elle n'avançait plus aussi vite : elle ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'oeil sur la route rouge, essayant de deviner ce qui pouvait bien se passer au-delà de la ligne de crête. Ils avaient peut-être besoin d'aide... En voyant la silhouette solitaire se mettre à courir vers les portes, elle se remit à accélérer le pas en direction des portes, suivant l'injonction de Marc. Quoiqu'il se passe là-bas, elle ne pouvait certainement pas grand-chose pour aider. Ils étaient cinq chasseurs expérimentés et semblaient couvrir la retraite de villageois en danger.
- Vous croyez... qu'ils ont besoin d'aide ? demanda-t-elle néanmoins à son jeune compagnon, plus par acquis de conscience que par conviction. Elle se doutait bien qu'il ne laisserait pas une étrangère prendre un tel risque, mais elle se devait de le proposer.

[Galathée]

" Ne dites pas n'importe quoi, c'est trop dangereux." dit Marc en la reprenant par le coude et en l'entraînant vers le pont-levis.
Ils le franchirent rapidement et la herse claqua sur leurs talons. Deux hommes remontèrent ensuite la passerelle, jusqu'à mi-hauteur, sans doute pour pouvoir la rabaisser rapidement. Marc abandonna Astrée et ouvrit la porte d'une des deux tours de guet, où il disparut. Sur la petite esplanade, une femme avait pris l'âne en charge et l'examinait. Il tremblait de tous ses membres. Deux hommes arrivèrent, armés d'arcs, et se placèrent contre la herse, aux aguets. Un nouveau coup de trompe sonna dans les hauteurs. Bertille reparut, une lourde musette sur l'épaule. Suivaient un homme en aube brune, relativement jeune encore, et Antoine l'aubergiste. Ils avaient tous l'air passablement inquiets.
" Qui est au guet ? demanda Bertille.
— Nestor, en tout cas, répondit Antoine. NESTOR ! Tu vois quelque chose ?
— Rien, répondit une voix distante. Ils sont redescendus plus bas... Ah si... Je crois que c'est... c'est Caribert... Il a l'air indemne."

[Voyageuse]

Astrée observait la scène avec une inquiétude sourde. L'un des groupes de chasseurs s'était probablement fait attaquer. Il devait y avoir des blessés. Rien de plus grave, elle l'espérait. Elle pourrait peut-être aider à les soigner... mais non, il y avait quelqu'un en aube, un prêtre sans doute, qui s'y entendrait bien mieux.
Se sentant parfaitement inutile, pour ne pas dire gênante, elle recula jusqu'à l'âne affolé qu'elle caressa doucement, s'efforçant de le calmer. Elle ne quittait pas des yeux les deux hommes près de la herse, Bertille, le prêtre, attendant les événements, regrettant de ne pouvoir voir ce qui se passait au-dehors. Elle se tenait prête à aider, bien sûr, mais avait la sensation qu'elle ne servirait pas à grand-chose. Bon, elle pouvait tout de même calmer l'âne, c'était dans ses cordes après tout.