Guerre des plaines brûlantes : Arthur et Chandara : de l'autre coté de l'éboulis

[Arthur de Faisanlys]

La soudaineté de l'attaque laissa Arthur pétrifié de surprise. Lorsque la poussière retomba, que les gravats cessèrent de rouler, qu'il put prendre la mesure de la destruction autour de lui, il réalisa qu'ils avaient eu beaucoup de chance. Beaucoup beaucoup beaucoup trop de chance, même. Qu'ils aient pu être pris par surprise de la sorte était une triste preuve de leur manque d'expérience. Il avisa Chandara, que la lueur surnaturelle de son marteau éclairait faiblement. Elle était debout, c'était déjà ça. Les autres, par contre, semblaient s'être volatilisés.
" Vous n'avez rien de cassé ?" demanda-t-il d'une voix altérée par un stress tardif.

[Chandara]

La jeune femme demeurait immobile, le regard fixé droit devant elle vers le monceau de gravât qui leur barrait le chemin, sans se soucier de la poussière qui voltigeait encore en tous sens. Ils venaient d’échapper d’un cheveu à la mort mais ce n’était pas la seule raison qui la mettait dans cet état catatonique : leurs compagnons avaient disparu alors qu’ils étaient à un pas derrière eux. Cela ne pouvait signifier qu’une chose de son point de vue : ils étaient maintenant ensevelis sous ces pierres, sans doute morts. Une mort rapide alors que la leur serait suffocante, lente, mais tout aussi inéluctable dans cette atroce prison de pierre et de terre où l’oxygène ne tarderait pas à manquer. Des mots résonnèrent à son esprit, la voix d’Arthur, son ton plein de sollicitude mais aussi une pointe d’angoisse qui faisait si bien écho à la sienne qu’elle la libéra. Les mains de la jeune femme se mirent aussitôt à trembler sans qu’elle puisse les contrôler à tel point qu’elle relâcha son marteau qui tomba lourdement à ses pieds. Sa tentative futile pour le rattraper lui arracha un hoquet de stupeur et de frustration et elle s’entendit parler d’une voix sans souffle, entrecoupée, déjà si faible :

- A.. Arthur ? V..Vous êtes blessé ? Il faut que… que nous sortions d’ici… Sans perdre un instant !

Proche de l’hystérie, elle ne lui laissa pas le temps de répondre alors qu’une vague de panique la saisissait subitement au son d’une nouvelle série de blocs de pierre s’effondrant derrière elle. Elle se retourna et se jeta contre l’éboulis en se mettant à genou pour écarter un bloc à sa base puis s’emparer d’un second, trop absorbée par sa tâche pour tenter de masquer ses sanglots affolés.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur comprit que la crainte dont Chandara l'avait entretenu plus tôt avait eu raison de son sang-froid. Il resta un moment paralysé, son esprit lui proposant mille marches à suivre en kaléidoscope, si bien qu'il finit par avoir le tournis et agit comme le lui recommandait son instinct, sans plus se soucier de la raison ou des retombées. Il alla jusqu'à la jeune femme, se pencha sur elle et la saisit par les épaules.
" Chandara, Chandara, calmez-vous..." souffla-t-il.
Il essaya de la basculer doucement en arrière, pour qu'elle lâche son rocher, reprenne son souffle, retrouve son calme. Il se doutait que ce ne serait pas aussi simple, mais il ne voyait pas comment la panique pourrait s'avérer bonne conseillère. Aussi se devait-il d'essayer.

[Chandara]

La paladine résista quelques secondes à la pression sur ses épaules mais, sans laisser à Arthur le temps de l’accentuer, elle lâcha brusquement le rocher qu’elle avait saisi et relâcha toute la tension qui la maintenait encore debout, s’affalant doucement mais sans grâce. Alors qu’elle se retrouvait assise dans la poussière devant le tas de roche, aux pieds du paladin, son regard se riva sur ses paumes éraflées, la tête basse. Ses épaules furent secouées de spasmes alors qu’elle laisser échapper ses larmes sans retenue, impuissante à contenir son angoisse, sans exutoire à sa panique, misérable et sans soutien maintenant qu’elle avait échappé à l’étreinte maladroite de son confrère.

[Arthur de Faisanlys]

L'étreinte maladroite se fit alors plus solide, même si Arthur, conscient de l'armure glacée qu'il portait, veilla à ne pas se montrer trop brutal. Il s'agenouilla près d'elle et l'entoura de ses bras, espérant ne pas dépasser une frontière invisible qui le verrait voué aux Enfers. Mais il avait l'impression que, dans son état, Chandara se soucierait peu de bienséance, et elle avait manifestement besoin d'être rassurée. Evidemment, il ne pouvait pas ramener la lumière, et surtout le ciel, dans leur prison souterraine, mais peut-être pourrait-elle trouver quelque réconfort dans son aura. Peut-être pas. Sa terreur semblait profonde, ancienne, intouchable.
" Chandara, ne vous en faites pas... Nous allons nous en sortir... Nous allons trouver une sortie... retrouver nos compagnons... vaincre les Loviates et tout ce qui se terre dans ce lieu de perdition..." murmura-t-il.

[Chandara]

Les sanglots semblèrent s’apaiser quelque peu à moins que ce soit le simple résultat de son étreinte ferme. Puis, sans que la jeune femme ne relève la tête vers lui, Arthur sentit une pression sur ses avant-bras comme Chandara l’attirait plus près d’elle. Elle faisait preuve d’une force qui semblait presque incongrue chez une femme à la silhouette si élancée, une femme si fragile en cet instant qui ne demandait qu’à être protégée, rassérénée. Sa voix était encore tremblante, indécise, nouée quand elle répondit finalement :

- J.. Je suis d..désolée mais j’ai si p..peur.

Ce faisant, elle ne donnait aucun signe de vouloir relâcher son emprise sur l’étreinte, comme si elle s’y raccrochait en guise de planche de salut, comme si c’était tout ce qui la préservait d’une nouvelle crise de panique.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur ne s'en formalisa pas. Il n'avait aucune intention de la relâcher tant qu'elle n'était pas en état... pour autant qu'aucune urgence ne le force à se relever. Son épée gisait dans la poussière juste à côté de lui, le marteau continuait à diffuser sa lumière, presque chaleureuse, en dépit de leur situation critique.
" Ne vous en faites pas... Vous vous en sortez très bien. Ça ira mieux dans un moment et vous pourrez nous guider hors d'ici."
Tout en murmurant ces paroles, il demeurait aux aguets, tâchant d'écouter les ténèbres au-delà des sanglots de la jeune femme. Où donc étaient les autres ? Comment feraient-ils pour se faufiler au travers de l'éboulis ? Risquaient-ils de prendre tout le plafond sur la tête ? Pragmatique comme un Maelwedd.
Ce qu'il ressentait, malgré l'armure, au fond de son ventre, n'était par contre pas pragmatique du tout. Et ces cheveux, doux malgré la poussière, qui lui caressaient la joue, n'arrangeaient pas du tout la situation...

[Chandara]

Chandara commençait doucement à calquer le rythme de sa respiration sur le souffle dans sa nuque, chaud, apaisant. Le calme affiché par le paladin en cet instant critique, l’espoir dans son discours et son aura naissante mais d’ores et déjà affirmée achevèrent peu à peu d’étouffer les sanglots erratiques de la jeune femme assise contre lui. Mais la volonté de sa consœur semblait encore bien trop fragile pour qu’il prenne l’initiative de rompre l’étreinte sans risque de rechute. C’est elle qui, bien plus tard, à peine quelques secondes ou quelques heures indéfinissables lui en donna le signal en relevant la tête, en se tournant vers lui sans lui laisser le temps de se détourner puis en l’étreignant en une accolade, sans pudeur, sans souci des convenance. Il nota, pendant un moment fugace, son visage baigné de larmes, ses yeux rougis avant qu’elle ne lui souffle à l’oreille d’un ton peu assuré, tout en reniflant un peu bruyamment :

- N’avais-je pas raison ? Quand je disais que vous étiez formidable !

Puis elle partit d’un rire nerveux, gêné, sans pour autant se dégager. Pas encore.

[Arthur de Faisanlys]

Il ne chercha pas davantage à rompre leur étreinte. Il voulait être certain qu'elle soit prête à repartir au moment où ils se relèveraient. Prête, fière et forte comme elle pouvait l'être. Cette fille était étrange... Les oscillations de son humeur la rendaient particulièrement imprévisible, comme si elle était à la fois de feu et de glace, parcourue par des courants irrépressibles qui l'entraînaient parfois vers les cieux, parfois au fond du gouffre. Pour un garçon au tempérament relativement pondéré comme l'était Arthur, c'était particulièrement épineux à comprendre. Mais il avait l'habitude de ne pas comprendre les femmes. Celle-ci ne faisait simplement pas exception. Il aurait aimé, pourtant, peut-être...
Et puis elle le complimenta et il se sentit rougir et eut à nouveau la certitude qu'elle percevait le monde de manière un peu décalée. En même temps, la détromper ne lui ferait probablement aucun bien. Si elle avait besoin d'illusions pour aller de l'avant, pardi, il serait temps d'y mettre de l'ordre quand ils auraient vaincu nécromants, goules, loviates, architectes déments et autres vieux pères cinglés et maléfiques.
" Vous avez toujours raison."
Ahum. C'était peut-être un peu trop, ça. Mais c'était sorti, et c'était trop tard. Il espéra qu'elle ne sentait pas ses joues chauffer comme mille soleils écarlates.

[Chandara]

La jeune femme renifla à nouveau puis partit d’un petit rire musical où se percevait encore la marque d’une certaine tension mais étouffée, réprimée, combattue. Elle répliqua à l’avenant, d’un ton qui se voulait léger sans parvenir à l’être tout à fait :

- Voilà que vous commencez à vous montrer raisonnable ! Mais ce n’est guère charitable de vous moquer de moi !

Puis, après un moment d’hésitation, elle répliqua d’un ton plus sérieux mais hésitant, mal assuré un peu intimidé peut-être :

- Je sais que cela devient une fâcheuse habitude mais votre soutien m’est très précieux, vraiment. Oh, comme je déteste les tunnels ! Quel comble pour l’ancienne apprentie d’un nain, non ? Et une ancienne paladine… Ah vraiment ! Mais je crois que je vais un peu mieux, maintenant. Et que je peux me mettre debout. Il faut juste que je ne regarde pas trop tous ces éboulis.

Ce faisant, elle s’était relevée en prenant appui sur ses bras, dispensant au jeune homme – sans le vouloir bien entendu - la vision de son visage tout proche et de parties plus troublantes de son corps en se redressant à quelques pouces à peine devant lui.

[Arthur de Faisanlys]

Chandara était redevenue aussi bavarde qu'une pie, signe qu'elle reprenait ses esprits. Arthur ne pouvait que s'en réjouir. Elle se leva alors, lui frôlant le visage d'une impressionnante... zone de son anatomie qu'il aurait franchement préféré continuer à admirer de loin, en secret, presque inconsciemment. Parce que là... c'était difficile de faire abstraction de l'effet de la chose... Il la laissa se relever, s'éloigner, bavarder, puis se remit à son tour debout, et s'écarta de quelques pas, presque titubant. Bon sang, ce harnois était serré, une horreur. Il était cependant reconnaissant à Longuehune, et à Lathandre, de ne pas être dans une tenue moins protectrice. Il se souvint de ses bonnes résolutions. Pourquoi ce maudit éboulis l'avait-il coincé avec Chandara alors qu'il n'espérait qu'une chose, la compagnie virile, franche et tellement plus simple de Brus ?! Les dieux étaient contre lui, voilà tout.
Il prit plusieurs longues inspirations, puis invoqua le visage de son père, sa stature d'ours mal léché, son regard de faucon, sa barbe hirsute de vieux sanglier. Plus efficace que la plus glaciale des douches. Formidable. Il se retourna vers Chandara à nouveau parfaitement maître de lui-même (ou presque).
" Luna était devant nous, les autres derrière... Peut-être devrions-nous commencer par chercher notre amie barde... Elle est peut-être seule face aux Loviates..."

[Chandara]

La paladine se retourna pour lui adresser un sourire où transparaissait clairement son inquiétude ce qui se traduisait chez elle par une façon plutôt séduisante de se mordiller la lèvre inférieure. Mais – si elle n’en avait de toute façon pas conscience - elle semblait ne pas devoir torturer le paladin par des mimiques susceptibles de le mettre dans tous ses états et se retourna vers l’éboulis qui leur faisait face avant de lui répondre :

- En effet, l’honneur nous impose de faire face au danger et de secourir ceux de nos compagnons qui pourraient avoir à l’affronter. En tous cas c’est ce que dirait un digne paladin en la circonstance, non ? Oui, je sais, je parle beaucoup trop et nous devons économiser notre souffle mais c’est ma façon de gérer l’angoisse alors je vous prie de m'excuser. Bref, nous allons devoir dégager ces rochers mais nous risquons d’en avoir pour des heures même en nous y mettant à deux…

Puis, après un instant de réflexion, elle ajouta en se tournant vers lui et en arborant un air songeur :

- Nous ferions peut-être mieux de nous mettre à l’aise pour ce travail : je sens qu’il commence déjà à faire chaud ici, pas vous ? Et je ne voudrais pas que vous suffoquiez dans votre harnois… Je peux vous aider à gagner du temps si vous voulez toujours me montrer comment faire.

Etait-ce une lueur amusée qui faisait maintenant briller le regard émeraude qu’elle pointait innocemment sur lui ? Non, ce serait lui prêter des intentions indignes d’une paladine, même d'une de la sorte si imprévisible que ne l'était Chandara. Ou peut-être que si après tout…

[Arthur de Faisanlys]

Il resta un instant piégé dans ce regard vert et sa bouche s'ouvrit et se ferma plusieurs fois, à la manière ravissante de la carpe sauvage, avant qu'un son n'en sorte.
" Chandara, j'enlèverais volontiers mon harnois pour vous satisfaire, mais..."
Ce n'était pas exactement ça qu'il avait voulu dire, il espéra qu'elle comprendrait que c'était de sa suggestion très raisonnable qu'il parlait et non... d'autre chose...
" Je pense que c'est trop risqué. Même si cela doit me ralentir, la sagesse exige que je sois bien protégé lorsque nous nous retrouverons face au danger..."
Il ne voulait pas la vexer, cependant.
" J'espère que vous ne m'en voulez pas. Je vous promets que je vous en dévoilerai les secrets un autre jour."
Il eut un sourire embarrassé. Et il décida de commencer rapidement à déblayer les gravats. Puis réalisa seulement qu'il venait de promettre quelque chose de complètement totalement absolument inconvenant. Le stress, quand même !

[Chandara]

Chandara leva un sourcil en une expression incrédule mais tout à fait charmante comme à l’accoutumée. Les mots du paladin avaient en outre provoqué un effet des plus positifs de son point de vue car la jeune helmite se tint coite pendant une bonne minute, sans doute le temps nécessaire pour interpréter convenablement ce qu’avait voulu dire Arthur. Et non ce qu’il avait dit mot pour mot. Au bout d’une nouvelle minute pendant laquelle le jeune homme put certainement sentir le regard pointé directement dans son dos, Chandara le rejoignit en se mettant à dégager les blocs qu’il faisait rouler de côté. La paladine se remit alors à parler mais peut-être pas dans le but d’évacuer son angoisse comme elle l’avait annoncé précédemment :

- Vous savez bien que je ne vous en veux pas ! Comment le pourrais-je ? Et j'ai envie de vous croire quand vous parlez d'un autre jour. Même malgré tout ça... Pensez-vous que je doive garder mon armure moi aussi ? Vous êtes là pour me protéger après tout et je meurs de chaud. Je ne sais pas comment vous faites, vraiment ! Peut-être est-ce parce que j’ai longtemps vécu au pied des montagnes… Mais pas vous… Avez-vous toujours vécu à Luménis, Arthur ?

La jeune femme semblait sincèrement curieuse et entendait manifestement profiter de la situation où son interlocuteur ne pouvait pas s’échapper bien loin pour satisfaire son penchant.

HRP : 666 !

[Arthur de Faisanlys]

" Je pense que vous... oui... hum... feriez mieux de garder votre armure..."
Il ne manquait plus qu'elle se promène dans une tunique marbrée de sueur. Cette fille n'avait aucune pitié, exactement comme Soupir avant elle. Il était en train, à nouveau, de se faire manipuler par une apprentie succube, qui voulait probablement simplement tester son pouvoir de séduction. A la commanderie, un de ses condisciples éméché lui avait un jour fait tout un discours sur ces "créatures voraces qui ont besoin de charmer pour se sentir exister". Il avait jusqu'ici pensé qu'il parlait d'une sorte de goule, pas d'êtres humains. Mais Chandara ne pouvait pas être comme ça, si ?
" On ne sait jamais ce qui pourrait arriver." ajouta-t-il.
C'était honnête.
" Je ne suis pas un si bon garde du corps, je crois."
Puis il prit conscience qu'elle était déjà passé à autre chose.
" J'ai grandi à Luménis, oui. Et j'y ai toujours vécu. C'est une jolie ville..."
Il faillit lui dire qu'elle devrait un jour venir la visiter, et qu'il se ferait un plaisir de la guider, qu'il était sûr que cela lui plairait beaucoup et qu'en tout cas, lui serait ravi de l'accompagner pour une promenade dans le Parc Verdoyant, mais... sa raison mit le holà aux vagabondages de son imagination.
" Et vous-même ? Vous avez grandi à Manost ?"

[Chandara]

Chandara était visiblement ravie que le paladin se laisse enfin aller à quelques confidences personnelles, aussi anodines soient-elles. Son regard se fit un moment rêveur avant qu’elle ne réalise qu’il avait détourné la conversation en lui posant une question. Etait-ce là simple politesse, une façon de ne pas se confier davantage ou la marque d’une curiosité réelle pour son propre passé ? La jeune femme avait envie de lui laisser le bénéfice du doute et répondit joyeusement :

- Oh non, je n’ai pour ainsi dire jamais vécu à Manost. A peine quelques semaines entre deux voyages. Je viens de l’autre côté de la Cordillère, d'un tout petit hameau où nous avions notre domaine. Mais vous ne pouvez pas connaître… Je suis allé poursuivre mes études à Cojum une fois adolescente. Plus un lieu de culture qu’une ville comme peuvent l’être Manost ou Luménis. Mais ses bibliothèques sont merveilleuses ainsi que son festival. Pour qui aime danser ou boire du bon vin en tous cas...

Elle jeta un regard en coin au jeune homme avant de poursuivre en changeant brusquement de sujet comme si le précédent la troublait un peu :

- J’y ai lu de nombreux textes qui décrivent votre cité comme un écrin aux joyaux de lumière. Mais cette vision vous apparaît certainement biaisée. Que pouvez-vous m’en dire ?

[Arthur de Faisanlys]

" Luménis est assurément une belle ville... pour qui aime... heu... En fait, je ne suis pas très calé en architecture, je dois dire. Je crois que le Palais est assez joli... enfin... il est imposant, en tout cas, et puis le Temple de Lathandre est très beau... et le Temple de Sunie, aussi, enfin, pas que je le connaisse bien, mais comme il est près de la Commanderie, fatalement, je suis déjà passé devant, c'est juste ça, parce que je ne suis jamais entré, évidemment, bien sûr, heu... Il y a un joli Parc, très reposant, presque une petite forêt... enfin sauf que ce n'est pas une forêt, c'est un Parc, mais... Heu."
Il s'éclaircit la gorge.
" Enfin, c'est une grande ville. Il y a beaucoup de maisons. De toutes sortes. Des moches et des belles, et des riches et des pauvres. Y'a plein de gens de toutes sortes. Je ne dirais pas que c'est un écrin de lumière, parce qu'il y a des coins pas très lumineux... et puis il y a eu la dictature, vous en avez peut-être entendu parler... c'était il n'y a pas très longtemps, et c'est pour ça que je suis presque le seul paladin à être venu ici, parce que tous les autres sont morts, et puis mon chef, il ne voulait même pas que je vienne, je me suis embarqué sans lui dire, et il va être vert de rage quand je vais rentrer et je serai sûrement consigné pour trois mois, ou trois ans, dans les baraquements, je ne sais pas... Hum. Enfin. Je ne sais pas si j'ai répondu à la question, en fait. La lumière, c'était ça votre question. Je ne sais pas si Luménis est un écrin de lumière en vrai. Mais c'est la lumière dans mon coeur et dans mon âme, en tout cas. Et je crois que c'est comme ça pour beaucoup de gens qui y vivent. Alors ça doit valoir quelque chose."

[Chandara]

Chandara l’écoutait sans jamais le quitter des yeux, manifestement étonnée par ce long discours qui ne ressemblait pas au paladin réservé qu’il avait été jusque-là. En tout cas, elle affichait un sourire ravi sans donner l’impression de vouloir l’interrompre. Quand il eut achevé son monologue, elle laissa s’écouler quelques secondes encore avant de répondre d'un ton hésitant puis plus assuré :

- Ma question visait surtout à mieux vous... enfin... à mieux connaître votre ville. Et oui, cela vaut quelque-chose. Et même bien davantage de mon point de vue. C’est la façon dont les habitants vivent leur ville qui la définit plus que tout. Qui en fait toute la beauté : pas ses bâtiments, ni ses monuments, ni ses temples, fussent-ils dédiés aux divinités que nous chérissons, ni rien d’autre en fait. Non, ce sont bien ses habitants qui définissent une ville. Et la vôtre est assurément belle. Enfin, euh... Je le devine à votre façon d'en parler. Pour répondre à votre question, j’ai appris oui… Combien votre ville a été meurtrie. Je suis désolé que vos confrères, que vos concitoyens aient subi un sort si terrible. Cela rend d’autant plus louable à mes yeux votre présence en Dorrandin. Et pourtant je ne vous sens pas animé par la vengeance ou un sentiment de cet ordre. Pouvez-vous me dire ce qui vous a poussé à désobéir à votre commandant, Arthur ? Certainement pas la volonté de fuir une ville que vous semblez tant aimer ?

[Arthur de Faisanlys]

Chandara avait raison, ce travail donnait chaud, et Arthur avait l'impression de ne pas progresser d'un pouce. Les gantelets de son armure n'étaient décidément pas pratiques, lui offrant une prise imprécise sur les rochers. Il transpirait, l'odeur devait être terrible, et il s'inquiéta soudain de savoir si son armure pouvait rouiller... de l'intérieur. Il n'osa cependant pas poser la question, préférant rougir à celle, très embarrassante, de Chandara.
" Oh... Heu... Disons que... ça m'a semblé nécessaire, simplement. Mélandis ne peut pas gagner cette guerre. Quand j'ai vu tous les Luméniens qui s'engageaient, les troupes arriver de Solarcis, d'Antelucas, de la Trouée... Je me suis... Arthur, tu ne peux pas rester ici les bras croisés, à aller combattre la quintaine, tandis que tous ces braves vont donner leur vie pour un idéal critique... Non, c'était trop... trop difficile. J'étais blessé dans mon honneur, je crois. Et puis... il arrive un âge où on doit pouvoir faire ses preuves. J'ai souvent été écarté de luttes nobles mais difficiles à cause de ma jeunesse. J'en avais assez..."
Il jeta un oeil vers Chandara, espérant trouver un soupçon d'assentiment dans son époustouflant regard.

[Chandara]

Et il y trouva bien plus que cela… Quand le jeune homme tourna la tête, il put lire de l’admiration dans le regard de la paladine. Mais elle n’osa pas soutenir le sien plus de quelques secondes avant de rougir furieusement et de s’intéresser tout aussi soudainement au rocher d’aspect pourtant fort banal qu’elle tenait dans les mains. Elle reprit alors la parole précipitamment comme pour mettre fin au silence gênant qui aurait pu s’en suivre. Son ton confus était éloquent en tous cas, quoique parfaitement sincère :

- Je… Je vous comprends. Mais cela reste un geste d’une incroyable noblesse, quoiqu’en disent ceux qui voulaient sans doute vous protéger en vous gardant près d’eux. Je… J’espère que vous n’en arriverez pas là… Je veux dire, que vous n’aurez pas à donner votre vie. Que vous leur reviendrez. Avez-vous… de la famille, Arthur ? Une… Une sœur peut-être ?

Il était évident que ce n’était pas tout à fait ce qu’elle avait eu en tête de lui demander mais elle releva bravement la tête pour le regarder d’un air songeur.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur grimaça et rebaissa les yeux sur son labeur.
" Je n'ai plus réellement de contacts avec ma famille... Je suis fils unique et mes parents, ma foi... Mon père, vous savez de qui il s'agit, le grand général luménien, imperturbable et glacé comme... comme un glacier, je suppose. Bah... Je serais devenu boulanger ou forgeron, je pense que ça n'aurait pas changé grand chose pour lui... Tant que je ne lui fais pas publiquement honte, il se fiche de ce que je deviens. Ma mère... ma mère considère que je suis mort déjà, je crois. Elle ne voulait pas que je sois paladin. Elle a tout fait pour que je ne sois pas paladin. Et je suis quand même paladin. Donc voilà."
Il eut un petit sourire contraint, puis un haussement d'épaules.
" Je pense que la personne qui serait le plus chagrinée de ma perte serait Sire Armand, le chef actuel de la commanderie des paladins. Et j'espère lui revenir."
Il poussa un léger soupir, soudain accablé.
" Et vous ? demanda-t-il d'un petit filet de voix. Vous avez des frères et soeurs ?"

[Chandara]

Chandara écarquilla les yeux en laissant transparaître, durant un très bref instant, son incrédulité. Mais elle comprenait soudain pourquoi le patronyme d’Arthur lui avait paru vaguement familier quand elle l’avait entendu. Et pourtant, ce n’était pas son ascendance qui avait retenu son attention. Non, c’était là un détail sans grande importance à côté de la tristesse qu’elle décelait dans le reste de ses propos. Elle se tourna vers lui à nouveau, délaissant quelques instants sa tâche et levant son regard vers le sien pour essayer de capter son attention alors qu’elle répondait d’un ton plus sincère et plus assuré que jamais, forte de convictions inébranlables :

- J’ignorais qui était votre père. Mais ce n’est pas ce qui est important… Je suis désolée que votre famille semble considérer si peu votre vocation. Et excusez-moi de parler avec tant de franchise… Mais c’est sans parler du fait qu’elle ne vous accorde visiblement pas la confiance que vous pourriez en attendre et l’amour que vous mériteriez. Devenir paladin est un choix difficile et une si noble cause mérite assurément que vous obteniez le soutien des vôtres ! Et si c’est votre ser commandant qui vous apprécie le plus, alors c’est lui dont j’aimerais faire la connaissance. Vous a-t-il déjà dit qu’il vous trouvait formidable ?

Cette dernière réplique était selon toute vraisemblance destinée à le faire sourire et à amoindrir la gravité de ses déclarations précédentes. Toute concentrée qu’elle était sur son indignation, la jeune femme avait omis ou éluder la question concernant sa famille.

[Arthur de Faisanlys]

" Heu... J'imagine qu'à sa manière... Oui..."
Les derniers mots de Chandara firent sourire Arthur, mais ce qu'elle avait affirmé juste avant, et le contenu de la conversation, l'avaient empli d'une mélancolie qui menaçait de s'installer durablement. Bien sûr, il avait déjà songé à ce triste état des choses plus d'une fois, ce n'était pas comme s'il prenait subitement conscience de son isolement, des liens qui s'étaient rompus, des manques béants dans son existence. Mais les partager, mettre des mots sur des émotions qui étaient déjà bien trop douloureuses sans cela, était-ce vraiment une bonne idée, quand on était enseveli sous des tonnes de pierre, dans un temple maudit ? Malgré lui, il songea aux Loviates, à la souffrance qu'ils révéraient, et se dit qu'il n'était nul besoin de clercs maléfiques pour avoir le coeur déchiré.
Mais il devait faire face, aller de l'avant. Lathandre promettait de meilleurs lendemains et il fallait qu'il ait foi en cela.
" Heu... Pouvez-vous m'aider à retirer mes gantelets ? Je crois que je serais plus efficace si je sentais un peu mieux ce que je fais..."

[Chandara]

Chandara n’était pas insensible à la mélancolie subite d’Arthur et elle s’en voulut d’en être en partie à l’origine. Pourquoi avait-il fallu qu’elle insiste tant pour qu’il lui confie un passé qu’il avait visiblement souhaité taire jusqu’ici ? Elle tenta de se rattraper de sa bévue en interprétant à sa façon le « Si » prononcé par le paladin :

- Ah ! C’est assurément un homme d’une sagesse rare s’il a su s’en rendre compte ! Il faut vraiment que nous nous rencontrions. Et qui sait...

Elle tut ce qu'elle s'apprêtait à ajouter en prenant conscience qu’il lui avait demandée de l’aide. Et enchaîna alors d’un ton plus sérieux :

- Bien sûr, avec plaisir : tendez-moi vos mains !

Dès qu’il s’exécuta, elle entreprit de défaire très habilement les attaches maintenant les deux pièces d’équipement en place. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes signe qu'elle avait peut-être sous-estimé sa maîtrise de tels armures. Quand il en fut débarrassé (en un tournemain) elle s’attarda juste quelques secondes de plus que nécessaire en lui tenant les poignets avant de les libérer avec une pointe de… regret peut-être.

- Allez, nous avons encore beaucoup de travail ! Mais je vais tout de même répondre à votre question de tout à l’heure : j’ai deux frères encore en vie. Mais je n’ai pas eu le plaisir de les voir depuis maintenant deux ans. Ils me manquent beaucoup.

[Arthur de Faisanlys]

Pendant un instant, infime, il avait eu envie de poser la main sur sa joue. Juste une seconde. Prendre sa température, elle avait si chaud... Frôler sa vie... Caresser le velouté de... Il frémit et retourna à son travail. Comment de telles pensées pouvaient-elles survenir dans une situation aussi désespérée ? Etait-il en train de devenir fou ? Ou bien était-ce justement provoqué par l'inexorabilité funeste de leur destin ? Dans les romans à l'eau de rose que lisait sa mère, les héros se déclaraient toujours des choses profondes et définitives au moment de leur imminent trépas... Et puis ils ne mourraient jamais. Il regarda Chandara à la dérobée. Peut-être Tymora appréciait-elle ce genre de prises de risques et sauvait ceux qui osaient le tout pour le tout dans les moments critiques ? Mais lui dire quoi ? Je voudrais connaître le goût de vos lèvres avant de mourir ?
Il s'empourpra encore davantage, et ce n'était pas seulement la chaleur.
Il était lathandrite. Les Lathandrites ont toujours l'espoir que les choses s'arrangent. Les situations ne sont jamais désespérées, rien n'est jamais perdu, il ne mourrait pas, elle non plus, alors à quoi bon brûler les étapes, finalement ?
" Deux ans, c'est long... J'imagine que vous devez aspirer à les revoir. Je souhaite que vous ayez cette chance une fois la guerre terminée."

[Chandara]

La jeune femme était restée un moment dans l’expectative comme si elle était capable de percevoir une partie des remous qui agitaient l’esprit d’Arthur. Mais non, il n’avait rien tenté d’inconvenant ni même donné de signe visible de vouloir le faire. C’est pourquoi Chandara se remit au travail à son tour, détournant enfin son visage pour masquer les stigmates de ses propres interrogations, de sa déception aussi, peut-être. S’était-elle fait de fausses idées ? Ces confidences auxquelles ils s’étaient livrés presque librement ne signifiaient après tout pas tant que cela, même pour une jeune femme qui n’avait décidément pas souvent l’occasion de s’épancher, surtout avec un confrère si conciliant, si séduisant aussi… Sans prendre le temps de réfléchir à ce qu’elle avait l’intention de dire, elle répondit précipitamment. Elle espérait ainsi se détourner des espoirs ridicules et infondés que son imagination bien trop libérale lui avait mis en tête. Sa voix perdit malheureusement de sa force dès les premiers mots :

- Merci. Oui, j’espère aussi les revoir… Vous allez me trouver idiote et futile mais ça me désole de ne plus pouvoir fêter mon anniversaire avec eux. A chaque fois je me faisais une joie de découvrir les surprises qu’ils avaient préparées pour me faire plaisir. Mais j’en ai déjà manqué deux et dans deux veilles ce sera le troisième. Je devrais me faire à l’idée pourtant : je les ai quitté pour suivre ma voie de paladine, dans l’espoir de faire mes preuves et peut-être un jour de rejoindre l’Ordre et… et maintenant…

Sa voix s’éteignit brusquement comme elle tentait de réprimer violemment un sanglot en se détournant, bien décidée cette fois à ne plus se laisser aller de la sorte devant Arthur. Elle déplaça rapidement d’autres rochers avec frénésie avant de trouver suffisamment de contenance pour achever d’exprimer sa pensée :

- Maintenant, plus rien ne me retient loin d’eux si ce n’est la peur de les décevoir, d’avoir à avouer que j’ai tout échoué. Irrémédiablement.

Ces dernières paroles résonnèrent avec d’autant plus de force qu’elles étaient prononcées d’un ton parfaitement calme, comme si elle énonçait un simple constat, une vérité absolue et inéluctable. Elle n’avait du reste pas interrompu son travail, pas cette fois.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur ne s'était pas attendu à ce que le sujet provoque une telle réaction chez la jeune femme. La douleur de la séparation était vive, mais ce n'était pas le problème principal. Il y avait dans ses paroles, un sentiment d'échec cuisant que le jeune paladin ne s'expliquait pas.
" Je suis sûr que nous en aurons fini avant votre anniversaire..." commença-t-il par dire.
Puis il reposa le rocher qu'il avait déplacé, s'assit sur ses talons et se tourna vers elle.
" Chandara, je ne comprends pas pourquoi vous dites que vous avez échoué... Quand je vous regarde, je vois une jeune femme remarquable, une combattante aguerrie, enthousiaste, courageuse... qui ne recule devant rien pour venir en aide à ceux qu'elle a estimé dignes de son bras... et de sa confiance... "
Il s'empourpra mais ne s'arrêta pas pour autant.
" Je sais... même si je ne peux le mesurer... qu'Helm est mort, mais... ce n'est pas votre faute... et vous continuez à aller de l'avant en dépit de ce coup du sort... J'imagine... j'imagine qu'il est difficile, peut-être impossible, d'être paladin d'un dieu mort, mais... cela n'enlève rien à votre valeur... Pourquoi êtes-vous si dure envers vous-même ?"

[Chandara]

La jeune femme resta figée pendant un instant, interrompant la tâche à laquelle elle se consacrait. Elle n’osa cependant pas relever la tête vers Arthur dont elle sentait le regard posé sur elle. Mais cela ne l’empêcha pas de rougir furieusement en entendant les compliments du jeune homme : qu’elle ne s’en sente pas digne ne changeait rien à l’effet que cela provoquait, bien au contraire. En regard de ces propos dithyrambiques qui faisaient s’affoler les battements de son cœur, le discours concernant Helm et l’incompréhension du paladin à comprendre là où elle avait échoué lui permirent de récupérer un tout petit peu de contenance et d’assurance. Elle releva enfin les yeux sur lui pour lui adresser un regard pénétrant mais légèrement humide avant de répondre avec douceur :

- Merci pour le crédit que vous m’accordez. Vous ne mesurez peut-être pas combien votre confiance est importante à mes yeux. Même si je sais bien que vous exagérez mes qualités supposées pour me rassurer.

Elle osa un sourire attristé dans sa direction avant de baisser à nouveau les yeux et de s’épancher d’un ton désolé sur le cœur du problème :

- Je ne suis pas dure avec moi-même mais quand je regarde où j’en suis, le bilan n’est pas très flatteur : avec la mort de mon dieu, j’ai perdu mon droit à me considérer comme une paladine et bien plus encore… Je vous ai déjà dit que je n’appartenais plus à l’Ordre du Cœur radieux mais très peu de personnes savent pourquoi il me sera à jamais impossible d’y retourner...

La jeune femme fit une pause pour échanger un regard avec Arthur et y chercher une invitation à poursuivre. Quand elle le fit, son ton était encore plus faible, comme si elle répugnait à aborder ce sujet honteux avec lui :

- La première mission officielle que m’a confiée notre commandant consistait à retrouver le nouveau grand-prêtre de Helm. Notre dieu nous l’avait désigné lors d’un conclave et nous devions le lui annoncer et l’escorter à Manost… Ce n’était pas de tout repos car des agents mélandiens nous avaient devancés. Mais bref, ce n’est pas le plus important. C’est en chemin que Helm nous a brusquement déserté mais je voulais tout de même aller au bout de ma mission peut-être pour sauver ce qui pouvait l’être encore, peut-être parce que je suis têtue comme un nain ou que je ne voulais tout simplement pas trahir la confiance qu’on avait placé en moi, je ne sais pas... Je pense que j’estimais tout de même qu’Eroeh, l’élu de Helm, pourrait aider Manost à mieux accepter son trépas, à assumer une transition douce. Je me trompais. Je l’ai donc accompagné à la commanderie pour obtenir le soutien de notre ordre et rapporter de ma mission. Mais la rencontre avec notre commandant ne s’est pas bien passée. Il a exigé que je renie ma foi en Helm et que je choisisse un des nouveaux dieux autorisés par l’Ordre pour mieux servir la cité qui entrait en guerre. Seulement, je n’ai pas eu la force de renoncer à ma foi et d’assumer mon devoir. Pas même pour cette juste cause. Eroeh n’a pas non plus apprécié, vous imaginez bien… Le ton est monté entre eux. Nous avons été expulsés par mes anciens compagnons d'armes et j'ai été bannie à vie. Et depuis lors, j’erre sans attaches en faisant de mon mieux. L'ombre misérable de ce que je devrais être, et faire.

Honteuse d’avoir révélé son secret si pathétique, Chandara baissait ostensiblement les yeux de peur de ce qu’elle pourrait lire dans le regard d’Arthur. Assurément, il aurait compris combien elle était indigne de ses compliments précédents.

[Arthur de Faisanlys]

Offusqué, Arthur l'était, et cela devait se lire sur son visage, mais il était loin de jeter le blâme sur la jeune femme.
" Bannie à vie ?! Parce que vous avez refusé de changer de dieu dans l'instant ? Mais que croyait-il, ce commandant, qu'on se choisit un dieu comme une chemise de grand matin ?"
Il était éberlué et, dans son étonnement, il prit la main de Chandara dans la sienne.
" Soyez fière de vous-même, Chandara. La foi, ce n'est pas quelque chose qui se troque et se modèle au gré du pragmatisme des hommes ! Je doute que les dieux apprécient l'usage strictement utilitaire que certains en font, même si Manost est une valeur qui peut valoir qu'on la défende, et que certains dieux acceptent n'importe quoi pour s'attirer des fidèles..."
Il jeta un oeil au-dessus de lui, pour vérifier qu'aucun rayon mortel n'allait le frapper pour ses paroles.
" Moi je dis que vous avez bien fait. Vous trouverez un autre dieu quand votre coeur l'aura choisi. Et si vous n'en trouvez pas... Il y a des gens dignes et admirables dans bien des endroits. Je suis certain que quelle que soit la voie qui s'ouvre à vous, vous l'arpenterez la tête haute, fidèle à ce que vous êtes au fond de vous... Et... Et si ces gens de l'Ordre ne sont pas capables de vous reconnaître à votre juste valeur, pardonnez-moi pour mon vocabulaire, Chandara, mais ce sont des imbéciles !"
Sa tirade terminé, il rougit, sourit, et chercha rapidement quelque chose à faire. Sauf qu'il n'avait pas lâché sa main.

[Chandara]

Chandara était à des lieues de s’attendre à cette réaction de la part d’Arthur. Il paraissait… en colère, indigné, incroyablement passionné. Savait-il que cette facette de sa personnalité était indéniablement séduisante ? Et ce n’était pas contre elle qu’il exprimait si vertement son désaccord. Bien au contraire : il la soutenait, de ses mots, de son regard posé sur elle quand il lui parlait. Se doutait-il seulement que ces yeux clairs pouvaient faire tourner la tête des jeunes femmes ? Elle prit conscience de la main chaude qui serrait doucement l'une des siennes au milieu de sa tirade et elle se mit à rougir furieusement, se perdant dans son regard sans oser s’en détourner, perdant ainsi l’essentiel du tourbillon apaisant de ses paroles de soutien. Elle n’en avait plus besoin en cet instant bien que les mots touchaient son âme meurtrie par tant de doutes. Quand le paladin acheva sa diatribe par des mots si déplacés qu’elle en retrouva le sourire, elle sentit un grand poids lui quitter les épaules. Un poids dont elle n’avait même pas eu conscience jusqu’ici. Alors qu’il allait sans doute rompre le charme qu’il avait engendré, la jeune femme serra la main qui tenait la sienne pour dissuader Arthur de la retirer. Son cœur battant la chamade mais libérée pour un temps d’une partie de ses tourments, elle s’avança un peu maladroitement pour approcher cette main si chaude de son visage, pour la sentir frôler sa joue peut-être… Et comme pour l’encourager à oser, elle parla d’une voix douce contrastant avec le ton indigné du paladin :

- Oui, Arthur : je marcherai la tête haute et je le sais grâce à vous : il y a des gens dignes et admirables. Formidables et… pardonnez-moi pour mon vocabulaire mais... très charmants de surcroît.

La jeune femme sourit de sa propre audace ce qui fit pétiller son regard de malice et surtout - digne paladine oblige - rougit de plus belle si une telle chose était encore possible.