[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Taliesin]

Laissant Albérich sur la place pour l'heure tranquille, Hubert rallia les écuries où il découvrit leurs trois montures installées dans des stalles voisines. On avait déposé leurs affaires non loin de Grand Vent, autour duquel s'activait un jeune homme brun d'environs dix-huit ans : loin d'être rétif, le destrier semblait au contraire apprécier les soins habiles du palefrenier.-
-Bonjour, messire de Maleval, dit ce dernier. Je suis Arnaud. Si j'ai bien compris, vous connaissez mon ancienne patronne.

[Hubert de Maleval]

Hubert le salua à son tour, avant de se glisser dans la stalle.
" Connaître est un bien grand mot. Mais nous avons eu le plaisir de loger à l'Escale ces deux derniers jours et elle semblait beaucoup vous regretter."
Il donna une tape amicale à son cheval.
" Comme votre collègue a dû vous le dire, elle s'inquiète de cette expédition et nous a demandé de garder un oeil sur vous. En tant que paladin, je me dois de me tenir à l'engagement que j'ai pris envers elle. Mais je vous promets de ne pas être intrusif."
Il avait dit ça avec son habituelle franchise, conscient qu'il allait sans doute embarrasser le jeune homme. Mais bon, c'était la vérité, alors autant qu'il soit au courant.

[Taliesin]

Embarrassé, le mot était faible : Arnaud parut tout bonnement furieux. Il s'efforça cependant de se contenir et, quand il répondit, ce fut d'un ton qui se voulait mesuré et respectueux.
-Elle est bienveillante, et c'est gentil à elle de s'inquiéter pour moi. Mais quand même, me coller une nounou, elle abuse un peu. En plus, vous auriez vite l'impression de perdre votre temps, parce que le camp regorge de personnes qui ont autrement plus besoin que moi qu'on veille sur elles. Il y a des tas de mômes, par exemple ! Vous n'auriez pas meilleure compte à garder un œil sur eux ? Ou à vous choisir un écuyer, peut-être ?

[Hubert de Maleval]

Hubert fut pris au dépourvu par la rage du jeune homme, même contrôlée, puis se morigéna de ne pas avoir réussi à l'anticiper. Pourquoi est-ce qu'être franc avait toujours ce genre d'effets épouvantables ? Il aurait mieux fait de ne rien dire, assurément, mais c'était trop tard. Et il sentait qu'expliquer au palefrenier qu'il était capable de le surveiller lui, et d'autres, si nécessaire, ne pourrait qu'aggraver son cas. Il se contenta donc de sourire, apaisant, puis de se détourner.
" C'est gentil, mais je n'en ai vraiment pas besoin... Et c'est vrai que vous m'avez l'air d'un gaillard parfaitement capable de veiller sur lui-même. Moi... Je vais prendre mes affaires et vous laisser travailler."
Ce qu'il fit aussitôt.
" Bonne journée !" ajouta-t-il avant de prendre la porte le plus rapidement possible, en espérant que le dénommé Arnaud n'allait pas en remettre en couche.

[Taliesin]

Il ne manqua pas d'en rajouter une, cependant.
-Pas besoin d'un écuyer ? Je croyais que c'était obligatoire, moi, car tous les chevaliers en ont ! Tous ceux de l'expédition, en tout cas... Ça va paraître bizarre, non, si vous êtes le seul à faire exceptions à la règle ? Franchement, je crois que vous devriez y réfléchir. Enfin moi, je dis ça, c'est pour vous...
Pour lui, plutôt : apparemment, il n'était pas prêt à croire que le paladin allait si facilement renoncer à jouer les chaperons, et il cherchait un moyen de l'y contraindre.

[Hubert de Maleval]

Ce en quoi il n'avait pas tort : Hubert n'avait absolument pas renoncé à jouer les chaperons, mais il n'était pas obligé de le clamer. Après tout, il n'avait pas non plus, à aucun moment, dit qu'il allait arrêter.
" C'est ça, je vais y réfléchir... Merci encore !" dit le paladin en quittant la tente.
Il se fichait comme d'une guigne d'avoir l'air bizarre, alors là, c'était son dernier souci. D'autant qu'il avait déjà une sorte d'écuyer qui le satisfaisait pleinement, même s'il passait son temps à broyer du noir et qu'il allait falloir trouver, rapidement, un moyen de l'en extirper.
" J'ai tout, allons-y !"
Albérich paraissait complètement perdu dans ses pensées et émergea avec cette petite moue surprise qu'Hubert trouvait particulièrement charmante.
" Cap sur l'océan !"
Le Luménien déchargea son compagnon d'une partie de leur matériel puis le suivit vers le nord-est du campement.

[Taliesin]

Le quartier nord-est était majoritairement planté de tentes destinées à l'habitation et si des conversations émanaient de certaines d'entre elles, la plupart semblaient désertes, leurs occupants devant s'entraîner ou vaquer à leurs occupations en un autre point du camp. Les deux hommes atteignirent rapidement la dernière rangée : une dizaine de mètres de pré la séparaient d''une plage de galets, puis de la mer, immense, grise, agitée d'une houle paresseuse. Les emplacements où s'installer ne manquaient pas, et ils pouvaient choisir de se placer à côté du dernier petit édifice de toile ou, au contraire, de s'isoler quelque peu.

[Galathée]

Hubert prit les devants et choisit de ne pas les mettre à l'écart. S'ils avaient décidé de participer à cette aventure, ce n'était pas pour faire bande à part. Ils se mirent au travail en silence et la tente fut rapidement dressée, après quoi ils y fourrèrent leurs affaires. Albérich se sentait attiré par la mer, souvenir de Belles-Vagues, d'une promenade grise, semblable, un reflet, un écho... Il aurait bien été mettre les pieds dans l'eau glacée, une seconde, et observer cette immensité qui le renvoyait à sa juste place, minuscule, dans l'univers autour d'eux. Un grain de sable. Insignifiant.
" Tu veux faire une sieste ? Tu as l'air crevé, dit alors le paladin.
— Non, non, ça ira.
— Tu es fâché si je vais jusqu'au terrain d'entraînement ?
— Non plus."
Le chevalier le dévisagea une seconde, hésitant.
" D'accord, je viens aussi." grommela le Luménien.
Et ils repartirent au coeur de la mêlée.

[Taliesin]

Sur le trajet, ils croisèrent une foule de personnes, l'air épuisé, qui revenaient du champ d'entraînement. Une poignée d'autres, en bien meilleure forme, en prenaient comme eux la direction. Albérich et Hubert ne tardèrent pas à comprendre la raison de leur nombre restreint : il s'agissait en effet de retardataires, car la majorité des élèves étaient déjà sur les lieux. Ils remarquèrent des groupes d'adultes, hommes et tmmes mêlés, disséminés sur toute l'étendue du pré et, à une extrémité, des rassemblements d'enfants, toujours mixtes, parmi lesquels le paladin reconnut l'écuyer de sire Robert. Quant au chevalier, il se tenait juste au bout de l'allée que venaient de remonter les deux voyageurs : il était en pleine discussion avec un adolescent.
-Tu te débrouilles bien, c'est certain.
-Donc, vous êtes d'accord pour que je passe au niveau supérieur.
-Je n'ai pas dit ça : tu te débrouilles bien, certes, mais il te reste encore à maîtriser certaines bases.
-Mais je m'ennuie, moi, à faire ces exercices tout bêtes !
-Tout bête, peut-être. Indispensables, certainement. Allez, encore quelque jours de patience et d'application, et nous en rediscuterons.

[Galathée]

Hubert frétillait littéralement, Albérich aurait pu le jurer. Lui-même avait la sensation de se liquéfier à chaque pas. Peut-être pouvait-il essayer de se casser quelque chose, genre une jambe, histoire d'être dispensé d'exercice pendant les six veilles à venir. Mais un clerc aurait tôt fait de le retaper et de le renvoyer sur le terrain : ces gens n'avaient aucune pitié. Il soupira d'avance. C'était une chose de se ridiculiser devant Hubert, une autre de le faire en public, et un public qui savait parfaitement qui il était de surcroît. Non, vraiment, peut-être pouvait-il négocier quelque chose en échange d'heures supplémentaires à la découpe de légumes ?
Ils restèrent cependant en retrait, attendant que Sir Robert en ait terminé avec son adolescent qui voulait "gagner un niveau" pour se manifester. Albérich envisagea de prétexter un besoin pressant pour prendre la tangente. Ce n'était pas glorieux, mais le temps qu'il trouve les latrines, puis qu'il retrouve le chemin du terrain, l'entraînement serait certainement terminé. Sauf qu'Hubert l'enverrait arroser les racines d'un buisson quelconque et ce serait encore pire...

[Taliesin]

L'adolescent finit par renoncer et par s'en aller, grommelant. Le chevalier regarda alors autour de lui et, s'étant avisé de leur présence, s'approcha aussitôt d'eux.
-Messire de Maleval, heureux de vous revoir. Messire Megrall, c'est un honneur de vous rencontrer.
Il leur serra la main puis se tourna vers le paladin.
-Si vous étiez venu seul, j'aurais pensé que vous hésitiez encore et souhaitiez vous rendre compte par vous même de la manière dont les membres de la communauté sont formés dans le domaine martial. Mais puisque le conseiller vous accompagne... Auriez-vous décidé de vous joindre à l'expédition ? Voir à l'entraînement ?

[Galathée]

Hubert eut un sourire ravi.
" La conversation que nous avons eue hier m'a amplement suffi, messire, dit-il. Dame Marthe doit avoir préparé les documents requis et je pense que nous signerons dans l'après-midi. D'ici là, je dois dire que je ne serais pas contre me dérouiller un peu, puisque je vois que vous êtes sur le point de commencer une séance... Mais je ne voudrais pas bouleverser votre organisation."
Il jeta un regard à Albérich.
" Le conseiller a par contre plutôt mal dormi et je pense qu'il serait content de remettre l'entraînement au moment où il sera contraint d'ici participer..."
Le Luménien fusilla le paladin du regard, lequel sembla surpris d'être la cible de son mécontentement. Evidemment, il était probablement persuadé d'avoir bien fait...

[Taliesin]

-Mal dormi... C'est l'excuse que les membres de la communauté avancent le plus souvent pour tenter - en vain - d'échapper aux entraînements. Le conseiller a donc de la chance de ne pas encore avoir signé...
Il se tourna vers l'intéressé.
-Est-ce que je me trompe en pensant que le combat n'est pas votre tasse de thé ? A moins que vous n'ayez peur d'être ridicule ? Si cela peut vous rassurez, sachez qu'il y a des gens de tous niveaux, ici. Tenez, par exemple : Ignace et Marthe non seulement ne sont pas encore de fines lames mais, de surcroît, ils ont une sainte horreur pour les armes. Les règles sont les règles, cependant, et il leur faut s'exercer comme tout le monde...

[Galathée]

Albérich se demanda si ce chevalier avait le pouvoir de lire dans les pensées. Il eut un sourire contraint.
" Je n'avais aucune intention de me soustraire aux obligations de la communauté, répondit-il posément. Je crois que Messire de Maleval a présumé de mes intentions."
A cause de cet imbécile, il allait être forcé de montrer sa bonne volonté. A bien y réfléchir, il lui aurait volontiers tordu le cou. Le paladin paraissait légèrement embarrassé de la situation mais il n'osa rien ajouter.
" Mais j'ai peur de ne pas avoir emporté ma masse..."
Il ne fallait quand même pas pousser la matriarche dans les orties.

[Taliesin]

-Nous pourrions sans mal vous en prêter une : la plupart des membres ne possèdent pas d'armes personnelles, et nous avons donc dû nous constituer un petit arsenal. Cependant, rien ne vous oblige à participer dès aujourd'hui, vraiment. Vous pouvez vous contenter d'observer : je suis sûr que cela vous convaincra que ça n'est pas si terrible, et que la bonne camaraderie est de mise. Je vous demanderai juste de vous faire discret : se savoir regardé met beaucoup de gens mal à l'aise, surtout ceux qui ne sont pas sûrs d'eux.

[Galathée]

Puisqu'il insistait...
" Je vais aller me promener, je ne voudrais pas déranger qui que ce soit, fit Albérich avec le sourire. De toute façon, que la démonstration me plaise ou pas, je serai forcé de participer, donc... Autant en profiter pour essayer de me familiariser avec le plan du campement, par exemple... Je viendrai me battre demain."
Il s'inclina poliment devant le chevalier.
" Mais je vous souhaite un bon entraînement."
Puis se tourna vers Hubert.
" Amuse-toi bien."
Il fit ensuite volte-face et détala, le plus dignement mais le plus rapidement possible, vers d'autres eaux.

[Taliesin]

Sire Robert regarda s'éloigner l'ancien conseiller, dubitatif.
-Il aurait dû rester pour regarder, dit-il. Ça lui aurait permis de voir que la majeure partie des membres savent à peine par quel bout on tient une arme et, même si ça ne l'aurait pas amené à davantage aimer celles-ci, peut-être aurait-il, malgré tout, été quelque peu rassuré...
Il secoua la tête.
-Nous verrons cela demain. Pour l'heure, il faut que nous vous trouvions quelque chose à faire. Souhaitez-vous vous entraîner avec le meilleur des groupes ? Je crains que vous ne vous ennuyiez, cependant, car personne ne vous y arrivera à la cheville. Je pourrais dès à présent vous demander d'officier comme instructeur, mais vous préférez peut-être mieux connaître vos futurs élèves avant d'entreprendre une telle tâche... Bref : qu'est-ce qui vous tente le plus ? Vous ne devez vraiment pas hésiter à me le dire...

[Hubert de Maleval]

Hubert n’était pas certain qu’Albérich retrouverait le moral à réaliser qu’il était aussi mauvais que la majeure partie des colons… Il avait beau dire, il avait de l’amour-propre, et même si ses voisins se montraient maladroits, l’œil de l’instructeur resterait impitoyable, lui. Sans compter qu’avec les dangers dont regorgeaient les Landes, le Luménien ne manquerait pas de s’inquiéter de leur manque de compétences… Mais soit. C’était trop tard.
Il refit face à Sir Robert.
« Ne vous méprenez pas… Je me suis quelque peu rouillé avec les responsabilités. Cela fait très longtemps que je n’ai plus combattu contre un ennemi réel. Mais c’est vrai que j’ai entraîné les recrues et il y avait quelques bonnes lames parmi mes officiers. Béranger de Solarcis lui-même est un excellent combattant. »
Il eut un léger sourire. Il se demanda si Sir Robert accepterait de croiser le fer avec lui, peut-être loin des regards, à l'occasion. Affronter Albérich chaque matin avait quelque chose d'un peu frustrant.
« J’aime autant me rendre utile, en définitive. Je me sens prêt à gérer un groupe si vous pensez que les gens accepteront de me voir débarquer. Mais peut-être est-il nécessaire, d'abord, que vous me parliez de l’objectif que vous tentez d’atteindre avec celui-ci... Et je ne voudrais pas trahir votre enseignement. »

[Taliesin]

-Évidemment, le but n'est pas d'en faire de vrais soldat, mais de les rendre capables de se défendre et de défendre autrui en cas de besoin. Et les risques que cela arrive sont importants : nos soldats peuvent être débordés, eux-mêmes peuvent se retrouver temporairement isolés du reste de la communauté... Bref, il s'agit d'accroître leurs chances de survie même si, bien sûr, nous ferons tout pour les protéger. Quant à mon enseignement... J'ai donné des consignes générales, basées sur les principes que j'ai appris de l'homme qui m'a fait chevalier. Pour le reste... Et bien, disons que si les instructeurs sont tous plein de bonne volonté, ils sont trop peu nombreux et ont appris leur métier de façon tellement différente qu'imposer une méthode de formation uniforme ne servirait qu'à les décourager. En somme, vous ne devez pas vous inquiéter : vous serez libre d'apprendre à vos élèves comme vous l'entendrez.

[Hubert de Maleval]

" Dans ce cas, je m'efforcerai de faire de mon mieux pour les rendre efficaces. Je pense que je peux me débrouiller avec plus ou moins n'importe quel genre de groupe. J'ai l'habitude de travailler avec des jeunes sans formation, avec des soldats de métier, j'ai aussi formé les fils du seigneur de Solarcis quand ils étaient encore gamins... et d'autres à la commanderie, même si ça date davantage..."
Il se tut un instant et songea à Luménis et aux causes de son départ. Le moment paraissait mal choisi pour s'en ouvrir à Sir Robert et soudain, il regretta de ne pas en avoir parlé à Dame Marthe. En même temps, les événements étaient tellement anciens qu'il n'y songeait plus volontiers et il ne voyait pas en quoi son engagement envers la cité des Landes serait fragilisé par cet épisode... Mais il se sentait vaguement malhonnête de n'en avoir rien fait.
" Enfin. Je vous laisse juge de vos besoins en la matière."

[Taliesin]

Robert réfléchit un moment puis secoua la tête.
-Sincèrement, dites-moi ce que vous préférez. Quel que soit le niveau, et malgré les roulements que nous avons mis en place, les effectifs des groupes sont encore bien trop fournis, ce qui nuit à l'efficacité des exercices. Par ailleurs, je pense que l'on est plus efficace quand on fait ce que l'on aime vraiment... Alors, dites-moi ce qui vous va le mieux. Quel que soit votre choix, vous nous serez infiniment utile.

[Hubert de Maleval]

Hubert hésita un instant. Il aurait aimé continuer à superviser Albérich, bien sûr. Mais ce n'était probablement pas là qu'il pourrait être le plus utile à la communauté. Et vu le niveau du Luménien, le mieux pour sa sécurité était de s'assurer que le combat n'arriverait jamais jusqu'à lui. Il espéra que l'ancien clerc ne lui en voudrait pas de l'abandonner de la sorte, mais c'était, in fine, pour son bien à lui aussi.
" Donnez-moi un groupe de jeunes qui ne font pas partie des troupes officielles, mais qui pourront servir de seconde ligne si la première devait être débordée. Ils peuvent avoir de mauvaises habitudes, ça ne me gêne pas."

[Taliesin]

-Nous les rassemblons davantage par niveau que par âge, mais effectivement, les jeunes dominent parmi les groupes du meilleur niveau. Vous verrez, certains éléments sont vraiment doués. Malheureusement, cela va souvent de pair avec une forte tête et la conviction qu'ils savent déjà tout mieux que les autres.
Il sourit puis conduisit Hubert à travers le pré, jusqu'à un attroupement d'une trentaine de personnes en train de s'équiper. Il y avait là des adolescent - la benjamine devait avoir quinze ans -, de jeunes adultes et quelques hommes d'âge mur. Quant à leur instructeur, c'était un soldat de trente ans passés, qui ouvrit de grands yeux en voyant apparaître le paladin.
-Voilà du renfort, Edgar, lui annonça le chevalier. Le capitaine de Maleval rejoint notre expédition et a accepté de grossir les rangs des instructeurs. Du coup, on va pouvoir scinder tes groupes en deux.
-Bonne nouvelle. Salutations, messire.
Le dénommé Edgar s'inclina, tandis que des murmures et même des exclamations montaient parmi les élèves.
-Je vous laisse vous entendre pour la répartition : le devoir m'appelle, fit Robert avant de s'éclipser.
L'instructeur ne sut d'abord trop comment réagir, mais il finit par se ressaisir.
-Comment voulez-vous que nous procédions, capitaine ? On coupe en deux ? On fait un appel aux volontaires ?

[Hubert de Maleval]

" Oh." dit simplement Hubert.
Il n'avait aucune idée de la meilleure manière de procéder.
" Je ne sais pas... Peut-être pouvez-vous commencer votre séance et je... heu... verrai un peu comment les choses se passent ? Que travaillez-vous en ce moment ? Les gens ont-ils une arme de prédilection ? Un partenaire d'entraînement habituel ? Je me sens un peu démuni pour scinder votre groupe sans même l'avoir vu à l'oeuvre... Avez-vous vous-même une spécialité ?"

[Taliesin]

-Heu, et bien... L'épée et le bouclier. C'est ce dont je me sers le mieux. Donc je leur fais travailler ça en priorité : comme ils maîtrisent bien les bases, ils fonctionnent en binômes, mais je change ceux-ci régulièrement, pour pas qu'il s'habituent à un seul adversaire, vous voyez... Après, quand ils commencent à fatiguer, on passe à l'arc. Enfin, on verra ça tout à l'heure. Et d'ici là, on va faire comme vous avez dit.
Il se tourna vers le groupe.
-Bon, on va procéder comme d'habitude, pour l'instant. Allez, on finit de s'équiper, on se met par deux, et on commence !
Habitués aux consignes, les intéressés s'organisèrent rapidement, et les duels commencèrent, sous l’œil vigilant d'Edgar. D'emblée, Hubert constata que si ce dernier était moins bon instructeur que lui, il ne s'en sortait pas trop mal. De même qu ses élèves dont certains, effectivement, paraissaient prometteurs. Cependant, il restait encore bien du pain sur la planche...

[Hubert de Maleval]

Bon, le dénommé Edgar avait la même spécialité que lui, ils ne pourraient donc pas se répartir les hommes selon leurs affinités. Ce n’était pas un problème, il faudrait simplement diviser le groupe au hasard, à moins qu’ils ne travaillent à deux avec le contingent entier. Après quelques minutes d’observation, Hubert se permit de s’immiscer parmi les combattants pour donner ses premiers conseils. Il veillait à ne pas empiéter sur les prérogatives de son homologue, n’intervenant pas auprès des couples que ce dernier venait de corriger. Il y avait effectivement des combattants prometteurs, mais Hubert s’efforçait de ne pas les regarder comme des soldats potentiels mais bien comme des civils qui auraient à défendre leur peau contre des horreurs sorties d’un marécage. Il faudrait tôt ou tard les initier au combat en groupe, à la manière de protéger les arrières d’un collègue en surveillant son propre espace et aux subtilités d’une charge efficace, mais c’était prématuré.

[Taliesin]

Edgar, à son tour, prit garde à ne pas intervenir auprès des binômes qu'avait conseillés Hubert et c'est donc tout naturellement que, petit à petit, s'opéra la répartition. Le paladin ne tarda pas à vérifier les propos que lui avait tenus sire Robert quelques minutes plus tôt : les plus prometteurs des membres du groupe étaient également ceux qui grommelaient le plus lorsqu'il les reprenait sur la manière dont ils tenaient leur arme ou leur bouclier, dont ils menaient leurs assauts, dont ils réalisaient leurs parades ou leurs déplacements. Toutefois, sans doute grâce à l'autorité qu'il dégageait naturellement, grâce, aussi, à son statut qui devait en impressionner plus d'un, les élèves finissaient toujours, bon gré, mal gré, par tenter d'appliquer ses consignes.

[Hubert de Maleval]

Hubert n'était pas complètement surpris. Quand il sélectionnait ses recrues, il veillait toujours à ce qu'elles soient motivées, persévérantes mais humbles aussi. Les petits arrogants qui pensaient que manier l'épée ou la fourche était similaire à peu de choses près ou qui croyaient qu'on était soldat en trois semaines, il ne leur présentait même pas le contrat à signer : ils étaient en général incapables de masquer cette faille de caractère et ne comprenaient même pas pourquoi ils auraient dû se comporter autrement. C'était une question d'objectif, cependant. Une garde urbaine se devait d'être disciplinée, fiable, efficace, dotée d'un sang-froid à toute épreuve. Les bravaches n'y avaient aucune place et n'y causaient que des ennuis. Et il avait ainsi vu filer quelques garçons dont il s'était dit qu'ils feraient d'excellents paladins ou chevaliers ou guerriers dans d'autres contextes, mais ce n'était pas ce qu'il cherchait alors. Aujourd'hui, la situation était toute autre, et même s'il n'adorait pas les crâneurs, certains feraient probablement de bons leaders si les mercenaires ou les soldats devaient flancher. Il fallait juste cultiver leur témérité tout en leur inculquant un minimum de bon sens. Ce n'était pas chose facile, mais ce n'était pas impossible non plus. Du moins, fallait-il l'espérer.

[Taliesin]

L'entraînement suivit son cours et s'avéra somme toute satisfaisant, surtout qu'il constituait la première d'Hubert en tant qu'instructeur au sein de l'expédition. Au bout d'une heure, les signes de fatigue et de déconcentration commencèrent à se multiplier, mais il fallut aux élèves persévérer une vingtaine de minutes supplémentaires avant que l'une des deux rangées de cibles ne se libère, leur permettant de troquer l'épée et le bouclier contre l'arc et le carquois. Autant le premier style de combat semblait convenir à tout le monde, autant le second était moins populaire. Néanmoins, certains éléments le trouvaient fort à leur goût et puisqu'il s'avérait un tantinet plus reposant, les récriminations furent rares. Il faut dire que le paladin et le soldat s'occupaient du public le plus motivé, ce qui facilitait grandement les choses.

[Hubert de Maleval]

Hubert n'avait plus tiré à l'arc depuis la nuit des temps aussi évita-t-il d'intervenir de manière trop fréquente dans cette seconde partie de l'entraînement. Il corrigea tout au plus quelques erreurs énormes, essayant de se souvenir de ce qu'il avait appris autrefois. En fait, il était tenté de s'y remettre, de viser quelque chose et de voir ce qu'il en sortirait. Sans doute pas grand chose de spectaculaire et à l'heure où il se construisait une identité d'instructeur auprès d'étrangers, il valait mieux ne pas risquer de ternir sa réputation. Autant il se sentait capable de remettre n'importe lequel de ces jeunes gens à leur place d'un bon coup de bouclier, autant il n'imaginait pas tirer aussi bien que plusieurs d'entre eux. Il eut une pensée désolée pour Albérich, à l'avance. Le Luménien n'avait probablement jamais bandé un arc de toute sa vie.