[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Taliesin]

-Rassurez-vous, il n'y a pas de grand discours, ni de rassemblement, intervint Étienne. Nous préférons que les membres de la communauté fassent connaissance de manière naturelle, au hasard des rencontres... C'est moins désavantageux pour ceux qui perdent leurs moyens lorsqu'il s'agit de parler en public. Et pas besoin de s'arracher les cheveux pour l'organisation...
Il se tourna vers le chevalier.
-Je ne te savais pas si taquin, Robert. Serait-ce ton écuyer qui déteint sur toi ?
-Hé, je n'ai pas toujours été un taiseux taciturne... se défendit l'intéressé.
Ils sourirent, et le sieur de Fontbrune leva son verre.
-Et bien, à la réussite de notre projet ! Et à nos nouveaux compagnons de route ! Hubert, Albérich, puisse la communauté vous apporter autant que vous lui apporterez ! Je souhaite sincèrement que vous n'ayez jamais à regretter votre bienveillance à notre égard.

[Galathée]

Albérich et Hubert levèrent leur verre et trinquèrent avec les conseillers. Le vin était aussi délicieux que le Luménien l'avait anticipé et il le goûta, un moment, sans arrière-pensée.
" Je ne doute pas que vous nous apporterez beaucoup. Mais j'espère que vous ne voyez pas notre attitude comme de la... bienveillance, dit alors Hubert. Ce serait pour le moins inexact. Nous devrions au contraire vous remercier de votre bienveillance à notre égard. Nous tâcherons de ne pas nous montrer trop encombrants."

[Taliesin]

La juge leva les yeux au ciel.
-Allons, ne jouez pas les modestes. Vous êtes paladin et vous avez exercé des années durant comme capitaine de la garde de Solarcis. Quant à messire Megrall, outre sa qualité d'érudit, il a dirigé des cités entières... Comment pourriez-vous être encombrants ?
-A ce propos... Hubert, nous comptions vous suggérer de devenir instructeur, mais Robert m'a appris que les choses s'étaient mises en place tout naturellement, et c'est tant mieux ! Mais vous, Albérich, avez-vous une idée de ce que vous souhaiteriez faire au sein de la communauté ? Si ce n'est pas le cas, nous avons bien sûr des propositions...

[Galathée]

Hubert sourit et se tourna vers Albérich qui resta une seconde silencieux.
" Je ne sais pas où je pourrais être le plus utile, dit-il finalement. J'ai été voir l'école, j'ai rencontré une des institutrices qui m'a dit que je pourrais certainement m'y rendre utile. On m'a aussi dit qu'Ignace et vous-même, Dame Marthe, aviez un surplus de travail... Je ne sais pas, je suis prêt à écouter vos propositions. Tant que je peux éviter les écuries..."
Et le dispensaire.
Il ne le verbalisa cependant pas, hésitant à révéler de manière aussi claire une facette de lui-même qui ne les réjouirait certainement pas. Ils avaient besoin d'éléments solides et convaincus, volontaires, énergiques, motivés. Pas d'individus frustrés et vacillants.

[Taliesin]

-En effet, Ignace s'occupe seul de l'intendance de notre communauté, et même si c'est son métier, il est pour le moins débordé. Reste à savoir si des tâche du type intendance et comptabilité vous conviendraient. Quant à moi, en plus des contrats, qui ne me prennent guère de temps, l'assemblée m'a chargée de réfléchir aux aspects législatifs de la cité et à sa constitution. Si nos documents actuels conviennent pour un camp itinérant, ils risquent de s'avérer insuffisants quand nous nous serons sédentarisés, quand la ville se développera... Bien sûr, nous nous projetons dans un futur hypothétique, ce qui peut paraître prématuré. Néanmoins, nous sommes d'avis que plus nous nous y prendrons à l'avance, plus nous aurons pu en débattre, plus le résultat auquel nous aboutirons sera fonctionnel et profitable à tous. Cela fait partie des tâches que nous songions à vous proposer : vous avez dirigé Luménis, que nous prenons pour modèle, vous êtes donc la personne la plus qualifiée pour cela.
-L'important, c'est que vous vous sentiez libre de choisir, fit Étienne. Les besoins sont multiples et, quelle que soit votre décision, que vous optiez pour l'école, pour l'intendance ou pour la législation de notre futur foyer, votre aide nous sera infiniment précieuse.

[Galathée]

Albérich sourit.
" J'imagine que je pourrais donner un coup de main à plusieurs endroits, commença-t-il. A priori, c'est sûr que les aspects législatifs m'intéressent davantage. Même si je n'ai pas de formation de juriste, loin de là... Mais j'ai eu l'opportunité de travailler avec des gens de loi à Luménis et à Solarcis, et je pense que je peux compenser mon manque de savoir en la matière par une certaine... persévérance...
— C'est-à-dire la capacité à travailler seize heures par jour, dit Hubert. Je vais de nouveau devoir te surveiller."

[Taliesin]

-Je compte sur vous, dit Robert. Il doit être en forme pour ses entraînements.
Marthe soupira.
-N'escomptez même pas obtenir une dispense pour cause de travail acharné toute la nuit. J'ai déjà essayé, ça n'a pas fonctionné.
-Sérieusement, nous ne vous demandons pas de vous épuiser au travail, intervint Étienne.Si cette tâche vous suffit, sachant que vous aurez, comme nous tous, quelques... travaux d'intérêt général à accomplir, vous n'êtes pas obligé d'en prendre une autre.

[Galathée]

Albérich trouvait étrange cette espèce de crispation autour des entraînements matinaux. Il était persuadé qu'un mauvais combattant était pire qu'une personne capable de se replier sans tenter le diable. Mais ce n'était pas sa spécialité et il pouvait concevoir que la terrible réputation des Landes motive cette organisation. En même temps, si les soldats de métier étaient débordés au point que les civils soient forcés de défendre leur peau au coeur des marais, cela signifierait probablement qu'il était temps de faire demi-tour. Bref, il était sceptique. Mais il n'allait pas polémiquer et surtout cesser de jouer les réticents. Inutile de tendre une perche à son voisin de tente.
" J'aviserai, je suppose. Et je ferai bien évidemment ma part dans les autres domaines. Je n'ai jamais espéré un traitement de faveur."
Là encore, ce n'était pas un système très fonctionnel, mais il avait le mérite d'être égalitaire.

[Taliesin]

Les conseillers acquiescèrent.
-La chose est aussi valable pour vous, Hubert, dit le sieur de Fontbrune. Le travail que vous avez accepté est long et fatiguant, il ne faut donc surtout pas que vous vous sentiez obligé d'en assumer un autre. Cependant, si vous veniez à trouver les après-midis vraiment trop ennuyeux, nous pourrons en rediscuter.
-L'éternel dilemme, fit la juge. Veiller à ce que les tâches indispensables soient accomplies tout en n'épuisant pas ceux à même de les mener...

[Galathée]

Hubert acquiesça.
" Je ne pense effectivement pas prudent de nous épuiser avant même le début du périple. Même si les éléments devaient s'avérer les seuls obstacles à notre progression, nous aurons besoin d'être reposés pour les affronter."
Albérich vit une légère grimace passer sur ses traits, comme il réalisait probablement qu'il n'était qu'un simple citoyen en train de s'adresser aux conseillers, et donc chefs, élus de la communauté, lesquels étaient désignés pour décider des priorités. C'était une situation imprévue pour le paladin qui avait côtoyé le pouvoir de près depuis des années. Mais le Luménien savait qu'il s'y ferait : sa bonne nature prendrait le dessus et s'il dépassait ses prérogatives de temps en temps, il imaginait qu'on lui pardonnerait volontiers. Lui-même ne relança pas la conversation : soit les conseillers avaient encore quelque chose à leur dire, soit le moment d'entrer dans le mouvement était sans doute venu.

[Taliesin]

Aucun de leurs interlocuteurs ne tiqua à la remarque d'Hubert : soit ils n'étaient nullement ombrageux, soit ils étaient fermement décidés à accepter les conseils, surtout venant d'une personne qui savait de quoi elle parlait. Les choses sérieuses ayant été évoquées, le petit groupe savoura le vin dans une ambiance détendue, jusqu'à ce qu'un jeune homme se présente, annonçant à Étienne qu'un visiteur désirait le voir. Le sieur de Fontbrune s'excusa, remercia encore l'ancien conseiller et le paladin pour l'aide qu'ils allaient apporter à la communauté puis s'éclipsa, ce qui marqua la fin de la réunion.

[Galathée]

Hubert se leva ensuite et s'adressa aux deux conseillers restants.
" Bon, j'imagine que vous allez mettre Albérich au boulot dans l'instant... Je vais peut-être en profiter pour aller jeter un oeil du côté de la forge, voir si je peux m'y rendre utile. A moins que vous n'ayez autre chose à me faire faire Sir Robert ? C'est peut-être l'heure de la vaisselle, en fait... Y a-t-il un système organisé de ce côté-là, ou bien les gens s'y rendent-ils quand bon leur semble ?"

[Taliesin]

-Comme ce genre de tâche n'est pas exactement gratifiant, nous avons pensé que nous rencontrerions des difficultés si nous fonctionnions entièrement sur la base du volontariat, répondit la juge. Il y a donc à la fois des volontaires et des personnes désignées par Ignace, qui a mis sur pied un roulement... Ni votre nom ni celui d'Albérich n'ayant encore été inscrits sur les listes, vous n'avez donc aucune obligation en ce domaine.
-D'autant moins que vous avez déjà passé la moitié de la matinée sur le terrain d'entraînement.
-De toute façon, nous n'exigeons jamais des nouveaux membres qu'ils se mettent au travail dès le premier jour : nous préférons qu'ils prennent d'abord leurs marques, qu'ils s'intègrent...
-En somme, vous devez vous sentir libre, tous deux, de vaquer à votre guise, d'aller ou bon vous semble, de discuter avec les autres... Vous avez quartier libre, si je puis dire.

[Galathée]

Les deux hommes s'entreregardèrent puis Hubert sourit. Albérich était persuadé qu'il ne parviendrait pas à passer tout un après-midi sans chercher un endroit où se rendre utile. Le paladin se leva.
" Dans ce cas... Nous allons vous laisser à vos prérogatives... et musarder tant qu'il en est encore temps..."
Albérich l'imita.
" Peut-être une dernière question, dit alors le Luménien. Nous est-il permis de quitter le campement ou y a-t-il une procédure à suivre ? J'aurais voulu pouvoir retourner à Grand Estuaire pour m'assurer que... mes proches sont avertis de mes nouveaux engagements."

[Taliesin]

-Nous déconseillons aux membres de la communauté de se rendre trop souvent en ville, car cela pourrait rendre les autorités nerveuses, leur faire croire que nous avons rompu nos engagements de ne pas nous livrer à du recrutement actif. Mais ce n'est en rien une interdiction formelle, et il n'y a donc aucun problème pour que vous alliez à Grand Estuaire, d'autant que vos raisons sont on ne peut plus justifiées. Je vous demanderai seulement de ne pas rentrer trop tard. Non que je craigne que vous nous faussiez compagnie, évidemment. Loin de moi une telle idée... Simplement, nous veillons à ce que personne ne manque à l'appel lorsque la nuit vient à tomber et, encore une fois, par souci d'égalité, les règles s'appliquent à tout le monde de la même manière...

[Galathée]

Il y avait un couvre-feu ! Albérich faillit sourire mais se retint. C'était le propre des communautés fragiles que de se doter d'une structure incroyablement codifiée : sans doute les us se relâcheraient-ils lorsque leur entreprise aurait gagné en force et en confiance.
" Je n'avais pas forcément l'intention de ressortir aujourd'hui." dit-il.
Un instant, il se sentit étrangement prisonnier. Il avait signé et on lui annonçait qu'il ne pourrait pas circuler à sa guise. Il fallait juste qu'il s'y habitue, qu'il assimile les causes de ces règles, qu'il les accepte. Il ne pouvait s'empêcher de songer que son dernier couvre-feu remontait à ses dix-sept ans, la veille du jour où il avait prononcé ses voeux et était devenu clerc à part entière.
" Au fait... Avez-vous eu des nouvelles des éclaireurs ? Avez-vous une idée du temps qu'il nous reste avant le départ ?"

[Taliesin]

-Pas de nouvelles, encore, répondit la juge. Cependant, nous ne devrions plus tarder à en avoir : ils sont partis depuis un certain temps déjà, ont dû pouvoir retrouver la vieille route, la remonter sur une bonne distance en manière de reconnaissance et prendre le chemin du retour. Si tout s'est passé comme prévu, si le calendrier est respecté, ils devraient être revenus demain ou après-demain. A moins d'un incident ou d'une catastrophe, évidemment.
-Espérons qu'une telle chose ne se soit pas produite, fit Robert. Ce serait un bien mauvais départ...

[Galathée]

" Je suis certain qu'ils seront de retour comme attendu. Merci pour votre temps." dit Hubert.
Il se tourna vers Albérich, lequel se tenait déjà à la sortie de la tente. Ils saluèrent tous deux les conseillers puis regagnèrent l'extérieur.
" Notre dernière après-midi de liberté ! Il faut en profiter !" s'exclama joyeusement le paladin, une fois qu'ils se furent éloignés de quelques pas.
Le Luménien haussa les sourcils et secoua la tête, interdit.
« Mais parle-moi un peu de tes proches... Quels proches ? Tu vas écrire au vieux Megrall pour l'avertir de tes pérégrinations ?
— Non, je pensais à mes amis d’Eredhun… de Combeloup…
— Ah, le fameux Thibault, je parie, et la jolie Dame Elisa !
— Elisa a seize ans, Hubert, qu’est-ce que tu vas imaginer ?
— Moi ? Mais rien.
— Je pensais que tu pourrais écrire à Pernille, cela dit. Je suis certain que cela… lui ferait plaisir.
— Hum. Permets-moi d’en douter. Elle va débarquer pour venir nous rechercher par la peau du dos si nous l’avertissons. Je lui écrirai quand nous serons rentrés, dans un ou deux mois.
— Sait-elle seulement que tu m’as retrouvé ?
— Ne t’inquiète pas pour Pernille. Elle a ses informateurs et avec le passage de Tobias Ekhart à Solarcis, elle en sait probablement davantage que nous ne le voudrions.
— Ces deux-là ensemble, ça promet…
— Même Ekhart ne peut rien contre Pernille, Albérich. Tu es le seul qui ai jamais réussi à la moucher.
— C’était involontaire.
— Mais c’était formidable ! »
Il sourit.
« Bon, mais je ne voudrais pas t’empêcher d’écrire tes missives… Veux-tu que je te laisse tranquille pendant que tu t’y attelles ?
— Je peux écrire ce soir…
— Nous serons dans une tente, ce soir. Tu ferais mieux de profiter de la lumière du jour.
— Tu veux te débarrasser de moi, en fait ?
— Moi ?! Mais pas du tout. Viens donc à la forge avec moi, dans ce cas. »
Le Luménien acquiesça et l'accompagna dans le campement bien ordonné, tâchant de se faire à l'idée qu'il s'agissait désormais là d'un univers qu'il se devait d'investir. Son univers.

[Taliesin]

Parvenus sur les lieux, ils découvrirent trois personnes en plein travail. D'une part Ludwig, occupé à remettre à neuf des boucliers malmenés. D'autre part un garçon robuste martelant une lame sous l'attentive supervision d'un colosse aussi chauve que barbu.
-C'est bien, continue comme ça, l'encouragea ce dernier quand il avisa les nouveaux venus. Je reviens tout de suite.
Puis il se porta à leur rencontre.
-Messire de Maleval, je présume ? Ludwig m'a déjà beaucoup parlé de vous. Et votre compagnon doit être le conseiller Megrall. Moi, c'est Ulrich. C'est un plaisir, messires !
Et de leur tendre une immense main calleuse.

[Galathée]

Hubert serra la main du forgeron le premier, Albérich l'imita en espérant ne pas y perdre trois doigts. Mais l'homme savait heureusement doser sa force.
" Heureux de faire votre connaissance, Messire Ulrich, dit le paladin. Messieurs..."
Il gratifia les deux assistants d'un signe de tête. Le Luménien sourit à Ludwig qu'il avait rencontré plus tôt.
" Je vois que vous êtes bien entouré... Je ne sais pas quelle est la charge de travail actuelle, mais... Je voulais juste vous dire que j'avais des bases dans le domaine et que donc si de temps en temps, vous avez besoin d'un coup de main... en dehors des heures d'entraînement... Je serais ravi de vous prêter main forte."
Décidément, Hubert n'était pas fait pour l'oisiveté. Cela n'avait jamais frappé le Luménien, à Solarcis, car le paladin était tout le temps en mouvement, sauf quand ils sortaient se détendre en soirée... Mais après quelques jours d'errance sur les routes, l'ancien capitaine avait manifestement des fourmis dans les jambes.

[Taliesin]

-Merci, c'est bon à savoir. Pour l'instant, on peut pas dire qu'on soit débordés : il faut juste réparer ce qui est abîmé lors des exercices, vérifier que les outils et les cerclages d'avance pour les roues des chariots soient en nombre suffisant et en bon état... Pas insurmontable, donc ! Mais un petit coup de main ne serait pas de refus, malgré tout. Ça me permettrait de me concentrer sur la formation du petit et sur la commande spéciale de sire Robert... Hum, qu'entendez-vous par "avoir des bases" ? Ne prenez pas mal ma question, surtout ! Je ne doute pas de vos compétences mais je préfère demander, pour savoir quelles tâches je pourrais éventuellement vous confier...

[Galathée]

" Mon père était forgeron, dit Hubert. J'ai donc une certaine familiarité avec... tout le matériel, et les consignes, et les grands principes de base... Mais j'avais deux frères aînés donc je n'ai pas persévéré dans cette voie. J'ai entretenu mon savoir au fil des années, cela dit, et je me débrouille avec les armures et autres protections. Je ne suis bien sûr pas capable de rivaliser avec quelqu'un dont c'est le métier, mais je pense que je sais réparer plus ou moins n'importe quelle pièce... Enfin, je dis ça, et j'imagine que le jour où je revêtirai mes plates, vous allez pousser de hauts cris en découvrant mes horribles tentatives d'en effacer les bosselures..."

[Taliesin]

-Je suis sûr que ce ne sera pas le cas ! Mais amenez-moi votre armure, à l'occasion, je vous dirai ce que j'en pense. Et quoi qu'il advienne, si vraiment vous vous ennuyez, n'hésitez pas à venir faire un tour ici : Ludwig sera ravi de partager son travail qui, il faut l'admettre, n'est pas des plus passionnants... Mais donc, vous êtes fils de forgeron ? Où travaille votre père, si ça n'est pas indiscret ? Peut-être ai-je entendu parler de lui...

[Galathée]

Hubert sourit mais Albérich vit quelque chose passer dans son regard. Un moment, il se demanda s'il n'aurait pas dû pousser le paladin à descendre jusque chez lui... Ce serait pour plus tard.
" Mon père se nomme Geoffroy. Il est forgeron à Maleval. Mais je ne m'attends pas à ce que vous en ayez entendu parler, c'est un village de petite taille, au nord d'Antelucas... La proximité des Montagnes de Fer et des villes naines est une aubaine quand on fait ce métier, cependant. Les savoirs s'échangent et s'enrichissent."

[Taliesin]

Ulrich se frotta le menton, pensif, puis secoua la tête.
-Effectivement, ça me dit rien. Dommage, ç'aurait été un heureux hasard de croiser le fils d'une de mes vieilles connaissances. Quant aux nains, c'est sûr qu'ils peuvent beaucoup nous apporter, pour peu qu'ils acceptent de partager leurs secrets, ce qui est loin d'être toujours le cas, loin s'en faut. Mais cela arrive, parfois et, preuve en est, nous avons été rejoints par une famille naine. Des mineurs. Une aubaine, donc, vu ce qu'on dit à propos de la cité... Et eux étant originaires des Montagnes de Fer, il n'est pas impossible que le nom de votre père leur soit familier...

[Galathée]

" Peut-être." dit simplement le paladin.
Il se fendit d'un léger soupir puis sourit au forgeron.
" Nous allons vous laisser travailler. N'hésitez pas à faire appel à moi au besoin..."
Puis, sur un salut amical, les deux hommes abandonnèrent les artisans à leur enclume et repartirent dans le campement.
« Nous pourrions descendre à Maleval, dit Albérich, une fois qu'ils se furent un peu éloignés.
— Si nos pas nous entraînent dans cette direction, un jour, pourquoi pas…
— Nous pouvons décider d’y aller. »
Hubert eut un sourire contraint, puis son regard se voila. Il ne répondit rien.
« Leur as-tu donné de tes nouvelles ?
— Pas au début. J’avais trop honte de ce qui s’était produit. Même si j’étais dans mon droit… Mes parents étaient très fiers de ce que j’avais accompli, de ce que j’étais… Alors savoir que mon déshonneur allait les atteindre, que l’opprobre retomberait sur le village… J’étais trop gêné pour affronter leur déception. Lâche, peut-être. Entends-moi bien, je n’ai jamais paradé devant mes frères. Ou pas plus que ce qu’on peut attendre d’un jeune homme normalement constitué, je pense. Il aurait été étrange que je n’éprouve nulle fierté d’avoir été adoubé paladin… Mais ce fiasco… »
Il secoua la tête en fermant les yeux.
« Crains-tu d’être mal reçu, si tu y retournes ?
— Non. Pas vraiment. Je pense qu’à leur manière, ils ont compris mon désarroi et mon besoin de partir… Sans doute ont-ils été tristes que je n’aille pas panser mes blessures dans leur giron aimant mais… mais Maleval est beaucoup trop proche de Luménis… et l’amour… être confronté chaque jour au regard compatissant, désolé, des miens… à un regard qui connaît les causes de ma disgrâce et la regrette… Je pense que je me suis sauvé en me sauvant. Leur amour m’aurait rendu amer, peut-être terrassé.
— C’est quelque chose que je peux comprendre, je crois. »
Ils se sourirent une seconde puis marchèrent en silence, atteignant bientôt la zone où se trouvait leur tente et plus loin, la mer.
« Tu dois trouver que je m'émeus de trivialités, comparé à ce que toi tu as vécu, dit alors Hubert.
— Non, certainement pas, murmura le Luménien. Ce que tu as vécu n'est pas trivial.
— Sans doute. »

[Taliesin]

L'endroit était désert, hormis quelques pêcheurs échelonnés le long de la grève où l'on voyait, encore fumants, les vestiges des grands feux autour desquels, un peu plus tôt, s'étaient réchauffés les baigneurs revenus de l'entraînement. On n'entendait aucun bruit, en dehors du cri éttanué des mouettes survolant le port de Grand Estuaire et celui, doux, apaisant, des vagues venant lécher les galets. Au loin, un petit bateau progressait doucement sur les flots, ses voiles mollement gonflées par la brise paresseuse. Tout, en somme, respirait le calme. Difficile à croire, ici, qu'une grande expédition en direction de l'une des régions les plus périlleuses d'Helonna était sur le point de se mettre en route.

[Galathée]

Ils demeurèrent silencieux un moment, conscients l'un et l'autre qu'ils ne verraient plus la mer pendant un bon moment. Luménis, Solarcis, étaient des cités portuaires. Même si aucun des deux n'avait jamais été marin, les mouettes, les bateaux, les odeurs du large faisaient partie intégrante de leur quotidien, au point d'être pratiquement devenus invisibles.
" Je dois passer à l'école... J'avais promis d'y donner un coup de main...
— Et puis maintenant tu t'es découvert des velléités d'écrire une constitution...
— Je vais juste épauler Dame Marthe. Je verrai bien où elle en est...
— Oui, oui.
— Et j'aurai peut-être le temps d'enseigner quand même...
— Dix heures par jour maximum, je surveillerai.
— Onze ?
— Dix, Albérich."
Ils repartirent vers l'intérieur du campement, en direction de l'école.

[Taliesin]

Les cours battaient leur plein. Les élèves qu'Hubert avait vu s'exercer le matin même sur le champ d'entraînement étaient désormais assis, plus ou moins studieux, derrière les planches qui faisaient office de pupitres. Comme leurs cadets, ils étaient divisés en deux classes : ceux de dix et onze ans faisaient une dictée, sous la conduite de la même enseignante qu'Albérich avait pu apercevoir lors de sa précédente visite. Quant aux plus âgés, ils travaillaient avec Rebecca, qui leur donnait une leçon d'histoire fort bien menée. L'ancien clerc devrait donc attendre avant d'avoir l'occasion de lui parler. Mais, qui sait, la récréation ne tarderait peut-être plus...

[Galathée]

Les deux hommes demeurèrent donc un moment en retrait. Albérich espérait que si Rebecca les apercevait, elle pourrait leur signifier d'un geste s'il valait mieux qu'ils repartent ou si elle en aurait bientôt terminé. Hubert observait les lieux avec sa curiosité coutumière.
" C'est donc elle, Rebecca ? Je dois dire que je suis content : pour une fois que c'est toi qui attires les demoiselles... Ça me fait des vacances.
— Tu es jaloux.
— Absolument pas. Je n'ai plus mon uniforme, mais tu as toujours tes cheveux gris.
— Très spirituel."