[Haute-Forêt] Quête : Racines

[Voyageuse]

Personne ne lui répondit. Tous avaient compris, sans doute. Même Sylvia.
Il entendit des murmures dans son dos. Peut-être parlait-on de lui, peut-être hésitait-on à venir le voir.
On le laissa seul un moment. Il entendit du mouvement, devina que chacun se dirigeait vers sa tente. Puis il devina que des pas s'approchaient de lui.
- Je suis désolé, petit frère. Je sais que tout ça... est trop récent pour toi, j'aurais dû deviner que ce serait encore douloureux. Mais tu vois, le boulot des bardes est de mettre les choses en musique. Pas seulement les faits héroïques ou les histoires enchantées... mais aussi les petits drames du quotidien, dont on cherche à révéler la beauté et le sens caché. Je voulais mettre en poème ce qu'une part de ton cœur ressent et que tu préfères ignorer. J'y songe depuis notre départ du campement. On ne peut pas ignorer une part de soi. Il faut au contraire l'accueillir en ton âme, puis la dépasser, la sublimer. Ce qui t'es arrivé est magique, magnifique. Un rayon de soleil qui illumine ta vie... mais que serait la lumière sans l'ombre qu'elle crée ? Bon, en fait, c'était sans doute trop tôt pour toi. Pas le moment. J'ai fait une erreur... Et peu importe après tout : ce n'est pas l'ombre qui compte, mais la lumière... Mais excuse-moi, je m'embrouille... Je vais aller dormir. Je crois que tu as besoin d'être seul plutôt.
Il l'entendit s'éloigner.

[Kasumi]

Kasumi avait à peine écouté les propos de son demi-frère. Sourd et aveugle à sa tentative d’explication et de contrition, il n’avait pas même cherché à échanger un regard avec lui. Le barde avait été beaucoup trop loin, avait outrepassé les règles du bon gout, de leur amitié naissante même. Et ses mots apaisant ne changeraient pas ceux qu’il avait tenu sans vergogne quelques minutes plus tôt, sans égard pour ses sentiments à lui. Et tout ça pour une petite histoire de vengeance bien mesquine : le jeu avait assez duré du point de vue du rôdeur. Il garda pourtant ses mots pour lui, conscient qu’il se laisserait probablement aller à des paroles trop dures, qu’il irait trop loin dans la colère s’il réagissait dans l’instant. Il allait faire preuve de sagesse, contrairement au barde. Il ne chercha donc aucunement à le retenir, encore moins à répondre. Et c’est ainsi qu’il entama son touur de garde, à la fois morose, furieux et inquiet de ce que penserait Sylvia de tout cela.

[Voyageuse]

Rien ni personne ne vinrent le déranger durant sa veillée. Sylvia avait sans doute songé qu'il valait mieux le laisser seul. Tilmandil n'avait pas reparu. Tout était parfaitement calme alentour. Il eut tout le loisirs de ruminer des pensées plus ou moins sombres, plus ou moins furieuses.
Il entendit des pas légers s'approcher. C'était à peu près la fin de sa garde... mais ce n'était pas Tilmandil qui venait le relayer. C'était Eärundra. Elle s'assit sans mot dire après du feu, presque en face de lui, et posa un regard doux et amical sur lui. Sans un mot.

[Kasumi]

Le rôdeur appréciait l’attitude calme et diplomatique de la druidesse ou l’aurait certainement fait si les circonstances étaient moins personnelles, s’il n’avait pas ressassé des souvenirs devenus soudain douloureux, s’il n’avait pas sondé et pris la mesure de sa culpabilité, de son manque d’honneur, sans chercher d’excuses dans les circonstances, le hasard ou quelque destin capricieux comme semblait toujours enclin à le faire son irréfléchi barde de demi-frère. Kasumi croisa le regard d’Eärundra, fut tenté, un instant, d’entamer une conversation, de livrer une partie de son ressenti. Il était difficile de rester silencieux devant ce regard qui n’était pas franchement interrogateur mais appelait des réponses, face à l’aura de sagesse qui appelait aux confidences, aux introspections. Le demi-elfe résista néanmoins et parla à voix basse comme pour s’étonner de sa présence :

- J’imagine que vous avez convenu d’intervertir vos tours de garde… Ce n’est pas plus mal. Je n’ai rien détecté d’inquiétant alors je pense qu’il est temps pour moi d’aller prendre du repos. Bonne veillée, Eärundra !

Peu probable qu’il parvienne à fermer un œil de la nuit cependant… et cela devait apparaître comme une évidence à la druidesse qui semblait toujours lire dans les cœurs et les âmes. Bien mieux que lui en tous cas, comme Astrée.

[Voyageuse]

- Oui, j'ai dit à Tilmandil que je prendrai son tour de garde. Mais vous n'allez pas vous coucher tout de suite. Vous avez des choses à évacuer. Et vous pouvez le faire maintenant. Vous devrez même. Sinon cela va vous intoxiquer tout la nuit, et les jours à venir aussi. Le poison ne s'évacue pas en le gardant en soi... Au contraire, il ne fait qu'agresser l'âme.
La druidesse croisa les jambes, s'installant confortablement en tailleur.
- J'ai la sensation que vous vous accablez à tort d'une culpabilité excessive, ce qui n'était en rien le but recherché par votre demi-frère. Mais je peux me tromper, mal analyser les choses... Donc mieux vaut que vous me disiez, avec vos mots, ce que vous avez sur le coeur. Croyez-moi... c'est préférable que vous le fassiez maintenant. Pour vous, et même pour Sylvia. Ne laissez pas pourrir ça en vous.

[Kasumi]

Le rôdeur croisa enfin le regard de la druidesse et elle put y lire combien sa colère était profonde, pas contre elle cependant, comme il chercha immédiatement à le faire passer dans ses mots. Des paroles visant à mettre fin à cette conversation qu’il ne voulait pas. Cette colère et cette culpabilité lui appartenaient et chercher à les vider, à les évacuer comme des quantités négligeables lui paraissait indigne. Ce serait comme trahir à nouveau Astrée que de chercher à l’oublier en haussant les épaules, par une simple conversation avec des personnes qui ne la connaissaient même pas.

- Je vous remercie pour votre offre d’écoute mais je ne souhaite pas parler de tout ça. Il s’agit de ma culpabilité et c’est à moi d’y trouver une réponse. Cela ne nuira pas à notre mission, ne vous en faites pas !

Et aussitôt, il se tourna vers sa tente avec l’intention de s’y réfugier. Un abri bien précaire, d’autant que Sylvia mériterait amplement qu’il s’explique. Il ne voulait pas que leur relation se fonde sur des faux-fuyants. Il espérait sincèrement qu’il saurait ne pas la blesser, quelque soient les sujets douloureux à aborder.

[Voyageuse]

- Attendez !
Le ton de la druidesse était cette fois-ci empreint d'autorité. Le genre d'autorité qu'on ressent d'instinct.
- Je dois vous parler avant, je pense. C'est important. Vraiment. Je ne vais pas vous y obliger, mais... J'en ai parlé à Sylvia, et elle est d'accord avec moi... Je sais, ça peut vous surprendre... Mais j'ai longuement discuté avec elle tout à l'heure. Elle m'a ouvert son coeur. Et je lui ai demandé... et obtenu... sa permission pour vous parler ce soir. bon, j'ai insisté un peu, peut-être. Mais elle sait que je suis mieux placée qu'elle cette fois-ci. Venez avec moi...

[Kasumi]

L’argument avait de quoi déstabiliser. Sylvia avait donné sa permission à Eärundra pour lui parler ? Mais de quoi ? Que la rôdeuse s’en remette ainsi à celle qu’elle semblait intrinsèquement comme sa rivale était louche… Mais Eärundra prendrait-elle le risque de mentir sur un sujet si sensible ? Probablement que non : elle était bien plus réfléchie que Tilmandil tout de même ! Ou alors il avait décidément mal jugé ceux qu’il avait choisis pour s’entourer. Non, si Sylvia avait cédé à la druidesse cela ne pouvait que signifier que les choses étaient encore plus graves que ses pires craintes. La rôdeuse avait dû se sentir blessée, profondément meurtrie par l’évocation de l’ombre qui pesait sur son amour, ses rêves d’avenir peut-être. L’ombre qui menaçait peut-être, de son point de vue, d’engloutir à nouveau Kasumi, de le voir disparaître. Ce dernier laissa enfin transparaître son angoisse sous la carapace imparfaite qu’il s’était érigé à la hâte. Il répondit d’une voix atone et un peu rauque :

- Très bien… Dans ce cas, je vous écouterai.

Et sans s'attendre à une réponse, il emboîta le pas de la druidesse.

[Voyageuse]

- Ne faites donc pas cette tête d'enterrement...
Eärundra soupira.
- Tilmandil est venu me parler... et je suis allée parler à Sylvia... Et ils s'inquiètent tous les deux pour vous. Ils ne s'attendaient ni l'un ni l'autre à une réaction aussi excessive. En fait, ils la comprennent mal. Et moi aussi, j'avoue. La chanson de Tilmandil a décrit votre passé récent, et votre présent... Pourquoi le prendre aussi mal ? Qu'est-ce qui est si douloureux pour vous dans cette évocation ? Tilmandil n'y mettait aucun jugement d'aucune sorte. Et Sylvia était curieuse de connaître un peu votre vie là-bas. Et elle ne savait pas comment vous questionner, et vous n'en parliez jamais. Tilmandil lui avait promis une chanson pour vous convaincre d'aborder le sujet. Mais... votre réaction lui fait se demander, subitement, si ce passé est aussi révolu que ça. Pour elle il n'y avait aucun doute que vous aviez choisi entre elle et votre... petite amie de là-bas. Que c'était elle que vous aimiez. Mais en vous voyant si... bouleversé... et bien elle se demande si c'est bien le cas, si vous n'allez pas soudainement changer d'avis. mais bref. je ne suis pas là pour parler de Sylvia. mais pour que vous déchargiez ce qui vous fait tant souffrir. On dirait que vous vous sentez coupable de quelque chose... de grave. Etiez-vous... marié peut-être ?

[Kasumi]

Le rôdeur la regarda pendant un bon moment avec une incrédulité manifeste. La druidesse ne comprenait pas ce qu’il y avait de grave à trahir ses engagements ? A tout simplement se sentir coupable, suffisamment pour vouloir régler les choses avec la principale intéressée, les principales intéressées sans les étaler dans une chanson au coin du feu… Tilmandil - et surtout Sylvia - étaient du même avis. La rôdeuse l’avait piégé à en croire les dires d’Eärundra, plutôt que de venir lui parler comme il lui en avait fourni l’occasion. Avait-elle tant peur de lui qu’elle ne lui faisait pas confiance pour aborder ces sujets sans en appeler au renfort d’un barde manquant du tact le plus élémentaire ? Le demi-elfe sentait à nouveau la fureur brouiller ses pensées, se mêlant à la fatigue pour les rendre impalpables, fuyantes. Il répondit néanmoins sans chercher à masquer son incompréhension à lui, ne pouvant s'empêcher d'adopter un ton un brin acide :

- Je n’étais pas marié, ni n’avait pris d’engagement de cette sorte non. Et j’ai fait mon choix. Est-il si difficile de comprendre que je m’en veuille malgré tout d’avoir manqué à ma parole et agi avec déshonneur dans cette affaire ? Que je souhaite offrir une digne explication à mon ancienne compagne avant de parler de cette histoire autour du feu avec désinvolture comme s’il s’agissait d’une des stupides histoires d’aventures de Tilmandil ? Mais ce n’était pas à vous de le demander et pas à vous de me répondre. Pourquoi ces subterfuges ? Je me sens trahi à dire vrai. Trahi parce qu’on ne me fait pas assez confiance pour me poser la question en face et sans manipulations. Voilà ce que j’avais à dire. Et maintenant, si on ne vous a pas demandé d’essayer d’obtenir des informations en m’espionnant plutôt qu’en me les demandant, je vais essayer de trouver un coin où dormir et penser à tout ça.

[Voyageuse]

- Non. Le ton était ferme, autoritaire, n'admettant nulle contestation.
La druidesse lui barra la route, se plaçant face à lui les poings sur les hanches.
- Vous allez d'abord m'écouter. Tout d'abord, on ne m'a pas demandé de vous espionner. Sylvia avait peur que vous soyez marié, oui. Mais elle voulait vous en parler elle-même, et c'est moi qui ai insisté pour jouer le rôle de... tiers, si on peut dire. Parce que j'avais un peu peur qu'elle s'effondre si c'était le cas, mais surtout parce que je vous sentais trop plein de rancoeur, trop en colère, bref pas en état d'avoir une discussion calme. J'avais peur que vous fichiez tout en l'air entre vous sur un coup de colère, et je sentais Sylvia trop fragile pour le subir. Peut-être à tort... Mais comme dans cette histoire je suis la seule qui soit neutre, j'ai décidé de vous parler et de vous laisser évacuer votre colère sur moi. Toute votre colère. Donc je ne vous laisserai pas clore la discussion tant que vous aurez encore tant de rage en vous. Mais d'ailleurs... Contre qui êtes-vous en colère ? Contre Tilmandil qui a voulu mettre en poème, sans méchanceté, votre situation actuelle ? Contre Sylvia qui avait demandé à Tilmandil une chanson parlant de votre vie là-bas ? Contre moi qui me mêle de ce qui ne me regarde pas, ce qui est ma spécialité depuis toujours ? Ou contre vous-même qui estimez n'avoir pas tenu vos engagements... engagements que vous n'aviez pris, si j'ai bien compris, qu'en votre for intérieur sans jamais les annoncer à l'intéressée ?

[Kasumi]

Le rôdeur ne se laissa pas impressionner par le ton presque accusateur de la druidesse, la regardant droit dans les yeux mais sans chercher à forcer son barrage. Au lieu de cela, il choisit de s’asseoir, s’adossant à un tronc, en face d’elle. Puis, il répliqua d’un ton calme mais pincé :

- Et si j’estime que la conversation est close : que tout cela est d’une stupidité sans nom ? Si j’estime avoir juste besoin de réfléchir sereinement à tout ça sans que vous vous sentiez investie d’une mission à mon égard ? Si j’estime que c’est à moi d’assumer mes erreurs comme je l’entends sans qu’on cherche à forcer mes aveux. Me laisseriez-vous aller dormir ou est-ce encore à vous de juger si je suis assez calme ? J’ai été déloyal et ça ne me plait pas mais faut-il que vous en fassiez tous un drame à présent ? Que vous me preniez pour un monstre dont on doit avoir tellement peur qu’on envoie Eärundra l’affronter !

[Voyageuse]

La druidesse sourit. Presque amusée. Et s'assit à son tour.
- Je ne vous prend pas pour un monstre. J'ai juste la fâcheuse habitude de me mêler de ce qui ne me regarde pas et de tenter d'apaiser les tensions entre les gens qui m'entourent. Je ne suis pas réellement surprise de votre réaction de ce soir, en y réfléchissant : depuis le début de votre relation avec Sylvia, je devine parfois, rarement c'est vrai, un flottement en vous, une hésitation. Une culpabilité. parfois, je me suis dit que je devrais peut-être un jour vous parler... Mais tant que vous gardiez le dessus, que vous la laissiez au fond de vous, ça n'était pas nécessaire. A présent que cela crée des tensions et risque de nuire à notre mission, ça l'est devenu. Pourquoi une chanson amicale provoque-t-elle un tel drame en vous ? Pourquoi éprouvez-vous le sentiment d'avoir été déloyal si vous n'aviez rien promis ? Et pourquoi parlez-vous d'assumer vos erreurs ? Estimez-vous que votre amour pour Sylvia en est une ?
Son regard pétilla.
- Kasumi... Vous ne devez jamais vous sentir coupable de suivre votre coeur. Refuser de l'écouter serait malhonnête envers vous-même, et aurait été une grave erreur. Vous vous seriez trahi vous-même, vous auriez perdu votre âme. Et c'est quelque chose dont vous n'auriez jamais pu vous remettre. Vous auriez éteint, définitivement, la flamme de vie qui brûle en vous, et vous n'auriez plus été que l'ombre de vous-même. Croyez-en mon expérience, plus longue que la vôtre : il est vital, primordial, se savoir écouter ce qu'on ressent, et de l'accepter.

[Kasumi]

Kasumi baissa enfin les yeux, mais juste l’espace d’une seconde. Lorsqu’il répondit, la druidesse put néanmoins constater que son ton s’était quelque peu adouci, reléguant une partie de son acidité de tantôt :

- Il n’y a pas que par de grandes déclarations solennelles que l’on promet. Il y a d’autres façons mais peut-être suis-je dans le faux : je n’ai pas votre expérience. Ou celle de Tilmandil ! Et non, ce que j’éprouve pour Sylvia n’est pas une erreur à mes yeux. C’est même tout le contraire. Mais, je ressentirai toujours une tache, un frein, tant que je n’aurai pas régler définitivement mon autre histoire. De mon point de vue, elle ne le sera que lorsque j’aurai obtenu sinon son pardon, au moins l’assurance qu’on ne m’attend plus indûment. J’ai déjà commis l’erreur de négliger cet aspect et j’ai fait beaucoup de mal à Sylvia. Je ne tiens pas à ce que cela se reproduise.

[Voyageuse]

- Je peux comprendre que vous sentiez le devoir de tourner la page, en quelque sorte, officiellement... Vous l'auriez fait depuis longtemps si ça avait été possible. Mais les circonstances font que vous ne le pourrez pas avant, peut-être, plusieurs veilles. Au fond de vous, n'est-elle pas déjà tournée, cette page ? Avez-vous le moindre doute sur le choix que vous ferez ? Il me semble que la réponse est non... Alors je vous suggère une idée, qui vaut ce qu'elle vaut : écrivez, sur un parchemin, la lettre que vous aimeriez adresser à votre amante de là-bas. Vous pourrez la lui donner, en main propre, lorsque toute cette aventure ici sera terminée. Je pense qu'une fois cette lettre écrite, et cachetée, votre coeur sera soulagé. Et il vous sera plus facile de trouver les mots maintenant, ce soir, alors que toute votre culpabilité est remontée à la surface, pour mieux dire, sans trop blesser, ce que vous ressentez. Plus vous attendrez, plus vous serez écartelé entre votre culpabilité qui vous tire en arrière et vous mine, et votre coeur qui a déjà tourné la page. Si vous attendez trop, il sera dur de trouver les mots pour dire les choses avec coeur, sans blesser... parce que votre coeur n'en sera plus là.
Elle sourit, et reprit, d'une voix plus douce encore.
- Croyez-moi... Acceptez d'offrir à votre âme le soulagement dont elle a besoin. Même si ce moyen vous semble factice, je vous assure qu'il ne l'est pas. C'est maintenant que vous avez besoin de régler vos compte avec cette femme. Donc faites-le... par écrit. En sachant qu'elle le lira dès que vous aurez réussi à lui transmettre.

[Kasumi]

Kasumi adressa cette fois un regard pénétrant à l’elfe mais sans rien répondre. Il se leva néanmoins lentement et revint s’installer près du feu quelques minutes plus tard. Il tenait un morceau de parchemin et une plume à la main. Après un nouveau regard bref en direction d’Eärundra, il se plongea dans ses pensées et ferma même les yeux durant un long moment. La druidesse eut peut-être à penser qu’il allait falloir songer à le réveiller avant qu’il se tombe dans le foyer mais sa main se mit soudain à s’agiter. Avec lenteur, application, indécision :

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Astrée,

Ce soir, pour la dernière fois peut-être, je m’autorise à t’ouvrir mon cœur. Car alors que j’écris ces mots je ne m’en sens déjà plus vraiment digne. J’ai manqué à tous mes devoirs en étant malhonnête envers toi. Mais ce n’était aucunement par malice car je l’étais tout autant envers moi-même. Je t’ai laissé à penser que tu étais la première femme chère à mon cœur et par bien des aspects c’était vrai. Je t’ai aimé sincèrement et tu as été la toute première à qui j’ai osé l’avouer, celle par laquelle je me suis laissé guider et ouvrir à l’amour, à la passion, à la tendresse.

Cette tendresse, je crois que j’en éprouve encore pour toi, même si je comprendrai que ce sentiment ne puisse plus être réciproque. Que je ne le mérite plus en rien. Mais quand je me remémore tout ce que nous avons vécu, j’y vois plus qu’une aventure sans lendemain, : j’y vois l’amour sincère pour la femme extraordinaire et superbe qui m’a ouvert son cœur, ses bras, une partie de sa vie.

Mon cœur saigne du mal que je te fais aujourd’hui. Mais il ne peut en être autrement. Nous pouvons nous dire qu’il en aurait été autrement si les événements avaient été différents. Si je n’avais pas cherché à t’arracher à tes montagnes autrefois, à tes propres racines, si je n’avais pas cherché à suivre les miennes. Mais ça aurait été un mensonge. J’aurais fini par m’en rendre compte et par te faire plus de mal encore. Je t’aurais enfermée dans l’image que je me faisais pour nous , dans l’ombre d’une autre que j’ai aimé sans le savoir, que j’ai perdue sans le vouloir, que j’ai retrouvée sans m’y attendre.

Je ne te demande pas pardon pour ce que nous avons vécu : notre histoire était fusionnelle et je n’en regretterai jamais un seul moment, heureux ou non. J’aime à penser que j’ai pu être une étape dans ta vie, que je t’ai apporté en retour un peu de tout ce que tu m’as offert sans concessions. Toi qui m’as ouvert tant de perspectives merveilleuses. J’aime à penser que j’ai apporté un peu de réconfort dans un moment de souffrance et que tu ne l’oublieras pas, que tu t’en serviras, que tu sauras t’envoler, t’épanouir, retrouver le bonheur auquel j’ai toujours aspiré pour toi. J’ai cru que ce serait moi qui te l’apporterais et si j’ai un seul regret, c’est de ne pas avoir été à la hauteur de mes intentions en ce domaine. Comme en beaucoup d’autres.

Je te demande pardon pour cela. Pour ne plus pouvoir être là pour toi. Pour ne plus t’aimer d’amour. Mais plus d’amour seulement.
Kasumi

Des larmes coulaient sur ses joues lorsqu'il plia enfin le parchemin sans oser le relire.

[Voyageuse]

Lorsqu'il en eut terminé et qu'il releva les yeux, il était seul. Il finit par apercevoir Eärundra au loin, se promenant silencieusement parmi les arbres. C'était son tour de garde, après tout... Elle ne fit pas mine de vouloir venir vers lui, le laissant seul avec ses émotions. Elle avait dit ce qu'elle avait à dire.
Quelques gouttes de pluies de mirent à tomber, légères, dans le petit espacé dégagé où ils se trouvaient. Les nuages noirs s'amoncelaient, annonciateurs d'une bonne radée qui éteindrait sans doute le feu. Eärundra était protégée par la densité de feuillage. Mais pas lui.

[Kasumi]

Kasumi avait confié toutes ses émotions au papier. Il s’était purgé en quelque sorte et la pluie qui apparut semblait vouloir laver son corps comme il venait de le faire avec son âme. Il protégea en hâte le pli sous sa tunique et chercha la druidesse du regard : elle semblait comprendre qu’il n’avait nulle intention d’échanger à nouveau avec elle. Pas ce soir. Alors, dans le plus grand silence, il regagna sa tente, enfouit la lettre destinée à Astrée au plus profond de son sac puis seulement il osa à nouveau regarder Sylvia. Avait-elle réussi à trouver le sommeil ? Probablement que oui…

[Voyageuse]

Sylvia dormait. Sa respiration était régulière, mais son sommeil n'était pas paisible : il la vit se retourner, marmonner quelques paroles incompréhensibles. Puis se retourner encore.
Lorsqu'il s'approcha, elle parut se réveiller à demi, se tournant vers lui, quelque part entre veille et sommeil, sur le point d'émerger. Elle se rendormirait sans doute immédiatement s'il ne faisait pas le moindre bruit, s'il ne tirait pas sur la couverture.

[Kasumi]

Le rôdeur l’observa quelques instants, juste quelques secondes, laissant ses émotions le submerger à nouveau : un reste de colère pour le tour pendable qu’elle avait demandé à Tilmandil de jouer mais, avant tout, la compréhension de ses angoisses à son égard qu’il n’avait fait que renforcer au lieu d’apaiser comme il l’aurait voulu. Et ce qui primait par-dessus tout étaient les mille émotions positives qu’il ressentait pour cette femme, des sensations qui n’étaient plus entachées de culpabilité, moins qu’avant en tous cas. Alors, bien qu’il sache qu’elle avait besoin de repos, il avait envie de la serrer dans ses bras, de faire en sorte que son sommeil redevienne paisible, de chasser les nuages qui l’obscurcissaient. De lui assurer simplement d’un geste qu’il était encore là et comptait le demeurer aussi longtemps qu’elle voudrait de lui.

Il se débarrassa de ses bottes et se glissa sous la couverture avec le plus de délicatesse dont il était capable. Puis, alors qu’elle se retournait une nouvelle fois, il en profita pour l’enlacer avec tendresse, sans un mot. Les mots - nécessaires - devraient attendre le lendemain.

[Voyageuse]

Il y voyait suffisamment clair dans l'obscurité pour la voir se tourner vers lui, ouvrir les yeux et tenter de percer l'obscurité. Puis renoncer, et se blottir simplement contre lui.
- J'ai tant besoin de toi, murmura-t-elle doucement, à demi-consciente, en fermant à nouveau les yeux. Et elle se rendormit.

Au petit matin, lorsque les chants des oiseaux le tirèrent du sommeil avant même le lever du jour, elle avait disparu. Sans doute était-elle auprès du feu pour la fin de son tour de garde.

[Kasumi]

Kasumi ouvrit lentement les yeux, s’accoutumant à la luminosité naissante et perçut aussitôt l’absence à ses côtés, un vide douloureux. Mais il balaya ces pensées néfastes : il ne servait à rien de songer au pire en tout instant, malgré les événements de la soirée. C’est sa réaction excessive qui avait été en cause avant tout. Bien plus la trop grande curiosité teintée d’angoisse de Sylvia, ou même que la vengeance mesquine manquant du moindre tact de Tilmandil. Le rôdeur enfila ses bottes en un rien de temps et se glissa hors de la tente dans un bruit. Et là, il vit l’élu de son cœur, tournée face au foyer qu’elle tentait de ranimer. Il réalisa comme jamais encore à combien elle paraissait fragile et belle tout à la fois. Il se rendit compte qu’il lui avait fait du mal, par son silence et son absence bien plus que par n’importe quels mots de colère qu’il aurait pu manifester. Alors, désireux de se racheter, il s’approcha dans le plus grand silence. Et quand il fut juste derrière elle, il posa ses mains sur ses épaules, réagissant à son sursaut par des gestes empreints de douceur : il se mit à les masser doucement sans un mot.

[Voyageuse]

Sylvia sursauta légèrement. mais ne se retourna pas. Elle ne semblait qu'à demi-surprise, comme si elle l'attendait. Elle ne prononça pas un mot, le laissant masser ses épaules doucement. Elle s'assit au sol, simplement, le laissant prendre place près d'elle. sans un mot. Attendant qu'il parle le premier, peut-être.
La pluie avait cessé, mais l'horizon restait obscurci. Les deux elfes étaient invisibles.

[Kasumi]

Tout en continuant à dispenser ses caresses, le rôdeur s’approcha un peu plus près d’elle pour murmurer sans que d’éventuels espions elfes puissent surprendre leur conversation. Au moins avaient-ils le tact de ne pas se montrer. Sans doute une nouvelle initiative d'Eärundra :

- Je suis désolé de t’avoir blessée. Je n’aurais pas dû réagir ainsi. Je n’aurais pas dû être à ce point fermé et buté. A tel point que tu n’osais pas aborder des questions légitimes avec moi. J’en suis désolé parce que je t’aime. Et que tu es la seule que j’aime.

Alors seulement il abandonna son massage pour l'enlacer de ses bras et poser la tête sur son épaule.

[Voyageuse]

- je t'aime aussi... Mais j'ai eu peur de ta réaction hier. Je me suis dit que si tu réagissais comme ça, c'était peut-être que tu ne m'avais pas tout dit, que peut-être tu t'étais engagé, là-bas. je n'avais jamais osé de questionner, je sentais que c'était encore douloureux, j'attendais que tu aies envie d'en parler. Mais hier... j'ai eu un doute. j'aurais dû te faire confiance, je suis désolée. Venir te parler moi-même. C'est Eärundra qui a insisté... Comme d'habitude, elle voulait prendre les choses en main. mais j'avais tellement peur, je me sentais tellement fragilisée... Je me suis dit que si on se disputait, ou si j'apprenais que tu m'avais caché des choses... je ne m'en remettrais pas. Je n'avais pas la force d'affronter cela hier. Alors je n'ai pas eu la volonté de résister à Eärundra. J'ai obéi. Je suis désolée de ne pas être venue moi-même...
Elle lui caressait doucement le bras, l'épaule, le visage. Et tourna finalement vers lui un regard un peu triste, un peu anxieux aussi.

[Kasumi]

Kasumi passa une main sur sa joue et lui adressa un sourire timide puis baissa les yeux, un peu honteux de l’avoir tant blessée sans raison. Il répliqua d’un ton contrit :

- Je suis le seul à devoir être désolé. La seule chose qui m’importe est que tu es là ce matin. Que tu ne m’en veuilles pas trop. Je ne t’ai rien caché mais je ne t’ai pas tout dit… Si je me suis senti si mal, c’est que je n’avais jamais vécu de rupture avant. Et je ne sais pas bien comment le gérer. Elle a été la seule à avoir su me détourner de toi. Pour un temps. Et si j'ai mal réagi, c'est peut-être que j'ai pensé que Tilmandil traitait ça à la légère, se moquer de ma trop grande rigidité dans ce domaine, sans réaliser que tu pouvais t'interroger toi aussi.

[Voyageuse]

- Je ne pense pas qu'il le prenait à la légère. Il voulait plutôt te faire passer le message que le passé était révolu et que tu devais te tourner vers l'avenir. Il ne l'a pas fait de la bonne façon... et il n'aurait pas dû sans doute, se ,mêler de tout ça. Les bardes ont tendance à se mêler de tout... Bon, c'est aussi un peu de ma faute, je lui ai demandé une chanson qui parlait de ta vie là-bas... Puisqu'il avait dit qu'il avait des révélations à faire, je voulais qu'il assume ! je ne pensais pas que ça finirait si mal... A mon avis il doit être mal à l'aise maintenant...
Elle se blottit contre lui, silencieuse à nouveau, la main posée sur son genoux.
- Je suis contente, en tout cas... de savoir que je me suis inquiétée pour rien. Et j'ai honte de n'avoir pas eu suffisamment confiance.

[Kasumi]

Le sourire de Kasumi s’élargit avant qu’il ne profite qu’elle se soit rapprochée pour l’embrasser. Quand il s’écarta de ses lèvres, il avait retrouvé une lueur malicieuse dans le regard et son ton était bien plus léger, presque autant que d’habitude :

- Tu crois qu’il mérite son cadeau ou tu préfères qu’il révèle tout ce qu’il sait d’autre ? Je ne crois pas qu’il connaisse d’autres détails qui pourraient me gêner mais il a l’imagination fertile. Je le sais à la façon dont il a éhontément déformé cette petite escarmouche en Calimshan. Alors il ne faudra pas croire tout ce qu’il dit.

[Voyageuse]

Sylvia sourit, amusée. Soulagée aussi de le retrouver tel qu'il était.
- Oh, je pense que rien que le fait d'improviser une chanson comme ça à la dernière minute, et à peu près véridique, c'est digne de récompense... Cela dit, tu peux le faire mariner encore un peu !
Puis elle s'interrompit, fronçant les sourcils.
- Tu veux dire que le Calimshan... Tu y étais ? tu as affronté une armée de morts-vivants et volé sur un tapis ? Ou bien il a tout inventé ?

[Kasumi]

Kasumi esquissa un sourire mystérieux et garda le silence pendant quelques secondes juste le temps de jouer avec la curiosité de la jeune femme. Alors seulement, il répondit du ton anodin qu’il aurait employé pour parler du petit déjeuner :

- Il a exagéré : on n’en a affronté qu’une demi-douzaine je crois. On a réussi à trouver le génie, libérer le fantôme et fuir sur le tapis pour éviter d’affronter tous les autres. Et il a omis certains détails en plus ! Les plus gênants pour lui à mon sens. Comme la façon dont il s'est accoquiné à une des servantes du mage quand on a trouvé refuge chez lui pour la nuit avant de repartir pour Everaska.