[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Galathée]

Albérich songea qu'il serait nettement plus facile d'avoir l'esprit embrumé dans les tréfonds d'un chariot cahotant qu'en selle, à scruter le paysage morne et froid. Mais les guerriers avaient probablement une certaine habitude des réjouissances et sauraient, avec un peu de chance, arrêter leurs libations avant le moment fatidique.
" C'est une agréable tradition." dit le Luménien.
Il jeta un coup d'oeil du côté des bardes et des cuisiniers.
" Roxane, la barde, m'a dit que la cité que nous allions rallier s'appelait autrefois Clairétoile... Je me suis demandé... Le conseil a-t-il déjà réfléchi au nom que vous entendiez lui donner ? Le même ? Un autre ? J'ai parfois l'impression qu'un terme commun terminerait de fédérer le groupe... Pas qu'il manque de solidarité, cela dit, mais... une identité, c'est important, pour la génération d'une entité."

[Taliesin]

-Nous sommes bien de votre avis, et le sujet a été abondamment débattu lors de maintes assemblées.
-Le moins que l'on puisse dire, c'est que les propositions n'ont pas manqué. Certaines d'entre elles ont même acquis une certaine popularité, mais il a été impossible de dégager une majorité forte.
-Alors, pour cette raison, mais aussi pour ne pas mettre la charrue avant les bœufs, nous avons choisi de temporiser. Nous attendrons donc d'avoir vu la cité, d'avoir constaté qu'elle est vivable pour, à nouveau, songer à la baptiser.
-Comme vous le disiez, c'est quelque chose d'important. De fondateur, même. Peut-être le nom s'imposera-t-il de lui-même, peut-être, au contraire, les débats dureront-ils des semaines... Dans tous les cas, nous prendrons le temps qu'il faudra, pour que chacun se retrouve dans l'appellation qui sera finalement choisie.
Autour d'eux, les membres de la communauté continuaient à s'installer. Étienne, pour sa part, s'était rapproché de l'estrade. Sans doute allait-il se fendre d'un discours de circonstance.

[Galathée]

" Mettre autant de gens d'accord ne va pas être facile, fit le Luménien avec le sourire. Mais je comprends bien le sens de la démarche."
Avoir un Hubert aussi silencieux à table était presque déstabilisant. Albérich essaya d'accrocher son regard, sans succès, et finit par lui flanquer un coup de pied, léger. Le paladin lui jeta un regard surpris.
" Ne vous mettez pas mal martel en tête, dit-il alors sur un ton tranquille. Je suis certain qu'il me suffira de désintégrer une goule et trois zombies et ils appelleront cette cité Hubertville, à l'unanimité. Ça règlera tous les problèmes, vous me remercierez..."

[Taliesin]

-C'est certain. Nous vous serons même tellement reconnaissants que, séance tenante, nous ferons de vous notre roi.
-Et que, dès lors, nous vous laisserons prendre absolument toutes les décisions concernant la communauté.
-Ah, vivement que nous y soyons ! Cela nous fera des vacances !
-J'ai hâte, moi aussi...
Tout le monde ou presque s'étant assis, Étienne entreprit de monter sur l'estrade.
-Robert, combien de minutes, à ton avis ?
-Pas plus de cinq. Il m'a dit qu'il avait grand faim, tout à l'heure...
-Peut-être, mais regarde-le, il jubile ! Alors je dis dix, au bas mot.
-Nous verrons...
On entendit distinctement le sieur de Fontbrune se racler la gorge, car le plus complet des silences venait de tomber sur l'assistance.
-Mes amis, je vais être franc : je sous plus enthousiaste que jamais ! Et comme vous le savez, quand je suis enthousiaste, je suis littéralement incapable de m'arrêter de parler...
Il y eut des rires, des huées bon enfant.
-Mais rassurez-vous ! Pour éviter la lapidation et pour que vous puissiez profiter au mieux des réjouissances, qui devront malheureusement s'arrêter relativement tôt - j'ai dit "relativement" ! -, je vais m'efforcer d'être inhabituellement bref. Je voudrais en premier lieu souligner à quel point cette ultime halte avant le grand voyage nous a été profitable : nous avons en effet accueilli de nouveaux membres qui, en quelques jours, sont devenus des visages familiers, sont parvenus à se faire une place parmi nous. J'en profite pour vous annoncer que notre garde s'est trouvée un incomparable commandant en second en la personne d'Hubert de Maleval, dont nous avons tous pu admirer les incroyables prouesses lors de notre récent tournoi !
Ce fut un tonnerre d'applaudissements.
-Je crois donc pouvoir affirmer sans me tromper, reprit le conseiller lorsque le vacarme se fut éteint, que notre communauté est désormais au grand complet et prête a affronter les Landes ! Le trajet sera long, certainement éprouvant, assurément dangereux. Mais nous relèverons ce défi et atteindrons bientôt cette ville que d'aucuns croyaient légendaire... Si les dieux sont bons, nous redonnerons vie à ses pierres moussues, à ses antiques demeures, à ses rues envahies de végétation. Si les dieux sont bons, nous ferons de cette cité notre nouveau foyer, nous y vivrons dans la paix, nous y verrons grandir et s'épanouir nos enfants, en toute quiétude... Le travail que nous devrons accomplir sera colossal, les épreuves s'avéreront nombreuses, je le crains. Mais notre rêve est à portée de main ! Alors, oublions un moment nos craintes légitimes et les embûches qui pourraient se dresser sur notre route. Mangeons, buvons, dansons ! Resserrons encore davantage les liens solides qui nous unissent déjà et grâce auxquels nous accomplirons notre noble projet ! Que la fête commence !
Seul lui répondit d'abord le silence, le public ne pouvant apparemment pas croire qu'il en avait déjà terminé. Pourtant, c'était le cas, et la communauté explosa en vivats enflammés, tandis que les bardes remplaçaient Étienne sur l'estrade.

[Galathée]

Hubert et Albérich se joignirent aux applaudissements nourris qui saluèrent la fin du discours du jeune noble luménien. Tandis que le tumulte s'apaisait, le paladin se fendit d'une moue appréciative.
" Je dois dire qu'Etienne m'épate grandement, dit-il. Qu'un homme si jeune, malgré la déveine qui lui est tombée sur les épaules, ait été à ce point capable de se mobiliser, puis d'en mobiliser d'autres, jusqu'à la réalisation d'un projet d'une telle ampleur... Cela ne peut que forcer le respect. D'autres se seraient assurément écroulés et morfondus."

[Taliesin]

-Il est très solide, oui. Peut-être tous les Hélonniens ont-ils au fond d'eux cette force qui pousse à surmonter leurs épreuves, à essayer d'aller de l'avant, aussi difficile cela soit-il. Mais, si c'est le cas, il manque bien souvent la petite étincelle pour enflammer ce feu intérieur. Étienne a joué ce rôle pour beaucoup d'entre nous. Il sait communiquer... sa foi en l'avenir.
-Ce qui m'impressionne tout autant, c'est qu'il tient le coup malgré l'angoisse qui doit l'étreindre : nous l'avons tous suivi de notre plein gré, mais je pense qu'étant à l'origine du projet, il s'en sent responsable. Je n'ose imaginer ce qu'il éprouvera si les choses tournent mal... Mais nous ferons en sorte que cela n'arrive pas.

[Galathée]

Albérich ne put s'empêcher de songer à lui-même, en écoutant le discours de la juge et du chevalier. La foi soulève des montagnes. Et puis parfois, elle s'y écrase et s'éparpille en mille petits morceaux que le vent emporte en tournoyant vers l'oubli. Mais Etienne n'était pas naïf, pas plus que Marthe ou que Robert. La foi s'était équipée, préparée, armée, et la foi allait traverser les Landes, droit devant, jusqu'à sa cité, qu'elle allait revendiquer. Même lui, il parvenait presque à y croire, quand il tempérait les échos désoeuvrés qui erraient dans sa carcasse.
" Etienne doit s'attendre à un minimum d'adversité, j'en suis sûr. Mais tout est prêt. Les nouvelles sont bonnes. Les esprits enthousiastes. Nous ne lui ferons pas défaut."

[Taliesin]

La juge acquiesça.
-Nous ne faillirons à aucun des nôtres, ajouta-t-elle.
-Marthe ? Tu devrais prendre garde : les entraînements commencent à déteindre sur toi, tu te mets à parler comme un chevalier...
-Tu as raison, il faut donc que je cesse d'y participer. Merci de me l'avoir fait remarquer.
Les bardes venaient de débuter un joyeux morceau : Roxane jouait du violon, Giovanni du luth et leur comparse demi-elfe de la flûte. Quoi qu'ils soient rivaux pour ce qui était d'écrire l'histoire officielle de la communauté, il fallait reconnaître qu'ils s'accordaient très bien, sur scène.

[Galathée]

" De toute façon, les entraînements sont suspendus pendant le voyage... et j'imagine que leur pertinence sera revue en fonction des nécessités, une fois sur place, dit Hubert, avec un léger haussement d'épaules. Vous allez voir, peut-être allez-vous regretter ce fracas matinal et finirez-vous par vous engager dans un corps de réservistes !"
Albérich finit par se décider à revenir dans la conversation.
" Oui, et sans doute finiras-tu par te faire copiste, ou quelque chose comme ça...
— J'ai une très belle écriture !
— Très bien, je note ta candidature. Il y aura du boulot quand il faudra distribuer la constitution à chacun des citoyens."

[Taliesin]

-Je ne sais pas si je dois accélérer le travail à ce sujet, pour assister à ce grand moment au plus vite, ou au contraire le ralentir un maximum, pour que nous puissions encore profiter de votre compagnie après notre arrivée dans la cité...
-Personne n'en repartira, dit tranquillement Robert. Nous prétendrons que dix mille squelettes nous encerclent et interdirons à quiconque de s'éloigner à plus d'une lieue, par mesure de précaution...
-Excellente idée.

[Galathée]

Ce qui était sous-entendu dans ces réflexions d'apparence humoristique mit Albérich légèrement mal à l'aise. Peut-être Hubert en fut-il conscient. Ou peut-être même pas. Toujours est-il qu'il fit mine de prendre Robert au pied de la lettre...
" Dix mille squelettes... Je dois pouvoir en détruire... une trentaine par jour en les désintégrant. Plus ceux que je peux combattre... Disons cinquante par jour au total. Ça me demandera tout juste deux cents jours. C'est jouable. Pour autant qu'ils ne se reproduisent pas, bien sûr."
Il eut une grimace et se tourna vers le Luménien.
" Ils vont se reproduire, Albérich. Nous allons devoir rester."
Il décocha un clin d'oeil à l'ancien clerc. Ce dernier tenta de lui rendre son sourire.
Je veux rentrer à Luménis.
Bien sûr, c'était une opportunité magnifique pour Hubert, et s'il parvenait à lui donner l'impression qu'il était prêt à voyager seul, désormais, qu'il avait repris du poil de la bête, qu'il avait digéré l'épisode solarcien, sans doute le paladin pourrait-il se poser, comme il devait le désirer ardemment. Après tout, il s'était fondu dans le groupe en un temps record, trois jours à peine. Commandant en second ! Comment aurait-il pu lui en vouloir, comment aurait-il pu en être autrement ?

[Taliesin]

Robert donna un discret coup de coude au paladin et, se penchant - apparemment pour récupérer la bouteille de vin -, il lui souffla à l'oreille :
-Hubert, puis-je vous demander un grand service ? Je ne sais pas encore exactement quand, mais, au cours du repas, je m'absenterai brièvement. Pourriez-vous, alors, détourner l'attention d'Alban ? Il ne doit voir ni où je vais, ni ce que je fais...
La bouteille en main, il entreprit de remplir sa coupe vide. Son écuyer, lui, sirotait encore la sienne, les joues légèrement empourprées.
-On oublie la gente féminine, Robert ? s'enquit la juge, qui avait visiblement une bonne descente.
-Que nenni, ma dame ! Laissez-moi un instant...

[Hubert de Maleval]

" Bien sûr." fit Hubert, non sans s'interroger aussitôt sur les petits secrets de Robert.
Sans doute entendait-il ménager une surprise à Alban, ou quelque chose du genre. Misère, ce gosse faisait peine à voir. Un peu comme le spécialiste des humeurs noires qu'il avait en face de lui. C'était une chance qu'Albérich et l'écuyer ne soient associés en rien : ils auraient fait pleuvoir rien qu'avec leurs ondes sérieuses et mélancoliques.
Robert resservit également le Luménien, mais le paladin déclina : il préférait la bière.
" Bon, dites-moi tout. Qui faut-il éviter d'inviter à danser ?"

[Taliesin]

-Dans l'absolu, personne n'est à éviter : certes, nous ne sommes pas tous des experts en la matière, mais comme nous privilégions généralement les danses simples auxquelles tout le monde peut participer... Au pire, on s'en sort avec quelques orteils douloureux. Cependant, vous concernant, je ne sais pas s'il est prudent que vous invitiez la moindre dame... Ou alors, il vous faut vous tenir prêt à les faire virevolter toutes, pour éviter une émeute !
-La rançon du charisme légendaire des paladins...

[Galathée]

" Bon, je ne participerai qu'aux danses collectives, dans ce cas. Ça me convient bien, je dois garder de l'énergie pour la première journée de chevauchée, de toute façon." fit-il avec un haussement d'épaules.
Il se tourna vers le Luménien.
" Toi, par contre..."
Albérich sourit.
" Je me souviens de mon dernier bal... Les dieux m'en soient témoins, j'espère que celui-ci sera moins épuisant..."
Hubert parut intrigué.
" Peut-on avoir des détails ?"
L'ancien clerc rougit légèrement, ce qui ne fit qu'accentuer l'expression curieuse du paladin.
" Et bien, j'avais... remporté une chasse à la grenouille..."
Hubert ne dit absolument rien mais son visage se crispa comme il retenait manifestement un commentaire.
" Et la tradition du village voulait que danser avec le meilleur chasseur de batraciens porte chance... ce que personne ne m'avait dit, bien sûr... Ma popularité auprès de la gent féminine n'a jamais atteint de tels sommets."

[Taliesin]

-Si ce n'est pas indiscret, dans quelle région cela s'est-il passé ? s'enquit Robert. Je me permets de poser la question parce que j'ai assisté à une coutume similaire, il y a quelques années, sur la côte de la Vallée du Nirvana. J'étais non loin d'Erhedun quand j'ai entendu des rumeurs à propos d'un gigantesque crapaud tueur... Je me suis donc rendu sur place pour prêter main forte à la population, laquelle n'en avait au final guère besoin, puisqu'elle a réduit en charpie le monstre sans que j'aie même le temps de brandir mon épée.
Il eut un sourire teintée de nostalgie.
-En revanche, un prédateur d'une autre sorte rôdait dans les parages, et il a fondu sur mon écuyer dans l'intimité des roseaux...
-Il lui a fait du mal ? demanda Alban.
-Pas exactement, non...

[Galathée]

" Je crois que je vois exactement de quel type de prédateur vous voulez parler." fit Albérich avec une grimace.
Le sourire d'Hubert s'était incroyablement élargi. C'était un miracle qu'il n'ait encore rien dit.
" Aurais-tu, toi aussi, rencontré ce redoutable prédateur ?
— Pas le même, j'espère. Mais j'ai survécu, tu vois ?"
Le paladin rit de bon coeur.
" Le village s'appelle Dansedunes. C'est effectivement non loin d'Eredhun, sur la Sereine. Mais j'imagine que la coutume doit être répandue tout autour des marais du delta."

[Taliesin]

-J'imagine aussi. Et peut-être est-elle également de mise dans les Landes : les Paludiers ne sont pas sans points communs avec les personnes dont nous parlons, après tout. Mais c'est bien à Dansedunes que nous nous trouvions. Décidément, la vie réserve parfois d'étonnants hasards...
-C'était quoi comme prédateur ? s'enquit Alban.
-Demande à messire Albérich. Moi, je dois m'absenter quelques instants. Si vous voulez bien m'excuser...
Le chevalier se leva et s'éloigna, suivi du regard par son écuyer.

[Galathée]

Albérich ouvrit une bouche ronde de surprise tandis que le chevalier s'esquivait, l'abandonnant lâchement face au gosse. Hubert s'engouffra dans la brèche. Et c'était un paladin, aussi ne laissa-t-il aucune place au mystère.
" Ce que l'écuyer de Sire Robert et Albérich ont rencontré dans les marais, ce sont des filles, Alban. Pas des moustiques, ni des alligators, ni même des limons purulents... Juste des filles... Et à mon avis, ils n'ont pas dû vraiment tenter de se défendre... Certaines personnes aiment être dévorées, vois-tu. En tout cas par certaines créatures."
Le Luménien était pivoine mais il tenta d'avoir l'air détendu, et adressa un petit haussement d'épaules embarrassé à Alban, tout en étant conscient de la présence de Marthe à sa gauche.

[Taliesin]

-Décidément... commenta cette dernière. Vous croyiez élever le niveau de la conversation en convainquant des hommes de ne pas parler combat, et voilà qu'ils étalent leurs aventures galantes ! Devant un enfant, en plus !
-Ne vous inquiétez pas, madame. C'est pire avec les instructeurs.
-Oh, je me doute... A tel point que je soumettrai une idée lors de la prochaine assemblée : soustraire les garçons à l'influence néfaste de leurs aînés. Peut-être deviendront-ils meilleurs que ceux-ci, s'ils grandissent en entendant les discussions hautement philosophiques de la gente féminine...
Alban se fendit d'une grimace qui se transforma bientôt en sourire.
-C'est sûr que les filles de la garde, c'est hautement philosophique, les trucs dont elles parlent !
-Sois gentil : ne m'en dis rien... J'aime autant garder mes dernières illusions...
-A vos ordres !
L'écuyer reposa sa coupe désormais vide puis se tourna à nouveau vers Hubert.
-Messire, quand vous dites "être dévorées", c'est une image, comme dans l'expression "dévorer des yeux" ou c'est plus que ça ? Parce que j'aurais pas imaginé que ça se passait un peu comme pour les mantes religieuses...

[Galathée]

Albérich était mort de honte, même s'il sentait que Marthe plaisantait en partie. Hubert, lui, était absolument ravi.
" Je tiens à vous signaler, Marthe, que dans les deux cas qui nous occupent, il semblerait que ce soient les dames qui soient passées à l'action les premières... Nous essayons juste de prévenir Alban, afin qu'il soit plus à même de se défendre, en cas de besoin."
Le paladin se tourna ensuite vers l'écuyer.
" Quant à ta question... Et bien, tu n'es pas loin de la vérité, avec cette référence aux mantes religieuses. Les femmes ne vont pas jusqu'à arracher la tête de leurs amants, cependant... Mais Albérich a une belle morsure sur le côté droit qui atteste de ses aventures sentimentales... Il pourra te la montrer, si tu lui demandes."
C'en était trop.
" C'était un loup, Hubert. Un gros grand loup poilu et de mauvaise humeur. Alban, n'écoute pas toutes ses bêtises."

[Taliesin]

Mais le gamin n'avait d'oreilles que pour le paladin.
-Je voudrais bien voir, oui... souffla-t-il.
-Vous avez mis le doigt sur quelque chose de fondamental, Hubert, intervint la juge. Les hommes préfèrent en parler, nous, nous préférons agir... Mais concernant Alban, je pense qu'il sera tranquille encore quelques années...
-Messire Robert dit qu'on n'est jamais assez prudent, qu'on n'est jamais assez prévenu contre les dangers qui rôdent... Alors je ferai super attention, je laisserai plus jamais aucune fille m'approcher : j'ai pas très envie d'avoir plein de cicatrices de morsures... Il y a des techniques de protection particulières, messire ? Les tenir à l'écart en les menaçant avec une arme, c'est peut-être efficace, mais ça me paraît pas très honorable...

[Galathée]

" Hubert, il te croit... murmura Albérich.
— On ne se méfie jamais assez des femmes.
— Il est un peu saoul, c'est vil... Ça va le poursuivre des années...
— Mais non... Il est prévenu, c'est tout. Ecoute, Alban. Les armes, c'est un mauvais plan. Tu vas devenir chevalier. Tu seras immanquablement populaire.
— Hubert, fais attention à ce que tu vas dire...
— Et en tant que chevalier, tu dois affronter les combats, tous les combats, y compris ceux qui te verront rencontrer de gentes demoiselles avides de profiter de ta compagnie. Reculer, se protéger, craindre, ça ne sert à rien. Ce n'est pas digne de ce à quoi tu aspires ! Non ! Il faut carrer les épaules, choisir son adversaire et relever le défi !"
Albérich n'était pas certain de comprendre ce qu'Hubert était en train de suggérer au gamin.
" Certaines femmes mordent sûrement, mais je suis certain que tu seras capable d'en apprivoiser une kyrielle. Et si tu devais en récolter des cicatrices... Ma foi, c'est un signe de vaillance ! Il faut les arborer avec fierté."
La bière était certainement plus forte que le vin. Ou alors c'était un prétexte. Connaissant Hubert, c'était probablement un prétexte.

[Taliesin]

L'écuyer avait littéralement bu les paroles d'Hubert, et quand ce dernier en eut terminé, il hocha gravement la tête.
-Je vous remercie pour vos conseils, messire. Je les suivrai à la lettre, et j'essaierai d'avoir des cicatrices le plus rapidement possible.
Marthe s'apprêtait à dire quelque chose lorsque Robert revint, arborant un petit sourire en coin.
-Me revoilà, dit-il en s’asseyant. Nous parlions donc chasses aux grenouilles et embuscades dans les marais... Dommage que les Landes ne soient pas aussi galamment fréquentées que la Vallée du Nirvanna. Il paraît, cependant, que les goules sont des êtres particulièrement romantiques...

[Galathée]

Albérich ne put s'empêcher de dévisager Alban avec inquiétude. Il avait l'impression qu'Hubert avait mis quelque chose de dangereux en mouvement... et que le paladin s'en mordrait les doigts avant la fin de la soirée. Il allait falloir garder un oeil sur le gosse.
" Et bien, Robert, je vous laisserai tester l'affection des goules le premier. Je crains malheureusement ne pas pouvoir les étreindre sans les désintégrer, dit Hubert, en réponse au chevalier. Et puis Lathandre estimerait que je prends un peu trop de libertés...
— Il y avait une goule musicale, à Luménis, l'année passée.
— Une quoi ?
— Une goule musicale. Je ne l'ai jamais vue. Une sorte de barde, je pense. Mais goule. Elle officiait parfois à la Bienveillance.
— Misère... Luménis n'est plus ce qu'elle était."

[Taliesin]

-Décidément, la capitale attire des bardes bien étranges. Entre cette goule et l'elfe qui a ramené Nwalk dans ses bagages, la ville n'a pas été gâtée...
Les deux conseillers tournèrent leurs regards vers le trio qui occupait l'estrade.
-Tu crois qu'on aurait dû être plus prudents, en les acceptant ?
-Aucun d'entre eux n'est Luménien.
-Mais ils ont séjourné à Luménis.
-Giovanni plus que les autres. Mais il fréquentait des temples, c'est un signe de respectabilité.
-Le temple de Sunie, surtout...

[Galathée]

La mention de Taliesin fit grimacer Albérich. Il se souvint du barde le soir de l'embuscade. Et malgré lui, il se souvint du barde le jour de sa libération. Il se doutait que l'elfe ne s'était pas lancé à sa recherche par pure bonté d'âme ; sans doute les conseillers luméniens lui avaient-ils fait miroiter quelque chose... à moins qu'ils ne l'aient menacé. Connaissant Lathiriel, c'était le plus probable. Mais il avait rempli sa mission avec succès et avait probablement continué sa route... Cela ne le concernait plus, désormais. Quoi que le barde ait fait, quelles qu'aient été ses responsabilités, c'étaient les échos d'une autre vie.
Comme l'étaient les Temples Luméniens et leur soi-disant respectabilité. Les Helmites désemparés d'Orden. Les Sunites frivoles de Jehanna. Brandon et sa déesse capricieuse. Les Ilmates reclus dans leur pénombre. Les Mystrans soupçonneux. Les adeptes de Waukyne. Le bosquet des docks. Les autres, cachés ou revanchards, alliés, dévots, bienveillants, stupides... Alaric et le dôme rosé du sanctuaire, les chants du petit matin, l'énergie inépuisable de la foi. Où diable était parti Marcus ?
Il secoua la tête et sourit à Hubert qui, comme de bien entendu, l'observait.
" Alban me disait que Giovanni avait l'intention de peindre tous les colons ? Vraiment tous ? N'est-ce pas... encore plus ambitieux que le projet de base de la communauté ?"
Albérich se sentit reconnaissant pour la diversion. Le paladin lui serra le genou sous la table, et l'ancien clerc lâcha ses pensées noires vers le ciel.

[Taliesin]

-Je vous l'accorde, cela paraît presque irréalisable... Et pourtant, oui, il a bel et bien ce projet en tête, et il y tient tout particulièrement. Il faut reconnaître que l'idée est plaisante : immortaliser ainsi tous ceux qui auront contribué à faire renaître la cité, c'est un bel hommage autant qu'un acte fondateur.
-L'aspect colossal de la tâche ne lui fais aucunement peur, et je pense qu'il parviendra à la mener à bien. Si l'on en croit sa réputation, la qualité de ses œuvres n'a d'égale que la rapidité déconcertante avec laquelle il les exécute. Peut-être s'aide-t-il de magie ?
-En fait, il n'attend que le feu vert de la communauté pour se lancer. Celui-ci lui sera sans nul doute accordé, une fois tranchée la question cruciale...
-Oui : serons-nous représentés à l'antique ou de façon moderne ? Voilà qui mérite débat...

[Galathée]

" Peut-être cela dépendra-t-il du nombre d'entre nous qui auront survécu à la traversée des Landes, dit Hubert. Après tout, j'imagine que représenter des vêtements doit prendre plus de temps que de peindre du nu...
— Du nu ?
— Et bien oui, à l'antique, ça veut dire nu. Non ?
— Oui... Enfin... Peut-être que ça pourrait rester à l'appréciation du modèle ?
— Ah, c'est la communauté de l'égalité, ici ! Tout le monde habillé, ou tout le monde dans le plus simple appareil !
— Il faudrait lui conseiller de ne faire que les visages. C'est plus raisonnable. Et comme si j'ai bien compris, je vais partager son chariot, je vais avoir amplement le temps de le convaincre !
— Il va peut-être surtout se servir du trajet pour faire de premières esquisses... Ça risque d'être... intéressant, dans votre chariot."

[Taliesin]

-Je doute que les cahots de la route soient propices à ce genre d'activité. En revanche, avec des érudits, des enseignants et des artistes voyageant de conserve, les discussions ont toutes les chances d'être...
-...hautement philosophiques ? souffla Alban.
-Exactement. Par conséquent, je me demande si je ne vais pas me joindre à la compagnie...
-En revanche, Albérich, vous pouvez renoncer tout de suite à l'idée qu'il ne peigne que les visages. Le portrait est, semble-t-il, une pratique récente. Lui songe plutôt a réaliser une grande fresque figurative sur laquelle nous serions tous présents... Il aimerait s'inspirer du style jadis en vogue dans la cité, en y ajoutant, peut-être, quelques touches moderne. Il imagine une pont artistique entre le passé et le présent, en quelque sorte. Enfin, il vous expliquera tout cela beaucoup mieux que moi...