[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Galathée]

" Oh ! Mais dans ce cas, je pourrai figurer en minuscule, derrière l'épaule de quelqu'un d'autre !" s'exclama Albérich, soulagé.
Hubert avait l'air un peu ailleurs, puis il se fendit d'un sourire énigmatique. Le Luménien trouva cela presque inquiétant. Etait-il déjà de mèche avec ce Giovanni ? Comment faisait-il pour rencontrer et charmer tout le monde à une telle vitesse ? Il valait mieux ne pas y penser.
" Mais vous êtes la bienvenue, Marthe. Vous devez néanmoins savoir que les voyageurs de ce chariot ont aussi l'intention d'en faire un lieu... ludique...
— Ludique, qu'est-ce que ça veut dire ?
— Et bien... entre deux discussions hautement philosophiques, il n'est pas impossible que nous... tapions la carte ?
— Rien que ça...
— Et on a parlé d'Hermines, aussi.
— D'Hermines ?! Et tu ne me dis rien ! Faux frère !
— Tu seras en train de tuer des goules. Je comptais... évaluer le niveau de l'ennemi, et puis te renseigner, de manière à ce que tu puisses choisir tes adversaires avec discernement, une fois que nous serons rendus..."
Hubert parut sur le point d'ajouter quelque chose, son expression se fit mutine, mais il retrouva une mine plus tranquille.
" Merci. Je savais que je pouvais compter sur toi."

[Taliesin]

-Ainsi donc, l'Académie roulante, comme nous l'appelons, n'est pas aussi sérieuse que ses occupants le prétendent ?
-Ils ont bien caché leur jeu, et nous sommes tous tombés dans le panneau...
-Alors, les instituteurs, ils font pas que parler de livres ? Ils jouent aussi aux cartes et aux Hermines ? Ben ça... Les autres, ils vont pas en croire leurs oreilles, quand je le leur dirai...

[Galathée]

" Albérich, je pense que tu viens de trahir l'Académie roulante avant même de l'intégrer, dit Hubert. Si j'étais toi, je me chercherais un autre chariot assez rapidement, sinon je crains que tu ne doives suivre à pied. Ou alors je te prends en croupe.
— Je pensais que c'était chose connue...
— Très, très mauvaise défense. Je parie qu'ils t'ont dit, mot pour mot, de n'en rien dire à personne. Et sûrement pas à deux conseillers et un enfant.
— Tu as raison... Je crois qu'ils m'ont dit ça...
— Encore un peu de vin ? Ça te réussit superbement. Si nous revenions à cette rencontre dans les marais de Dansedunes...
— Ah, par les dieux..."
Le Luménien nicha son visage entre ses mains.

[Taliesin]

Leur repas promptement avalé, certains membres de l'expédition - des jeunes, surtout - s'étaient métamorphosés en danseurs. C'est le moment que choisit une voix familière pour lancer :
-Alors, Alban, on se planque ?
Ruth, bras croisés, air mutin, se tenait derrière l'écuyer.
-Hein ? Mais je me planque pas !
-Si, tu te planques. En fait, je suis sûre que t'as peur de me croiser sans que messire Robert soit là pour te protéger.
-N'importe quoi ! J'ai pas peur de toi ! Je sais me défendre !
-Ouais ouais, cause toujours. Avoue que t'as la pétoche que je t'invite à danser !
Le garçon en resta bouche bée.
-Toi ? M'inviter à danser ? La bonne blague !
-Ben tu vois, je t'invite. Mais je suis certaine que t'oseras pas dire oui.
-Ah ouais ?
-Ouais. T'es trop un trouillard.
Le gamin bondit sur ses pieds.
-Non, je suis pas un trouillard ! Et oui, j'accepte ton invitation !
-Alors bouge-toi !
Tandis que Ruth s'éloignait déjà, Alban se tourna vers le chevalier, vaguement embarrassé.
-Messire, si vous voulez bien m'excuser, je dois...
Il s'interrompit et un sourire radieux naquit sur son visage.
-En fait, je vais peut-être avoir ma première cicatrice dès ce soir ! Comme ça, on pourra la voir sur la fresque !
Et de détaler sans plus perdre un instant.
-Mais de quoi parlait-il ? fit Robert, déconcerté.
-Demandez à Hubert... répondit Marthe, souriante.

[Galathée]

" Les vraies belles histoires d'amour commencent toujours par une bagarre, Robert, dit le paladin d'un ton docte. C'est un fait avéré, je suis certain que vous le savez."
Albérich croisa les bras.
" L'expert du coeur a parlé."
Hubert leva les yeux au ciel.
" Maintenant, dans le cas qui nous occupe, il faudra peut-être l'intervention d'un paladin. Pour soigner les blessures. Dans un premier temps. Mais les choses finiront par gagner en harmonie, vous verrez. Moi je dis que toute cette animosité, ça cache fatalement quelque chose..."
Il se tourna vers le chevalier.
" Est-ce que vous avez promis quelque chose à Ruth, en échange de ce rapt ?"

[Taliesin]

-Non. Je lui ai simplement expliqué que j'aimerais beaucoup qu'Alban s'amuse, pour une fois, qu'il soit un peu moins sérieux qu'à l'ordinaire. Elle a eu l'air de trouver cette perspective amusante et a accepté sans demander la moindre contrepartie. J'en ai été très heureux, sur le moment, mais à présent que je vous ai entendus... Je commence à avoir peur.
-Tu n'as sans doute pas tort de t'inquiéter. Mais tu dois t'amuser, toi aussi. Alors, oublie cette histoire. Hubert a dit qu'il interviendrait, en cas de besoin... On peut lui faire confiance.
-Je lui fais entière confiance, dit le chevalier en remplissant à nouveau sa coupe.

[Galathée]

" Mais enfin... Je lui ai juste dit qu'il allait sûrement parvenir à apprivoiser les demoiselles... Bon, je n'aurais pas forcément proposé Ruth comme premier sujet d'expérimentation... Mais... Ruth a reçu d'excellentes instructions... Elle sera donc... plus réceptive ? Non ? Peut-être pas ? Misère ! Vous croyez que je dois aller voir ? Déjà ?
— Les conseils étaient flous. Il pourrait en faire plus ou moins n'importe quoi.
— Si mes souvenirs sont bons, c'est la demoiselle qui doit infliger les morsures, pas le jeune homme. Il ne prendrait jamais une telle initiative... Robert ? N'est-ce pas ?"

[Taliesin]

-Alban ? Il ne la mordra jamais. Par contre, puisqu'il était tout fier à la perspective de pouvoir exhiber une cicatrice sur la fresque de Giovanni, j'en déduis qu'il pourrait chercher à se faire mordre... Dites, si vous m'expliquiez un peu ce que vous lui avez raconté ?
Il se tourna vers Marthe mais la juge, qui avait l'air de beaucoup s'amuser, ne lui vint absolument pas en aide. Le chevalier chercha alors le duo du regard : ils avaient rejoint les autres danseurs et, tandis que Ruth, délurée, se démenaiit déjà, Alban, toujours guindé, paraissait encore hésitant.

[Galathée]

" Je lui ai juste dit... commença Hubert, en suivant le regard de Robert. Qu'on récoltait parfois des cicatrices dans les... échanges avec le sexe opposé. Et qu'un chevalier ne pouvait pas éviter le combat... Quelque chose comme ça... Qu'il pourrait être fier des éventuelles balafres qu'il en retirerait... Mais tout ça, c'est de votre faute à tous les deux ! Vous m'avez contraint à exposer la vérité sur les galipettes marécageuses ! Les paladins ne mentent pas, vous le saviez !
— Ah oui ? Et les mantes religieuses, c'était un strict reflet de la réalité, peut-être ?
— Je voulais juste le mettre en garde de façon imagée... avant qu'il n'affronte son destin ! Si quelqu'un est capable de lui arracher la tête, c'est bien Ruth !"

[Taliesin]

-Si je résume, vous lui avez expliqué sans détour ce qui s'était passé pour Albérich et mon écuyer, avant de lui dire qu'en tant que futur chevalier, il devait ne point fuir ce genre de combat et être fier de ce qu'il récolterait... Le connaissant, sachant que le vin lui a fait de l'effet, je n'ose imaginer comment il va interpréter tout ça et ce qui en découlera...
Il fit la grimace... puis éclata de rire.
-Hubert, mon ami, j'ai l'honneur de vous annoncer qu'Alban est votre écuyer pour la soirée. Tout ce que je demande, c'est qu'il me soit rendu vivant et en un seul morceau. Pour le reste, je vous laisse gérer...
Marthe observait Robert avec attention et bienveillance. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais la referma finalement, préférant se fendre d'un sourire tranquille.
-Mais donc, nous avons Dansedunes en commun... continuait le chevalier à l'attention d'Albérich. Peut-être n'est-ce pas le seul lieu que nous avons tous deux visité...

[Galathée]

Albérich était impressionné par la manière dont Hubert avait réussi, tout seul comme un grand, à potentiellement gâcher sa propre soirée. Il espérait cependant que les choses ne tourneraient pas trop mal... Moins pour le paladin que pour Alban, qui semblait avoir grand besoin d'un peu de légèreté et de bonheur. Hubert, quant à lui, en prendrait peut-être de la graine. On pouvait toujours rêver.
Il nota aussi le regard que Marthe posa sur Robert, sourit doucement de contempler cette amitié — ou était-ce autre chose ? — le souci sincère de la juge pour le chevalier blessé. Il revint cependant rapidement à son interlocuteur.
" Je crains de n'avoir été à Dansedunes que parce que c'était le village natal d'un de mes amis. Je ne me suis pas attardé dans le delta... Je suis remonté par la Vallée du Nirvana sans passer par les grosses agglomérations, à l'exception de Sailorath. J'imagine que de votre côté, vous devez connaître bien des lieux en Hélonna...
— Peut-être Robert connaît-il ton village d'éleveurs de moutons... Combeloup."
Albérich se sentit légèrement vexé de voir Combeloup réduit à un village d'éleveurs de moutons, même si c'était en fait une description exacte de ce que c'était. Sans doute était-ce le ton désinvolte sur lequel Hubert en avait prononcé le nom...

[Taliesin]

-Le village est petit, mais sa famille seigneuriale appartient à la très vieille aristocratie hélonnienne et compte maints illustres personnages parmi ses ancêtres. Je connais sa généalogie, comme il sied à tout noble natif de la Vallée du Nirvana. Et si je n'ai jamais visité Combeloup, j'en ai beaucoup entendu parlé, ayant eu l'occasion de côtoyer un chevalier errant dont c'était la terre natale. Il m'a dit que les bois alentours abritaient une nymphe divinement belle...

[Galathée]

Cette fois, Albérich changea très ostensiblement de couleur. Hubert ne put s'empêcher de glousser.
" Et bien, c'est une chance qu'Alban soit parti." remarqua le paladin.
En réalité, ce n'était pas la mention de la nymphe qui avait troublé le Luménien, même s'il aurait eu mille raisons de l'être, mais bien celle du chevalier errant. A sa connaissance, seul son demi-frère Renaud était susceptible de correspondre à un tel profil. Et il se souvenait très bien des paroles d'Aubin, lui déclarant qu'ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Bien sûr, le barde était alors possédé par Noir Dessein, c'était peut-être un mensonge... Et aucun des Combelupins qui avaient fréquenté Renaud du temps où il vivait au village n'avait jamais fait mention de leur air de famille. Non, il n'y avait aucune raison que Robert se pose des questions.
" La nymphe est effectivement divinement belle. Bien que je doute que le divin ait quoi que ce soit à voir là-dedans."
Il s'enlisait. Que devait penser Marthe ? Il était en train de se tailler une réputation complètement fausse...

[Taliesin]

-Si je comprends bien, à Dansedunes, vous avez enlacé une habitante au milieu des roseaux, et à Combeloup, une nymphe vous a ouvert les bras en plein cœur des bois. Dès lors, deux grandes questions se posent : qui sera l'élue, au sein de la communauté ? Et où cela se passera-t-il ? Dans les marais ? Dans la cité ! Ah, nos jeunes séducteurs ont du souci à se faire, ils ont trouvé leur maître...
-Vous avez étreint une nymphe ? Vraiment ? Diantre, dire que je croyais avoir l'aventure galante la plus originale qui soit, avec ma nuit passée en compagnie d'une succube...
-Tu as couché avec une succube, Robert ?!
-Et bien, ahem...

[Galathée]

Hubert, qui lorgnait la piste de danse, presque concentré, se tourna vers eux avec une grimace éloquente.
" Misère. Heureusement qu'il y a un paladin pour relever la moralité de cette assemblée." fit-il.
Albérich n'osait pas imaginer quelle teinte de rouge il avait pris.
" Une succube, c'est pire qu'une nymphe, non ?" fit-il, sans réellement croire à son argument.
Hubert leva les yeux au ciel et retourna à sa surveillance.
" Dans les deux cas, c'était une sorte de remboursement... ajouta le Luménien, avant de réaliser l'énormité de ce qu'il venait de dire. Enfin... Je veux dire... Ce n'est pas du tout mon genre !"

[Taliesin]

-Reprenez-moi si je me trompe, mais donc, vous avez aidé ces... demoiselles... bien qu'elles ne soient pas votre genre, puis vous avez accepté leurs faveurs pour ne pas les vexer ? Quel homme généreux vous faites ! lança la juge en lui souriant.
-Vous allez bien, Albérich ? s'enquit Robert, prévenant. Encore un peu de vin, peut-être ? Franchement, vous n'avez pas à rougir de votre aventure avec une nymphe. Vous pouvez même en être fier, je crois. Ce n'était pas une créature démoniaque, contrairement à ma succube...
Sur la piste, confrontée à un Alban qui peinait toujours autant à se décoincer, Ruth l'abandonna quelques instants pour revenir avec une coupe à la main. Le paladin ne put déterminer ce qu'elle contenait, mais il nota que le gamin la vidait d'une traite.

[Galathée]

" Non, Marthe, vous n'avez pas compris, dit le Luménien en vidant sa propre coupe de vin. La première, la fille des marais, j'ai renversé son panier de grenouilles. Elle était furieuse ! Elle était prête à me... noyer dans le marais ! Ou pire ! Ou en fait... en fait, je ne sais plus ce dont elle m'a menacé, mais c'était grave ! Donc... elle a exigé... que je paie une amende, en quelque sorte..."
Il s'interrompit comme il réalisait qu'il était en train de dévoiler les détails les plus intimes de l'épisode à... une femme qu'il connaissait à peine.
" Je ferais mieux d'aller danser, je crois... fit-il en se levant. Ça m'évitera de raconter davantage d'horreurs."

[Taliesin]

Elle le retint doucement par le bras.
-Allons, Albérich, restez donc encore un peu avec nous. Je vous taquinais, et si vous n'aviez nul besoin de vous justifier, vous ne devez pas non plus avoir honte de ce que vous avez raconté. Ce n'étaient pas des horreurs, mais... des souvenirs, des tranches de vie. Est-ce un si grand mal si nous nous livrons tous un peu, avant le voyage qui nous attend ? Quand surviennent les épreuves, il est plus aisé de leur faire face si l'on est entouré de gens que l'on connaît..
-Et que devrais-je dire, moi qui ai lâché sans y prendre garde l'un des épisodes les plus lamentables de ma carrière ? Un chevalier, coucher avec une succube... Bien sûr, elle m'avait ensorcelé grâce à ses sortilèges démoniaques, mais cela n'en reste pas moins impardonnable. Si je n'étais pas finalement parvenu à la tuer, je me serais considéré à tout jamais comme étant indigne de mes pairs...

[Galathée]

Le chevalier avait manifestement besoin de s'épancher un rien sur la chose. Hubert, quant à lui, paraissait hypnotisé par les danseurs, et ne plus prêter la moindre attention à leur conversation. Albérich aurait bien aimé poser une question à Robert, sur la possibilité de se remettre de l'étreinte ultime, de trouver à nouveau de l'envie, du désir, du plaisir, avec un simple être humain... mais c'était pousser le bouchon un peu loin. Peut-être plus tard, quand ils seraient plus ivres encore, que Marthe serait loin, qu'il y aurait moins de lumière. Ou peut-être jamais. Il se rassit.
" C'est sûr que le panier de grenouilles ne rivalise pas avec la succube." commenta-t-il avec philosophie.
Il se tourna vers Marthe.
" Mais c'est votre tour ! Vous devez aussi nous révéler quelque chose ! Sinon, c'est... c'est vil."
Une fois encore, les mots avaient franchi ses lèvres avant qu'il ne prenne la mesure de leur inconvenance.

[Taliesin]

-J'aurais plutôt dit "inégalitaire", mais "vil" convient également, répondit-elle sans s'offusquer en rien. Que préférez-vous ? L'épisode durant lequel, encore toute jeune, j'ai enfermé un garçon dans une grange pour obtenir de lui ce que je voulais ? Celui où j'ai couché avec un accusé pour obtenir des aveux ?
Robert ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes, expression qui n'était pas sans rappeler celle qu'arborait bien souvent son écuyer.

[Galathée]

Albérich n'était pas moins surpris que Robert.
" Marthe, vous avez couché avec un accusé pour obtenir des aveux ?! Mais qu'est-ce que c'est que ça pour de la déontologie ?!"
Il était stupéfait mais non moins hilare.
" Est-ce que ça a marché ?"

[Taliesin]

-Ça a très bien marché, même. C'était il y a longtemps, au début de ma carrière. Un jour, une femme est venue me voir pour m'expliquer qu'elle avait été séduite par un jeune homme, qu'elle avait succombé à ses charmes et que, depuis, il menaçait de tout révéler à son mari si elle ne lui donnait pas argent et bijoux... Le souci, c'est que l'individu en question était un notable respecté, qu'ouvrir une enquête risquait de s'avérer difficile... Alors, j'ai décidé de le prendre à son propre jeu. Une semaine plus tard, il était dans mon lit, plus qu'à demi ivre. Au beau milieu d'étreintes passionnées, je me suis mise à le cuisiner et, à force, il a fini par cracher le morceau, révélant qu'il n'avait pas fait une mais plusieurs victimes, m'indiquant même où il cachait le butin qu'il ne pouvait revendre car trop reconnaissable... Je l'ai assuré que je le couvrirai, qu'il pourrait continuer, si cela l'amusait : l'amour rend aveugle, paraît-il... Dès le lendemain, j'envoyais la milice chez lui et confiais l'affaire à un autre juge. Ainsi ais-je eu la satisfaction de le voir jeté en prison et de savoir qu'il était conscient, pardonnez-moi l'expression, de s'être fait baiser. Ça a dû lui faire tout drôle...

[Galathée]

" Vous êtes retorse et déterminée à atteindre vos objectifs, Marthe ! Je tâcherai de ne jamais l'oublier ! s'exclama le Luménien. Mais je suis impressionné par le stratagème. Impressionné et effrayé, mais impressionné quand même."
Il secoua la tête.
" Quand je pense que vous avez essayé de nous convaincre que la gent masculine exerçait une mauvaise influence sur ce pauvre Alban, alors là ! Vous avez un sacré culot !"

[Taliesin]

-En plus, tu as dit un gros mot... fit Robert, qui avait manqué s'étrangler avec son vin en l'entendant.
-Ah merde, désolée.
Elle plaqua une main sur sa bouche.
-Oups, je crois que ça m'a à nouveau échappé...
Le chevalier donna l'impression qu'il allait s'évanouir.
-Sinon, Albérich, pour redevenir sérieuse un instant... Vous n'avez rien à craindre. J'avais des tendances tyrites à mes débuts, je le crains, et puisque c'était la seule solution pour démasquer cette crapule... Je n'ai plus été confrontée à semblable cas par la suite et, de toute manière, même si ça avait été le cas, je n'aurais pas usé de la même méthode : je m'étais mariée... Quant à votre dernière remarque, vous aurez noté que, contrairement à d'autre, j'ai attendu le départ d'Alban pour raconter ce genre d'histoires. Et que je ne l'ai pas incité, moi, à... hum... livrer un combat contre Ruth... N'est-ce pas, Hubert ? Allons, vous n'avez sans doute pas besoin de les surveiller en permanence... Jeter un regard toutes les trente secondes suffira...

[Galathée]

" Je ne suis qu'à moitié rassuré, dit Albérich avec une grimace. Mais je vais essayer de vous croire."
Il se tourna vers Hubert.
" Mais Marthe dit vrai sur une chose : c'est ton tour, Hubert ! Alban ne va pas s'évanouir en fumée dans les dix secondes qui viennent. Tu dois rétablir l'équilibre cosmique en nous racontant une anecdote du même calibre."
Le paladin se retourna vers eux.
" Je n'en ai pas." dit-il, légèrement embarrassé.
Ou peut-être tendu.
" Allons... A d'autres ! L'homme le plus courtisé de Solarcis !
— Non, c'est sérieux. Je n'en ai pas.
— Aucune ?
— Aucune.
— Tu n'es pas comique, franchement...
— Je fais pourtant de mon mieux."
Il y avait une lueur presque dangereuse dans le regard du paladin et Albérich, malgré son état passablement éméché, comprit alors qu'il ne devait pas insister. L'ancien capitaine tenta alors de sourire, sans y parvenir, et se leva.
" Je vais aller me chercher à boire." dit-il, avant de s'éloigner entre les tables.
Le Luménien demeura interdit. C'était une réaction qu'il n'avait absolument pas anticipée. Il se tourna vers les autres, embarrassé.
" Et bien, hum..."

[Taliesin]

Le chevalier, la mine désolée, se leva comme pour le rattraper, mais il s'immobilisa après seulement trois pas. Quant à Marthe, qui avait attentivement observé le paladin au cours des derniers instants, elle demeura parfaitement immobile.
-S'il n'est pas revenu dans cinq minutes, je vais le chercher. Ca soirée d'après tournoi lui a déjà été gâchée, je refuse qu'il en soit de même pour celle-ci...
-Il reviendra, ne t'en fais pas. Et je suis prête à parier qu'il sera d'excellente humeur. Au moins en apparence. Mais sans doute vaudrait-il mieux changer de sujet...
-Dommage, j'aurais beaucoup aimé entendre ton autre anecdote.
-Dans tes rêves, Robert. Tu n'as toi-même raconté qu'une seule histoire. Et encore, pas en détails...

[Galathée]

Albérich était mortifié. Il ne comprenait pas comment, alors qu’il fréquentait Hubert depuis plusieurs mois, il avait été incapable d’anticiper ce qui venait de se produire.
Etait-ce juste l’effet de l’alcool qui lui émoussait les sens et le jugement ? Ou bien connaissait-il si peu le paladin, finalement, qu’il n’avait jamais perçu la présence d’une faille à un endroit crucial ? Il avait l’impression d’être un piètre ami, alors que Robert s’était levé et que le visage de Marthe reflétait une empathie embarrassée.

Pourtant, il ne pouvait pas croire qu’Hubert n’ait rien à raconter. Etait-il possible qu’il ait décidé de se réserver pour la femme de sa vie ? Ça semblait complètement irréaliste, le paladin ne lui avait jamais donné l’impression d’accorder une importance particulière à ce genre de choses… Ou alors, il trouvait simplement impudique et grossier d’étaler ses prouesses en public… et a fortiori, devant des gens qu’ils venaient tout juste de rencontrer. Peut-être était-ce lié à Robert et à leur statut respectif. Peut-être pas. En vérité, Albérich était forcé d’admettre qu’il n’en avait aucune idée.

Certes, ils avaient parlé, depuis leur rencontre, et parlé de choses personnelles, mais chaque fois qu’ils avaient abordé des questions trop intimes, ils avaient fui, l’un et l’autre. Albérich en taisant ou éludant les choses — les Sharites, les retombées de sa captivité, la découverte de ses racines réelles —, Hubert en se braquant et coupant court à toute discussion. Parfois, le Luménien s’était dévoilé, mais jamais longtemps, jamais vraiment… Une fuite dans le barrage qu’on colmate rapidement. Il conservait la conviction qu’il pourrait s’ouvrir davantage à Hubert, mais jusqu’ici, il ne l’avait pas fait, et il savait que c’était à cause de la peur qui demeurait en lui-même, peur de perdre ce qui prend trop de valeur. En même temps, c’était un leurre. C’était trop tard. Mais ils s’étaient gardés, l’un et l’autre. Et donc, ce n’était pas si surprenant qu’il n’ait rien vu venir… Ce n’était réconfortant en rien.

Le silence s’était glissé à table, malgré les rires, les conversations et la musique autour d’eux, et Albérich peinait à trouver quelque chose à dire pour s’excuser, ou au contraire, pousser l’incident sous le tapis. Mais comme l’avait prévu Marthe, Hubert reparut, souriant, tranquille, avec une pinte de bière et une bouteille renfermant un liquide qui avait l’air doré.
« Mon ami, annonça-t-il en s’asseyant. Je t’ai déniché un hydromel qui m’a l’air particulièrement dans ton genre. On le flaire à trois mètres. »
L’ancien clerc se sentit encore plus honteux qu’une seconde plus tôt, mais le sourire du paladin était sincère et apaisant, et Albérich le lui rendit en lui tendant sa coupe. Hubert la lui remplit comme pour sceller quelque chose, et il se sentit mieux.
« Bon, est-ce qu'il y a un brasseur, parmi toutes les recrues ? Si non, il est encore temps d’aller en kidnapper un à Grand Estuaire… »

[Taliesin]

Les conseillers avaient souri en voyant revenir le paladin, et ils semblaient décidés à faire comme si rien ne s'était produit.
-Pas de brasseur dans nos rangs, malheureusement. Il nous faudra donc compter sur le ravitaillement et, entre les livraisons, sur l'eau de vie que ne manqueront pas de produire nos bouilleurs de crus amateurs...
-Parce que si nous enlevons l'un de leurs ressortissants, les autorités locales ne manqueront pas de nous envoyer la garde...
-Hum, réflexion faite, serait-ce une si mauvaise idée ? Un vrai combat, ce serait l'exercice parfait, avant notre grand voyage...

[Galathée]

" Nous ne sommes pas obligés d'en arriver là... Un bon maquillage de la scène et les gens penseront que nous avons convaincu le brasseur grâce à nos arguments irrésistibles. Après tout, ce ne serait pas le premier habitant de la ville qui aurait pris cette décision..."
Albérich ne parvenait pas vraiment à décoller les yeux de la surface ambrée de l'hydromel qui, comme l'avait annoncé Hubert, était particulièrement goûteux.
" Mais peut-être qu'à côté des fresques antiques qu'espère découvrir Maître Giovanni, nous trouverons de vieux tonneaux de breuvage délicieux, qui aura bonifié pendant des décennies..."

[Taliesin]

-Il n'est pas impossible que les anciens habitants aient dû laisser ce genre de chose derrière eux et que personne n'y ait touché depuis. Mais cela sera-t-il encore buvable, après des siècles ?
-Les alcools forts se conservent très longtemps. Mais les boissons plus douces, je ne saurais dire.
-Nous désignerons un goûteur. Et si c'est vraiment trop mauvais, nous n'aurons qu'à vendre ces raretés. Je suis sûr que des collectionneurs seraient prêts à dépenser des sommes incroyables pour les acquérir.
-Mais cela irait à l'encontre du projet de musée cher à nos instituteurs...
-Ah oui, le musée...
Les danseurs étaient beaucoup plus nombreux, à présent, et l'on ne parvenait plus à distinguer ni Alban ni Ruth parmi la foule.