[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Hubert de Maleval]

Le paladin eut un sourire.
" Je ne crains pas vos errances." dit-il d'un ton faussement sérieux.
Puis il la guida vers le centre de la piste, la fit pivoter et la prit par la taille. Comme il le lui avait déclaré, il n'était pas particulièrement inquiet de ses extravagances. Mais il tâcherait de les contrôler un rien, ne fût-ce que pour sa réputation à elle... Au pire, avec un peu de chance, les danses collectives commenceraient avant qu'elle n'ait succombé complètement à sa transe.

[Taliesin]

Mais, au final, cette cavalière-ci ne différait guère de toutes celles avec qui Hubert avait pu danser. Un peu trop tendue, peut-être. Un peu trop concentrée, comme si elle veillait à exécuter scrupuleusement des pas qu'elle connaissait surtout sur un plan théorique. Mais cela ne faisait pas pour autant d'elle une partenaire désagréable. Le paladin eut même l'impression que, petit à petit, les choses devenaient plus naturelles.
-Regardez-les, souffla Marthe à l'oreille d'Albérich, en désignant, d'un signe du menton, les deux institutrices et les deux combattants avec qui elles virevoltaient. La grande réconciliation entre les enseignants et les hommes d'épée. Non qu'il y ait réellement eu dissension, à ma connaissance. Néanmoins... Je vois cela comme un bon présage. Un signe montrant que l'unité sera toujours de mise au sein de notre communauté, quelles que soient les circonstances. Je croise les doigts pour qu'il en aille ainsi.

[Galathée]

Albérich sourit en repérant Hubert, puis revint à sa partenaire. Quel sérieux, tout à coup, avec ces grandes déclarations au milieu d'une danse ! Mais elle avait raison et ils formaient de beaux couples. Hubert avait montré patte blanche, le Luménien espérait que Rebecca apprécierait. Il doutait cependant que les institutrices retiennent longtemps leurs coups... Mais c'était une nuit de trêve et de réjouissances, il fallait en profiter.
" Nous sommes les seuls à demeurer sectaires, in fine..." remarqua-t-il en souriant.

[Taliesin]

-Étant assise à vos côtés, j'aurais été bien bête de me priver de l'honneur d'être votre première cavalière, et du plaisir de faire maintes jalouses... Mais rassurez-vous, j'ai eu l'occasion de danser avec tous nos chevaliers. Je crois même que la vieille dame que je suis n'a pas été sans impressionner quelque peu nos jeunes seigneurs...
Son regard se porta par-dessus l'épaule du Luménien, et elle sourit.
-Ah, et en voilà un qui m'impressionne, moi... C'est juste dommage qu'il ait fallu l'enivrer pour qu'il se laisse un peu aller...
Lorsqu'ils tournèrent l'un autour de l'autre, Albérich put comprendre de qui elle parlait : il s'agissait d'Alban. Il était réapparu et dansait en compagnie de Ruth. Sa timidité semblait un lointain souvenir, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'en sortait très bien.

[Galathée]

Pendant un instant, Albérich pensa qu'elle parlait de Robert — sans doute une idée fixe dont il aurait du mal à se débarrasser —, mais il finit par repérer Alban et Ruth. Il connaissait mal les deux enfants, c'était surtout Hubert qui les avait fréquentés dans le décours du tournoi, mais la mine éternellement sérieuse de l'écuyer devait certainement inquiéter les adultes qui en avaient la charge.
" On ne peut présumer de l'adulte qu'il sera à partir de son tempérament d'aujourd'hui, murmura le Luménien. Que l'alcool le rende déluré plutôt que misérable est plutôt un bon signe, je dirais..."
Le Luménien vit qu'Hubert avait également aperçu le duo et un sourire bienveillant passa un instant sur les lèvres du paladin.

[Taliesin]

-Je pense aussi, répondit-elle.
Quelques minutes plus tard, les bardes furent rejoints, sur l'estrade, par plusieurs membres de l'expédition munis de leurs propres instruments - des percussions, surtout. La musique commença à se faire plus endiablée, et c'est à ce moment que débutèrent les danses collectives. Alors, la place du campement ressembla trait pour trait à celle d'un village, un soir de fête et, si l'on exceptait le fait que les bâtiments environnants soient faits de toile, rien ne pouvait laisser soupçonner que tous ces gens en train de s'amuser dans une ambiance bon enfant étaient sur le point d'entamer un périple que d'aucuns jugeaient suicidaire.

[Galathée]

Albérich s'abandonna à la fête comme n'importe lequel des colons, peut-être plus conscient du caractère cathartique de l'événement que la plupart, mais peut-être pas. Il ne connaissait pas la moitié des danses qui s'enchaînèrent, mais il y avait toujours une personne serviable pour lui expliquer les pas en trois minutes, et il apprenait globalement vite. Hubert paraissait s'intégrer à la dynamique avec autant de facilité que son ami, et ils se croisèrent une fois ou l'autre, pour s'échanger une partenaire, au hasard des pas et des mouvements. Il était tard, cependant, et le Luménien commença, dans les brumes de sa fatigue, à s'interroger sur le sérieux de prolonger encore les agapes. Cela dit, ce n'était pas son rôle de s'en inquiéter, et il n'avait pas forcément envie que les choses prennent fin. Aussi décida-t-il de se fier aux conseillers, sans arrière-pensée.

[Taliesin]

Lentement mais sûrement, les festivités s'acheminaient vers leur terme. Cependant, il semblait que celui-ci ne doive pas intervenir immédiatement. Certes, lorsque l'on repassa aux danses en duo, seuls les plus acharnés s'attardèrent sur la piste. Mais les autres, la plupart du moins, ne regagnèrent pas leurs tentes, préférant retrouver leurs places à table pour boire un dernier verre et bavarder encore un peu. Tel fut le cas pour Robert et Marthe qui ne paraissaient guère s'inquiéter de l'heure. Peut-être n'était-il pas aussi tard qu'on aurait pu le croire, d'ailleurs : les réjouissances avaient commencé au coucher du soleil, après tout et, vu la saison, celui-ci intervenait relativement tôt...

[Galathée]

Albérich s'arrêta de danser au moment du changement de style musical. Il avait vaguement mal aux pieds, la tête un peu légère et il avait soif, aussi se mit-il en quête d'eau. Sans doute se récolterait-il une raillerie ou l'autre, mais il était sage de commencer à penser au lendemain. Une fois un cruchon localisé, il en descendit trois coupes, avant de scruter la compagnie à la recherche d'un point de chute. Il n'avait surtout pas envie de déranger Marthe et Robert, et de son côté, Hubert paraissait désireux de rattraper son arrivée tardive sur la piste : il y était encore, enchaînant les danses sans manifester le moindre signe de fatigue.

[Taliesin]

A voir la manière dont les groupes se faisaient et se défaisaient, dont les gens passaient de l'un à l'autre, Albérich comprit rapidement que les interlocuteurs potentiels ne manquaient pas et que ceux qui souhaitaient ne pas être dérangés allaient se placer à l'écart - ils étaient rares. Il pouvait donc rejoindre, sans risque de commettre d'impaire, la juge et le chevalier, auxquels s'était ajoutée Agnès. Plus loin, un autre noyau dur était constitué d’Étienne, de Louis et de Gaspard. Il nota enfin qu'Agathe et Philibert devisaient tranquillement avec Ignace, une coupe à la main.

[Galathée]

Albérich se voyait mal débarquer au milieu des trois jeunes chevaliers, auxquels il n'aurait assurément rien eu à raconter ; il hésita donc entre rejoindre les instituteurs et l'intendant, ou les trois conseillers. Mais ces derniers échangeaient peut-être des informations privées, réservées à leur sphère de pouvoir, et il n'avait nul envie d'aller s'imposer dans des lieux où il n'avait pas de place. Les paroles des novices du temple solarcien lui revinrent en mémoire, leurs extrapolations sur ses intentions une fois sur la route, extravagantes mais tournant toutes autour du même point : diriger quelque chose, quelque part. Or, il ne voulait pas que les gens se méprennent ainsi sur ses projets, qu'ils craignent pour leur position légitime, qu'ils l'imaginent à l'affût d'un rôle qu'il ne convoitait pas, en réalité. Albérich aimait croire qu'il n'était entré en politique que parce que ça avait été nécessaire, à certains endroits, à certains moments, parce qu'il était qualifié, motivé, capable, et parce qu'il n'y avait personne d'autre pour le faire. La communauté n'avait nul besoin de son intervention, elle était magnifiquement servie, déjà.
Il obliqua donc vers Agathe, Philibert et Ignace, non sans chercher des yeux Rebecca. Etait-il possible qu'elle soit retournée vers Hubert ? Il aurait imaginé le paladin plus prudent, mais après tout, il n'était plus à une surprise près...

[Taliesin]

Le groupe qu'il venait de rejoindre parlait des modalités de la distribution des livres aux enfants de la communauté.
-J'espère que ça aidera à les faire tenir tranquilles, disait Ignace. Parce que cette fois, il ne sera pas possible de les laisser courir à côté de la colonne pour les défouler : ils seront enfermés dans les chariots de l'aube au crépuscule, ce qui promet d'être éprouvant pour les adultes qui voyageront avec eux.
-Je plains ces malheureux ! Mais cela ne suffit pas à me faire culpabiliser... Non, décidément, ce périple constituera pour nous de véritables vacances.
-Vous ne voulez même pas essayer de mettre en place une classe du soir ?
-Certainement pas. Les gosses seront si déchaînés qu'il sera alors impossible de les garder assis ne serait-ce que quelques secondes.

[Galathée]

" Il faudra trouver une manière de canaliser toute cette énergie, je suppose, sinon nous aurons des problèmes, dit Albérich avec une grimace. Les soirs où le lieu de campement le permet, des jeux, des courses, que sais-je, devraient permettre d'évacuer une partie de la tension."
Il ne put s'empêcher de songer aux exercices physiques imposés aux novices du temple, Lathandre étant le dieu de la jeunesse et de la perfection de soi, corps compris. Lui-même avait rapidement réduit les heures passées à courir ou sauter, mais des plateformes avaient été aménagées sur les toits du sanctuaire pour accueillir les athlètes en herbe, il y avait une grande salle adaptée derrière le réfectoire, et les Eveillés connaissaient par coeur le parcours imposé dans les Jardins, qu'ils devaient effectuer deux à trois fois chaque jour par beau temps. Sans doute aurait-il pu, à cet égard, se proposer pour défouler les enfants en fin de journée mais... mais il y avait un clerc lathandrite parmi eux. Il songea d'ailleurs qu'il ne lui avait même pas encore adressé la parole depuis son arrivée au campement, ce qui constituait sans doute une sorte de faux pas. Par acquis de conscience, aidé par sa fatigue et une fin d'ivresse, il chercha l'homme en question du regard, tout en suivant la conversation.

[Taliesin]

Il n'eut aucun mal a le repérer : il faut dire que son aube bouton d'or faisait de lui, sans doute aucun, le membre de la communauté le plus immédiatement reconnaissable. Le jeune homme blond, grand et athlétique, était lancé dans une danse furieuse avec une jolie jeune femme. A voir l'énergie que tous deux dépensaient sans compter, il y avait fort à parier qu'ils n'étaient pas encore près de quitter la piste...
Quant à Ignace et aux instituteurs, après avoir acquiescé aux paroles d'Albérich, ils convinrent que le mieux, pour distribuer les romans, serait de faire le tour des chariots juste avant le départ. On couplerait l'opération à l'indispensable recensement grâce auquel on s'assurerait, une ultime fois, que personne ne manquait à l'appel...

[Galathée]

En observant le jeune Lathandrite, Albérich se sentit brusquement vidé de toute énergie, mesurant la distance qu'il existait aujourd'hui entre ce qu'il était, ce qu'il aurait dû être et ce qu'il avait été. Peut-être qu'Elisa avait raison, somme toute, qu'il avait été piégé sur une voie qui ne lui avait jamais convenu. Il n'avait jamais été aussi flamboyant que ce garçon dont il ne connaissait même pas le nom, en tout cas. Cela n'avait pas été nécessaire, bien sûr. Mais il était conscient d'être trop fatigué pour s'appesantir sur ce genre de choses. Il laissa son regard passer sur Hubert. Celui-ci semblait changer de partenaire à chaque danse, sans doute une décision consciente, histoire de ne donner d'espoir à personne. Il lorgna une seconde Robert, Agnès et Marthe, essaya de deviner ce dont ils parlaient, renonça, en revint à ses compagnons présents, et se proposa pour les aider à la distribution du lendemain matin.

[Taliesin]

L'objectif étant de partir le plus tôt possible le lendemain matin, son offre fut immédiatement acceptée, et Ignace lui demanda s'il accepterait, en plus de distribuer les romans, de faire l'appel pour les chariots près desquels il devrait se rendre.
Quelques instants plus tard retentit une salve nourrie d'applaudissements : parvenus au terme d'un morceau particulièrement joyeux, les bardes s'étaient inclinés, signe que le représentation venait de prendre fin. Peut-être avaient-ils reçu des consignes, à moins qu'ils ne soient tout simplement fatigués : il faut dire qu'en dehors de pauses très courtes pour vider une coupe ou manger un morceau, ils ne s'étaient pas interrompus depuis des heures.
Les danseurs, dont Hubert et le Lathandrite, prirent alors la direction des tables, tandis que des convives se levaient déjà pour aller démonter l'estrade.

[Galathée]

Albérich hésitait à aller donner un coup de main au démontage, mais Hubert venait dans sa direction. Il avait le sourire aux lèvres, le front couvert de sueur, et le Luménien devina que la soirée se terminerait par un bain de mer. Il attrapa une coupe qu'il remplit d'eau et la lui tendit au moment où il le rejoignait. Le paladin se laissa tomber sur un banc avec une expression d'épuisement théâtrale.
" Bien dansé ? demanda Albérich.
— Comme si c'était la dernière fois." répondit Hubert avec un clin d'oeil, avant de vider la coupe et de la reposer sur la table.
Le Luménien ne put s'empêcher de grimacer, amusé malgré lui, tandis que le paladin bâillait entre ses paumes.

[Taliesin]

-J'espère bien que ce n'était pas le dernière fois, lança Agathe. Une seule danse avec vous, ça n'est pas assez ! Je réserve donc ma place pour la prochaine soirée, à savoir celle qui célébrera notre arrivée dans la cité...
Agnès quitta le chevalier et la juge pour se porter auprès du Lathandrite qui se servait non de l'eau, mais bien du vin. Elle parut le tancer avec sévérité, et le jeune homme réagit en lui adressant un sourire désarmant et en vidant sa coupe d'une traite.

[Galathée]

Albérich suivit le manège de l'Ilmate et du Lathandrite avec un sourire un peu désabusé. C'était une expression typique, presque caricaturale, de leur foi respective. Hubert s'étira sur le banc et déroula ses épaules.
" Rendez-vous est pris, Agathe : je vous réserve la première danse. Mais je suis flatté que vous ayez encore envie de danser avec moi après être passée dans les bras autrement plus experts de Robert."
Le Luménien songea de son côté que le jeune clerc de l'aube avait probablement l'intention d'esquiver les retombées de ses excès d'une petite prière bien placée. L'alcool était un poison et les novices étaient toujours particulièrement motivés par l'apprentissage des sortilèges correspondants...

[Taliesin]

-Robert, lui, m'a accordé une demi-douzaine de danses. Au bas mot...
L'Ilmate continuait à sermonner le jeune clerc, sans que cela produise le moindre effet sur ce dernier. Pire, il fit même mine de se servir à nouveau. Elle lui saisit alors le bras et ils l'entendirent tous, très distinctement, le traiter de "crétin irresponsable". Toujours souriant, le Lathandrite se leva et, sans crier gare, lui planta un baiser sur la joue. Il s'éloigna ensuite pour rejoindre le vieux Chauntéen qui s'était mis à circuler parmi l'assemblée, peut-être pour repérer ceux qui semblaient le plus éméchés. Quant à Agnès, elle demeura immobile, le teint empourpré. De colère ? D'embarras ? Bien malin celui qui aurait su le dire...
-Ah, ces deux là... fit Agathe, amusée.
-Je m'étonne qu'ils n'aient pas profité du tournoi pour se taper dessus en toute quiétude... soupira Ignace.

[Galathée]

" L'amour commence toujours par une bagarre." répéta Hubert, d'un ton docte, le sourire aux lèvres.
Il se resservit une coupe d'eau fraîche puis leva les yeux sur Albérich.
« Je vais aller me coucher. Je serai sur le pont toute la journée demain, et une partie de la nuit. Et sans doute pendant plus d’une veille. »
Le Luménien acquiesça. Hubert le dévisagea une seconde, pinça les lèvres.
« Tu viens ?
— Je comptais donner un coup de main pour le rangement...
— Je vais aller prendre un bol de mer. On se retrouve à la tente.
— Ça marche."
Le paladin se leva.
" Gentes dames, messires, je vous souhaite la bonne nuit."

[Taliesin]

L'on parlait, l'on mangeait et l'on buvait encore - de l'eau - à certaines tables, notamment à celle où étaient installés les bardes. Cependant, la majorité des convives étaient en train soit de regagner leurs pénates, soit de participer au rangement. L'estrade ayant disparu, les efforts consistaient surtout à déplacer bancs, tréteaux et planches de bois. Évidemment, le concours de l'ancien aubemestre fut le bienvenue. Les trois clercs, pour leur part, consultèrent la liste qu'ils venaient d'établir puis s'éloignèrent, sans doute pour aller préparer quelque décoction anti gueule de bois.
Quant à Hubert, il n'était pas le seul à souhaiter se rafraichir : d'anciens danseurs étaient déjà sur la plage, ainsi que plusieurs personnes titubantes... Aucun risque de noyade, cependant : l'on veillait au grain.

[Galathée]

Albérich arriva à leur tente quelques secondes avant Hubert. Ce dernier remontait de la plage, sa chemise sur l'épaule, vêtu de sa tunique de nuit. Il avait l'air d'excellente humeur, toujours, et le Luménien se demanda si ce mépris de la froidure était également une capacité liée à sa vocation. Ils se glissèrent dans la tente, Hubert alla droit sous sa couverture tandis qu'Albérich se changeait rapidement, dans le noir. Une fois qu'il se fut calfeutré à son tour, il poussa un bref soupir. C'était le moment de prendre le taureau par les cornes.
« Hubert, je voulais te présenter mes excuses pour tout à l’heure.
— Ne t’excuse pas, je ne sais pas pourquoi j’ai réagi aussi mal.
— Néanmoins… Je m’en veux de ne pas avoir pu… prévenir… cet épisode.
— Je ne t’en ai pas donné les moyens. »
Albérich acquiesça. Ils demeurèrent silencieux et le Luménien comprit qu’il n’élaborerait pas et qu’il ne dirait rien des raisons de son malaise. Or le paladin était seul maître de ses secrets et s’il n’entendait pas les livrer, l’ancien clerc ne pouvait rien y faire. Il songea avec amertume à ces temps révolus où il inspirait confiance et où il recueillait les confidences des fidèles, mais aussi des autres clercs, sans avoir grand chose à faire sinon être là, simplement. Garde-Pensée. C’était le surnom que lui avaient donné ses pairs, car il ne disait jamais rien de ce qu’il avait récolté. Jamais. Le mystère des confessions intimes. Plus personne ne venait à lui avec ce genre de déclarations, désormais. Bien sûr, Lathandre l’avait déserté, mais plus encore, il avait perdu sa sérénité tranquille, cette acceptation sincère et bienveillante, ce souci réel de l’autre… L’empathie. Il était déçu qu’Hubert ne lui dise rien, mais il ne pouvait que l’accepter. Il espérait que l'ancien capitaine trouverait une oreille compatissante ailleurs, tout en le regrettant. C’était stupide, mais c’était ainsi.
« Je suis désolé de t’avoir mis mal à l’aise, dit alors le paladin.
— C’est moi qui ai commis l’impair.
— Mais tu ne pouvais pas savoir.
— Est-ce que tu veux me dire quelque chose ? » demanda alors Albérich, remisant sa réserve.
Le paladin demeura silencieux. Le Luménien avait l’impression de pouvoir entendre ses pensées, grincer dans son crâne, à moins d’un mètre.
« Non. » dit-il finalement.
Albérich ne put s’empêcher de soupirer.
« Il n’y a rien à dire, ajouta le paladin. Mes histoires ne sont pas intéressantes, c’est tout. Je n’ai jamais couché avec une nymphe ou une succube. J’ai juste couché avec des êtres humains. Consentants. Sans rien d’inouï, de graveleux ou de comique. Je n’avais pas envie d’en parler. »
Le Luménien se coucha sur le dos, lorgnant les ténèbres de toile au dessus de lui.
« Je comprends. »
Sans doute manquait-il de conviction, car Hubert relâcha sa respiration.
« Je comprends vraiment. C’était stupide de toute façon. Je n’avais pas non plus l’intention de m’épancher. Tout ça, c’est de la faute de Robert, des grenouilles et des mantes religieuses. »
Le paladin rit.
« J’ai retrouvé Alban sur la plage, tout à l'heure. Il essayait de convaincre Ruth de le mordre.
— Quoi ?!
— Je te jure. Pour avoir une belle cicatrice comme la tienne. Mais elle n’est pas née de la dernière pluie, cette petite. Elle lui a fait prendre un bain de mer pour lui remettre les idées en place. »
Albérich rit à son tour.
« Tu as eu de la chance.
— C’est surtout lui qui a eu de la chance.
— Certes. »
Le silence revint se glisser entre eux, mais le Luménien ne pouvait s’empêcher de sourire. Il se sentait léger. Encore un peu ivre, sans doute. Fatigué. Bien.
« Hubert.
— Albérich. »
Ils avaient parlé en même temps.
« Nous survivrons à ce périple.
— Je sais. Je sais bien, ne t'en fais pas.
— Alors ça va... Tu voulais dire autre chose ?
— Non. Rien. Bonne nuit.
— Toi aussi. »
Albérich soupira doucement, releva sa couverture jusqu’à son menton et glissa presque aussitôt dans le sommeil, profitant peut-être pour la dernière fois avant un long moment, de l'aura apaisante de son ami.

[Taliesin]

-Debout là-dedans !
La voix d'Edgar, tonitruante, martiale, arracha instantanément Albérich et Hubert au profond sommeil dans lequel ils étaient plongés.
-Mon capitaine, on vous attend pour un petit-déjeuner d'état-major ! Messire Megrall, les instituteurs vous mandent pour un petit déjeuner... heu... scolaire ? En tout cas, il semble que vous ayez à discuter de distribution de livres et de faire l'appel...
Du dehors provenait une faible lueur grise : l'aube devait tout juste poindre.

[Galathée]

Hubert émergea le premier et sortit de la tente dans l'aube grise. Albérich mit nettement plus de temps à s'extirper de ses couvertures : il faisait polaire, et il était justement en train de faire un rêve particulièrement agréable... qui s'était déchiré au son des cris d'Edgar et dont il avait déjà tout oublié. Pestant, il se mit à le recherche d'une chemise dans le fatras qu'ils avaient laissé en se couchant la veille. Mais, bonne nouvelle, il n'avait absolument pas mal à la tête.
" Avons-nous le temps de démonter la tente ?" demandait Hubert, à l'extérieur.

[Taliesin]

-Bien sûr, mon capitaine. C'est justement pour cela que j'ai pris soin de vous réveiller en premier : les autres membres de l'expédition, eux, auront un peu plus de temps pour s'occuper de ça.
L'instructeur recula d'un pas.
-Bon, je vous laisse, je dois reprendre ma tournée et ainsi me gagner un surcroît de popularité...Je vous dis à tout à l'heure !
Sur ce, il s'éloigna vers la tente voisine, prenant déjà une profonde inspiration pour jouer à nouveau les clairons.

[Galathée]

Hubert reparut à l'intérieur et décocha une grimace à Albérich.
" Misère, il m'appelle mon capitaine et il s'est remis à me vouvoyer... Quelle plaie !"
Albérich terminait de s'habiller et il commença à ranger leurs affaires.
" Cela me fait penser que je ne t'ai pas félicité pour ta promotion." dit l'ancien clerc.
Le paladin sourit et s'attaqua à son propre paquetage.
" Les jours à venir vont être chargés, mais je trouverai le moyen de venir t'ennuyer de temps en temps.
— Tu sais où je me cacherai. Et j'ai vu que tu avais pris le temps de te rabibocher avec les institutrices. C'est bien.
— Tu ne m'as pas laissé le choix !
— Je ne sais pas, tu aurais pu décider de m'éviter tout le trajet, moi aussi.
— Tu es bête. Allez, dépêche-toi, sinon j'abats la tente sur ta tête."
Dès qu'ils en eurent terminé, ils sortirent à l'extérieur, et entreprirent de replier la toile et ses piquets. Hubert était pressé, Albérich encore à moitié endormi, mais la chose fut rapidement réglée. Ils demeurèrent ensuite un instant silencieux, observant le campement qui disparaissait peu à peu sous leurs yeux.
" Bon... Faut que j'y aille..." dit le paladin, finalement.
Le Luménien acquiesça, un peu absent.
" Bonne journée à toi. Nous nous croiserons sûrement à un moment ou un autre.
— Sûrement oui. Bon travail.
— Merci."
Ils se dévisagèrent une seconde, dans la pénombre, Hubert sourit et pressa l'épaule de l'ancien clerc.
" Misère, Albérich, ne fais pas cette tête !
— Quelle tête ?
— Cette tête-là. Comme si tu allais à ton propre enterrement.
— Je vais dans les Landes.
— Et tu en reviendras !"
Le paladin secoua la tête, le Luménien esquissa un sourire embarrassé.
" File.
— Oui.
— A bientôt."
Sur un geste de salut, Hubert fit volte-face, emportant la tente et son sac vers la réunion d'état-major. Albérich soupira, les poings sur les hanches, puis prit ses propres affaires et se mit en quête des instituteurs. Il se sentait complètement déphasé, un peu mélancolique, vaguement tendu, mais une bonne tasse de thé solutionnerait sans doute tout ça.

[Taliesin]

Le thé était corsé, et les viennoiseries ne manquaient pas, quoiqu'elles datent de la vielle - le boulanger avait déjà dû fermer boutique. Quant aux instituteurs, encore à moité endormis, ils avaient entrepris de se répartir les chariots, de se distribuer les feuilles d'appel ainsi que des listes indiquant à quel gamin était destiné quel roman. Cependant, l'opération n'étant prévue que pour dans une ou deux heures, ils avaient encore du temps pour émerger.

***

Du côté des officiers, la réunion proprement dite ne dura pas plus de quelques minutes : chacun savait ce qu'il avait à faire, et il n'y avait pour ainsi dire aucune nouveauté à évoquer. Toutefois, le paladin apprit qu'il assurerait le commandement de l'avant de la colonne, c'est-à-dire la partie où se trouveraient les colons, et qu'il aurait sous ses ordres, outre Edgar, Etienne, Louis et le sieur Guillermo. Robert, lui, se chargerait du train de bagages. Il sembla à Hubert que le chevalier était sinon inquiet, du moins préoccupé. Mais quel que soit le motif de ce sentiment, il n'en parla pas.

[Hubert de Maleval]

A présent que les choses sérieuses étaient sur le point de débuter, les réflexes professionnels d'Hubert remontaient à la surface, renvoyant hésitations et autres réserves aux oubliettes. Robert paraissait inquiet et si c'était lié à l'expédition, il fallait qu'il sache pourquoi. Il profita donc de la fin de la réunion pour se porter à hauteur du chevalier.
" Pardonnez-moi si je me montre indiscret, Robert, mais vous avez l'air tendu. S'agit-il juste d'une nervosité légitime à l'idée de ce qui nous attend, ou est-il quelque chose dont vous devriez m'informer ?"
C'était direct, mais c'était nécessaire. Robert l'avait choisi comme second et Hubert entendait se comporter comme tel. Un homme de confiance, sur lequel il devait oser s'appuyer, absolument.

[Taliesin]

-Les éclaireurs ont repéré un millier de zombies sur la route, répondit Robert de but en blanc.
Puis il sourit.
-Non, aucun souci d'aucune sorte lié à notre expédition, Hubert. Vous n'avez pas à vous en faire. J'ai juste un écuyer furibond sur les bras, et les solutions auxquelles j'avais pensé ne l'ont en rien apaisé. Mais il s'agit là de broutilles dont ni vous ni moi n'avons le temps de nous préoccuper pour l'instant.
Il acheva de boire sa troisième tasse de thé consécutive.
-Si vous en êtes d'accord, je propose que nous nous retrouvions à intervalles réguliers au centre de la colonne, pour échanger des nouvelles. Et si les éclaireurs vous transmettent la moindre information d'importance, si quoi que ce soit se produit dans votre secteur, n'hésitez pas à m'envoyer un messager : nous nous rejoindrons alors au même endroit.