[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Hubert de Maleval]

" Très bien, nous procéderons ainsi, ça me semble parfait."
Mais il ne put s'empêcher de revenir à ce que le chevalier venait de mentionner. C'était peut-être une broutille, mais cela le travaillait, et s'il n'était pas complètement concentré sur la tâche à venir, ils prenaient des risques avant même de démarrer. La traversée des Landes serait souvent monotone, et c'était dans ces moments que la vigilance s'émoussait et prêtait flanc à toutes les ruminations...
" Mais... je devine que j'ai quelque responsabilité dans l'humeur massacrante d'Alban. Voulez-vous que j'aille rapidement lui parler ?"

[Taliesin]

-Mais... Vous n'y êtes absolument pour rien, Hubert. S'il est furieux, c'est parce qu'il ne peut pas m'accompagner. Les autres écuyers disposent de leur propre cheval, ce qui n'est pas son cas, et je ne peux le prendre en permanence sur le mien, puisque je devrai sans cesse cavaler de-ci, de-là... Il doit donc rester dans un chariot, ce qui ne lui plait évidemment pas. Je regrette qu'il le prenne si mal, bien sûr. Mais il n'y a pas d'autre solution et, au moins, je serai tranquille quant à sa sécurité.
Il tendit une liasse de parchemin à Hubert.
-Chacun correspond à l'un des chariots, lesquels sont numérotés selon leur ordre de marche. Sont indiqués le nom des cochers et de chaque occupant; Si vous n'aurez pas à faire l'appel en cours de journée, je trouvais préférable que vous sachiez qui se trouve où.

[Hubert de Maleval]

" Je pourrais donner un de nos chevaux excédentaires à Alban, si vous le jugez prudent... dit le paladin avec une grimace. Mais j'imagine que vous les avez déjà affectés ailleurs, en fait. Il s'en remettra, je suppose. Et c'est sûr que c'est moins risqué comme ça."
Il haussa les épaules et prit les parchemins.
" Bon. Merci pour ça. Je vais aller superviser la mise en route, si vous en avez terminé avec moi."

[Taliesin]

-Effectivement, tous les chevaux disponibles ont été attribués aux patrouilleurs qui seront chargés d'aller et de venir le long de la colonne... Pour le reste, nos compagnons ne prendront dans les chariots qu'une demi-heure avant le départ. Pour l'instant, ils replient leurs tentes ou les chargent dans leurs chariots. Quant à nos hommes, ils s'équipent tout en profitant de leurs derniers instants de répit, tandis que les palefreniers s'empressent de seller les chevaux afin que les écuries puissent être démontées au plus vite. Bref, n'hésitez pas à vous reposer encore un moment : vous n'en aurez bientôt plus le loisir, je le crains...

[Hubert de Maleval]

" Je viens de dormir comme un loir ! s'exclama-t-il. Mais ce n'est pas grave. Je vais me familiariser avec l'ordre de marche, ça m'évitera de devoir fouiner dans de la paperasse en selle... A tout à l'heure, Robert. Profitez bien, vous aussi, de ces derniers instants. Et n'hésitez pas à vous reposer sur moi au besoin... Vous ne devez pas hésiter, je suis là pour ça."
Le paladin avait l'intention de s'équiper, lui aussi. Il ne monterait pas en harnois, mais il devait revêtir sa cotte de mailles et vérifier que le palefrenier s'en tirerait pour charger le reste de son matériel sur Grand Vent. Cela lui rappela qu'il avait promis de veiller sur le jeune Arnaud à l'aubergiste de Grand Estuaire. La liste des gens sur lesquels il devait garder un oeil s'allongeait dangereusement. En même temps, en lui confiant la partie peuplée de la colonne, Robert avait de fait mis tout le monde sous sa responsabilité. Hubert ne parvenait pas à s'en inquiéter. Il était même plutôt galvanisé par le retour de ces responsabilités. Mais il n'était pas stupide et savait qu'il ne devait pas se relâcher. La réputation des Landes n'était pas usurpée, c'était une région dangereuse, meurtrière, même, et si les premiers jours seraient peut-être monotones, il ne doutait pas qu'il devrait se battre assez rapidement.
Mais il avait une autre priorité : prier Lathandre. Il ne pouvait plus surseoir à cette obligation, sous peine d'être diminué face à l'ennemi. Une fois hors de la tente d'état-major, il se mit donc en quête d'un endroit tranquille où il pourrait, un moment, communier avec son dieu.

[Taliesin]

Ce ne fut pas une mince affaire : le camp grouillait littéralement d'activité, des gens s'affairaient autour des tentes, les vidant de leur contenu puis les démontant avec promptitude avant de charrier bagages et toiles repliées jusqu'au terrain d'entraînement. Il fallut donc au paladin gagner la grève, totalement déserte : le ciel étant couvert, on ne devinait le soleil fraîchement levé que grâce à une portion légèrement plus claire des nuages gris qui avaient envahi le firmament.

***

Albérich et les instituteurs devisaient tranquillement à table lorsqu'Ignace survint, invitant les convives à se hâter : l'heure était venue pour la cantine de disparaître. La nouvelle arracha des plaintes aux bardes, arrivés depuis peu, qui arguèrent qu'il était inhumain de les obliger à se presser alors qu'on les avait exploités jusque tard dans la nuit. Il s'agissait bien sûr de boutades, et ils se levèrent comme tous les autres.
L'ancien clerc et ses futures compagnons de voyage aidèrent la où ils le purent, mais l'organisation était à ce point rodée que tout alla très vite. Bientôt, il ne resta plus grand chose du campement, sinon une vaste étendue d'herbe foulée et, de-ci, de-là, quelques édifices de toile en train de se volatiliser.

[Galathée]

La conversation des instituteurs, ainsi qu'un thé corsé, avaient permis à Albérich de reprendre pied dans cette matinée chahutée, tempérant son angoisse insidieuse et l'arrachant aux dernières brumes de la nuit. Il avait accusé réception de sa liste, de ses bouquins et de ses chariots. A présent que l'intendance avait disparu, sans doute ne tarderaient-ils plus trop à embarquer. De loin, le Luménien vit Hubert revenir de la plage, la mine sérieuse, probablement déjà plongé dans mille réflexions sécuritaires. Il lui sembla que le paladin était légèrement auréolé de lumière. Peut-être une illusion, peut-être le relent d'une perception d'aura ancienne. Il devait avoir prié, simplement, et il restait encore l'empreinte de son contact avec le divin dans l'air. Il se dirigeait vers les chevaux qu'on avait sortis des écuries pour pouvoir démonter celles-ci. Sa cotte de mailles luisait légèrement sous son tabard poussiéreux et, malgré lui, le Luménien frissonna. Il décida d'emboîter le pas à ses compagnons dès qu'ils se mettraient en mouvement. Il n'avait aucune envie d'aller dans les Landes, mais puisqu'il avait signé... autant partir au plus vite. Toute cette attente lui portait sur les nerfs.

[Taliesin]

Bientôt, un message commença à circuler parmi les membres de l'expédition : il fallait gagner les chariots. Tout le monde commença donc à converger, en groupes plus ou moins importants, en direction de ce qui avait été le terrain d'entraînement.
-Nous allons bientôt entrer en scène, fit Rebecca, son paquet de livres sous le bras.
-Oui, nos dernières minutes de travail avant les vacances... ajouta Agathe, souriante.

***

A quelque distance de là, Hubert constatait qu'on s'était on ne peut mieux occupé de Grand Vent, et que celui qui avait accompli cette tâche n'avait éprouvé aucun problème à arrimer son matériel. Tout autour, des gardes, des mercenaires, des chevaliers commençaient à monter en selle. Si quelques-uns discutaient avec animation, d'autres gardaient le silence. Les choses sérieuses étaient sur le point de débuter, et à l'enthousiasme se mêlait une dose non négligeable de nervosité.

[Hubert de Maleval]

Hubert remercia le palefrenier qui avait préparé son cheval et monta en selle à son tour. De son perchoir, il consulta enfin les parchemins de Robert. Il voulait avoir une idée précise de l’endroit où se trouvait chacune des personnes clés du voyage : les conseillers, bien sûr, notamment Ignace et Agnès, ensuite chacun des clercs, des mages, des bardes, mais aussi le forgeron, par exemple, et les meilleurs combattants parmi les civils. Il se remit aussi les positions approximatives de Frida et du Paludier en mémoire, repéra bien évidemment le chariot des érudits joueurs. Il avait l’intention de mettre Etienne et le chef mercenaire en début de colonne, le premier à gauche, le second à droite, puis Louis dans l’ombre d’Etienne, et Edgar dans l’ombre de Guillermo. Lui-même serait en mouvement la plupart du temps, mais ce n’était pas un problème. Tous les chevaux de la colonne seraient épuisés avant que Grand Vent ne commence à fatiguer un rien.
Il chercha ensuite Robert du regard, dans l'idée d'aller le rejoindre une dernière fois avant le départ.

[Taliesin]

Couverts de l'écriture appliquée du chevalier, les parchemins lui fournirent toutes les informations qu'il souhaitait. Les conseillers étaient répartis à intervalles régulier le long de la colonne, afin qu'en cas de besoin, l'ensemble des colons se trouve le plus près possible d'une figure d'autorité. C'était également le cas des bardes et des clercs. Quant aux civils les plus doués avec les armes, ils étaient installés dans les chariots où l'on avait placé l'équipement militaire. Hubert découvrit qu'Alban était dans l'un d'entre eux, avec de jeunes gens dont certains n'étaient guère plus âgés que lui.
Robert se montra peu après. Couvert de mailles, comme nombre de leurs hommes, il montait un cheval gris qui devait accuser maints printemps. Son vieux compagnon de route, sans doute.

[Hubert de Maleval]

Rangeant les parchemins, Hubert se porta à la rencontre du chevalier, le sourire aux lèvres, espérant refléter une confiance tranquille sans être déplacée. Il ne se sentait ni impatient, ni inquiet. Il se sentait... comme appartenant, viscéralement, à l'instant présent, maître de lui-même, prêt à affronter n'importe quoi. Ce fourmillement, autour de lui, l'énergisait, il était conscient de la responsabilité placée sur ses épaules, des enjeux, des dangers, et il savait qu'il ne reculerait pas. C'était une certitude formidable, qui lui conférait une force difficile à mesurer. Il aurait pu avoir peur de décevoir les espoirs placés en lui, craindre de ne pas être à la hauteur, redouter ce qui ne manquerait pas de se dresser en travers de leur route. Mais en réalité, il n'y avait nulle place pour le doute en lui. Ce n'était pas de l'inconscience ou de l'arrogance, c'était de la foi, simplement.
" Nous voilà presque partis, dit-il en arrivant près du destrier gris du chevalier. Avez-vous des instructions de dernière minute ?"

[Taliesin]

Robert s'accorda un instant de réflexion.
-Effectivement, il y en a une, peut-être... Si vous avez des ordres à donner aux mercenaires, essayez de toujours passer par Guillermo, comme je passerai par Lothar. Comme ils finiront par reprendre leur route, il est plus courtois de ne pas trop interférer dans leur hiérarchie interne. Cependant, il ne s'agit pas d'une obligation absolue et, en cas d'urgence, je vous encourage même à passer outre sans hésiter. Ils ne s'en offusqueront pas.

[Hubert de Maleval]

" Je ne le ferai qu'en cas d'extrême urgence, soyez sans crainte, dit le paladin. Je comptais de toute façon passer par Etienne, Louis, Edgar et Guillermo, chacun pour ses hommes respectifs. Je prendrai sans doute juste deux messagers sous mes ordres directs. A quelle fréquence entendez-vous que nous nous retrouvions ?"

[Taliesin]

-Hum, toutes les deux heures, peut-être ? En nous laissant la liberté de rapprocher ou d'espacer davantage ces rencontres, selon la manière dont évoluera la situation ? Il me semble important de rester souples et adaptables : tant de choses sont susceptibles de se produire... Pour le reste, vous êtes libre d'exercer votre commandement comme bon vous semblera, Hubert. Je vous fais entière confiance. D'ailleurs, je le répète, si à un moment ou à un autre, vous pensez judicieux de modifier notre organisation, dites-le moi sans ambages.

[Hubert de Maleval]

" Je n'y manquerai pas, Robert. Je ne veux pas vous faillir, dans aucun sens, et je pense que cela passe par ma franchise à votre égard."
Il sourit.
" Mais comme vous, je suis désarmé, pour l'heure. Je n'ai jamais mis les pieds dans les Landes, je ne sais pas à quoi m'attendre et comment m'en prémunir, et je n'ai aucune idée de la manière dont nous allons progresser. Mais je vous retrouverai pour en discuter, très bientôt. Peut-être pourrons-nous prendre un peu de temps, ce soir, pour évaluer les choses à la lumière de notre première journée, et réorienter notre stratégie, au besoin... Mais je vais maintenant aller retrouver les officiers sous mon autorité. Nous attendrons votre signal pour nous mettre en mouvement."

[Taliesin]

Les officiers en question s'étaient assemblés non loin de là et attendaient leur supérieur, silencieux, concentrés.
-Oui, je pense que nous ne pourrons faire l'économie d'une réunion ce soir, disait Robert. Mais, avec un peu de chance, tout se sera bien pensé et nous n'aurons à procéder qu'à quelques ajustements mineurs... Quant au signal du départ, je le donnerai sitôt que la distribution de livres sera achevée.
Celle-ci battait son plein. Invariablement, à chaque fois qu'il donnait un roman à son destinataire, Albé(rich recevait des remerciements. Certains étaient sincères, voire franchement enthousiastes. D'autres s'avéraient plus mitigés, plus dubitatifs. D'autre, enfin, n'étaient que pure politesse... Mais peut-être que, l'ennui aidant, même les enfants les plus récalcitrants songeraient à lire ce qui était écrit sur les pages, plutôt que de les déchirer pour en faire des cocottes en papier...

[Galathée]

Et même si les livres finissaient en petits morceaux, Albérich ne leur voudrait pas vraiment. Il n'osait imaginer comme le périple allait être pénible pour toutes ces petites boules d'énergie, contraintes à rester cloîtrées dans la pénombre, tandis que les chevaux avanceraient péniblement sur l'ancienne route. Le principal était qu'ils trouvent à s'occuper. Peut-être les plus grands liraient-ils aux plus jeunes, peut-être feraient-ils des châteaux de bouquins comme d'autres faisaient des châteaux de cartes, peut-être, effectivement, déchireraient-ils les pages pour se livrer à des combats de boulettes en papier. Peu importait. Il fallait qu'ils tiennent le coup et le Luménien était prêt à leur passer le sacrilège de massacrer les ouvrages à leur disposition. Enfin, certains en tout cas... D'autres étaient de bien trop bons livres pour mériter pareil sort !
Quand il en eut terminé, il rejoignit son propre chariot et s'apprêta à embarquer.

***

Hubert, de son côté, avait rejoint ses quatre subordonnés. Il n'avait pas l'intention de jouer les chefs autoritaires, mais il savait aussi d'une hiérarchie claire et respectée était une nécessité dans les situations explosives. Il leur exposa la manière dont il entendait les répartir le long de la colonne, puis demanda à Edgar et Louis s'ils pouvaient chacun se passer d'un homme à mettre sous sa responsabilité, afin de servir de messager entre les différents commandements.

[Taliesin]

Ignace attendait le Luménien pour récupérer les feuilles d'appel : personne ne manquait dans les chariots qu'il avait visités, pas davantage que dans ceux dont s'étaient chargés les enseignants. L'intendant les remercia tous puis tourna les talons. C'est alors que survint Giovanni : il était en pleine forme, débordait d'entrain et, avant de prendre sa place dans le véhicule, il ne manqua pas de se présenter chaleureusement à Albérich.

***

Du côté des forces armées, Louis comme Edgar - qui prenait un malin plaisir à donner du "mon capitaine" à Hubert et à le vouvoyer - désignèrent sans hésiter deux hommes de confiance. Étienne, tout conseiller qu'il soit, ne paraissait éprouver aucune gêne à se retrouver dans le rôle d'un subordonné. Guillermo non plus : souriant, poli, il donnait même l'impression d'être très à son aise.
Un peu plus loin, Robert venait de s'entretenir avec Frida, qui s'éloigna bientôt en compagnie de quelques cavaliers, pour prendre les devants. Le départ était désormais imminent.

[Galathée]

Hubert salua ses officiers, leur souhaita bonne route et leur rappela de l’avertir à la moindre alerte. Il leur demanda également d’envoyer quelqu’un lui faire rapport à la mi-journée, même si rien de spécial n’était survenu. Lui-même décida de commencer le périple sur le flanc droit de la colonne, à l’interface entre les troupes mercenaires et celles d’Edgar. Il ne serait séparé de l’autre côté de la caravane que par un seul chariot, rien d’infranchissable en cas d’urgence, d’autant que les cochers connaissaient le signal d’arrêt. Il aurait aimé chevaucher en tête un moment, mais cela l’aurait trop éloigné de Robert : ce n’était pas prudent.
Contemplant la prairie défoncée qu’ils abandonnaient derrière eux, la myriade de véhicules qui se plaçaient peu à peu en file ordonnée, les dernières silhouettes qui grimpaient en selle ou à l’arrière d’un chariot, il prit conscience de l’énormité de l’aventure. Cela ne l’effraya pas vraiment, mais un instant, il resta figé en selle. Leur compagnie allait s’étirer sur la route, vulnérable. Il faudrait que leur vigilance soit constante sans être fébrile. Par réflexe, il fit jouer son épée dans son fourreau, puis rassembla ses rênes et mit Grand Vent au pas. Il se positionna un peu à l’écart, histoire de vérifier que chacun trouvait sa place dans le cortège. Il chercha Robert du regard, guettant son signal, sourit en apercevant Albérich, juste avant qu’il ne disparaisse sous la toile. Le souffle se bloqua un moment dans sa poitrine, comme il prenait conscience de la responsabilité qui reposait désormais sur ses épaules. Mais il ne pouvait pas faillir et il ne faillirait pas. Il était exactement là où il voulait se trouver.

***

Albérich salua le dénommé Giovanni, amical. Il n’en savait pas grand chose, sinon qu’il était barde, peintre, et qu’il avait fréquenté les temples luméniens, surtout celui de Sunie. De son côté, il ne se souvenait pas l’avoir jamais vu dans le sanctuaire lathandrite, mais cela ne voulait rien dire : il n’était pas très porté sur l’art de manière générale, qu’il ne pouvait s’empêcher de trouver secondaire à beaucoup de problématiques plus urgentes, et il n’était donc pas impossible que d’autres clercs, plus esthètes, l’aient rencontré, fréquenté ou même engagé. De ce qui s’était passé dans ce registre avant son accession au poste d’aubemestre, il ne savait rien, et ensuite, Marcus avait géré tous les aspects non cruciaux du temple, en ce compris la décoration d’intérieur.
De part sa profession, il était probable que Giovanni ait de multiples choses à raconter et, pour les connaître désormais un peu, Albérich savait aussi que les institutrices n’étaient pas les plus taciturnes des personnes de la communauté. L’un dans l’autre, peut-être le temps passerait-il moins lentement qu’il ne le craignait…

[Taliesin]

Albérich en était là de ses réflexion lorsqu'un sac s'écrasa soudain à ses pieds, le faisant sursauter. L'instant suivant, une certaine juge se hissait dans le chariot, assez lestement, il fallait le reconnaître.
-Marthe ? fit Rebecca, surprise. Vous vous joignez à nous ?
-Il semblerait bien que oui...
-Mais c'est une excellente nouvelle ! lança Agathe, ravie.
-Je n'en suis pas si sûre... Car si j'ai décidé de vous accompagner, c'est uniquement parce qu'Albérich m'a informée des activités auxquelles vous vous livriez secrètement, et qu'il était de mon devoir de veiller à ce qu'elles cessent définitivement.
Le silence tomba, lourd, stupéfait. Et puis...
-QUOI ?! VOUS NOUS AVEZ TRAHIS ? s'exclamèrent, en chœur, le barde et les instituteurs.

[Galathée]

Le Luménien avait complètement oublié cet incident survenu la veille et s'empourpra spectaculairement.
" Ah... bouse, lâcha-t-il, dépité, renonçant à s'asseoir. Je... heu... Robert m'a fait boire... et... Marthe comptait de toute façon nous accompagner... alors je me suis dit... qu'elle devait être informée... avant... En fait... je n'ai pas vraiment réfléchi..."
Il dévisagea la juge, inquiet.
" Allons... Vous avez été juriste à Luménis. Vous n'allez pas me faire croire que vous n'avez jamais participé aux soirées Frivole de la juge Garnell. Tous les avocats du palais de justice y sont fourrés les neuvièmes jours de seconde veille."

[Taliesin]

-Je n'ai jamais exercé dans la capitale : j'ai regagné la Trouée des Chevaux sitôt mes études terminées. Et, durant celles-ci, toutes mes soirées, toutes sans exception, ont invariablement été studieuses, répondit la juge avec aplomb.
-Attendez... Si j'ai bien compris, Robert est aussi au courant ? Est-ce la seule autre personne à connaître notre secret ?
-Oui, il est au courant. Et non, il n'est pas le seul : son écuyer a également tout entendu et, pour autant que je me souvienne, il a dit que les autres enfants n'en reviendraient pas quand ils apprendraient la nouvelle.
Silence de mort.
-On peut se fier à Robert pour rester coi. Comme l'on peut se fier à vous, Marthe.
-Mais pas à Alban.
-Oh non.
-Il a sans doute déjà tout répété...
-Ce n'est pas sûr, il a été bien occupé, ces derniers temps...
-Vous pensez qu'il n'est pas encore trop tard pour agir ?
-Assurément. Au pire, nous limiterons la diffusion de la rumeur...
-Mais c'est à celui qui nous a trahis d'intervenir.
-Tout à fait.
-Exactement.
Ils dévisagèrent Albérich, et Giovanni tira une dague de sa ceinture pour lui en tendre la poignée.
-Vous devez l'empêcher de parler. Définitivement.
-C'est la seule manière de réparer votre trahison.
-Prenez cela comme un rite de passage, comme l'unique moyen de prouver que vous êtes bien avec nous, et pas contre nous.
-Il est dans le chariot numéro 17.
Ils s'étaient tous exprimés d'un ton extrêmement sérieux.

[Galathée]

Albérich commençait à comprendre ce qu'avait ressenti Hubert l'avant-veille, quand les institutrices s'étaient liguées contre lui. Décidément, cette engeance ne vous laissait pas le droit à l'erreur. Mais il l'avait su au moment où il avait commis l'impair. Hubert lui avait d'ailleurs conseillé de se trouver un autre chariot... Il aurait dû y réfléchir sérieusement. Car même s'ils plaisantaient concernant Alban, il faudrait au moins une veille avant qu'ils ne renoncent à le charrier. Mais c'était trop tard pour ça.
" Bon. Il faut assumer ses errements, c'est un fait."
Il prit la dague que lui tendait Giovanni et la passa à sa ceinture.
" Je vous dis adieu, gentes dames, messieurs. Je doute de parvenir à revenir jusqu'ici une fois mon forfait accompli. Mais ce fut un plaisir."
Et sans attendre, il ressortit du chariot. Voilà qui allait sûrement plaire aux soldats chargés de surveiller l'embarquement...

[Taliesin]

-Je suis désolé, messire, mais je vais vous demander de remonter dans le chariot, fit d'ailleurs un homme d'armes qui se trouvait à proximité. Nous allons partir d'un instant à l'autre, et si nous voulons atteindre notre lieu de bivouac avant la nuit tombée, mieux vaut éviter les contretemps...
Le retour du Luménien fut salué par des sourires amicaux.
-Nous vous accordons un sursis.
-Non non, ne nous remerciez pas : c'est tout naturel.
-Vous accomplirez votre mission ce soir. Ce sera plus discret.
-Il vous faudra juste éliminer tous ceux à qui Alban aura été susceptible de parler.
-Voilà qui règlera en partie notre problème de sureffectifs...
-Ah oui, tiens... Albérich, je sens que vous allez être notre héros !
Au même instant, Robert levait le bras et lançait l'appel tant attendu. Le premier cocher mit ses chevaux au pas et s'engagea sur la route, bientôt imité par ses confrères. Lentement mais sûrement, la colonne commença à se déplacer vers le sud;
Vers les Landes.

[Galathée]

RP Solo : Des racines et des ailes

Après des mois dans la broussaille puis dans le huis clos de la communauté, retrouver une ville, même modeste, avec son effervescence, ses maisons, ses promeneurs et ses marchands, les chiens errants, les poulets, les enfants excités, les petits vieux assis à l’ombre des porches et les cavaliers pressés, tous ces visages étrangers, certains soucieux, d’autres ouverts, fut un choc autant pour le paladin que pour le prêtre. Ils restèrent silencieux, un peu oppressés, pendant les quelques premières minutes de leur cheminement, puis se détendirent peu à peu. Grand Estuaire n’était pas Solarcis, encore moins Luménis, c’était un petit bourg portuaire. Mais la vie qui en émanait avait quelque chose de formidable, contrastant avec la grisaille et la mort qui avait été longtemps leur quotidien, et bientôt ils se sentirent gagnés par l’énergie des lieux. Ils mirent pied à terre sur une petite place, un peu plus loin à l’intérieur des murs.
« Bon, tu vas ramener les chevaux et je m’occupe de vendre le barda qu’on a récupéré dans les tumulus ? Rendez-vous à aux Oursins. » annonça Hubert.
Albérich sourit de le retrouver directif, sûr de lui, libéré des entraves d’un commandement qui ne lui avait jamais vraiment convenu. Il était aussi soulagé de voir que le paladin envisageait sans angoisse qu’ils se séparent un moment. Même s’il était compréhensible, à la lumière de ce qu’il avait appris depuis, le côté hyper protecteur d’Hubert n’avait plus lieu d’être.
« Ça marche. »
Le prêtre partit donc vers le comptoir où les chargements à destination de la communauté étaient préparés. Marcus l’avait sélectionné avec soin avant de quitter la ville et il n’avait pas été déçu de leurs services depuis lors. Un convoi devait partir dans les jours prochains, emportant les denrées alimentaires nécessaires à la survie des colons tant qu’ils ne pouvaient produire eux-mêmes leur nourriture et ils avaient convenu d’en profiter pour renvoyer Douce et Placide vers la cité. Leur long trajet en bateau ne conviendrait pas aux animaux, d’autant qu’ils ne savaient pas s’ils poseraient jamais le pied à terre avant Evendum, et Hubert avait dans l’idée de procurer un meilleur cheval à Albérich : Douce se faisait vieille et la Forêt Maudite comme les Montagnes de Fer n’étaient pas des terrains aisés. Evendum accueillait un célèbre marché aux chevaux et même hors saison, il était possible de s’y procurer de bonnes bêtes. Le clerc, bien sûr, en sautait de joie, lui qui adorait les quadrupèdes odorants. Même s’il n’avait jamais beaucoup navigué, il était ravi d’abandonner la selle pour le pont d’un voilier.
Il se rendit donc au comptoir, se glissant dans la douce énergie de la cité avec un émerveillement tranquille, anonyme, serein, impatient, aussi, de poursuivre sa route. S’il s’était rencontré dans la rue, l’Albérich du début de l’hiver, il ne l’aurait sans doute pas reconnu.
Hubert était arrivé aux Oursins avant lui et avait déjà organisé les aspects pratiques de leur séjour : ils resteraient deux nuits avant d’appareiller sur un trois-mâts lunaron baptisé « La Prompte », qui transportait à la fois des passagers et des marchandises, de Solarcis à Antelucas et le retour. C’était Conrad Lestadt, le tenancier de l’auberge, qui avait tout planifié pour eux, après avoir entendu qu’ils étaient des amis de Tobias Eckhart. Albérich était presque surpris qu’Hubert ait fait mention de l’encombrant « fermier », mais le paladin semblait désireux de ne pas s’éterniser sur la côte. Sans doute était-ce en partie parce qu’on ne tarderait pas à les savoir en ville : ils avaient beau se faire discrets, on les avait vus arriver par la route de Clairétoile, Albérich avait été au comptoir, Hubert avait écoulé de menus trésors des Landes, et les curieux ne tarderaient pas à frapper à leur porte.
Mais pour l’heure, après un souper de fruits de mer, un plaisir inouï après ces mois de viande séchée et de tubercules, ils comptaient bien profiter d’une nuit d’auberge, au chaud, en sécurité, et dans l’intimité la plus totale… ce qui constituait un bonheur tout aussi bienvenu.

[Hubert de Maleval]

Malheureusement, lorsqu’Hubert quitta la salle d’eau, où il s’était décrotté avec minutie, il découvrit qu’Albérich s’était endormi comme une pierre, jetant aux orties la petite nuit d’ivresse qu’ils avaient pourtant – Hubert en était certain – projetée l’un comme l’autre. Frustré, le paladin se coucha et tenta de le réveiller, avec douceur, puis plus d’insistance, mais sans résultat probant : le clerc grommela une fois ou l’autre, s’enroula dans la couverture puis lui tourna le dos.
« Je me vengerai. » lui souffla Hubert avant de chercher, lui aussi, les chemins de l’oubli, qu’il trouva, bien cachés dans les broussailles.
Mais au milieu de la nuit, soudain, il fut arraché à sa torpeur par un brusque mouvement, un cri étouffé, et Albérich lui agrippa l’épaule d’une main ferme.
« Tu es là… murmura le prêtre.
— Bien sûr que je suis là. Où voudrais-tu que je me trouve ? » demanda le paladin d’une voix ensommeillée.
Il lui ouvrit ses bras et Albérich s’y nicha instinctivement.
« J’ai fait un cauchemar étrange. »
Hubert l’embrassa sur la tempe et le serra plus étroitement. Son corps entra aussitôt en éveil.
« Raconte.
— C’était… noir… une version des choses… qui aurait mal tourné…
— C’est flou, ça…
— Je m’étais tourné vers Shar. Je faisais des choses atroces, dans Luménis… au Temple de Tymora, de Sunie… dans mon propre Temple…
— Mais c’est réjouissant, dis donc… Et moi ?
— Toi… tu étais mort, exécuté… des années auparavant…
— Formidable…
— Je t’ai dit que c’était un cauchemar. Et je tuais Alaric.
— Tiens, tiens… Y aurait-il quelque chose là-derrière…
— Ne dis pas des choses pareilles, ce n’est pas drôle. »
Il frissonna.
« Serre-moi.
— Je ne fais que ça. »
Il ne tarderait pas à faire davantage, mais Albérich paraissait troublé.
« Comment ça s’est terminé ?
— Je ne sais pas. Je me suis réveillé… quand j’ai fait… du mal à Marcus… Ah… Je regrette de ne pas m’être réveillé plus tôt.
— C’est un cauchemar, Albérich. Ne sois pas si bouleversé.
— Tu as raison. C’est sans doute… la perspective de retourner là-bas. A la Tour. J’ai envie de le faire, je dois le faire, mais… ça ramène des souvenirs douloureux. Et les possibles… qui n’ont pas eu lieu… mais qui auraient pu, je suppose…
— Albérich. Tu ne t’es pas tourné vers Shar et tu marches, plus que jamais, dans la lumière de Lathandre. Tout va bien. » murmura Hubert.
Il lui inclina doucement le visage et l’embrassa sur les lèvres. Aller plus loin aurait été profiter lâchement du désarroi de son amant et il n’en fit rien, se contentant de l’étreindre avec force et douceur. Albérich frissonna encore une fois.
« Je ne ferais jamais de mal à Marcus, murmura-t-il.
— Je sais. Et à personne d’autre. Rendors-toi, maintenant. Un cauchemar, ce n’est rien d’autre qu’un cauchemar.
— Oui. Je sais... Je suis désolé de t’avoir réveillé…
— Ne sois pas désolé. Tu peux me réveiller quand tu veux, tu sais ça. »
Albérich rit doucement dans l’obscurité.
« Je suis désolé, je suis fatigué…
— Arrête. Dors. Je veillerai sur ton sommeil.
— Il ne faut pas… »
Mais l’aura du paladin faisait son effet, petit à petit, Hubert le voyait dans les paupières lourdes du clerc, dans sa voix qui prenait une tonalité moins claire. Appuyé sur un coude, il lui caressa le visage, la gorge et l’épaule, lentement, et la respiration d’Albérich se modifia, jusqu’à ce qu’il sombre à nouveau.
" Exécuté, franchement, Albérich, c'est pas très gentil."
Sur un rire dépité, il se recoucha à son tour et ne fit, de son côté, que des rêves voluptueux.

[Galathée]

Au petit matin, Albérich ne fit aucune mention de son cauchemar. Il était encore troublé mais en réalité, les bribes qu’il en avait conservées s’estompaient peu à peu. Dans l’aube grise, encore ensommeillés, les deux hommes se rendirent au Temple de Lathandre voisin pour y assister aux cérémonies rituelles. Ils portaient des vêtements anonymes, Hubert n’avait pas emporté son épée, et ils prièrent parmi les fidèles, comme si de rien n’était.
En fin de célébration, cependant, alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, la silhouette de l’aubemestre local s’encadra dans leur champ de vision. C’était un homme d’un bonne trentaine d’années, blond et souriant, et Albérich le dévisagea avec stupeur.
« Oh misère. Mikaïl.
— Maître Megrall. C’est un honneur…
— Arrête ton char, tu veux ? »
Les deux hommes s’étreignirent. Hubert, à leurs côtés, paraissait amusé.
« Hubert, je te présente Mikaïl. Mikaïl, Hubert.
— J’ai entendu parler du Sire de Maleval, oui. Ces choses… circulent.
— Par qui ?
— Marcus ? Gabriel ? Fais ton choix. »
Albérich se retourna vers Hubert, à nouveau.
« Mikaïl a été formé à Eredhun. Il est deux ans plus jeune que moi. Nous nous sommes bien connus, autrefois.
— Suffisamment pour que je te reconnaisse lorsque tu as franchi mon seuil, en tout cas. Mais je savais que tu étais en ville, j’ai un peu triché.
— Je suis désolé, je ne t’ai pas remis, comme ça… Je ne m’attendais pas…
— C’est le contre-jour. Et ça fait un bail. »
La baie ouverte sur l’est diffusait désormais une généreuse lumière. Une jeune femme, en aube jaune, s’était approchée, curieuse et intimidée tout à la fois.
« Bon, soyons pragmatiques, dit le dénommé Mikaïl. Tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Demain matin ?
— Nous appareillons très tôt. Vers Antelucas.
— Ce n’est pas une excuse suffisante. C’est le printemps, de toute façon. On fait des cérémonies en veux-tu en voilà. Donc nous ferons ça ce soir. Une veillée pour repousser les ténèbres. Ce sera joli et très apprécié. En plus, il fera beau et les cerisiers sont en fleurs !
— Je ne sais pas si…
— Franchement, tu aurais pu jouer franc jeu et venir hier, dès ton arrivée. Tu as voulu faire l’anguille, il faut assumer. »
Cette fois, Hubert rit franchement.
« C’est de bonne guerre, Albérich, non ?
— Très bien. Je peux mener une cérémonie en fin de journée, si tu veux.
— Formidable ! » s’exclama la jeune femme restée dans l’ombre de Mikaïl, avant de s’empourprer.
Mikaïl sourit et posa les mains sur ses épaules.
« Mon Temple est à toi. »

[Hubert de Maleval]

Hubert resta en retrait tandis qu’Albérich menait sa cérémonie. Une fois le rendez-vous pris, il s’était comporté comme un premier de classe sur le point de présenter un exposé, plein d’une fébrilité ridicule compte tenu de sa maîtrise du sujet. Mais il fallait reconnaître que Mikaïl n’avait pas lésiné sur la promotion et lorsqu’ils revinrent au Temple, après avoir fait des emplettes pour le voyage à venir, il y avait déjà un peu de monde dans la nef, la rue avoisinante et les jardins, bien que la cérémonie ne soit prévue que pour une heure plus tard. Au moment où elle commença, dans un crépuscule illuminé de bougies, sous la ramure chargée de ces fameux cerisiers, les lieux étaient combles.
Hubert n’en ressentait aucune angoisse : il connaissait le Luménien et savait qu’il traverserait l’épreuve avec les honneurs. Il écouta les premières bribes de son prêche, puis décrocha, songeant aux jours à venir, la courte veille en mer, puis les montagnes, et Maleval. Il était impatient et terrorisé en même temps, des émotions étranges avec lesquelles il allait devoir apprendre à vivre. Il n’avait pas vu ses parents depuis plus de dix ans, ses frères, ses sœurs, et il ne parvenait pas à se représenter leurs retrouvailles. La crainte d’être rejeté était bien réelle, d’autant qu’il lui semblait le mériter mille fois. Mais il ferait amende honorable. Il avait besoin, désormais, plus que jamais, de les revoir.
Ses lèvres et sa voix accompagnèrent les chants et les prières sans qu’il n’en prenne réellement conscience, perdu dans ses pensées. A côté de cette angoisse très psychique, il avait mal aux épaules, de plus en plus, une sensation de brûlure qui irradiait dans sa nuque et parfois dans ses bras, courant jusqu’aux reins, qui pulsait par moments au rythme de son cœur. Il avait essayé de se soigner, deux fois, mais rien n’avait changé, la souffrance était demeurée la même. Il arrivait généralement à repousser cette sensation en bruit de fond, sans y songer trop, mais parfois, la vivacité de la douleur manquait le faire lâcher ce qu’il tenait et il avait masqué plus d’un cri dans une quinte de toux. Il n’osait pas en parler à Albérich. Il savait ce que le Luménien dirait : que c’était sa nature de céleste, l’usage de ses pouvoirs, une transformation désormais amorcée contre laquelle il ne pouvait rien, qu’il ne pouvait que prendre son mal en patience. Hubert trouvait la chose inhumaine. Elle l’était. Il n’avait jamais voulu être autre… et il allait le devenir irrémédiablement, d’une manière qui le distinguerait à jamais de tout un chacun. Il ne voulait pas le savoir et encore moins se l’entendre répéter sur le ton désolé d’un adulte s’adressant à un enfant déraisonnable. Parler de certaines choses les rendait plus réelles, il le savait mieux que quiconque.
Il s’arracha à ses ruminations pour réaliser qu’Albérich avait terminé et que les fidèles commençaient à quitter le Temple, bavardant, enthousiastes, parfois presque lumineux. Le prêtre lui décocha un clin d’œil avant de s’avancer vers quelques personnes restées en arrière, des futurs et des nouveaux parents, un jeune couple, un capitaine de navire, le genre de personnes qui quêtaient la bénédiction de Lathandre et qui la recevraient bien volontiers.
« Dommage que vous partiez. » dit une voix juste à côté d’Hubert.
C’était la jeune prêtresse qui s’était réjouie de voir Albérich officier, plus tôt dans la journée.
« Nous reviendrons. » murmura le paladin, avec un sourire.
Et il le croyait vraiment.