[Lieu] Une route oubliée

[Taliesin]

-Je me demande juste une chose : quand arriverez-vous à trouver un moment pour le lire ? Vous nous escortez du matin au soir et vous montez la garde une bonne moitié de la nuit, ce qui ne vous laisse guère de temps pour dormir, manger... et ne parlons même pas de vous distraire. Par conséquent, si Robert apprend que vous rognez sur vos rares heures de repos, il ne va pas être content. Pas content du tout... Hum, alors, si vous avez un tant soit peu de pitié pour moi, ne lui dites pas qui vous a donné ce livre. Sinon, je suis bon pour des corvées que je préfère ne pas imaginer.

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit.
" Et bien je lirai en mangeant et en me reposant, je suppose... C'est délassant, la lecture, non ? Et je ne vous trahirai pas... si vous ne me trahissez pas. Robert n'a pas besoin de savoir que je révise mes classiques marécageux pendant mes heures de pause. Elles sont privées, de surcroît. Mais merci de votre aide, Philibert. Je vais aller ranger ça dans mes fontes puis monter en selle."
Un instant, il hésita à retourner vers la table de l'Académie, mais il était peu tard, et ce n'était pas très sérieux. L'embarquement ne tarderait plus et il fallait qu'il soit sur la brèche, même si Robert trouverait certainement de nouveau trente-six bonnes excuses pour le décharger.

[Taliesin]

La tente où il avait dormi était toujours debout, et pour cause : aidés de leurs écuyers, les chevaliers achevaient de s'y équiper. Bien reposés, ils semblaient aborder cette nouvelle journée avec entrain, même si les probabilités étaient fortes pour qu'elle soit aussi ennuyeuse que la précédente. Seul manquait à l'appel Robert : évidemment, il était sur le pied de guerre depuis le milieu de la nuit... Alban était également invisible : peut-être avait-il rejoint son maître pour passer quelques minutes en sa compagnie, à moins qu'il n'ait déjà gagné le chariot où il se morfondrait au cours des heures à venir.

[Hubert de Maleval]

Hubert salua les chevaliers affairés, localisa rapidement ses fontes et y rangea le livre, après quoi, il se mit en quête de Robert. Même si le chevalier chercherait probablement à le renvoyer à son petit déjeuner, le paladin ne pouvait pas ne pas faire de tentative... Il avait l'impression qu'il ne s'habituerait aux rebuffades honorables de son supérieur qu'en s'y confrontant le plus souvent possible. Ou alors il était simplement masochiste. Quoi qu'il en soit, il voulait savoir si la seconde partie de la nuit avait été plus tranquille et Robert ne lui refuserait certainement pas deux brins d'information.

[Taliesin]

Robert se trouvait en bordure du camp. Sans doute supervisait-il, quelques minutes plus tôt, le cordon de gardes qui s'était reconstitué afin d'empêcher quiconque de s'aventurer inconsidérément dans les marais. Mais, pour l'heure, il était en grande discussion avec Alban. Le chevalier se montrait calme, patient, réconfortant, tandis que son écuyer arborait une attitude docile, résignée, voire déprimée. Bref, à moins qu'il ne veuille les interrompre, Hubert devrait attendre un petit moment avant de pouvoir aborder son supérieur.

[Hubert de Maleval]

Hubert n'avait nulle intention d'interrompre l'échange entre l'écuyer et son maître. Une seconde, il regretta de ne pas avoir emporté le bouquin sur les marécages... mais en même temps, il n'avait pas envie d'exposer aux yeux de tous le fait qu'il se sentait inculte dans des matières aussi cruciales. Aussi demeura-t-il à l'écart tout en tâchant de voir s'il pouvait suppléer à Robert pendant qu'il était occupé, et sans le déranger. Il devinait qu'Alban essayait de gagner le droit de chevaucher avec les soldats de la colonne... Il comprenait le gosse, mais ne pouvait rien faire pour lui.

[Taliesin]

L'échange se termina peu après. Robert serra brièvement l'épaule de l'enfant qui acquiesça, tourna les talons et s'éloigna, droit comme un i, digne mais pas très heureux - doux euphémisme. Son maître secoua la tête, poussa un soupir spectaculaire puis, remarquant le paladin, se porta à sa rencontre.
-Ah, Hubert ! Bien dormi ? Prêt pour cette nouvelle journée de voyage ? Nous commencerons a entrer dans des parties plus dangereuses des Landes. Commencerons seulement, si bien qu'il ne devrait pas y avoir beaucoup plus de problèmes qu'hier. Mais, malgré tout, il faudra être plus vigilants que jamais.

[Hubert de Maleval]

Malgré un poil de curiosité, Hubert ne posa aucune question sur son échange avec l'écuyer. Les liens qui unissaient un chevalier à son apprenti ne regardaient qu'eux et jamais le paladin n'aurait osé s'immiscer dans leurs affaires privées, à moins d'être directement sollicité.
" Je suis prêt, oui. Vous-même avez l'air en forme malgré vos heures de veille... J'en déduis que votre nuit a été moins mouvementée que la mienne. Mais ça ne m'a pas empêché de dormir... pas le moins du monde. Je serai sur le qui-vive, soyez en sûr."

[Taliesin]

-Heureux que votre nuit ait été bonne. La notre s'est avérée des plus paisibles : les feux-follets nous ont laissés en paix, sans doute refroidis par leur échec retentissant...
Il s'interrompit et s'arracha un sourire.
-Oh, et tant que j'y pense... Vous aurez probablement deux sentinelles de plus sous vos ordres, ce soir. Je ne peux garantir ni leur motivation, ni leur efficacité, mais... cela fera toujours des renforts, fussent-ils provisoires.

[Hubert de Maleval]

" Ah ? Bien ! De qui s'agit-il ? demanda le paladin, curieux. J'ai moi-même plus ou moins réussi à débaucher Gabriel... s'il s'en souvient... Il faudrait que j'aille le lui rappeler, d'ailleurs. Mais peut-être est-ce de lui que vous vouliez me parler, en partie ?"
Il craignait un peu ce genre de volontaires, mais Robert avait raison : ils devaient renforcer leurs effectifs et ne pouvaient se permettre de faire la fine bouche.

[Taliesin]

-Gabriel ? Il se sent le courage de monter la garde alors qu'il aura géré, juste avant, une meute d'enfants déchaînés ? Bon, j'imagine qu'il se reposera toute la journée... En tout cas, c'est une bonne nouvelle, et ce n'est pas de lui dont je parlais. Non, il s'agit de deux adolescents qui voyagent dans le même chariot qu'Alban et qui l'ont quelque peu... taquiné, dirons-nous. Sur différents points. Ils ont notamment dit qu'être sentinelle ne réclamait aucun effort et aucune compétence, vu qu'on laissait des "bébés" s'en charger. J'ai donc décidé de leur montrer à quel point ils se trompaient.

[Hubert de Maleval]

" Oh misère." laissa échapper le paladin avec une grimace.
Mais il sourit tout aussitôt.
" Et bien, ils ont intérêt à être irréprochables, sinon je leur botterai volontiers les fesses."
Hubert était désolé pour l'écuyer : privé de colonne et coincé avec des gamins désagréables. Le changer de chariot aurait été une solution, mais cela n'apparaîtrait-il pas comme une défaite ? Dommage que Ruth ne voyageait pas avec lui : elle aurait rapidement fait passer l'envie à ces adolescents de se gausser des sentinelles... En attendant, ils constitueraient immanquablement des gardes problématiques, qu'il faudrait tenir à l'oeil. Hubert n'était pas certain que ce soit une bonne idée, mais ils méritaient sans doute la leçon.
" Voulez-vous aller vous détendre avant le départ ? Je peux prendre la relève : je suis reposé, nourri et équipé."

[Taliesin]

-C'est également mon cas. Enfin, sauf pour le reposé... Mais Mathias m'a suppléé un moment tandis que je déjeunais et me rafraichissais. De plus, il y a eu la discussion avec Alban... Bref, j'ai bénéficié d'un bon petit répéit et en prendre un nouveau ne serait guère avisé alors que le départ est tout proche...
Il sourit à nouveau.
-J'ajouterai que vous devez d'autant moins vous inquiéter pour mon état de fatigue que le trajet du jour sera assez bref : nous devrions atteindre, en milieu d'après-midi, un emplacement on ne peut plus agréable, jouissant même d'un petit étang... Vous comme moi aurons donc plus de temps pour nous reposer. En revanche, demain soir, ce sera campement sur la route...

[Hubert de Maleval]

" C'est bon à savoir. Si une nuit blanche est à prévoir, je me reposerai en fonction. Je ne pourrais pas les enfiler les unes derrière les autres, mais si c'est nécessaire... Enfin. Nous avons parlé hier de nous réserver pour les moments critiques, vous et moi. Nous devrions approcher des personnes susceptibles de superviser les nuits potentiellement paisibles à notre place, quitte à les relever de leur charge en journée... et peut-être y a-t-il de bons chefs d'équipe en dehors des militaires... Après tout, les sentinelles n'en sont pas, on pourrait les placer sous autorité civile... Je ne sais pas."
Il secoua la tête, interdit.
" Bon, je vais peut-être profiter de ce moment de battement pour aller trouver Gabriel et m'assurer que sa motivation d'hier soir n'était pas une parole en l'air afin d'épater la compagnie... ou de se débarrasser de moi plus rapidement."

[Taliesin]

-Même si c'était le cas, il ne faudra pas être trop dur avec lui : il nous rend déjà de fiers services. Mais je suis certain qu'il était sérieux : il a l'énergie de la jeunesse, des journées entières pour dormir, et il doit être ravie à l'idée de pouvoir observer l'aube après une longue nuit de veille. Quant aux personnes susceptibles de nous décharger un peu, le plus simple sera sans doute de nous en remettre à nos officiers. Cependant, si des civils peuvent remplir cette tâche, pourquoi pas. Il faudra que nous y réfléchissions soigneusement, histoire de ne pas commettre d'erreur, de faire les bons choix...

[Hubert de Maleval]

" Oui, vous avez raison. Nous pouvons demander à Edgar et Matthias de nous suppléer cette nuit et aviser en fonction de la manière dont ça s'est passé. Il faudra de toute façon que nous soyons sur la brèche au besoin. Bon... Mais si Gabriel désire voir l'aube, il faudra que je le mette dans votre moitié de nuit. Je ne serais pas contre inverser de temps en temps, cela dit. Je tire mes pouvoirs de Lathandre, moi aussi, et l'organisation actuelle m'empêche de me ressourcer, compte tenu de l'heure indue à laquelle on daigne me tirer de ma couche... Mais avec les réunions du conseil, c'est évidemment impossible..."
Il haussa les épaules.
" J'ai la chance de servir un dieu compréhensif, j'imagine qu'il ne m'en veut pas vraiment. Bon. Je vais prévenir Gabriel et je reviens."
Si le chevalier n'avait rien à ajouter, il joindrait le geste (et la recherche) à la parole.

[Taliesin]

Le conseiller se contenta de lui rappeler que Gabriel serait forcé de monter la garde en deuxième partie de nuit, puisqu'il passait la soirée à gérer la marmaille et que, pour l'heure, les personnes contactées pour lui prêter main forte hésitaient toujours quant à la meilleure manière d'épuiser le trop plein d'énergie des plus jeunes membres de l'expédition. Le paladin put ensuite regagner le centre du campement en plein démontage, où il aperçut le clerc en train de finir son petit déjeuner. Sans doute avait-il passé l'heure précédente à prier son dieu.
-Non, messire Hubert, je n'étais pas ivre et je n'ai pas oublié mon engagement lui lança-t-il, joyeux, sitôt qu'il le vit venir. Vous pouvez donc me compter au nombre des sentinelles.

[Hubert de Maleval]

" Très bien. Dans ce cas, vous serez sur le pont en seconde partie de nuit... A partir, plus ou moins, de l'heure à laquelle je vous ai dérangé hier soir. Pensez à vous reposer pendant la journée... Même à votre âge, on a besoin de dormir."
Sans épiloguer davantage, il battit en retraite vers les écuries où devait l'attendre son destrier. Il faisait plus frais que d'ordinaire, ce qu'il remarquait surtout au petit nuage blafard que créait sa respiration, car il n'avait pas réellement froid. La perspective d'une journée courte n'était pas pour lui déplaire, cela romprait la monotonie, et il voulait avoir le temps de lire un peu avant la nuit.

[Taliesin]

Comme la veille, les préparatifs du départ furent rondement menés : le bivouac disparut, la colonne se reforma puis s'ébranla dans le jour naissant. Point de soleil pour l'illuminer, en revanche : le ciel était uniformément couvert. Triste temps. Et triste paysage, que cet aspect lui soit naturel ou qu'il lui soit communiqué par les conditions météorologiques : arbres tordus, roseaux, eau stagnante, tout semblait plus gris, plus désolé, plus morne. Et pour ne rien arrangé, une légère brume s'était levée, donnant un aspect fantomatique aux êtres et aux choses. Restait à espérer que le phénomène n'empire pas, sans quoi, on allait bientôt plus rien distinguer à seulement quelques mètres de distance...

[Hubert de Maleval]

La situation était relativement inquiétante. En même temps, ils avaient choisi de voyager en hiver, ils devaient bien s'attendre à ce genre de désagréments, et il ne fallait pas transformer un léger danger climatique en un écueil insurmontable. Pour l'heure, la brume demeurait légère, conférant tout juste au paysage un aspect digne de sa réputation. Hubert était vigilant, scrutant les alentours avec circonspection, priant Lathandre presque inconsciemment pour que le soleil prévale en cette journée grise. Rien de tout cela n'était surprenant, somme toute, le périple suivait son cours : ils n'étaient pas dans la Vallée du Nirvana, après tout.

[Taliesin]

Comme si le dieu de l'aube avait choisit d'exaucer ses vœux, la brume vint bientôt à se dissiper et la couverture nuageuse à se déchirer, laissant entrevoir des pans de ciel bleu et un pâle soleil dont les rayons redonnèrent un semblant de couleurs à la nature, bien qu'il ne s'agisse que de verts et de bruns ternes. Et quand arriva la pause de midi, aucun incident n'était à signaler, pas même un rapport des éclaireurs annonçant une rencontre avec des morts-vivants. Aujourd'hui au moins, leur périple semblait placé sous de bons auspices.

[Hubert de Maleval]

Hubert était un homme de foi, et même s'il ne pensait pas que Lathandre ait la latitude de s'intéresser à toutes les prières de tous ses fidèles partout sur Féérune, il prit l'apparition du soleil comme un bon présage. Il chemina tranquillement toute la matinée, s'habituant peu à peu à la tristesse du paysage, finissant par se réjouir du moindre rayon de lumière jouant sur l'eau saumâtre, des traces ténues du passage d'un animal, du brouhaha résonnant de vie du convoi. Souvent en mouvement, alternant entre l'avant et l'arrière de la zone sous sa responsabilité, entre la droite et la gauche de la colonne, il passait de temps en temps à proximité du chariot de l'Académie et était tenté — très tenté — de tendre l'oreille pour en voler des bribes de conversation. Il était cependant conscient de ne pas pouvoir se le permettre, et le devoir prenait toujours le pas sur le désir. Il s'en éloignait alors rapidement.
Lorsque la pause vint, il continua à scruter le marécage, impassible. Malgré l'apparent calme de la journée, il ne fallait surtout pas se relâcher. La mort était traître en ces contrées, on ne pouvait pas se permettre la sous-estimer.

[Taliesin]

Toutes les autres personnes chargées de protéger la colonne firent montre de la même prudence, et grand bien leur en prit, comme Hubert l'apprit un peu plus tard. En effet, tandis que les civils se restauraient, le groupe d'éclaireurs commandé par Varamyr fut assailli par une dizaine de squelettes alors qu'il passait à proximité d'un tumulus qui, recouvert de végétation, avait les allures d'une ondulation naturelle du terrain. L'affrontement qui s'en suivit fut plus acharné que les précédents, mais les morts-vivants furent vaincus sans qu'il soit besoin de mander des renforts, et l'on ne déplora qu'un blessé léger.
L'expédition ne tarda guère à repartir. Après deux heures de trajet supplémentaire, ponctuées par deux escarmouches mineures - impliquant toujours les éclaireurs -, le sol commença insensiblement à monter et la route, s'arrachant peu à peu, pour la première fois, à sa gangue de boue et de plantes, montra quelques-uns de ses pavés. La communauté finit par gagner un vaste plateau plus sec, véritable île au milieu des marécages. Les roseaux y étaient remplacés par une herbe rase, les arbres tourmentés par des congénères plus droits, plus verts, et une étendue d'eau relativement claire reflétait les rayons d'un soleil encore loin d'avoir achevé sa descente vers l'horizon.
Le lieu du bivouac était atteint, et il promettait d'être plus agréable que ceux des nuits passées.

[Hubert de Maleval]

Ce n'était pas une raison pour changer les bonnes habitudes, aussi Hubert supervisa-t-il l'installation de sa moitié du périmètre tandis que les chariots gagnaient peu à peu leurs positions. L'espace dégagé, son herbe agréable, le petit étang, tout les encourageait à prendre leurs aises, or ils n'avaient pas plus de sentinelles que la veille, et il leur faudrait conserver un campement resserré et protégé. Mais peut-être pouvaient-ils adapter le dispositif tant qu'il faisait encore jour... En réalité, cet oasis tranquille au milieu du marais inquiétait le paladin plus qu'il ne le rassérénait. Il devait y avoir une force particulière à l'oeuvre, pour avoir préservé ce havre. A moins que ce ne soit une sorte de piège... Dès qu'il aurait discuté avec Robert des mesures à prendre pour les dernières heures de l'après-midi, il examinerait les lieux un peu plus en détail, et notamment cette étendue d'eau qui risquait de donner des velléités de lessive, et pourquoi pas de bain, à certains. Après tout, s'ils avaient affronté la froidure de l'océan, ça ne pouvait pas être pire...

[Taliesin]

Dès que la moitié de colonne dont il avait la charge commença à son tour à se mettre en position, le chevalier vint retrouver le paladin : c'était, en somme, devenu une tradition.
-Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça a ferraillé dur, aujourd'hui ! Mais il n'y a pas eu de gros dégâts et nous avons atteint notre objectif dans les délais prévus. Cela fait drôle, vous ne trouvez pas, d'avoir un peu de temps avant que ne s'abattent les ténèbres !

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit.
" Oui, c'est étrange. Espérons que cela n'incitera pas les gens à moins de vigilance."
Il jeta un regard circulaire autour de lui. En réalité, il regrettait que les combats du jour n'aient pas eu lieu un peu plus près de la colonne. Tout cela restait beaucoup trop abstrait à son goût, comme des récits d'une menace distante et maladroite. Peut-être était-ce le cas, peut-être leur poignée d'éclaireurs parviendrait-elle toujours à arrêter les créatures dangereuses pendant leur approche... Mais cela paraissait presque artificiel, compte tenu du terrain : les morts-vivants n'étaient pas tenus d'emprunter la route et ils étaient exposés dans toutes les directions.
" Comment voulez-vous que nous nous organisions ? J'imagine que les soldats peuvent rester sur le pied de guerre jusqu'à la nuit, comme lors d'une étape ordinaire..."

[Taliesin]

-Effectivement. Mais peut-être est-il envisageable de les diviser en deux équipes qui se relaieront jusqu'à la nuit, afin qu'ils puissent, eux aussi, profiter un minimum de ce répit ensoleillé. Je crois que nous n'aurons plus besoin de conserver un cordon aussi serré lorsque Gabriel aura pris les gosses en main. Or, j'ai dans l'idée qu'il ne va pas tarder à leur offrir une séance de natation. Il aurait tort de ce priver, d'ailleurs : rien de tel pour les épuiser.

[Hubert de Maleval]

" De la natation par cette température ? J'espère que Dame Agnès a prévu de quoi soigner les toux et rhumes qui s'ensuivront, sinon nous allons tous rapidement manquer de sommeil."
Hubert fit la grimace.
" Mais avant tout, êtes-vous certain que cet étang est sûr ? J'aimerais autant que vous me laissiez le temps de l'examiner avant d'y envoyer qui que ce soit. Je sais que son aspect est plutôt engageant mais il se trouve quand même au beau milieu des Landes. Je n'ai pas encore eu l'opportunité de réviser mes créatures des marais... néanmoins certaines bestioles doivent tolérer l'eau propre."
Autour d'eux, le campement était déjà en train de se dresser, merveille de leur organisation parfaitement rodée.

[Taliesin]

-Rassurez-vous, Hubert. Lorsque Frida et ses compagnons ont suivi le tracé de la route, il y a quelques jours, l'aspect engageant de ce petit paradis n'a pas, loin s'en faut, endormi leur méfiance. Ils l'ont donc passé au peigne fin, sans rien détecter d'alarmant. Et ils l'ont refait tout à l'heure, en obtenant le même résultat. D'après nos amis rôdeurs, cet endroit pourrait simplement donner une image de ce qu'étaient les Landes avant la Catastrophe, et il aurait été relativement préservé grâce à son altitude. Bref, nul maléfice à craindre. Néanmoins, si vous préférez procéder à vos propres vérifications, je n'y vois aucun inconvénient. Quant aux baigneurs, qui à mon avis seront loin de compter uniquement des gamins dans leurs rangs, puisque bien des adultes se plaignent déjà de n'avoir pu se laver depuis notre départ, et bien... Nous allumerons de grands feux pour qu'ils se sèchent. Et si la rumeur est fondée, Maître Giovanni songe à installer une sorte de sauna... Au passage, il semblerait que ce soit Albérich qui lui ait donné l'idée.

[Hubert de Maleval]

Hubert respectait la compétence des rôdeurs, mais la détection des forces maléfiques n'était pas leur créneau. Et si ce petit coin de verdure avait séduit les humains, il doutait que des créatures dont la raison d'être était de pervertir le vivant soient passées mille fois à côté sans le voir. Toutefois, tant que Robert ne lui interdisait pas d'aller jeter un oeil sur l'étang, il s'estimait satisfait, aussi ne revint-il pas sur le sujet.
" Je ne suis pas surpris, dit-il avec un sourire, pour rester dans la conversation. Bon, le mieux est sans doute de conserver ma moitié des troupes sur le terrain et de relever la vôtre. Nous inverserons dans une heure ou deux, quelque chose comme ça ?"