[Haute-Forêt] Quête : Racines

[Kasumi]

Au moins Eärundra mettait les deux rôdeurs dans le même panier dans sa formulation, une preuve de diplomatie dont il ne l'aurait pas cru capable au début de leur aventure, à peine quelques jours plus tôt songea Kasumi avec un certain étonnement. Il se rallia sans peine à l'avis de la druidesse rapidement soutenu par toutes les autres parties prenantes.

- Bien entendu : six heures vaudront mieux que deux. C'est simplement mon impatience de retrouver la sérénité du bosquet de Celd et ce qu'il a à nous apprendre qui a parlé ! Et sinon, pour les tours de garde, j'aime autant prendre le premier et te laisser le dernier, ma douce. Il fera jour alors. Mais il ne faudra pas me laisser traîner au lit comme ce matin même si je suis bougon au réveil !

[Voyageuse]

Sylvia sourit.
- Mais tu n'es jamais bougon au réveil ! Enfin, de ce que j'en ai vu. Et tu as raison, j'avais oublié que tu voyais mieux que moi la nuit... et que tu profites toujours de cette injustice.
Le temps semblait clément, aussi personne n'insista pour monter de tente : une nuit à la belle étoile, auprès d'un bon feu, suffirait à les requinquer, et ils n'avaient pas envie de perdre une heure à installer le campement. Tous se mirent en quête de bois -du moins tous ceux dont les yeux pouvaient percer l'obscurité, ce qui excluait Sylvia à son grand dam- et en moins d'une heure, tous dormaient, chaudement pelotonnés dans leurs couvertures au coin du feu. Tous sauf Kasumi qui prenait son tour de garde. Et Sylvia, qui ne pouvait s'empêcher de le regarder d'un air rêveur, un léger sourire aux lèvres, oubliant sa fatigue.

[Kasumi]

Kasumi se sentait en paix et tranquillisé par rapport aux deux derniers jours et à la traversée sans cesse angoissante du bosquet maudit. Savoir Sylvia éveillé tout près de lui contribuait encore un peu plus à ce qu'il n'accorde pas toute sa vigilance à son rôle de guetteur. Après une courte hésitation, il s'était décidé à se rapprocher davantage de sa compagne jusqu'à être tout à fait à côté d'elle. Après tout, la position en valait une autre pour faire le guet. S'asseyant en tailleur tout près de sa tête, il avait posé une main sur son épaule en profitant de remonter un peu sa couverture qui avait glissé comme un fait exprès. Puis, sans même en prendre conscience au début, il s'était mis à lui caresser tout doucement les cheveux. Ce n'était pas très sérieux car il avait bien conscience de l'encourager à prolonger sa veille alors qu'elle aurait eu besoin de repos mais il ne pouvait quasiment pas s'en empêcher d'autant qu'il surprenait le magnifique sourire qu'elle lui adressait tout en feignant de dormir en fermant les yeux. Et comme s'il se parlait à lui-même, le rôdeur déclara dans un murmure :

- Comme il est difficile de scruter la nuit quand une étoile si belle et lumineuse vous aveugle.

[Voyageuse]

Il la vit rougir sous le compliment -avantage non négligeable et parfaitement inadmissible du sang elfique sur le sang humain. Elle ne répondit rien, se contentant de sourire, presque timidement, en le laissant caresser ses cheveux. Son épaule, également. Elle semblait parfaitement détendue, confiante. Et ses yeux verts, qui s'étaient détournés un moment de lui pour tenter vainement de masquer sa gêne, étaient à nouveau fixés sur lui. Il y lisait... beaucoup de choses. de la passion. Une attente. Une invitation, peut-être... mais qu'elle ne verbaliserait pas, car tout de même, ça n'était pas très sérieux. Et pourtant... elle attendait, espérait peut-être...

[Kasumi]

L'air de rien il approcha son visage d'elle jusqu'à ce que ses lèvres effleurent doucement l'oreille qu'il avait dégagé par ses tendres caresses. Une fois, puis une fois encore il y déposa un simple baise avant de souffler dans un murmure imperceptible en dehors de leur cocon d'intimité :

- Il y a tant de choses que j'aime en toi mon amour. Et mon cœur s'emballe quand je songe à tout ce qu'il nous reste à découvrir l'un de l'autre. Quand tu me souries comme ça, je me persuade que le voyage sera aussi doux que beau. Quand je me vois dans le reflet de tes yeux, j'ai l'impression que je me suis enfin trouvé. Que j'ai trouvé l'évidence que j'ai recherché pendant toutes ces années. Et - les dieux me pardonnent - mais quand mon esprit se perd à songer à toutes les beautés entêtantes que tu dissimules à mes yeux sous ses couvertures, il m'est difficile de penser à accomplir mon devoir et de résister à l'envie de toutes les redécouvrir sur le champ. Mais ce ne serait pas très sérieux. Non, pas sérieux du tout même. Me le pardonneras-tu ?

[Voyageuse]

Pour toute réponse, elle l'embrassa. Langoureusement. Sans lui laisser reprendre son souffle ou ses esprits. Et chaque baiser était plus passionné que le précédent, cherchant à éveiller ses sens, son désir, à le rendre fou. Elle avait emprisonné sa main dans la sienne et l'entraînait sous les couvertures, le guidant doucement, fermement.
Autour d'eux, tout le monde dormait. Enfin, en apparence. Mais il n'avait guère le loisir de les observer.

Et puis, soudain, un bruit de course tout proche, une énorme bête qui surgissait, défenses en avant, prête à l'embrocher ou à le piétiner peut-être.

[Kasumi]

Le retour à la réalité était brutal. Très brutal même en comparaison du monde de douceurs exquises dont les caresses de Sylvia et ses baisers avaient ouvert la porte. Avant même de chercher à identifier l'animal ou la chose qui fonçait sur eux, le rôdeur se jeta en avant en entrainant Sylvia pour qu'elle ne se retrouve pas sur la trajectoire de la charge folle. Il sentit l'une de ses épaules se démettre alors qu'il encaissait l'essentiel du choc de leur chute et il poussa un cri de surprise et de douleur. Des larmes plein les yeux, il tenta ensuite de se redresser en dégainant maladroitement une de ses épées de sa main valide. La bête s'en était-elle pris à quelqu'un d'autre alors qu'il tentait de protéger sa compagne ? Son cri d'alerte avait-il était entendu ? Tant de questions angoissantes qui lui permirent de repousser la vive souffrance qui lui tiraillait le côté gauche du poignet jusqu'à l'omoplate.

[Voyageuse]

L'animal, qui était peut-être une sorte de gros sanglier bien qu'il n'eût guère le temps de l'identifier, passa à quelques centimètres seulement de Sylvia et lui, et poursuivit sa charge folle sur quelques mètres. Il le vit se retourner, hésiter en le voyant se redresser, hésiter encore davantage en entendant le grondement sourd qui s'échappa de la gorge de Léo... et finalement faire demi-tour et fuir sans demander son reste.
Autour du feu, tout le monde était réveillé, mais apparemment, ils n'avaient guère eu le temps de comprendre ce qui advenait et fixaient sur lui des yeux ahuris.

[Kasumi]

Ils étaient passés à un cheveu de la catastrophe et la décharge d’adrénaline consécutive au choc et à sa blessure fit immédiatement oublier à Kasumi sa lascivité et la passion que Sylvia avait su éveiller si savamment. Le rôdeur se tenait maintenant le bras gauche un peu hagard et penaud et la mâchoire crispée. Le soulagement de voir l’animal prendra la fuite avait réveillé la douleur et il était tiraillé par des élancements dans tout son membre. Il devait cependant rassuré ses compagnons et leur faire comprendre que plus aucun danger immédiat ne les menaçait. Ce faisant, il n’osa pas regarder du côté de la rôdeuse de peur de trahir le manque de vigilance qui avait aggravé l’incident :

- C’était un sanglier je crois mais je n’ai pas vraiment eu le temps de le voir arriver. Il a chargé dans ma direction. Je… Je crois que je me suis démis l’épaule en l’esquivant. Mais tout va bien, il est parti. Léo lui a fait peur.

Comme pour démentir ses propos rassurant, un élancement particulièrement virulent lui provoqua un vertige et il dut s’asseoir un peu lourdement pour ne pas s’évanouir tout simplement.

[Voyageuse]

Eärundra fit heureusement son apparition sur ces entrefaites, sans qu'ils puissent savoir où elle avait commencé sa nuit. Elle adressa à Kasumi un sourire un brin ironique, mais ne dit rien et ne se fit pas prier pour le soigner aussitôt. Quelques instants plus tard, la douleur disparaissait totalement et il pouvait de nouveau bouger son bras.
- Je pense que plus aucun danger ne nous menace, fit-elle tranquillement après avoir jeté un regard aux alentours... Et que nous avons tous besoin de sommeil...
Les autres acquiescèrent à l'unanimité.

[Kasumi]

Kasumi n'osa plus regarder la petite druidesse dans les yeux après avoir surpris son expression entendue. Les avait-elle observé, lui et Sylvia ou s'était-elle contenté de deviner qu'il y avait anguille sous roche à son attitude penaude ? C'était une situation assez embarrassante à dire vrai mais il n'avait pas terriblement envie de s'épancher sur le sujet en présence de tous les elfes qui semblaient eux aussi l'observer. Au moins n'avait-il plus mal au bras... Il chercha à se détourner de ses pensées coupables en se concentrant sur des détails pratiques :

- Est-ce que vous pensez que la vigilance de Léo suffira ? Sinon, je veux bien finir mon tour de garde... Mon bras est comme neuf !

C'était un mensonge évidemment : il préférait mille fois pouvoir rejoindre Sylvia malgré l'incident mais peut-être cherchait-il à se convaincre lui-même qu'il était encore fiable et apte à accomplir son devoir si nécessaire.

[Voyageuse]

- Je pense qu'il vaut mieux prévoir quand même des tours de garde, on ne sait jamais... Il peut y avoir d'autres menaces, plus graves, plus tard dans la nuit. Mieux vaut rester prudent.
- Je prendrai le dernier tour, comme convenu...
Tilmandil opta pour le sedonc, Eärundra pour le troisième, et Galawen accepta de dormir sans participer aux réjouissances : elle n'était pas vraiment remise de leur mésaventure chez les araignées, où ils avaient tout de même passé presque deux jours captifs d'un cocon...
Une nouvelle fois, tout le monde se coucha. Et se rendormit très vite. Sauf Sylvia, qui paraissait un peu gênée...

[Kasumi]

Au moins les tours de garde seraient raccourcis par le renfort de Tilmandil. Il ne resterait donc qu'environ une heure avant que le rôdeur ne puisse prendre lui aussi un peu de repos. Avec le contrecoup des émotions de la soirée, celui-ci n'arriverait probablement pas trop tôt. Toutefois, il sentit rapidement que Sylvia ne dormait pas, et affichait une expression quelque peu coupable. Il attendit un moment pour être certain que tous les autres dormaient pour s'asseoir à nouveau à côté d'elle et posa une main sur son épaule avant de répliquer d'un ton qui se voulait léger, pour dédramatiser la situation et la faire sourire peut-être :

- Désolé ma douce. Ce soir, je crois qu'il vaut mieux se montrer prudents mais demain il n'y aura pas de sanglier pour nous embêter ! Et même s'il y en a, il en faudra bien davantage pour me détourner de toi. Un dragon pas moins !

[Voyageuse]

- Ne parle pas de malheur, soupira la rôdeuse. Un sanglier ça suffit largement. On a eu chaud....
Elle grimaça un pauvre sourire.
- Mais file donc monter la garde, je ne veux pas te distraire davantage. Je vais finir par m'endormir... Ne fais pas attention à moi. On se rattrapera quand on sera en lieu sûr, ajouta-t-elle avec un sourire plein de promesses.
Et, pour lui éviter toute tentation, elle se retourna, lui tournant ostensiblement le dos, bien décidée à rester sourde à tous ses appels, s'il s'avisait d'en faire....

La nuit était calme et fraiche, le ciel piqueté d'étoiles, et on n'entendait plus un bruit, hormis les petits bruissements habituels de la forêt : chauve-souris cherchant une proie, rongeurs en maraude. Rien de gros. Rien d'inquiétant. Et l'heure de veille s'écoula peu à peu, sans que rien ne vienne le déranger.

[Kasumi]

Le rôdeur sentait que Sylvia s’en voulait ou qu’elle réalisait plus que lui combien le danger omniprésent risquait de les séparer à nouveau. Mais il se souvenait qu’il valait mieux ne pas trop insister quand elle se fermait comme elle venait de le faire. Alors, avec un petit pincement au cœur, il se détourna à son tour pour ne pas passer tout son temps de veille à se contenter de la regarder. Et, chose dont il se serait senti incapable, il parvint à se recentrer sur sa tâche, à être suffisamment attentif pour veiller sur la sécurité de leur petite expédition. A se concentrer suffisamment pour ne plus penser à autre chose. Et quand vint enfin l’heure d’être relevé de sa garde, il souhaita simplement la bonne nuit à Tilmandil avant de se glisser à son tour sous les couvertures sans demander son reste. S'il avait eu l’idée de mener une petite conversation, il faudrait la remettre au lendemain. Tout comme le bilan de leur escapade dans le bosquet maudit.

[Voyageuse]

Tilmandil ne chercha pas à engager la conversation, estimant peut-être que son demi-frère avait besoin de repos.
Le sommeil ne fut pas long à venir : la journée avait été riche en émotions et incroyablement longue. Et lorsqu'il s'éveilla quelques heures plus tard, il avait la désagréable impression de n'avoir dormi que quelques minutes...
C'était Sylvia qui lui parlait doucement à l'oreille.
- Réveille-toi, mon amour...
Il sentit aussitôt le goût de ses lèvres sur les siennes, avant même d'avoir eu le temps d'ouvrir les yeux.

[Kasumi]

Le réveil aurait pu être bien plus rude mais il ne s'était jamais senti aussi fatigué même en des occasions où les nuits avaient été plus courtes. Peut-être ne fallait-il y voir que la conséquence de l'accumulation des efforts et des privations de sommeil des derniers jours ? Peut-être ne fallait-il pas y chercher des signes que le combat contre les ombres l'avait marqué durablement, l'avait fragilisé ? Il ne put cependant s'empêcher d'y penser durant un fugace instant. Puis il sentit Sylvia qui l'embrassait et ses pensées inquiètes s'évanouirent comme une ombre devant la lumière. Quand il sentit qu'elle se détachait de lui, il murmura sans même ouvrir les yeux :

- Je suis loin d'avoir la légitimité d'un expert mais il me semble que tu as les lèvres les plus douces du monde, ma dame.

Puis il entrouvrit les yeux et esquissa un sourire rêveur avant d'ajouter :

- En tous cas, je suis réveillé à moins qu'il ne s'agisse d'un très beau rêve. Quoique tu serais probablement nue si c'était le cas...

[Voyageuse]

Sylvia rougit, bien sûr, et réprima un rire complice. Les bruits autour d'eux indiquaient que les autres se réveillaient, eux aussi, et qu'il n'était plus temps de profiter des apartés amoureux.

Ils se mirent en route moins d'une heure plus tard. Ils n'avaient pas trouvé de point d'eau sain à proximité, mais Tilmandil avec tiré un mince filet d'eau de sa flûte enchantée, et ils purent faire infuser un thé et remplir leur gourde. Sans doute qu'Eärundra aurait pu obtenir la même chose grâce à ses pouvoirs, mais elle avait laissé faire le barde.
Il leur fallut quelques heures encore pour rejoindre le bosquet de celd. Quelques heures où, étrangement, chaque pas leur parut un peu moins pénible que le précédent, où chaque avancée découvrait un paysage plus beau et plus accueillant, jusqu'à retrouver, enfin, le sentiment d'une présence bienveillante qui veillait sur eux et les accueillait avec joie.

[Kasumi]

Il aurait été très agréable de passer une main autour de la taille de sa compagne et d'avancer juste à côté d'elle dans cet environnement merveilleux mais Kasumi avait tenu à porter le brancard sur cette partie du trajet et Sylvia l'y aidait elle aussi. Plus tard viendrait peut-être le moment de se retrouver avec elle mais pour l'heure et malgré la gaieté que lui inspirait ces lieux, il était surtout impatient et quelque peu inquiet de ce que pourrait ou non leur confier Celd. Ils allaient jouer leur meilleur espoir dans quelques instants et s'il n'en sortaient pas une solution ou au moins une piste sérieuse, tous seraient probablement accablés, son père le premier évidemment.

- Courage papa, nous approchons..., murmura-t-il comme pour se convaincre lui-même que tant de bienveillance était forcément synonyme d'espoir.

[Voyageuse]

Son père lui retourna un regard éteint, résigné. Il n'y croyait pas.
Eärundra, qui avait pris la tête, s'arrêta un peu avant d'arriver au coeur du bosquet. Un ruisseau courait au travers d'une petite clairière herbeuse, parsemée des dernières fleurs de la saison.
- Je propose que nous montions le camp ici. Et je ne sais pas s'il est nécessaire, ou souhaitable, que nous allions tous voir Celd. Que vous a-t-il dit exactement ? Si vous vous souvenez... ajouta-t-elle en se tournant vers Kasumi. Qui voulait-il voir ?
- On l'a déjà vu, soupira Elryndel. S'il avait eu quelque chose à nous suggérer, il l'aurait fait...

[Kasumi]

Le rôdeur fouilla dans sa mémoire après avoir hocha la tête pour marquer son accord à la proposition de monter leur campement. Cela lui donnait le temps de rassembler ses pensées mais il devait bien reconnaître que les derniers jours, particulièrement mouvementés, lui avait sorti les mots exacts de Celd de la tête. Guère étonné par la réaction de son père, il répliqua d'un ton néanmoins volontaire :

- Je dois reconnaître que je ne me souviens plus de ses propos exacts. Mais ce dont je me souviens était qu'il voulait me reparler quand j'aurais retrouvé Elryndel. Il n'a rien précisé de qui devrait nous accompagner ou non. Ni même si je devais y retourner seul d'ailleurs. Alors je pense que le plus sage serait que nous y allions tous les deux, ainsi que quelqu'un pour m'aider à le porter. Tilmandil si tu le désires. Galawen, je sais que vous êtes proche également de mon père mais je pense que le même sang qui coulent dans nos veines peut avoir son importance. Et peut-être les conditions n'étaient-elles pas toutes réunies lors de votre premier passage : les sylvaniens sont êtres impénétrables à ce que j'ai entendu dire. De toute manière nous serons vite de retour...

Ces mots s'adressaient à Sylvia cette fois-ci. Il espérait ne pas lire de déception en tournant son regard vers elle.

[Voyageuse]

Si Sylvia était déçue, elle s'efforçait de le cacher. Tout ce qu'il put en voir, c'est qu'elle était moins souriante qu'à l'habitude, mais la fatigue pouvait parfaitement expliquer cet état de fait.
- Nous allons monter le campement pendant ce temps, conclut Eärundra.
- Les hommes aux parlotes, les femmes à l'action, commenta Tilmandil d'un ton léger. Ça change...
Ce qui déclencha, comme il l'avait probablement souhaité, une tempête de protestations féminines. Pour la forme, bien sûr : les trois femmes se mirent aussitôt à l'oeuvre, tandis que Tilmandil prenait l'arrière du brancard, et suivait son demi-frère.

[Kasumi]

Juste avant de s'esquiver et après avoir hésité juste un instant, le rôdeur s'approcha de sa compagne et lui glissa quelques mots à l'oreille d'un ton doux et léger :

- Tâche de te reposer un peu ma toute belle. A mon retour tu en auras besoin !

Puis, sans lui laisser le loisir de répondre et profitant de la diversion de son demi-frère, il se saisit du brancard et emprunta le chemin menant vers le cœur du bosquet. Cela faisait étrange de se trouver ainsi réuni avec Tilmandil et son père : comme une réunion de famille alors qu'ils ne s'étaient jamais rencontré tous ensemble jusqu'à la veille ou peu s'en fallait. Ragaillardi par l'atmosphère bienveillante et souhaitant la détendre à sa manière, Kasumi risqua une nouvelle taquinerie à l'endroit de son demi-frère :

- Il est curieux comme les bardes aiment à attirer les ennuis par pure provocation. A moins que ce ne soit un don destiné à alimenter tes histoires de péripéties ? La grande saga de Tilmandil doit être édifiante. Aurais-je le plaisir d'en écouter quelques bons morceaux prochainement ?

[Voyageuse]

- Pas avant notre retour tous ensemble et en un seul morceau à Everaska, répliqua Tilmandil. Mais promis, je t'inviterai à l'avant-première de mon spectacle, et peut-être même que tu auras droit à quelques morceaux choisis en exclusivité... Ton passage dans un cocon soyeux par exemple...
Kasumi nota que malgré ses efforts pour paraître détendu, son ton était moins léger qu'il l'aurait dû. Il ne pouvait masquer complètement son anxiété.
Le chemin longeait le ruisseau, au travers d'une forêt magnifique, luxuriante, paisible, et incroyablement ancienne. L'atmosphère des lieux incitait à la confiance, à l'optimisme, mais le barde n'y était certainement pas autant sensible que le rôdeur.
Ils arrivèrent à la clairière formant le coeur du bosquet, avec sa source jaillissant entre les pierres, coulant d'un bassin à l'autre, le pommier aux fruits abondants, l'immense chêne et son voisin plus discret, qu'ils savaient maintenant être un sylvanien.

[Kasumi]

Le reste du trajet s'était déroulé dans le plus grand silence, autant parce que le rôdeur était sensible à l'humeur de ses deux parents que parce que le calme des lieux incitait à la sérénité, à la pondération, au recueillement en quelque sorte.

Quand ils atteignirent le bosquet, le demi-elfe fut à nouveau frappé par sa beauté et il regretta, l'espace d'un instant, de n'avoir pas pu s'y rendre avec Sylvia. Quel lieu plus approprié pour lui déclarer tout son amour. Qu'il avait envie d'aller bien au-delà de ces quelques jours merveilleux en sa compagnie. Que si elle le souhaitait, ils resteraient ici ensemble. Mais il y avait encore à faire avant de pouvoir se le permettre. Il y avait d'autres personnes qu'il aimait et avaient besoin de lui. Il voulait aider son père même s'il ne savait pas encore ce que cela impliquerait. Cela importerait peu du moment qu'il pouvait rester un espoir. Du moment qu'il parvenait à le ranimer chez son père. Alors il s'avança vers Celd, lui dédia le salut réservé aux anciens dans sa communauté natale et s'assit en tailleur devant lui, signe qu'il reconnaissait sa sagesse supérieure, signe qu'il venait en paix, signe qu'il venait en requérant, une fois de plus.

- Bonjour, Vénérable. Nous nous présentons à nouveau devant vous.

[Voyageuse]

L'arbre bougea, comme il l'avait fait l'autre fois. Une éternité plus tôt. Il avança d'un pas, et s'assit à son tour, sur l'espèce de petite murette naturelle que canalisait l'eau de la source. Il parla, de cette voix profonde, à la fois rocailleuse et chuchotante, qui ne servait sans doute jamais.
- Te voici donc de retour, demi-elfe... Et je vois que tu as ramené ton père. Dans l'état exact dans lequel il était l'autre jour. A-t-il trouvé et consommé cette fameuse racine ?
- Oui. Elle ne m'a pas soigné, répondit sobrement Elryndel. Vous aviez raison...
L'amertume, voire le désespoir, perçaient dans son ton.
- La solution est autre, je te l'ai dit. Elle est aux racines du mal...

[Kasumi]

Kasumi tourna son regard vers son père tout proche, lui adressant un sourire confiant. Elryndel admettait que la racine des asabis n'était pas la solution et, même maintenant qu'il était de retour dans la réalité, ce ne devait pas être un constat facile à verbaliser. Il fallait même une certaine volonté et, malgré le ton désabusé de son père, Kasumi voulait y voir un motif d'espoir. Une preuve que son esprit n'était pas encore vaincu par la maladie qui rongeait son corps. Il reporta ensuite son attention vers Celd, tant pour ne pas paraître dévisager l'elfe que parce que les derniers propos du sylvanien l'avaient interpelé.

- En savez-vous plus sur la racine de ce mal ? Sur sa nature ?

[Voyageuse]

Celd observa Elryndel d'un air songeur, avant de se tourner vers Kasumi.
- Sur ses racines, je ne sais rien. C'est à vous de les trouver. Mais je connais sa nature, en revanche. Il s'agit d'une malédiction. Une malédiction puissante.
Il regarda à tour de rôle Tilmandil, Elryndel et Kasumi.
- Une malédiction est rarement lancée sans raison. Surtout une malédiction aussi grave. Il faut disposer d'énormément d'énergie divine, mais également donner beaucoup de soi, de sa propre haine ou rancœur, pour lui donner sa force. Si vous en trouvez la cause, vous en trouverez peut-être aussi le remède...

[Kasumi]

Une puissante malédiction ? Cela ne les avançait guère même si les conseils de Celd étaient sages et avisés. Un tel mal ne frappait pas au hasard et c'était là sa faiblesse : il en devenait plus aisément identifiable. En temps normal en tous cas. Bien que Kasumi doutait qu'Elryndel n'ait pas cherché dans cette direction jusqu'ici, il se tourna néanmoins vers lui :

- Il faudrait qu'un ennemi puissant ou disposant de considérables ressources t'en veuille. Mais connais-tu quelqu'un qui aurait pu en être capable ? Et si ce n'était pas pour une raison personnelle, ce serait lié à ton travail peut-être... Père, je sais combien cela peut être difficile mais il faut que fasses confiance à tes fils si tu as des doutes sur qui aurait pu te faire ça et pourquoi.

[Voyageuse]

Son père secoua la tête.
- Non, vraiment, je ne vois pas... J'y ai déjà réfléchi... Et puis, des prêtres puissants n'ont pas trouvé trace de malédiction. Ils m'ont même lancé des sorts pour en contrer une, éventuellement dissimulée, mais sans résultat.
- Parce qu'il s'agit d'une malédiction qu'ils ne connaissent pas, qui ne leur est pas accessible. Ils ne connaissent que les malédictions lancées par leurs semblables, appuyées par les dieux mauvais de leur panthéon ou de quelques autres. Ils ne peuvent pas détecter ou contrer une malédiction inconnue.
- Alors comment savez-vous, vous, que c'est une malédiction ?
- Parce que j'en reconnais les symptômes, même si je ne peux pas, moi non plus, la déterminer précisément. Il me semble d'ailleurs que les druides de la forêt l'ont donné le même diagnostic. Tout comme la jeune druidesse qui vous accompagne, non ?
Elryndel acquiesça sans un mot. Le sylvanien laissa planer un instant de silence, puis ajouta.
- Je pense aussi qu'il ne faut pas te restreindre à tes propres ennemis. Ce peut être un ennemi inconnu de toi, mais qui, à travers toi, cherche à se venger de quelqu'un d'autre...