[Quête] Montequine

[Galathée]

La rôdeuse put procéder à ses préparatifs sans trop de difficultés car il était fort tard et le crachin avait chassé les promeneurs. Elle dénicha toutes les chutes de tissus dont elle pouvait rêver dans deux grands paniers posés près des portes, vida une lampe à huile qui s'était éteinte prématurément et trouva de nombreux bâtons appropriés dans l'entrée de l'atelier du menuisier. Hormis les chats, les rats et les hiboux, personne ne remarqua son manège. Elle ne pouvait pas réellement tester sa torche, mais celle-ci avait fière allure. Elle devrait juste prendre garde que les lambeaux qui ne manqueraient pas de s'en détacher ne boutent pas le feu à la paille omniprésente dans la prison. Pour le reste, elle put boire de tout son saoul et remplir sa gourde dans le lavoir déserté.

[Voyageuse]

La rôdeuse ne perdit pas une seconde de plus que nécessaire. Elle fixa de son mieux les morceaux de tissu imbibés d'huile au morceau de bois, espérant qu'aucun ne s'échapperait, et se dirigea vers l'arrière de la prison, là où, si ses souvenirs étaient exacts, elle jouxtait un hangar ou un entrepôt quelconque. De ce côté-ci, nul ne la verrait lancer son grappin en direction de la corniche et grimper jusqu'au toit, du moins elle l'espérait.
Ensuite... et bien elle allait remettre ses vêtements pleins de suie, cacher ses cheveux dans son bonnet, en mettant le côté le plus sale à l'extérieur. Et redescendre dans la cheminée. Avec dans sa sacoche du papier et de quoi écrire, sa torche, et tout le petit matériel utile. Il lui fallait explorer un peu mieux la prison. Déterminer, par exemple, si les deux salles qui donnaient dans la cour pouvaient être des cachettes possibles. Vérifier que les cellules inoccupées étaient fermées à clé. Et voir de plus près la structure de bois et ce qui servait à immobiliser Sheldon là-bas. Mais il était probable que l'inconnu l'interpelle avant qu'elle parvienne à la salle de dressage.

[Galathée]

Là encore, les choses se déroulèrent comme Astrée l'avait prévu. Elle gagna l'arrière du bâtiment, lança son grappin et escalada la façade. La corniche grinça de manière inquiétante et plia légèrement, mais la jeune femme parvint néanmoins à ses fins. Une fois perchée sur le toit, sous l'averse de plus en plus glaciale, elle entreprit de se changer, ce qui lui valut quelques éternuements sonores, aussitôt emportés par le vent. La descente par la cheminée ne fut pas plus aisée que la veille, mais ses vêtements huileux glissèrent peut-être un peu plus facilement dans le conduit que son passage ramonait assez efficacement. Cette fois, elle sentit les vestiges d'une chaleur étouffée lorsqu'elle parvint vers le bas et une fumée acre la fit tousser. Il restait quelques braises dans le foyer, et elle dut prendre garde à ne pas y poser les pieds. Elle se retrouva bientôt dans la rotonde qui coupait le couloir en deux parties, plongée dans le noir le plus profond.

[Voyageuse]

Il ne lui restait qu'à allumer son flambeau. Mais au dernier moment, prise d'un doute, elle en ôta un peu de tissu imbibé d'huile qu'elle rangea dans sa sacoche. Si, par exemple, l'inconnu avait besoin d'une source de lumière pour écrire, elle lui bricolerait un minuscule flambeau avec, sans avoir à se séparer du sien. Normalement, il devait avoir sa bougie, mais elle préférait être prudente et ne pas se retrouver privée de lumière...
Elle alluma donc son flambeau et commença par examiner un peu mieux la rotonde où elle se trouvait. Elle voulait explorer les lieux, trouver les deux pièces qu'elle avait vues depuis la cour, et surtout chercher s'il existait dans cette prison quoi que ce soit qui ressemble à une cachette sûre. Et si possible près de la salle de dressage. Elle réfléchissait à la possibilité de se cacher durant la nuit, d'attendre l'après-midi et la séance de dressage, pour agir au moment où un seul homme resterait avec Sheldon. Si toutefois il était plus facile à détacher à ce moment-là... Un plan beaucoup trop dangereux, certainement, mais elle tenait à explorer toutes les idées qui lui venaient. Après avoir examiné la rotonde, elle se dirigerait donc vers la salle de dressage.

[Galathée]

La rotonde était une petite pièce qui servait de salle de garde. Il y avait une petite table, des tabourets, une armoire dans laquelle elle trouva quelques couvertures, deux seaux, et de l'huile de lampe. Il y avait aussi de la vaisselle ébréchée, une paire de bottes usées, une pierre à aiguiser, et de nombreuses bûches étaient empilées à côté de l'âtre tiède.
Astrée remonta ensuite vers la salle de dressage, le long du couloir où étaient retenus le centaure blanc et les deux humains. Elle en avait presque atteint la porte lorsqu'elle entendit une porte grincer derrière elle. Une lumière vive apparut, dégagée par une lanterne, et elle devina une silhouette.
" On s'balade, jeune fille ?" demanda un voix un peu ironique.

[Voyageuse]

Astrée blêmit, et se retrouva un instant pétrifiée. Pourtant, tout le monde était sorti de la prison non ? A moins qu'elle ne se soit endormie sans vérifier si les deux gardiens avaient tous les deux évacués les lieux ?
Quoiqu'il en soit, l'inconnu l'avait trahie. Ou bien ils avaient trouvé des traces. Peu importait. L'homme lui coupait toute retraite vers la cheminée.
Sans réfléchir davantage, elle plongea sur lui, son flambeau en avant comme si elle voulait l'embrocher, espérant au moins le forcer à s'écarter pour qu'elle puisse fuir. Il était hors de question qu'elle se fasse prendre.

[Galathée]

Astrée ne saurait peut-être jamais ce qui s'était produit pendant son sommeil, qui était entré, sorti, revenu, reparti, et par où, mais il était manifeste qu'elle n'était pas seule dans la prison. Et que son adversaire ne l'était pas non plus car, tandis qu'elle bondissait vers lui, la porte de la salle de dressage s'ouvrit dans son dos. L'homme poussa un juron et s'écarta légèrement, mais le couloir n'était pas très large, et la jeune femme le frôla en le dépassant. Il l'agrippa par l'épaule, sa main glissa, se rattrapa à sa tunique et un bruit de déchirure se fit entendre. La rôdeuse lui abandonna une partie de son vêtement et déboucha dans la rotonde. Où se trouvaient deux hommes de plus, armés de gourdins. Ils ne disposaient pas de lumière, eux, mais la torche de la jeune femme était suffisante pour les éclairer tous les trois.

[Voyageuse]

Elle n'avait aucune chance, elle le savait très bien, contre quatre hommes. Et pourtant, il fallait qu'elle essaie de fuir... Mais bon sang, pourquoi n'avait-elle pas ordonné à Prince de vérifier, avant la nuit, qu'il ne restait plus personne, comme elle l'avait prévu au départ ? Trop de fatigue...
Sans perdre un instant, elle lança sa torche enflammée en direction des deux hommes, espérant au moins provoquer un mouvement de recul, sans se soucier du risque de mettre le feu à la paille omniprésente, bien au contraire. Dans le même mouvement, elle se précipita vers la cheminée. Ce serait un miracle si elle parvenait à grimper. Mais elle devait le tenter. Se précipiter vers la porte de sortie, probablement fermée, aurait été absurde.

[Galathée]

Astrée se rua vers la cheminée sans attendre de voir ce qu'il advenait de sa torche. Agrippant la corde, elle entendit un juron, puis une course, et une main se referma sur sa jambe, la tirant vers le bas. Il lui sembla qu'il faisait soudain plus chaud, nettement plus chaud. A force de coups de pied et de ruades, elle parvint à se dégager et à commencer son ascension, mais un bras la chercha à nouveau à l'intérieur, saisissant la corde pour la secouer violemment. Elle se sentit glisser, frôler à nouveau, et le ciel paraissait distant d'un millier de lieues.

[Voyageuse]

Elle s'accrocha, de toutes ses forces, les mains agrippées à la corde à la corde et les pieds se fixant aux multiples prises qu'il y avait dans le conduit de cheminée. Elle serra les dents lorsqu'elle se sentit glisser, surprise par les secousses, et son pied esquiva maladroitement la main qui le cherchait. La priorité était de monter, grimper hors d'atteinte : ils ne pourraient pas passer derrière elle, ils étaient plus larges d'épaule. Sa corde était solidement accrochée, elle tiendrait bien encore un peu. Et si elle lâchait, et bien elle écarterait les pieds et les mains pour grimper en se servant uniquement des prises du conduit. Surtout ne pas tomber, garder des prises solides sous les pieds.
Elle trouva une prise, une autre, avança encore ses mains sur la corde. Il fallait fuir. Hors de question de se faire prendre. Saleté de traître qui lui avait tendu un piège.
Elle ne se préoccupa pas vraiment de la chaleur. Peut-être avait-elle mis le feu à la paille, elle l'espérait... Il y avait des couvertures pour l'éteindre, mais ça devrait les occuper un peu.

[Galathée]

Astrée finit par échapper à la zone critique où l'homme aurait pu l'attraper. Mais une fumée noire avait commencé à l'échapper par le conduit de la cheminée, bloquée en partie par le corps de la rôdeuse, et celle-ci se retrouva bientôt au coeur d'un nuage pestilentiel, qui la fit tousser et pleurer tandis qu'elle progressait vaille que vaille vers le sommet. Elle finit par déboucher à l'air libre, emplissant ses poumons d'un air frais, humide, bienvenu. La fumée continua à sortir, épaisse et sombre, derrière elle. Et quand elle arriva en bordure du toit, elle réalisa que plusieurs fenêtres de la prison vomissaient également des volutes grises, tandis que des cris retentissaient à l'intérieur.

[Voyageuse]

Elle sentit une vague de culpabilité l'envahir. Peut-être que l'huile de lampe avait pris feu... Oh, pourvu qu'ils libèrent les prisonniers, humains et centaures, qu'ils ne les laissent pas mourir asphyxiés ni brûlés. Mais non, jamais ils ne libéreraient Sheldon. Alors pourvu qu'ils arrivent à éteindre le feu... Il y avait des couvertures, ça devait être faisable...
Mais pour l'heure, c'est à sa sécurité à elle qu'elle devait penser. Ils pouvaient à tout moment décider de se lancer à sa poursuite.
Elle avait pris le temps de récupérer son sac, mais pas sa corde trop solidement attachée. Elle n'osa pas perdre de précieuses secondes à la détacher. Arrivée au bord du toit, elle se pendit par les mains avant de se laisser tomber au sol, veillant à sauterle plus loin possible de la porte d'entrée, puis elle se mit à courir. En direction des remparts, du côté ouest, là où elle les franchissait d'habitude. Ses pieds devaient laisser des marques noires sur le sol, et il fallait absolument qu'ils croient qu'elle avait quitté la ville. La pluie n'effacerait peut-être pas tout de suite ses traces : il suffisait qu'elles restent visibles assez longtemps pour qu'on voie qu'elle rejoignait les remparts... Mais une fois qu'elle arriverait à proximité, elle quitterait tous ses vêtements pleins de suie, les roulerait dans son sac, et s'enfuirait en chaussettes propres dans une autre direction.

Bon sang, ils avaient tout fichu en l'air. Elle avait songé, un moment, à un piège, surtout vu l'étrangeté de la requête. Mais elle n'avait pas d'autre choix que de tenter sa chance, en fait. Elle avait juste été complètement stupide de s'endormir. Et qu'allaient-ils faire de Sheldon maintenant ? Oh, misère... En fait, elle n'aurait peut-être pas dû s'enfuir : elle aurait pu se laisser capturer, ainsi elle aurait sauvé la mise à Sheldon, ils n'auraient plus eu la moindre raison de le tuer ou de le castrer. Et Neffen aurait pu poursuivre seul... Mais voilà, dans le feu de l'action... et bien elle avait fui sans réfléchir, comme l'aurait fait n'importe qui sans doute...

hrp : il est fort possible qu'elle ait, comme la première fois, laissé ses bottes dans la cheminée pour ne pas laisser d'empreinte sur le sol... ou bien elle a pu les envelopper d'une paire de chaussettes propres. La seconde option m'arrangerait mais je la pense moins probable, hélas...

[Galathée]

hrp : je ne sais pas décider ça pour toi !

Astrée décampa donc, dégringolant le long du toit, puis dans la rue. La fumée s'échappait à présent de nouvelles fenêtres, et elle entendit la porte de la prison s'ouvrir et quelqu'un appeler à l'aide. Tandis qu'elle filait, laissant des traces noires sur les pavés, une cloche se mit à sonner, des lumières s'épanouirent aux fenêtres, et la nuit parut soudain s'emplir de bruit et de lueurs. Il y eut d'autres cris, et elle comprit que personne ne l'avait prise en chasse mais que tout le monde convergeait, désormais, sur le site de ce qui était devenu un véritable incendie. Quand elle s'immobilisa dans l'ombre des remparts pour se changer, elle eut tout le loisir de contempler la fumée noire qui se dessinait sur les nuages plus clairs, sur lesquels se reflétaient le rouge du brasier. Le crachin printanier continuait à tomber, délicat, une aide bien fragile pour combattre les flammes.

[Voyageuse]

hrp : bon ben ça me semble logique qu'elle n'ait plus de bottes... argh, j'aurais pas dû le dire, tu y aurais pas pensé Elle va tomber malaaade !

Astrée contemplait la fumée avec inquiétude. Il fallait absolument qu'ils éteignent le feu, que Sheldon vive. Même s'ils risquaient de le tuer bientôt, il fallait qu'il survive, tout n'était peut-être pas perdu. Il fallait qu'ils sauvent les prisonniers... Elle brûlait d'envie d'aller voir ce qui se passait, mais ça n'aurait pas été prudent, vraiment pas.
Avec un soupir, elle se faufila dans les ruelles inconnues, s'éloignant à la fois des remparts et de l'incendie. Elle irait voir plus tard. Pour l'heure... Il lui fallait rejoindre Neffen. Mais l'alarme ayant été donnée, il était probable que toute la ville soit sur le pied de guerre pour aller éteindre l'incendie. Peut-être qu'elle ne pourrait pas s'approcher et devrait se chercher une cachette en attendant que le calme revienne. Elle devrait aussi se chercher de quoi se chausser. De quoi manger. Une cachette sûre. De l'eau. Et... non, finalement, mieux valait cesser cette liste désespérante. Elle était vivante et libre, de quoi se plaignait-elle ? Bon, certes, elle avait peut-être causé la mort de Sheldon et des autres prisonniers, elle avait peut-être fichu en l'air toute chance de sauver le village ou plus probablement la harde, elle aurait peut-être toute la garde sur ses traces le lendemain. Elle était clairement devenue l'ennemi à abattre. Pourvu qu'ils croient à sa fuite...
Elle s'efforça de son mieux de chasser ces sombres pensées, sans y parvenir. Aurait-elle mieux fait de se laisser capturer ? Peut-être. Sans doute.

[Galathée]

Les rues de Montequine bruissaient d'activité malgré l'heure tardive. Il y avait des gens sur les perrons, d'autres qui sortaient, revêtant leur manteau. Les points d'eau étaient pris d'assauts, les conversations pleines d'interrogations sans réponses. Il y avait eu un incendie, à la prison... Un intrus... Se faufilant dans les ruelles, Astrée n'avait plus de vue claire sur le ciel et ne pouvait donc pas savoir où en était le sinistre. Avaient-ils éteint les flammes ? Impossible de le savoir. Il était clair, cependant, que les habitants du village n'en étaient pas à rentrer chez eux en haussant les épaules. Tout en circulant dans des quartiers qu'elle connaissait moins, la jeune femme tomba sur le Temple de Chauntéa, qu'elle n'avait pas encore vu. Il était d'une toute autre architecture que celui de Bortheias, où elle avait retrouvé Reynald, un siècle plus tôt. Elle aperçut le clerc en sortir, puis partir en courant dans les rues, dans la direction de la prison. Quand elle finit par atteindre la maison où vivait Neffen en l'attente de son établissement plus durable à Montequine, elle la trouva illuminée au rez de chaussée et aux étages. Difficile de savoir où se trouvait le jeune shaman, cependant...

[Voyageuse]

Tout en avançant, Astrée ruminait son angoisse. Si Sheldon était mort ? Ce serait la fin de tout espoir... Y avait-il des chances qu'il survive ? Il y avait plein de paille au sol, mais ils auraient dû maîtriser le feu sans peine, à quatre, en jetant des vêtements, des couvertures, en piétinant... sauf si les flammes avaient atteint l'huile... Personne n'allait se préoccuper de sauver Sheldon, il fallait absolument que le feu soit maîtrisé vite.
Et puis subitement, elle réalisa pleinement toutes les conséquences de son geste instinctif de panique. Non seulement les centaures et les humains de la prison risquaient de mourir, mais également... Neffen. Oh, par tous les dieux... Non, ça n'était pas possible ! Il ne pouvait pas mourir, pas comme ça, à cause d'elle ! Il fallait qu'elle sache, absolument. Si jamais il était mort ? Elle ne pourrait pas se le pardonner...
Et immédiatement lui revint en mémoire ce à quoi elle s'était engagé. Ramener l'enfant. Et rapidement, puisqu'il serait adulte demain soir. Elle n'avait pas de temps à perdre, elle devait absolument savoir.

Elle jeta un coup d'oeil distrait au temple devant lequel elle passait, sans y faire réellement attention, sans se demander encore une fois si c'était le prêtre qu'elle avait vu, l'autre soir, ou quelqu'un d'autre. Ça n'avait plus aucune importance. Il fallait qu'elle sache comment allait Neffen, rien d'autre ne comptait dans l'immédiat.
Bien sûr, tout le monde était réveillé, ici comme ailleurs. Elle glissa sa main dans la poche où Prince devait s'être endormi. Lui pouvait aller voir, par les fenêtres, s'il voyait le shaman, s'il était vivant...

[Galathée]

Sensible à la panique de sa maîtresse, l'écureuil affronta la pénombre pour escalader la façade de la maison et se glisser jusqu'à la chambre arrière. Astrée, exposée dans la rue où passaient continuellement des badauds, dut battre en retraite à l'abri d'un appentis voisin, d'où elle pouvait plus ou moins observer les allers et venues. Il fallut quelques minutes à Prince pour parvenir à destination, d'autant que les rideaux de la chambre étaient fermés, ce qui le força à s'introduire à l'intérieur. Neffen avait heureusement laissé le châssis entrouvert, comme promis.
Les nouvelles de son compagnon ne furent pas réjouissantes sans être absolument désespérées. Neffen était vivant mais paraissait fiévreux. Une femme était à son chevet dans la chambre, où il était allongé. Prince avait l'impression qu'il n'était pas tout à fait dans son état normal.

[Voyageuse]

Astrée poussa d'abord un soupir de soulagement. Si Neffen était vivant, c'est que Sheldon l'était. Mais bien sûr, s'il était fiévreux... cela signifiait probablement que Sheldon allait mal. Ce dont elle se doutait déjà, hélas. Prisonnier au beau milieu d'un incendie, asphyxié par la fumée, il avait peut-être sombré dans l'inconscience.
Elle se tordit les mains en silence. Elle ne pouvait rien faire, rien. Prier pour qu'ils éteignent le feu à temps, prier pour que Sheldon survive, prier pour Neffen. Peut-être serait-il plus résistant sous sa forme centaure ? Devait-elle tenter de le transformer ? Absurde. Tout dépendait de l'état de Sheldon. Et d'ailleurs, était-il conscient ? Il était peut-être capable de faire tomber des trombes d'eau, s'il le voulait, d'éteindre cet incendie... mais il aurait fallu qu'elle puisse le rejoindre pour le lui dire, peut-être, et pour ça, que cette fichue bonne femme le laisse seul. Et qu'elle ait une corde pour grimper. Mais même si elle y parvenait, s'il était inconscient, elle ne pourrait rien faire... Le crachin sur son visage avait prit un goût de sel. Elle ne chercha même pas à retenir ses larmes.

Malade d'angoisse, rongée de culpabilité, elle pria silencieusement, quelques instants, de toutes ses forces. Elle se sentait au bord de la panique. Il fallait qu'elle se calme. Qu'elle demande à Prince si Neffen semblait conscient, s'il parlait. Certes, cela ne prouvait rien, il pouvait être en train de délirer. Qu'il lui dise si on le laissait seul. Il fallait qu'elle trouve une corde, qu'elle le rejoigne absolument. Ou alors, si ça n'était pas possible... Il fallait sauver Sheldon, courir à la prison, même si c'était fou et absurde. Elle ne pouvait pas rester à se morfondre comme ça sans rien faire. Mais d'abord, elle voulait tenter d'approcher Neffen. Il fallait que la femme sorte, et qu'elle trouve une corde. Ou parvienne à grimper...

[Galathée]

Il semblait à Prince que le shaman tenait des propos incohérents. La femme paraissait anxieuse et n'avoir aucune intention de quitter son chevet, elle avait tiré un tabouret près de lui et lui passa un linge humide sur le front. Par contre, Astrée vit un homme entrer et sortir de la maison, sans verrouiller la porte derrière lui : c'était peut-être une issue à envisager, car pour ce qui était de la corde... Elle aurait dû ouvrir et fouiller toutes les remises des environs, au risque d'être surprise et de ne rien dénicher. Il y avait bien des morceaux relativement courts noués ça et là pour maintenir une porte, une barrière ou redresser un arbre, mais rien de facilement utilisable.

[Voyageuse]

Astrée n'hésita pas longtemps. C'était une question de vie ou de mort, il fallait qu'elle entre. Certes, entre les petits morceaux de corde et son hamac, elle aurait pu se bricoler quelque chose, mais ça aurait pris du temps et elle n'en avait pas.
Elle profita de ce que l'homme était sorti pour se glisser à l'intérieur. Elle allait explorer rapidement la maison, se trouver une cachette près de la chambre, pour y attendre que la femme sorte enfin. Elle irait bien chercher de l'eau fraiche, ou le prêtre peut-être ? Et si elle ne paraissait pas devoir sortir, et bien il faudrait l'attirer dehors. Faire tomber quelque chose, peut-être, pour l'inquiéter, pour qu'elle aille voir. En espérant disposer d'assez de temps pour tirer Neffen de son délire, si toutefois c'était possible.
Bon, peut-être qu'elle se trompait en imaginant qu'il pouvait faire quelque chose, faire tomber la pluie.. mais il fallait qu'elle essaie. La seule autre solution, pour l'aider, était de sauver Sheldon, et elle devait bien admettre que c'était hors de sa portée...

[Galathée]

Mais la femme et l'homme n'étaient pas les deux seuls habitants de la maison ce soir-là, il y avait aussi deux enfants qui erraient dans les couloirs sans savoir très bien quoi faire d'eux-mêmes. Astrée dut donc renoncer à une exploration poussée pour se contenter de trouver refuge dans la seule pièce plus ou moins sûre : la chambre parentale. La femme finit par quitter la pièce où se trouvait Neffen, mais elle ne quitta pas la maison. Elle envoya son garçon, un enfant d'une dizaine d'années, à l'extérieur mais demeura au rez de chaussée avec la petite fille. Astrée l'entendit mettre de l'eau à chauffer, le bruit de chaises qu'on tire, puis les murmures d'une conversation.

[Voyageuse]

A pas de loup, Astrée sortit de la chambre parentale, se retournant pour vérifier qu'elle n'avait laissé aucune trace de son passage. Finalement, être pieds nus était presque un avantage.
Elle devinait que la femme était probablement en train de faire chauffer une infusion pour toute la maisonnée, que l'homme avait dû aller aider à combattre l'incendie et que le fils partait aux nouvelles, ou peut-être chercher le prêtre pour Neffen ? Mais finalement ça n'avait guère d'importance et il était inutile de se perdre en hypothèses : l'essentiel était qu'elle allait sans doute rester au rez-de-chaussée encore un petit moment. C'était le moment où jamais de rejoindre Neffen.
Elle préférait ne pas se demander ce qu'elle ferait si quelqu'un remontait à l'improviste. Hormis sauter par la fenêtre... Peut-être qu'il y avait dans la chambre une armoire où se dissimuler, ou à la rigueur sous le lit. Elle espérait disposer d'assez de temps avant que ça ne se produise.
Elle tendit l'oreille une dernière fois, vérifiant que tout le monde semblait occupé en bas, et se glissa en silence dans le couloir, pour rejoindre la chambre du shaman.

[Galathée]

Neffen gisait dans son lit, le souffle court, le visage cramoisi et la peau brûlante. Son hôtesse avait déposé un bassin rempli d'eau froide sur un tabouret à son chevet et posé un linge humide sur son front. Les couvertures étaient rejetées et Astrée constata que le shaman n'était pas parfaitement conscient. Il avait la bouche entrouverte sur un gémissement constant et les yeux révulsés. Il ne parut pas prendre conscience de son subit débarquement.

[Voyageuse]

Astrée chancela, le teint pâle. Il était trop mal en point, vraiment trop. Elle arrivait trop tard, il ne pourrait rien faire... si toutefois il l'avait jamais pu.
Elle se précipita à son chevet d'une démarche mal assurée.
" Neffen... je t'en prie, Neffen, c'est moi, Astrée.... réveille-toi, je t'en supplie, il faut ouvrir les yeux..."
Elle prit machinalement le linge humide, le trempa dans l'eau fraîche et le replaça sur son front.
Elle repensa soudain à Byron, à son malaise dans la grotte, certes moins grave... Est-ce que la berceuse en langue sylvestre pourrait l'aider, lui aussi, comme elle avait aidé Byron ? Certainement pas, son mal était beaucoup plus grave et avait une cause extérieure contre laquelle elle ne pouvait rien. Elle saisit machinalement la fiole, dans sa poche. Est-ce que le transformer en centaure aiderait ? Probablement pas, là non plus, sans compter l'énorme danger qu'il courrait si on le découvrait comme ça.
" Neffen... vite, il faut te réveiller, il faut sauver Sheldon..."
S'il ne réagissait pas à ses sollicitations, elle était prête à tenter absolument n'importe quoi, même les idées les plus absurdes. A commencer par la berceuse.

[Galathée]

Le shaman finit par ouvrir un oeil à la cornée jaune, où l'iris paraissait perdue, minuscule, bouffée par une pupille démesurée. Il chercha Astrée du regard, la trouva et un sourire ténu se dessina sur ses lèvres craquelées.
" Astrée..." dit-il simplement, dans un soupir, qui la força à porter l'oreille presque contre sa bouche.
Pensant un moment, il ne dit plus rien, comme s'il était retombée dans l'inconscience. Sa respiration était saccadée, soulevant des côtes qui paraissaient maigres sous sa tunique de toile.
" Sheldon... est mourant... murmura-t-il. Tu dois... abréger... ses souffrances... et les miennes."

[Voyageuse]

Astrée sentit les larmes rouler à nouveau sur ses joues, mais serra les dents. Elle songea à Tybert qui avait autrefois fait cessé un incendie. neffen pouvait sûrement faire la même chose, non ? Il avait tellement de pouvoir... les forces de la nature, c'était son domaine...
" Il y a le feu à la prison où est Sheldon, expliqua-t-elle d'une voix hachée. Est-ce que tu as un moyen de l'arrêter ? Est-ce que tu peux faire pleuvoir, par exemple ? Ou faire tomber de l'eau, si je t'emmène là-bas ?"
Les larmes coulèrent de plus belle.
" Je t'en supplie, Neffen, dis-moi que tu peux faire ça, que tout n'est pas perdu. Je t'en supplie... je ne me pardonnerai jamais si tu meurs... Il faut juste éteindre le feu..."

[Galathée]

Il ferma les yeux et son visage entier se crispa une seconde, comme la douleur secouait son organisme. Puis il gémit doucement.
" Astrée... Le feu... C'est trop tard... murmura-t-il. Je peux... L'éteindre est... vain."

[Voyageuse]

Les larmes coulaient sans qu'elle puisse les arrêter.
Mais non, ça n'était pas possible, elle refusait de l'admettre, ça ne pouvait pas finir comme ça, par sa faute... et par la faute de ces sales types qui avaient préféré tenter de l'attraper plutôt qu'éteindre le feu. Non, il fallait tenter quelque chose, n'importe quoi, même si c'était désespéré.
" Non, c'est pas trop tard, Neffen, lança-t-elle rageusement. On peut encore faire quelque chose. Il faut juste éteindre le feu, et soigner Sheldon. Si c'est dans ton pouvoir, je t'emmène là-bas, on y sera dans quelques minutes. Et on y arrivera, tu verras. Si tu éteins le feu, on pourra arriver jusqu'à Sheldon et le soigner. Ou alors, si vraiment on ne peut pas approcher, je supplierai le prêtre de le guérir, je l'obligerai à m'écouter. Neffen, je t'en prie... Je sais que tu peux éteindre le feu, j'en suis sûre. Il faut au moins qu'on essaie. Je t'en prie. Laisse moi t'emmener là-bas.

[Galathée]

Il la regarda un long moment, de son oeil unique et jaune. Sa peau avait pris une teinte presque violacée.
" Si je le soigne... pourquoi ? Nous serons pris... tous les deux... Mourir... mourir est une meilleure... solution."
Il se crispa, ses doigts s'enfonçant dans la couverture, puis se relâchant.
" Mais... je voudrais... être moi-même..."

[Voyageuse]

Astrée ferma les yeux, un instant.
" Je comprends..."
Elle sentait le poids de la fiole dans sa poche. Elle comprenait bien que Neffen ne cherchait pas à s'accrocher à la vie comme un humain le ferait. Et pourtant, il fallait tenter quelque chose, elle en était persuadée... ou bien c'était juste ce trait de caractère humain qui s'accroche à la vie avec l'énergie du désespoir, qui refuse de s'avouer vaincu ?
" Je te rendrai ta forme, Neffen. Mais je voudrais d'abord t'emmener là-bas, qu'on tente quelque chose, qu'on éteigne le feu. Ensuite, s'il n'est pas possible de le soigner sans risque, si je ne trouve pas de moyen, et bien je ferai ce que tu me demandes. Je te promets que je ne les laisserai pas te prendre, quoi qu'il arrive. Mais... il faut tenter quelque chose. Je suis sûre que tout n'est pas perdu. Laisse-nous une dernière chance de réussir... Si tu meurs, si Sheldon meurt, tout est perdu... et probablement que la harde l'est aussi.