Quête : le Père des innocents - Prélude ...

[Althéa]

Les images qui viennent à l'esprit de la paladine sont loin d'être agréables. Cette chose tapie dans les noirs sous les lits, dans les placards, dans les murs. Un remugle de pourriture senti au milieu de la nuit. Cette respiration oppressante au détour d'un rêve. Telles sont les images qui assaillent Théodora.

Angèle voit sa physionomie changer. Son habituel sourire laisse la place à une impression de peur. Pas un émoi passager. Comme une peur ancienne, venue du fond des âges. Une panique qu'elle ressent presque, elle aussi. Elle sent un frisson lui parcourir la nuque. Elle avance la main vers son amie, la laisse retomber par peur de la troubler d'avantage. Elle ne sait pas quoi lui dire. Mais quand elle lui demande, elle ait déjà quelle sera sa réponse.

"Viens avec toi. Tu crois que je vais te laisser partir toute seule ?"

Soledad sourit. Un sourire fatigué, usé par l'angoisse, mais un véritable sourire.

"Si nous partons, nous arriverons en pleine nuit. Il est plus fort dans le noir ... Je pense qu'il vaudrait mieux partir demain matin. Verrais-tu une objection à ce que nous dormions ici ?"

La petite fille regarde la paladine et lui sourit. La porte s'ouvre de nouveau, laissant la place à une silhouette encapuchonnée portant en bandoulière un sac et ce qui ressemble à un instrument - un luth à première vue - dans un étui. La capuche s'abaisse, laissant voir des cheveux bruns, et des yeux bruns rieurs, un tantinet bridés. Un sourire et une voix douce demande.

"Pourrais-je m'adresser au propriétaire de cette charmante taverne, s'il vous plaît ?"

[Oriane]

Théodora hoche la tête à la réponse de son amie, soulagée. La mission l'effraie, elle ne peut se le cacher, mais la présence d'Angèle la rassure un peu. Un instant, l'idée que cela puisse la mettre en danger l'effleure, lui faisant froncer les sourcils et elle lui murmure.

"Ce peut être dangereux, tu n'es pas obligée..."

Elle n'attend pas la réponse, pas immédiatement, veut lui laisser le temps de la réflexion, et se tourne vers Soledad.

"Vous avez raison, nous partirons demain matin. Et à ma connaissance, il y a plusieurs chambres disponibles ici encore. Je vais me renseigner..."

Alors qu'elle se lève pour rejoindre sa tante, une femme encapuchonnée entre dans l'auberge pour demander à en voir la propriétaire. Elle la regarde un court instant. Son visage ne lui dit rien, mais elle lui sourit :

"J'allais justement la voir, si vous voulez m'accompagner..."

A peine a-t-elle terminé sa phrase que sa tante sort de la cuisine. Elle se dirige vers elle et présente la requête de la femme encapuchonnée. Avec sa chaleur coutumière, Aurélia sourit à l'invitée :

"Que puis-je pour vous aider ?"

[Althéa]

Le capuchon dévoile une rivière de cheveux bruns, un visage assez doux. Elle jette un regard aux deux paladines un tantinet amusé.

"Mes compliments pour votre soupe. Elle a l'air d'avoir fonctionné. Mais je ne suis pas venue pour cela."

La boutade a peut-être amusé Théodora. Angèle ne sourit pas. Il y a un elle ne sait quoi dans ce visage qui la laisse perplexe sans qu'elle puisse le définir. Non pas qu'il la dérange mais il a quelque chose de familier. Peut-être l'a-t-elle déjà croisée quelque part. Elle se rapproche de son amie. Elle l'accompagnera, elle en est certaine. Simplement à cause de l'expression affolée qu'elle a vu sur ses traits. Elle ne veut pas la perdre de nouveau. Sans se douter de ce qui se noue autour d'elle, la jeune femme continue.

"Je dois me rendre à Manost. Graëlon est une étape. J'ai de l'argent mais j'aimerais l'économiser pour mon séjour vu que je ne sais pas ce que je vais trouver là-bas. Je chante et je joue du luth. Et on dit que je fais très bien la cuisine ..."

[Oriane]

Pendant une seconde, Théodora dévisage l'inconnue, persuadée de l'avoir déjà aperçue quelque part, sans toutefois parvenir à se rappeler où.
Aurélia n'hésites pas longuement avant de répondre, un sourire au lèvre :

"Quelques chants sont toujours les bienvenus et raviront certainement les clients. Quant à la cuisine... Si vous souhaitez nous faire partager quelque recette, ce sera avec plaisir, mais cela n'a rien d'une obligation..."

"Aurélia ! Tu peux venir ?"

L'appel, provenant de la cuisine, déclenche un petit rire chez la propriétaire de l'auberge.

"Ils ne peuvent pas se passer de moi un instant... Veuillez m'excuser. Si vous souhaitez vous reposer un instant, Théo peut vous conduire à votre chambre...
- A ce propos, reste-t-il une chambre disponible pour...la dame là-bas et sa fille ?"

Théodora pointe Soledad et la fillette d'un signe de la main.

"Oui, bien sûr. Je te laisse t'en occuper ?"

Sans attendre de réponse, Aurélia disparaît en cuisine avec un sourire d'excuse, laissant sa fille adoptive prendre le relais.

"C'est la belle saison, il y a toujours du travail... Voulez-vous que je vous montre votre chambre ou préférez-vous... manger quelque-chose peut-être ?"

La paladine hésite un instant, prête à demander à l'inconnue son nom, mais se ravise. Elle ne voudrait pas avoir l'air de perdre la mémoire...

[Althéa]

"Amélie Malone."

La jeune femme sourit. Elle a une petite moue espiègle. Son nom ne dit rien à Théodora. A non plus, vraisemblablement. Mais cette impression de l'avoir déjà croisée subsiste étrangement.

"Je ne suis pas très douée pour inventer des recettes de cuisine mais je fais un excellent marmiton. Du moins si on n'essaye pas de m'incorporer au menu. Par contre, j'ai l'impression d'avoir emmené toute la boue du chemin depuis Cojum avec moi. Je pense qu'un bon bain me ferait du bien."

Elle sourit à la petite fille qui lui tire la langue et se cache derrière sa mère. Elle rit brièvement. Une pluie de grelots. Ce rire ... Elle le connaît. Elle l'a déjà entendu. Mais ce temps là et si loin. Angèle derrière elle a grimacé, quelques secondes. Le rire est familier. Et elle n'aime pas se souvenir. Le rire de Morgan ou du moins son écho de l'autre coté du temps.

[Oriane]

Quelques secondes passent, pendant lesquelles la paladine dévisage la jeune femme. Vaguement ennuyée, il lui semble être encore un peu jeune pour commencer à perdre la mémoire. Mais elle a beau chercher, elle ne parvient pas à se souvenir où elle a bien pu la croiser. Puis réalise soudain que son attention soutenue pourrait être mal perçue. Espérant se redonner une contenance, Théodora s'éclaircit la voix, et adresse son sourire le plus avenant à la dénommée Amélie.

"Oh, bien sûr. Suivez-moi, je vous prie, je vais vous conduire à votre chambre, si vous voulez vous détendre un moment. Je vous appellerai quand le bain sera prêt."

Ouvrant la marche, elle commence à se diriger vers les escaliers, puis s'arrête.

"Je... Nous serions nous déjà vu quelque part ? Votre visage m'est familier..."

[Althéa]

Amélie sourit, peu gênée d'être regardée. Elle semble réfléchir quelques instants.

"Vous savez, j'ai un visage plutôt anodin et qui semble familier à tout le monde. Beaucoup de gens ont l'impression de m'avoir déjà vue. C'est drôle. Enfin non, ce n'est pas drôle du tout. On risquerait de me prendre pour un bandit de grand chemin. Vous ne pensez pas que je suis un bandit de grand chemin, si ?"

[Oriane]

Théodora sourit, de son sourire franc habituel, celui qu’elle utilise pour désamorcer la plupart des situations que d’aucuns qualifierait d’embarrassante.

"Non... Non bien sûr. Excusez-moi, je ne voulais pas vous paraître impolie... Tenez, c’est ici."

Joignant le geste à la parole, la paladine ouvre une porte, donnant sur une chambre de dimension modeste mais joliment aménagée. D’épais rideaux encadrent une petite fenêtre. Un lit occupe une grande partie de la pièce. A son extrémité trône un grand coffre de bois sombre.

"Si vous avez froid, il y a des couvertures dans ce coffre. Les bains sont au bout du couloir, je vais en faire préparer un. Aurez-vous besoin d’autre chose ?"

[Althéa]

Amélie regarde autour d'elle, les yeux émerveillés.

"C'est magnifique. Je ne m'attendais pas à ça. C'est vraiment confortable, douillet. Merci ... Je jouerai, si vous voulez, ce soir. Je serai à la hauteur."

Angèle attend Théodora à la sortie de la chambre. D'un signe de tête, elle la fait s'éloigner. Elle a l'air las, presque triste.

"Tu ne trouves pas qu'elle ressemble à Morgan ?"

En effet. Mais c'est étrange. Pour ainsi dire impossible. Une petite soeur, ou une cousine ...

[Oriane]

Une fraction de seconde, le temps de comparer le visage d'Amélie à celui de Morgan, et Théodora de s'exclamer :

"Mais oui ! C'est..."

Elle se tourne vers son amie et s'interrompt. Son cœur se serre, comme chaque fois qu'elle lui voit ce regard. Morgan représentait tant pour elle. La paladine reprend, un ton en dessous :

"Elle lui ressemble beaucoup oui..."

Elle hésite, ne sait pas vraiment quoi dire. Puis, comme à chaque fois que le nom de Morgan revient, elle botte en touche. Elle voudrait lui dire pourtant, que le temps l'aidera, l'apaisera, qu'elle est là. L'écouter conter l'une de ces nombreuses anecdotes qui semblaient faire le quotidien de la barde, se souvenir d'elle. Mais elle n'y arrive pas. Peut-être est-il juste encore trop tôt.

"Tu viens ? Nous devrions préparer nos affaires, je pense que nous partirons tôt demain..."

[Althéa]

Pendant qu'elle parle, Angèle reste muette. Pas une grimace, pas un sourire, pas un soupir. Elle se tourne vers la porte, s'attendant presque à voir sortir Amélie de la chambre. Mais avant que Théodora entre dans leur chambre, elle la rattrape doucement par le bras. Une nouvelle fois, la poigne n'est pas solide, mais ferme.

"S'il te plait ... Est-ce que tu ne veux pas lui demander, pour moi ? Il y a une vraie ressemblance. Même dans son rire ... J'aimerais vraiment savoir."

Mais elle ne veut pas avoir la réponse trop vite. Se conforter à une réalité qu'elle aura peut-être du mal à appréhender. Elle espère se tromper. Et elle se trompe sûrement. Mais si seulement elle pouvait savoir ...

[Oriane]

Teddy hoche la tête et répond dans un murmure :

"J'irai la voir."

Rien de plus. Elle n'est pas certaine que la réponse aidera beaucoup son amie, quelle qu'elle soit. Mais elle ira. Au moment d'entrer dans la chambre, elle semble se souvenir de quelque chose, et disparaît quelques minutes. De retour, elle trouve Angèle en train de ranger quelque affaire, l'air absent. A plusieurs reprise, elle tente de lancer une conversation, sur quelque banalité, mais il lui semble que son amie est à mille lieux de la chambre.

"Et si tu regardes derrière toi, tu verras un chat jongler avec des kiwis."

Devant un nouvel acquiescement, elle répond, mi-sérieuse, mi-amusée.

"Frimousse ? Tu m'écoutes au moins ?"

[Althéa]

Le "Frimousse" a l'effet escompté car Angèle s'interrompt et lève la tête. Elle la regarde quelques secondes, complètement interdite, comme si elle mettait du temps à se souvenir, ce qui est manifestement le cas. Puis son visage s'éclaire. Elle sourit à son tour.

"Cela faisait une éternité que tu ne m'avais pas appelée comme ça Teddysouris, j'ai crû que tu avais oublié."

Elle n'ajoute pas que c'est son cas. Une sorte d'amnésie due à l'état de choc ou au faux pas à la falaise. Elle refuse de s'étendre là-dessus.

"Que doit-on emporter ? Des vêtements chauds, nos armes ?"

Elle a l'air en attente et quelque peu inquiet.

[Oriane]

Théodora sourit. Le surnom a surgit, un peu malgré elle, du moins, sans qu'elle y pense. Et maintenant que son amie lui a renvoyé, du tac au tac, un "Teddysouris" bien connu, les souvenirs affluent, d'une époque bien moins compliquée, bien moins difficile. Ou avait-elle juste alors l'impression que rien ne pouvait les arrêter ?

"Nous avons vécu tant de choses... Ce n'est pas une histoire de monstre qui peut nous faire peur. Des armes et des vêtements chauds seront bien je pense."

Ce disant, elle se rapproche d'un placard, y attrape un balais et le tien fermement d'une main, le regard menaçant.

"Qu'ils viennent, je les attendrai de pied ferme. Nous serons là pour les accueillir !"

[Althéa]

"En une trentaine d'années, oui ..."

Angèle est songeuse. Elle sourit à demi en voyant Théodora faire la pitre.

"C'est sûr que quand ils te verront, ils s'enfuiront en courant. Je commence à avoir peur."

Elle retrouve très vite son sérieux.

"De quoi te souviens-tu ? Cet orphelinat ? Est-ce qu'il y a quelque chose de particulier que l'on doit savoir. Cette histoire est vraiment étrange. Comment peut-elle être sûre que son fils est dans la maison ?"