[Quête] Dans les rues et les villas huppées du Havre

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard.
Chapitre 9. Sauvetages (suite)

Quittant les rues sordides du quartier portuaire et le refuge du Comptoir, Dame Fadraeth et son esclave mirent un certain temps à atteindre le Havre Bourgeois et ses artères arborées. En cours de route, la matrone n'avait pas hésité à rudoyer son serviteur, tout en lui conseillant à demi-mot de ne pas apparaître trop misérable, car il ne devait pas non plus faire honte à sa maîtresse. Taliesin s'acquitta au mieux de sa tâche, le fouet ne claqua qu'une fois, et sans le toucher, comme le lui avait promis Lena. Ils quittèrent la terre battue et boueuse, gagnèrent les pavés gris, bien alignés, et s'engagèrent dans une première rue. Des gardes de la milice urbaine saluèrent Lena tout en jetant un regard méprisant à celui qui la suivait. Tout de suite, le contraste entre les taudis et les masures qui emplissaient les rues pauvres de la cité et les incroyables résidences du Havre sautèrent aux yeux du barde. Ce n'était pas la première fois qu'il le contemplait cependant et il devait veiller à garder les yeux baissés. Il y avait peu de monde dans les rues, hormis des gardes aux mines sévères, de temps en temps un esclave vaquant à une mission particulière, quelques livreurs, quelques fiacres, l'un ou l'autre riche Mélandien en promenade...
Lena se dirigea vers une maison à la façade blanche, munie de quelques pignons, qui aurait pu avoir des allures de petit fort, de loin, dans le noir. Elle alla droit vers la porte qui, contrairement à de nombreuses autres, donnait directement dans la rue, au bout d'une allée de quelques toises seulement, et frappa en usant du heurtoir.
" Les Tombefol. Un des aïeuls a été nécromant... puis liche, je crois. Ils ont eu beaucoup d'ennuis avec leur concession au cimetière. Aucun membre de cette famille n'a envie de reposer en paix, je pense..." souffla la matrone.
La porte s'ouvrit peu après sur un majordome en habits noirs et rouges. Il jeta un oeil sévère sur les visiteurs, puis un sourire gagna sa bouche aux dents jaunies.
" Dame Fadraeth ! C'est un plaisir, un honneur, bienvenue...
— Suffit, Jaluk ! grommela-t-elle. J'ai mal aux pieds et tu me casses les oreilles. Est-ce que Romina est là ?
— Vous avez de la chance ! Elle est justement au salon avec Dame Hekka de Folkungar et Dame de Sourdebouche. Elles seront ravies de vous voir.
— Hum. Nous verrons."
Elle manqua bousculer le majordome en entrant et le pauvre homme se plaqua contre le mur.
" Que dois-je faire de votre serviteur ? demanda-t-il en refermant derrière Taliesin.
— Lui... Je ne voudrais pas qu'il pose ses sales pattes sur les tapis. Bouclez-le avec les vôtres."
Puis, sans lui accorder un regard, elle s'engagea dans l'escalier monumental qui occupait le hall.

[Taliesin]

Même s'il avait incarné un drow, il n'aurait pas forcément changé d'attitude face à l'homme qui devait l'enfermer. Les majordommes constituaient l'aristocratie de la domesticité : beaucoup s'avéraient orgueilleux, vivaient confortablement et il était probable qu'à Melandis, nombre d'entre eux ne soient pas des esclaves.
Bref, il referma l'ombrelle et, sans rien modifier dans son comportement, s'apprêta à suivre l'individu, tout en essayant de s'amuser du hasard qui l'avait fait pénétrer dans une demeure où se trouvait la parente d'un certain vampire de sa connaissance.

[Galathée]

" Suis-moi et ne touche à rien." dit le majordome en entraînant Taliesin vers une petite porte latérale.
Il l'ouvrit à l'aide d'une grosse clé, révélant un escalier étroit.
" Passe devant. Fais attention où tu mets les pieds, la pente est raide."
C'était le cas. L'escalier tournait deux fois sur lui-même avant d'atteindre une petite pièce aux murs de pierre, dégageant une délicate odeur de moisi. Le majordome ouvrit une nouvelle porte, donnant sur une vaste salle, éclairée par des soupiraux presque au niveau du plafond.
" C'est le serviteur de Dame Fadraeth. On ne le moleste pas, merci." annonça-t-il en poussant Taliesin à l'intérieur.
Une seconde plus tard, la porte était bouclée dans son dos. Il était désormais dans ce qui ressemblait à une pièce de vie. Des paillasses étaient déroulées contre le mur de gauche, deux tables branlantes et de multiples tabourets encombraient le centre. Une douzaine d'esclaves s'y trouvaient : quelques hommes, quelques femmes, quelques enfants. Tous l'observèrent sans savoir exactement quoi faire. Il y avait là surtout des humains, mais aussi une halfeline et un nain. Tous paraissaient maigres et pâles, vêtus pauvrement.
" Tu peux t'asseoir si tu veux." lui dit finalement une gamine dépenaillée, qui ne devait pas avoir plus de cinq ans.

[Taliesin]

Bon sang, mais qu'est-ce qui lui avait pris d'accepter cette mission ? Il n'avait même pas eu le temps de souffler depuis son séjour dans le Temple de Baine, où l'impossibilité d'aider les prisonniers l'avait mis à la torture, et voilà qu'il se retrouvait bouclé avec des esclaves... Des esclaves tels que ceux qu'il avait tenté de sauver, jadis, au cours d'une révolte qui s'était avérée un fiasco total... au point de n'avoir absolument rien changé, comme il pouvait le voir, comme il devrait continuer à le voir au cours des heures à venir.
Comment avait-il pu être aussi stupide ?
Expiation. Enfonce-toi bien ça dans le crâne : expiation.
Et surtout, ne pas oublier ce pour quoi il était venu.
-Merci, dit-il finalement;
Puis il s'installa sur un tabouret, sans regarder personne.

[Galathée]

La petite fille ne le lâcha pas pour autant, lui tournant autour un moment, avant de revenir se planter devant lui.
" Tu t'appelles comment ?" demanda-t-elle.
Une femme s'approcha et prit la petite fille par le bras.
" Laisse-le tranquille.
— J'fais rien. Je lui parle juste. Il a l'air tout triste. Tu t'appelles comment ? Moi je m'appelle Mona. Et lui, c'est Mirko."
Elle lui présenta un morceau de chiffon sale, dans lequel il y avait un noeud.
" C'est mon meilleur ami."

[Taliesin]

Et il avait fallu que ce soit une petite fille qui l'aborde en premier.
Il n'y avait jamais de hasard, évidemment. Car cette enfant était un lointain écho de celle qui, lors de son premier séjour à Melandis, lui avait fourni de précieuses informations, ce qui l'avait amenée à rentrer en retard chez ses maîtres... et donc à être sévèrement battue.
Il ne savait même pas ce qu'elle était devenue.
Mais ce n'était pas le moment d'y penser. Ce n'était pas le moment de se morfondre, non plus.
Lui avait mérité ses souffrances. Ceux qui lui faisaient face, non.
Lui jouait les esclaves. Eux en étaient des vrais.
-Bonjour, Mona. Bonjour, Mirko. Moi, c'est Tar'Aël, répondit-il d'un ton las mais empreint de gentillesse.

[Galathée]

" Est-ce que c'est vrai que les elfes noirs, ils battent tout le temps leurs esclaves ? Je vois bien que tu as plein de traces sur le dos. Ça doit faire rudement mal.
— Mona ! s'offusqua la femme.
— Ma maman, elle me disait toujours que j'allais être vendue à un elfe noir si j'étais pas plus sage. Mais c'est elle qui a pas été sage, parce que c'est elle qu'on a vendue. Mais je sais pas si on l'a vendue à un elfe noir. J'espère que non. Elle était pas très gentille, mais quand même, on peut souhaiter à personne d'être vendu à un elfe noir, c'est Ferdinand qui le dit, que c'est pas bien.
— Mona, ça suffit." intervint une femme plus âgée, qui attrapa l'enfant dans ses bras et l'entraîna à l'écart.
La gamine protesta, puis se renfrogna et alla se rouler en boule sur une des couches, le pouce en bouche, et Mirko serré tout contre elle.
" Il faut la pardonner, mon garçon, elle ne pensait pas à mal, dit la vieille femme en s'asseyant près de Taliesin. Elle n'a pas l'habitude des étrangers. Et elle... elle s'inquiète de son devenir."
Elle sourit et le barde réalisa qu'elle était beaucoup plus jeune qu'il ne l'avait cru, sans doute moins de trente ans, mais déjà usée.

[Taliesin]

Il esquissa une ombre de sourire.
-Je ne lui en veux en rien : je sais qu'elle ne pensait pas à mal. Quant à cette incertitude... Nous la connaissons tous, évidemment. Mais je n'ose pas imaginer à quel point c'est difficile pour un enfant de son âge.
Dans les minutes à venir, il allait devoir mentir comme un arracheur de dents, mimer ce qui, pour eux, était la réalité. Cependant, il avait au moins été sincère sur ce point : il n'avait pas le courage de se mettre à la place de la fillette.

[Galathée]

" Je ne sais pas, dit la femme en jetant un oeil à la gamine. Elle n'a jamais rien connu d'autre. Ce qui est un déchirement pour la plupart d'entre nous, est une évidence pour elle. Quand on ne sait pas... Ses rêves sont à la mesure de la réalité. Je crois qu'elle souffre moins..."
Elle secoua la tête.
" Mais je ne devrais pas parler ainsi, alors que vous êtes esclave chez Dame Fadraeth. Voulez-vous que je regarde vos plaies ? J'imagine qu'elle vous battra davantage, si elle pense que vous avez été soigné, mais certains onguents sont invisibles... et nous avons quelques plantes qui atténuent la douleur."

[Taliesin]

Il prit soin de marquer une brève hésitation avant de secouer la tête.
-C'est une offre très généreuse, et je vous en suis profondément redevable, mais... Me faire profiter de ces remèdes ne servirait à rien. Les coups pleuvant en permanence, ce ne serait qu'une goutte d'eau dans l'océan, et cela ne m'aiderait pas à m'habituer à la souffrance, ce qui est indispensable.
Il eut un sourire douloureux.
-Et de toute façon, quand on sert une magicienne, le fouet n'est pas le pire.

[Galathée]

La femme acquiesça, les lèvres pincées, sembla sur le point de poser une main compatissante sur son épaule, puis se ravisa, peut-être de crainte de lui faire mal. Pendant un moment, elle ne dit rien, sans doute consciente de l'inanité de toute parole. Il n'y avait rien à lui souhaiter, rien sur quoi le détromper : il était esclave d'une drow et il mourrait sous ses coups.
" Pouvez-vous manger quelque chose, ou pensez-vous que Dame Fadraeth en prendra ombrage ? Nous n'avons pas grand chose, mais si cela peut vous soulager un rien..."

[Taliesin]

Nouvelle hésitation, plus marquée que la précédente.
Nouveau refus.
-Vous êtes très bonne avec moi, mais je ne peux accepter. Ce serait prendre un gros risques, et je m'en voudrais beaucoup de vous priver d'une partie de vos vivres. Par ailleurs... Être assis ici, tranquillement, à bavarder... C'est déjà un répit merveilleux.
Un faux esclave se faisant plaindre par de vraies victimes de la barbarie mélandienne.
Il se détestait.
Tu fais ça pour sauver Galathée. Ne l'oublie pas.

[Galathée]

Elle lui sourit doucement et parut à nouveau à court de mots. Il y eut un bruit de clé à la porte et elle se leva.
" C'est mon heure." murmura-t-elle.
Une hésitation passa sur son visage.
" Soyez courageux, ajouta-t-elle à voix basse. Vos dieux vous accueilleront et panseront votre âme, vous retrouverez les vôtres en de meilleurs lieux."
Puis elle s'éloigna à grands pas, gagnant la sortie, deux autres esclaves sur les talons. Mona en profita pour revenir vers l'elfe, le pouce toujours en bouche, mais le regard curieux.

[Taliesin]

Il regretta que la femme n'ait pas rebondi sur sa remarque touchant aux magiciens. Il regretta, aussi, qu'elle soit partie avant qu'il ait pu, d'une manière ou d'une autre, aborder à nouveau le sujet. Car nouer conversation avec les esclaves qui se trouvaient encore dans la salle ne serait pas aisé.
Oh, bien sûr, il y avait la fillette qui avait sauté sur la première occasion pour revenir vers lui. Mais dialoguer avec une enfant si jeune et plus encore lui soutirer des informations utiles - pour peu qu'elle en connaisse -, cela n'avait rien d'évident.
Il se contenta donc de lui sourire, à nouveau... et d'attendre la suite.

[Galathée]

Mona se jucha sur le tabouret et l'observa un moment. Elle lorgnait aussi les alentours, pour vérifier qu'aucun adulte ne viendrait l'interrompre. Mais certains dormaient et d'autres erraient dans la lumière des quelques soupiraux. Plus personne ne leur prêtait la moindre attention.
" Tu es né chez un maître ou bien tu as été capturé ?" demanda finalement la gamine.

[Taliesin]

Ils n'avaient pas pris le temps de se mettre d'accord sur ce point, avec Lena. Cependant, il doutait que cette dernière parle de lui à ses "amies" de la bonne société. Par conséquent, il ne risquait sans doute pas grand chose à improviser.
-J'ai été capturé, répondit-il doucement.
Il ne voyait pas en quoi ce début allait l'amener vers les sujets qui l'intéressaient. Mais, au moins, c'était un début.

[Galathée]

" Moi on va me vendre bientôt. Peut-être cette veille, ou celle d'après. Alors, j'apprends à coudre, mais j'arrête pas de me piquer les doigts. Julie, elle dit que si je sais faire des choses, j'ai plus de chance de trouver un maître qui va bien s'occuper de moi. Tu savais rien faire, toi, que t'as été vendu à une drow ? Ou alors c'est parce que t'es un elfe garçon ? Je sais que les drows, elles aiment pas les elfes garçons. Alors elles les achètent. C'est bizarre d'acheter un truc qu'on aime pas, non ? Moi si j'avais des sous je m'achèterais peut-être une belle robe. Ou alors du sucre. J'aime bien le sucre."

[Taliesin]

C'était un véritable supplice.
Il n'avait qu'une envie : attendre que le majordome revienne, l'occire promptement puis ramener l'enfant au Comptoir des Transparences, où il lui offrirait une robe, du sucre... et surtout l'espoir d'une vie meilleure.
Mais cela lui était impossible.
Terrible, insoutenable impuissance.
Tu peux sauver Galathée. Pense à cela, et seulement à cela.
Difficile, quand on avait face à soi une fillette encore si jeune mais déjà condamnée à une existence sordide.
-Oui, j'ai été acheté parce que je suis un elfe garçon. Et Julie a raison. Alors essaie d'apprendre à faire des choses utiles. Entraîne-toi avec patience, avec application.
Donner des conseils, voilà son seul et unique moyen de l'aider.
Dérisoire.

[Galathée]

" J'espère juste qu'on va pas me vendre à l'Ecole, dit-elle finalement, avec une petite grimace, en baissant la voix. Mais il faut pas que je le dise trop fort, parce que Firmin, il dit que s'ils m'entendent, les maîtres pourraient me vendre exprès à l'Ecole, pour me punir. Tu sais, il y avait un esclave de l'Ecole à la maison, il n'y a pas longtemps. C'était un garçon elfe comme toi. La maîtresse, elle s'entraînait sur lui, dans le jardin. Elle l'attachait à un arbre. Il criait beaucoup. Parfois je savais pas dormir. Et puis après, il est mort. Mais ils l'ont pas enterré, parce que même les cadavres, ça intéresse l'Ecole."
Elle lui jeta un regard en coin.
" Tu crois qu'ils vont me vendre à l'Ecole ?"

[Taliesin]

Taliesin essaya d'encaisser le coup sans broncher, sans rien laisser paraître de son trouble.
Ce ne fut pas une mince affaire. Certes, il se doutait que nombre de cobayes ne rentraient jamais - jamais vivants, du moins - à l'université. Mais que la première demeure qu'ils visitent ait été le théâtre de ce qu'il fallait bien appeler un meurtre, cela laissait entendre que le taux de mortalité était pire encore qu'il ne l'avait craint. Et, par conséquent, que les chances de retrouver Galathée s'avéraient plus que minces.
Ne pas y songer. Pas ici, pas maintenant, en tout cas.
-Je ne sais pas, et je ne voudrais pas te dire de bêtises... répondit-il. Mais peut-être l'école cherche-t-elle surtout des grandes personnes. On peut s'entraîner plus longtemps, avec des grandes personnes.

[Galathée]

" Je crois pas. Il y a une esclave qui est venue une fois, et elle l'a entendu crier... Elle a dit que chez elle, c'était pire, parce que c'était un petit garçon, et qu'il appelait tout le temps sa maman. Alors c'est qu'ils s'entraînent parfois sur des enfants... Mais il y a tant et tant de maîtres dans la ville ! Moi je prie Tymora. Et je loue Beshaba. Comme ça, je suis sûre que j'aurai de la chance."
Elle sourit.
" Tu vois, finalement, tu t'en sors bien. Je suis sûre que c'est pire à l'Ecole que chez Dame l'elfe noire. Au moins, si tu meurs, tu seras vraiment mort. Tandis qu'à l'Ecole... T'es jamais sûr que tu mourras. Je sais bien que la mort, c'est pas gai. Mais y'a pire, non ?"

[Taliesin]

Ne pas songer au gamin victime de ces monstres.
Ne pas songer que c'était une gamine de quatre ans qui lui tenait pareil discours.
Ne pas songer à ce qu'auraient été leurs vies si la révolte des esclaves n'avait pas lamentablement échoué.
Ne songer à rien, en fait. Jouer la comédie, simplement.
-Oui, il y a pire que la mort, souffla-t-il. Et j'ai effectivement de la chance car, come tu le disais, quand c'en sera fini pour moi, je serai en paix, dan un monde meilleur.

[Galathée]

Mona lui décocha un sourire ravi.
" Moi je vais vivre jusqu'à être une très vieille esclave, c'est Mirko qui me l'a dit ! Mes maîtres me confieront leurs bébés, et je les bercerai en leur chantant des chansons douces. Et puis quand je mourrai, ils seront tristes, même. Ils regretteront la vieille Mona."
Elle lui fit un clin d'oeil, puis se rembrunit.
" C'est pas très gentil de te dire ça. Mais toi tu es un elfe. Tu sais pas vivre sans des arbres. Alors devenir un vieil esclave, c'est pas comme pour toi."

[Taliesin]

Sa remarque concernant les elfes lui donna envie de rire.
Ses rêves lui donnèrent envie de pleurer.
Il ne laissa rien paraître. S'y efforça, du moins.
-Tu as raison. Et je souhaites que tes espoirs se concrétisent, Mona. Je le souhaite de tout cœur.
Il se tut, incapable d'en dire davantage.
Son trouble devait être visible, tout bien réfléchi.
Bah, qu'importe. Cela ne ferait que rendre sa couverture plus crédible.

[Galathée]

La petite fille le regarda avec une petite moue embarrassée, puis grimpa sur ses genoux et l'étreignit sans réserve.
" Sois pas triste, Tar'Aël. Sois pas triste. Regarde, moi je vois des oiseaux, par la fenêtre... Ils chantent aussi pour nous."
Elle soupira doucement et lui sourit.
" Si tu fermes les yeux, tu vas voir... Je suis certaine que tu peux voir le pays où il y a juste du soleil, et des grands arbres si grands qu'ils sont hauts comme... comme des chevaux... ou plus grands... et le ciel est bleu et il pleut jamais... sauf quand on veut se laver et qu'il fait chaud... et il y a... du sucre."
Elle gloussa.
" Et les robes poussent dans les arbres. Et aussi les chemises."
Son rire résonna sur la voûte de pierre.
" Mais faut y croire, c'est tout."

[Taliesin]

Il lui rendit son étreinte. Spontanément, sans réfléchir.
Puis il l'écouta avec attention, les yeux fermés. Non pour imaginer ce monde qu'elle décrivait, mais pour contenir ce qui les avait embués.
-Merci, Mona. Je vais suivre ton cosneil. Et y croire.
Il s'arracha un sourire. Elle le méritait bien.
Lena, par pitié, grouille-toi. Je ne vais plus tenir très longtemps.
Il se haÏt pour cette pensée. Comment pouvait-il songer à lui, en cet instant ?
Tymora, je vous en prie, accordez lez prières de cet enfant, accordez-lui votre bénédiction.
Lathandre, offrez lui un nouveau départ.
Il déglutit, ouvrit les yeux, tenta de sourire plus franchement.
C'était le moins qu'il puisse faire pour elle.

[Galathée]

Elle lui sourit et lui posa un baiser sur le nez, furtive.
Derrière eux, il entendit la porte se déverrouiller.
" Toi, l'esclave de Dame Fadraeth, viens !" tonna le majordome.
Mona sauta de ses genoux sans le quitter des yeux, puis posa les mains froides à plat sur sa poitrine, comme pour sentir battre son coeur.
" Tu pourras toujours vivre dans ma tête, maintenant, lui murmura-t-elle. Je ne t'oublierai jamais."
Elle lui décocha un petit clin d'oeil, puis s'éloigna en sautillant.

[Taliesin]

C'était une chance qu'elle se soit détournée.
Car il était à ce point bouleversé qu'un instant, jouer la comédie, garder la maîtrise de ses traits lui était devenu impossible.
Il fallait qu'il se ressaisir, cependant. Viendrait un moment où il s'effondrerait, il en avait conscience. Mais il devait puiser en lui la force de lutter, de retarder l'inéluctable.
Le trajet jusqu'à la rue, puis celui jusqu'au comptoir... Ce n'était pas si long.
-Merci beaucoup, Mona,[/color) lança-t-il.
Altérer sciemment sa physionomie fut une rude épreuve. Se lever, se diriger vers le majordome, une autre pire encore.
Il le fit toutefois.

[Galathée]

Le majordome lui jeta à peine un regard lorsqu'il passa devant lui, et lui désigna l'escalier sans un mot. Ils regagnèrent le hall et plus loin, le couloir qui menait à la porte. Dame Fadraeth s'y trouvait, la mine contrariée. Son attitude s'altéra cependant un fragment de seconde, comme si elle percevait que la mine du barde n'était pas seulement une façade d'accablement. Elle salua sèchement le majordome puis attendit que l'elfe lui ouvre la porte et son ombrelle. Quelques secondes plus tard, ils remontaient l'allée et débouchaient dans la rue. Ils marchèrent un moment sur les pavés, la drow devant, son esclave dans son ombre.
" Est-ce que ça va ?" souffla finalement Lena, alors qu'ils étaient plus ou moins seuls.

[Taliesin]

-Ça va aller, ne t'inquiète pas, mentit-il, espérant que le ton bas qu'il était contraint d'utiliser masquerait le timbre altéré de sa voix. Et j'ai obtenue l'information recherchée. Ici, le cobaye était un elfe. Il n'a pas survécu.
La mission. Se concentrer sur la mission.
Se concentrer sur le rôle qu'il jouait, aussi.
Cela lui réclamait tant d'efforts que ce serait sans doute suffisant pour écarter le reste de son esprit.
Jusqu'au Comptoir.