[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences

[Taliesin]

Évidemment, les doutes et les craintes du Luménien ne manquèrent pas de l'atteindre. Mais il s'efforça de rester positif en songeant à leurs récentes réussites. Puis il se fendit d'une boutade.
D'une boutade recelant néanmoins une part de vérité.
-Allons, Kerun ! N'as-tu pas compris, depuis le temps, que dès qu'on touche à une affaire me concernant ou concernant l'un de mes proches, les choses deviennent tout de suite et invariablement d'une difficulté déconcertante, sans compter qu'elles virent fréquemment à la catastrophe ? En fait, il n'y a guère que quand je participe à un projet lié à des gens que je ne connais pas que tout tourne bien.

[Galathée]

Kerun sourit.
" Nous allons conjurer le sort, dit-il. Nous avançons."
Sedanius le regarda en coin.
" Tu connaissais le gosse qui se trouvait chez les Sombregloire, alors.
— Hippolyte, oui. C'est le fils d'un de mes agents. On n'encourage pas ce genre de choses dans les services secrets, mais voilà. On ne peut pas non plus empêcher les gens d'avoir une vie en dehors de leur boulot... Pendant la dictature... les services avaient de grosses failles, notamment une trop grande centralisation des informations... Un des pontes s'est fait coincer et il a lâché le nom de quasi tout le monde. Ceux qui étaient hors les murs se sont mis en sécurité, les autres ont été massacrés... et puis il n'est plus resté qu'une poignée de personnes dont l'identité n'avait pas été compromise...
— Dont la tienne.
— Non, mon identité a été compromise avec les autres. Le père d'Hippolyte, par exemple... Je sais qu'il a parlé avant de mourir. Je ne le blâme pas : malgré les entraînements, on n'est pas armé face à toutes les tortures... et notre allégeance à Lathandre nous empêche peut-être d'être suffisamment durs avec nos recrues... Ils avaient mon nom et mon signalement... Je me suis même fait tuer. Mais pas très longtemps, simplement. On est subitement beaucoup plus tranquille, quand on est mort."

[Taliesin]

L'elfe esquissa une grimace. D'abord parce qu'il avait constamment à l'esprit ce qu'il avait fait lorsque Nwalk l'avait cru mort. Ensuite, parce qu'Hippolyte ayant parlé de son père au présent, il s'était demandé si ce dernier n'était pas encore en vie... Après tout, l'agent secret leur avait caché beaucoup de choses concernant cet enfant : pourquoi n'aurait-il pas tu cela également ?
Regarder la lumière. Pas les ténèbres.
-Je suis heureux que nous ayons réussi à le libérer, dit-il doucement.
Heureux pour le gosse... et heureux pour Kerun, à qui cela devait faire un bien fou.

[Galathée]

" Moi aussi, dit Kerun. Je pense qu'il déchantera un peu quand il réalisera qu'il ne peut pas intégrer les services secrets luméniens à huit ans, mais nous lui trouverons une bonne famille, ou bien il ira chez Artwin, je suppose. Je dois dire que je ne sais pas bien comment les choses tournent là-bas... Il y a eu beaucoup d'orphelins pendant la dictature, mais beaucoup de gens ont aussi perdu leurs enfants à la violence, à l'un ou l'autre épidémie, à un incendie imprévu, à la faim et au froid... Je crains que malheureusement, ce ne soit pour l'heure la priorité de personne, au conseil. Mais cela peut sans doute changer. Et nous aurons fait notre part du travail, assurément."
La porte s'ouvrit sur Lena et le visage de Kerun se tendit aussitôt, s'empourprant légèrement.
" J'ai vidé ma chambre. Je ne sais pas bien où m'installer... Le bureau du fond est encombré, mais je pourrais m'y glisser, je suppose.
— Oui, je vais retirer les registres et les mettre dans le buffet. Je trierai avec Abel au plus vite.
— Ça fait quatre places dans mon ancienne chambre...
— Il y en a une chez nous.
— Et une chez eux...
— Baptiste a pris cette place-là..."

[Taliesin]

Les propos de l'agent secret l'avaient quelque peu surpris. D'accord, il y avait les engagements liés à sa profession, la nécessité de ne pas avoir d'attache... Mais tout de même, ne pas se soucier du sort du gamin... Enfin, c'était sans doute une façade.
-Tu as peut-être déménagé trop tôt, Lena. Car maintenant qu'Hippolyte et surtout Gurvan sont apaisés, il n'est pas impossible qu'ils acceptent d'occuper une place vacante dans l'une ou l'autre chambre. En revanche, s'ils souhaitent rester ensemble, nous savons déjà où ils iront. Reste a voir s'il faut un adulte avec eux...
Il commençait à se dire que Baptiste trouverait bien plus amusant de dormir avec les autres enfants et qu'il estimerait peut-être leur présence suffisamment rassurante au moment de son réveil. Ce serait un signe encourageant.
-Quoi qu'il en soit, Lena et moi étions d'ais de leur laisser le choix, afin de bien leur montrer qu'ils viennent de débuter une nouvelle vie, une vie où leurs préférences sont à nouveau prises en compte.

[Galathée]

" On peut tester, en tout cas, renchérit Sedanius. Si la première nuit est catastrophique, on changera...
— Connaissant les mômes, ils voudront peut-être changer chaque soir, fit Lena. Je suis surprise qu'ils n'aient pas encore demandé s'ils pouvaient annexer le grenier, vu le raffut qu'ils font là-dedans...
— J'espère qu'Hippolyte n'est pas en train d'ouvrir les coffres interdits..."
Sedanius grimaça.
" Il en serait capable ?!
— Il est doué. Enfin, il l'était, en tout cas. Son père était un des meilleurs crocheteurs de Luménis.
— Je vais aller jeter un oeil..." proposa Lena en se levant.
Sedanius hocha la tête.
" A mon avis, Hippolyte voudra dormir avec moi...
— S'il arrive à te trouver." lâcha la drow avant de refermer la porte derrière elle.
L'agent luménien pinça les lèvres.
" Le mieux, ce serait les trois ensemble, avec un chaperon.
— Ne me regardez pas ! Je veux bien m'en occuper la journée, mais la nuit, je dors !
— Taliesin a raison, laissons-les choisir. Si personne n'a fermé l'oeil de la nuit, nous aviserons."

[Taliesin]

Le barde sourit.
-Sauvons-en encore quelques-uns, et vous comprendrez ce que j'ai enduré l'été dernier. Fichtre, je plains les soldats luméniens chargés d'assurer la protection de la ferme où se trouvent mon garçon et ses amis. A moins qu'il ne s'agisse d'hommes à toi, Kerun ? Dans les deux cas, les malheureux doivent être constamment pris en chasse par une meute de gamins déchaînés.
S'avisant qu'il n'avait pas terminé sa part de tourte, il la mordit à belles dents.
-Oh, et il y a une expédition à mener, cet après midi. Une périlleuse opération pour acheter des vêtements aux gosses.

[Galathée]

" Je crois que la surveillance se fait de loin... de très loin, dit Kerun avec le sourire. Et si quelqu'un va acheter des vêtements, je veux bien passer commande... J'ai besoin de nouvelles bottes et aussi... Ne me regardez pas comme ça. Je n'avais pas prévu, en embarquant avec le capitaine Longuehune, que j'allais me retrouver à Melandis.
— Mais si tu as besoin de bottes, c'est d'office toi qui dois y aller, Kerun, fit Perceval, d'un ton désolé. Y'a personne d'autre qui pourra t'en choisir... Faut que tu sois à l'aise dedans, tout ça...
— Moi je veux bien t'accompagner, volontiers." roucoula alors la voix de Meloenn.
Manifestement tout juste sortie de son lit, la jeune femme décocha un sourire radieux à la cantonade. Elle s'assit à côté de Taliesin, non sans avoir adressé un clin d'oeil à l'elfe des bois qui demeurait de marbre.
" Alors Taliesin... Est-ce que tu es satisfait des informations que j'ai pu rapporter ? Hier nuit, Kerun était très très satisfait, lui."

[Taliesin]

Oh, dieux, pourquoi faut-il qu'elle arrive pile quand il n'y a plus personne à côté de moi ?
Néanmoins, puisqu'il devait être juste et, par conséquent, lui témoigner un minimum de reconnaissance, Taliesin ne fuit pas immédiatement et alla même jusqu'à lui dédier un demi-sourire.
[color=#FFFFF66]-L'enquête a effectivement beaucoup avancé grâce à toi. Merci beaucoup pour ces informations, Meloenn.[/color]
Et de croiser mentalement les doigts pour que quelqu'un prenne la parole avant qu'elle n'exige de contrepartie.

[Galathée]

" C'était avec grand plaisir, Taliesin. Si j'avais pu prévoir ce qu'elles allaient me rapporter, j'aurais écourté ma soirée."
Kerun se leva.
" Je vais aller poser la question aux enfants, je crois.
— Et moi je vais préparer le repas, tiens... c'est pas encore pour tout de suite, mais comme Baptiste ne va sûrement pas redescendre pour m'aider...
— Ah oui, c'est plein de marmots, maintenant, ici, dit la barde avec une grimace amusée. Ils m'ont réveillée, ces gredins. Mais c'est touchant, l'insouciance après tant de noirceur, pas vrai..."
Elle frôla le genou de Taliesin d'une main légère.
" Je vais remonter pour m'habiller plus sérieusement... Je ne voudrais pas choquer les moutards et faire honte à Kerun quand je l'accompagnerai..."
Elle avait l'air presque sincère, mais pas tout à fait.
" Et je voudrais surtout être certaine qu'Arion ne va pas les égorger tous les trois. Il n'aime pas être tiré du lit par des hurlements barbares. Mauvais souvenirs de jeunesse."
Ne restèrent plus que Sedanius et Taliesin.
" Vivement l'arrivée du prochain bateau." murmura le clerc.

[Taliesin]

Le barde rit, de soulagement et d'amusement.
[color=#FFFFF66]-Tu devrais au contraire profiter du temps qu'il reste avant son arrivée. Car quand il sera là... non seulement il amènera son équipage et ses passagers, mais en plus, il faudra compter avec toutes les personnes que nous aurons sauvées entretemps. Je crains donc que nous ne considérions alors les jours actuels comme une période de calme absolu.[/color]
Il se leva, commença à débarrasser.
-Bon, je vais me charger de la vaisselle. Et aider Perceval pour la cuisine. A moins que tu n'aies une tâche plus urgente à me confier ?

[Galathée]

" Non. Il y a des livraisons à faire pour le Comptoir, mais tu n'es pas dans l'équipe, donc... si tu peux aider Perceval et le décharger un rien, ce sera déjà ça de gagné.. Rappelle-lui au passage qu'il doit ramener les chevaux avant la nuit."
Taliesin trouva le jeune homme en cuisine, comme prévu. Il avait sorti un certain nombre de légumes, poireaux, carottes et pommes de terre, quelques oignons, mais paraissait contrarié.
" Va falloir sortir. Avec l'absence d'Aliosha, personne ne songe au ravitaillement, et on n'a plus rien... Plus de viande en tout cas, et plus que quelques oeufs. Or les gamins vont avoir faim. Gurvan a été bien nourri, ça se voit, mais Hippolyte, c'est une brindille, et je suis certain que Baptiste pourrait bien prendre quatre ou cinq livres sans que cela ne lui fasse de tort... Je vais faire l'inventaire... mais si tu sais me trouver un volontaire pour faire une descente sur le marché avant midi, ce serait formidable."

[Taliesin]

-D'accord : je m'occupe de ça puis je reviens faire la vaisselle.
Il sortit aussitôt pour se mettre en quête de Sedanius. Le clerc avait parlé de livraisons et s'il entendait s'en charger, il ne verrait sans doute pas d'inconvénient à faire un crochet par le marché sur le chemin du retour. Dans le cas contraire, le barde gagnerait l'étage pour trouver une autre personnes acceptant d'accepter cette mission cruciale.

[Galathée]

Sedanius était dans le hangar, en train de charger des caisses sur une charrette à bras et prit note de la commande de Perceval. Le barde put ensuite regagner la cuisine où le jeune homme s'attela à son inventaire de leurs provisions, tout en trouvant une tâche au barde : faire du pain. Il leur restait le nécessaire : levure, farine, un peu de sel, de l'eau, mais le guerrier était d'avis de se lancer dans un projet plus audacieux et plus créatif. Ils pouvaient tester diverses farines, y mettre des fruits secs ou des raisins, sucrer certaines pâtes, en saler d'autres, bref : oser ! Ils se mirent d'accord pour faire trois grands pains ordinaires plus une myriade de petits plus expérimentaux. Entre le dosage, le malaxage, la gestion du four et autres petites actions nécessaires, ils ne virent pas le temps passer. Perceval termina sa liste de denrées manquantes, attaqua la découpe de légumes, puis Sedanius reparut avec deux superbes cuissots de porc, six poulets et trois lapins, un pâté en croûte et deux poissons qui avaient bonne mine et qui venaient, le jura-t-il, de la mer lointaine. Après un court conciliabule, Taliesin et Perceval optèrent pour le poisson. Le barde découvrit alors une trappe dans le sol, donnant sur une barrique remplie de glace, où le guerrier entreposa le reste de la viande. Il expliqua à l'elfe que Lena la remplissait de froidure deux fois par jour, pour qu'ils puissent conserver leurs aliments.

[Taliesin]

Taliesin salua comme il se doit l'ingéniosité de l'installation. Mais ce qui l'avait le plus surpris depuis son retour en cuisine, c'était la créativité et l'application dont Perceval faisait montre en matière de cuisine. S'était-il piqué au jeu après avoir accepté de laisser Baptiste mener quelques expérimentations ? S'agissait-il au contraire d'une inclination ancienne qu'il n'avait pas osé mettre en œuvre avant le départ d'Aliosha ? Quoi qu'il en soit, le barde réfréna d'autant moins les élans du jeune guerrier que jouer les cuistots ne lui avait jamais déplu. Aussi, tout en apprêtant les poissons, discuta-t-il avec lui de leur assaisonnement ainsi que de la meilleure manière d'accommoder les légumes qui les accompagneraient. Ils fient quelques essais, finirent par trouver des options qui leur plurent à tous deux et s'empressèrent de les exécuter. Bientôt, les plats mijotèrent à feux doux.

[Galathée]

Il fut bientôt l'heure de convier les troupes au ravitaillement. Leur première victime fut Lena qui, passant devant leur porte, fut réquisitionnée pour emporter les assiettes. La seconde fut Sedanius, venu s'enquérir de leurs progrès, qui repartit avec les coupes et la mission de trouver une bonne bouteille ou deux ou trois dans la cave. Enfin, Abel fut chargé des couverts, après qu'il soit gentiment venu proposer son aide. Perceval remplit un cruchon d'eau fraîche, Taliesin retira une casserole du feu, le pain fut tranché, des morceaux de beurre placés dans des bols, et Baptiste, subitement confus, dut aller les installer à table pour pénitence. Il se confondit en excuses, promettant à Perceval de ne plus jamais jamais jamais oublier le rendez-vous du repas, malgré les assurances de ce dernier qu'il n'était nullement nécessaire qu'il s'y astreigne s'il avait trouvé mieux à faire.
Ils gagnèrent enfin la salle commune qui avait retrouvé un taux d'encombrement presque similaire aux jours précédents. Les trois gosses s'étaient installés l'un près de l'autre, Hippolyte flanquant Kerun, Gurvan flanquant Sedanius, Baptiste, comme un seigneur, au milieu, puis chacun put s'installer. Meloenn s'était mise près d'Arion, Abel était à côté du jeune voleur et quand Taliesin se glissa à table, juste avant Perceval, il se retrouva protégé par la présence joyeuse de Guéric.
" A nos nouveaux pensionnaires !" s'exclama Sedanius en débouchant une bouteille de vin clair.
Ses salutations furent reprises par le restant de la tablée et le repas put commencer.

[Taliesin]

Une fois n'est pas coutume, Taliesin se sentait parfaitement bien.
La joyeuse préparation du repas et la chaleureuse atmosphère qui régnait autour de la table y étaient pour beaucoup. Le contraste qu'offrait l'attitude des trois garçons par rapport à la première fois qu'il les avait vus aussi : ils étaient la preuve vivante que rien n'était impossible.
Le barde songea à tout ce qu'ils avaient accompli jusqu'ici. A tous ceux qu'ils avaient arrachés à l'enfer mélandien.
Il songea également aux progrès accomplis dans leur patiente enquête concernant Galathée : seules trois familles restaient... Leurs efforts ne consistaient plus, désormais, à chercher une aiguille dans une meule de foin. Bien sûr, il faudrait encore du temps avant de la localiser, avant de la libérer. Mais les choses étaient bien engagées.
Aussi sourit-il sans se forcer le moins du monde, plaisanta-t-il avec Guéric sans réserve, devisa-t-il avec les autres sans arrières pensées.
C'était le calme avant la tempête ou, plutôt, l’œil du cyclone. Il en avait parfaitement conscience.
Ce moment de lumière était aussi bienvenu que réconfortant, cependant, et il entendait en profiter jusqu'au bout.

[Galathée]

Rien ne vint ternir le repas. Baptiste régala ses voisins avec le terrible récit, à peine enjolivé de grimaces explicites, de son passage dans le Temple de Baine, le Lac Purulent et les Jardins de Moandre. Taliesin était le héros de l'histoire et il s'attira de nombreux regards impressionnés des interlocuteurs du petit rescapé. Gurvan se décoinça un rien et expliqua que les charpentiers avaient été relativement bons avec lui, même s'ils l'obligeaient à travailler énormément, tous les jours, pour l'endurcir. Leur attitude avait évolué au fil du temps, de maîtres froids et sévères à des gens dont le comportement pouvait parfois varier du tout au tout en quelques minutes. Il pensait qu'il ressemblait à leur fils disparu, sans en être certain. Mais la perspective de retourner au Temple lui semblait autrement plus excitante. Il était le fils d'un couple de Lathandrites qui, il ne l'ignorait pas, avaient été tués dans les premiers jours des purges. Mais il avait la conviction rayonnante, et un peu déplacée aux yeux de Baptiste, manifestement, que ses parents avaient rejoint la lumière étincelante de leur dieu où tout était parfait et le serait à tout jamais. Il avait manifestement l'intention de se faire novice dès que possible pour servir à son tour Lathandre. Hippolyte, de son côté, jouait les durs : le destin d'un agent luménien était fatalement cruel, mais il reprendrait le flambeau paternel et se battrait pour la justice, la liberté et le bon droit. Arion ne put s'empêcher de lâcher une petite pique, Kerun avait l'air mortellement embarrassé, mais Lena et Perceval se montrèrent joyeusement enthousiastes de ses projets. Baptiste, qui avait tenu le crachoir au début du repas, était plongé dans un mutisme qu'il adoucissait d'un sourire constant bien que fragile.

[Taliesin]

Taliesin fut sensible au changement d'humeur du garçon, car il comprenait parfaitement que ce dernier trouve la situation difficile. Les deux autres gamins nourrissaient des projets enthousiasmants: si ceux d'Hippolyte étaient encore lointains, incertains, ils n'étaient pas impossibles à réaliser, tandis que ceux de Gurvan se concrétiseraient probablement avant longtemps. Mais Baptiste, lui, n'avait rien de tel en tête, rien de tel à partager...
Cependant, le barde ne s'inquiétait aucunement à son sujet. C'était un enfant courageux, intelligent, capable... Il fallait juste qu'il trouve sa voie et, lorsque ce serait chose faite, rien ne l'empêcherait d'y exceller.
Du moins, s'ils surmontait ses traumatismes...
Mais, là encore, l'elfe était optimiste : il en aurait les moyens, sans compter le temps qui, passant, pansait bien des plaies.

[Galathée]

Le repas toucha à sa fin. Perceval et Taliesin se récoltèrent de nombreuses félicitations pour la qualité de la nourriture et le goût délicieux du pain chaud. Lena embaucha Abel pour aller faire la vaisselle, tandis que Sedanius discutait avec Perceval des nécessités des prochains jours concernant leur commerce : achats, livraisons, commandes... Il y avait beaucoup de choses à faire, et elles devaient l'être sous peine d'inquiéter les fournisseurs et clients habituels du comptoir. Il fut question de demander aux garçons un coup de main, mais le clerc de Tyr estima qu'il était prématuré de les mettre au travail, même quelques heures : ils venaient de passer une année entière à trimer pour d'autres, ils avaient le droit de n'absolument rien faire pendant un certain temps. Les trois gredins disparurent vers leur base du grenier.
Kerun invita Arion près de la carte du Havre, Meloenn suivi, et ils se posèrent la question de la soirée.
" Bien... Le souci c'est que les Disciples sont de sortie... Leurs chambres risquent donc d'être occupées...
— On a deux possibilités. Soit on y rentre discrètement pendant qu'ils dorment, avec la chance que la plupart des protections soient du coup levées... Soit on y va en soirée, avant qu'ils ne soient rentrés...
— Ou quand ils dînent à l'étage inférieur, railla Meloenn.
— Qui sont-ils ?
— Barnabé de Lamegrise... Ce n'est pas un comique, il déteste les occasions mondaines... C'est le genre de gars qui va traîner longtemps dans le salon de ses parents, mais il pourrait aller passer la soirée dans les cryptes, au cimetière, ce genre de trucs de nécromants. Amaryllis d'Aigremont est une peste intégrale. J'imagine qu'elle sortira, elle... Mais il y a une soirée un peu intime organisée chez les Fumedense... Sans doute spécialement pour y accueillir les petites sorcières de la bonne société qui ont un peu de liberté..."

[Taliesin]

Debout de son côté de la table, Taliesin écoutait avec attention les informations délivrées par Meloenn. Qu'une soirée sois organisée dans l'une des trois familles qui les intéressait, pile le soir où ils avaient envisagé de se mêler aux disciples, cela avait des allures d'invitation... Mais il s'agissait de festivités en petit comité, au sein d'une demeure noble n'abritant quasiment que des praticiens des arcanes : rien à voir, donc, avec une virée dans quelque taverne. Se joindre aux convives, fut-ce en usurpant l'identité de l'un d'entre eux, serait dès lors beaucoup trop dangereux... Il garda le silence, cependant, attendant de voir ce que les autres en pensaient.

[Galathée]

Mais l'idée d'infiltrer cette soirée ne semblait pas faire partie des options retenues...
" Bon... Je vais peut-être aller faire un tour du côté de l'Ecole, dans ce cas, dit Kerun. Si j'arrive à savoir à quelle heure ils sortent... Ce genre de choses...
— Ce serait plus simple de mettre les deux maisons sous surveillance, fit Arion, et de se montrer opportuniste. Un certain nombre de protections ne sont placées que le soir... Nous n'avons rien l'intention de voler, a priori, donc... Nous pouvons entrer sur le domaine avant la nuit, puis guetter.
— Sauf que nous n'avons qu'une idée très imprécise de l'endroit où se trouvent les chambres des Disciples...
— On peut fonctionner par élimination, si je vous dessine des plans, dit Meloenn.
— Tu sais faire ça, toi ?
— Plus ou moins, oui."
Kerun leva les yeux sur Taliesin.
" Je pense que nous allons en rester à cette idée. Infiltrer les Disciples est autrement plus complexe, et nous n'avons plus que trois suspects."

HRP : Taliesin peut définir son programme de la journée...

[Taliesin]

L'elfe hocha la tête.
-Très bien. Mais soyez quand même prudents.
Il leur adressa un sourire en guise de salut puis s'en fut vers le hangar, avec l'intention de continuer à y boucher des éprouvettes : dans l'immédiat, c'était le meilleur moyen pour lui de se rendre utile, et s'il pouvait mener la tâche à bien, il ne s'en priverait pas. Comme il ne se priverait pas d'aider de toutes les manières possibles au fonctionnement quotidien du Comptoir. Avec le départ de plusieurs de ses résidents habituels, avec le surcroît de travail que celui-ci impliquait pour ceux qui restaient, donner un coup de main lui paraissait absolument nécessaire. Bref, les paroles de Sedanius n'étaient pas tombées dans l'oreille d'un sourd.
Et si, à un moment ou un autre, il se retrouvait sans activité, il songerait à nettoyer l'armure abandonnée dans la cour. Cette perspective n'avait rien de réjouissant, mais il n'imaginait pas laisser cette tâche peu ragoutante à quelqu'un d'autre...

[Galathée]

Quand les membres du Comptoir prirent conscience de ses intentions et de leur incapacité à le convaincre d'occuper sa journée à autre chose, ils l'exploitèrent sans plus aucune arrière-pensée. Hormis les bouchons à enfoncer sur les éprouvettes, il fallait remplir plusieurs caissettes de bois de verrerie en fonction de commandes. Perceval lui confia donc une première liste, lui expliqua comment s'y retrouver dans les étagères du hangar et comment emballer chaque pièce précautionneusement pour qu'elle ne se brise pas pendant le transport. Lui-même partit faire une livraison et le marché au passage. Quand il revint, Taliesin avait fini sa première commande et il fut chaleureusement félicité, avant d'être embauché pour le rangement de la cuisine. Ensuite, Perceval le renvoya dans le hangar pour gérer deux autres commandes et le vissage des fameux couvercles sur les bocaux. Lena et Sedanius parurent, lui donnèrent un coup de main, s'attelèrent à d'autres tâches parallèles, gestion des stocks, inventaire, rangement... En milieu d'après-midi, Kerun parut pour les interroger sur leurs besoins vestimentaires, car il s'apprêtait à aller chercher ses fichues bottes et des habits pour les enfants. La journée fila, Taliesin ressentit une saine fatigue, mais, au moment où il espérait aller rejoindre quelqu'un en cuisine pour préparer le souper, Meloenn le coinça et exigea qu'il aille nettoyer son armure répugnante. Il se retrouva donc dans la cour avec deux seaux, du savon et de la graisse.

[Taliesin]

Comment diables pouvait-elle être au courant ? Se rendait-elle discrètement dans la cour pour d'obscures raisons ? Peut-être, mais il ne voyait pas ce qui était susceptible de l'amener là... Autre hypothèse : l'ignoble fumet émanant de l'objet s'était-il frayé un chemin jusqu'à sa chambre ? Pas impossible dans l'absolu, mais si tel avait été le cas, les fragrances émanant du fleuve l'auraient assurément couvert...
Bref, quelle qu'en soit la raison, elle savait, et puisque cette tâche rebutante était à faire, il la fit, bon gré, mal gré. Humidifier puis gratter l'abominable gangue de déchets organiques de toutes sortes ne fut pas sans conséquences olfactives, et si ces remugles n'étaient qu'un lointain reflet de l'atmosphère méphitique qui régné dans le Lac Purulent, cela suffit à lui donner la nausée. Il continua cependant à s'affairer, patient, méticuleux, en se demandant s'il n'exigerait pas de Meloenn qu'elle lui fasse couler un bon ben, en contrepartie de ses efforts.
Toutefois, c'était une idée à ce point mauvaise qu'il y renonça presque aussitôt... Mieux valait essayer de ne pas trop se salir.

[Galathée]

Quand il put enfin abandonner l'armure plus ou moins propre à l'extérieur, il faisait déjà presque nuit. Il gagna une salle commune où Arion et Kerun terminaient de manger sur le pouce et s'apprêtaient à sortir. De bonnes odeurs s'échappaient du couloir et, plus loin, de la cuisine, et Taliesin reconnut les voix de Perceval et Sedanius, sans doute affairés à leur mitonner quelque chose. Meloenn était invisible, mais Lena complétait des registres, concentrée. Elle leva les yeux à son entrée.
" En voilà un qui a besoin de se changer, dit-elle avec le sourire. Je pense que tu peux réveiller Guéric et rassembler le troupeau de demi-portions au passage..."

[Taliesin]

-D'accord. Et je promets de faire ma lessive dès demain, afin que disparaissent à tout jamais les fragrances fleuries du Lac Purulent.
Il sourit.
-J'imagine que notre agent secret métamorphosé en pourvoyeurs de vêtements a déposé ma modeste commande dans notre chambre... et que la marmaille ravage toujours le grenier. Alors me voilà parti pour les hauteurs. Croise les doigts pour que je sois encore en état de gravir les marches puis d'escalader l'échelle !

[Galathée]

Lena rit doucement et leva les yeux au ciel, et le barde put gagner sa chambre. Kerun avait effectivement déposé la tenue qu'il lui avait commandée sur le lit, et Taliesin put se changer. Il abandonna ses vêtements salis sur une pile dans un coin, que d'autres semblaient avoir déjà utilisée. Guéric s'éveilla peu de temps après son débarquement, et ce malgré sa discrétion : sans doute un effet de l'ouïe fine des halfelins.
" Ras le bol de dormir toute la journée, dit-il. Je suis certain que Sedanius refuse de me retaper intégralement parce que c'est un gros paresseux...
Il glissa les pieds hors du lit.
" Demain, je reste debout toute la journée, c'est décidé. Vu le raffut des petits amis, là-haut, ce sera pas difficile..."
Une cavalcade résonna au-dessus d'eux, histoire de donner du poids à ses paroles.

[Taliesin]

L'elfe adopta une mine terrifiée.
-Si j'étais toi, je changerai tout de suite de projet... souffla-t-il. Car si tu quittes la chambre, demain... Ces gens... Bon sang, Guéric, ils m'ont exploité toute la journée ! J'ai dû faire un milliard de choses ! Y compris frotter le moindre pavé de la cour jusqu'à ce qu'il brille autant qu'un diamant ! C'était... Oh, dieux, c'était l'enfer...
Il mima un sanglot puis jeta un regard vers le plafond.
-Et maintenant... Et maintenant, il me faut pénétrer dans l'Antre de la Meute, pour tenter de la convaincre de descendre... Le seul côté réconfortant, c'est que si je survis, si elle obtempère, c'est tout notre groupe qui devra subir son incontrôlable furie... Je sais, se réjouir que d'autres souffrent sous peu n'est pas très charitable, mais... Quand on en est où j'en suis, on se réconforte comme l'on peut.

[Galathée]

" Taliesin. Tu as survécu à Victor, tu peux survivre à Baptiste et ses sbires. Ils sont mille fois moins pires que la bande qu'on avait à bord de la Liberté ! Enfin. Je reconnais que tu avais l'aide efficace de Vallaelyn, et ici, tu vas devoir faire face... seul ! Toutes mes condoléances."
Il gloussa en fourrageant dans la pile de vêtements informes où Taliesin avait abandonné ses frusques un peu plus tôt.
" Hé ! T'as mis ton sale costume sur mes habits propres !? Tu déconnes ou quoi, Taliesin, bouse ! Beurk ! Ça pue ! Enfers ! Misérable !"