[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences

[Taliesin]

Si on lui avait posé la question lorsqu'il s'était assis à Table, Taliesin aurait répondu qu'il n'avait pas très faim. Mais, comme l'on dit, l'appétit vient en mangeant. Et le dicton s'avérait d'autant plus vrai quand les mets étaient d'allure engageante - ce qui était le cas. Il fit donc honneur aux plats et ne manqua pas de féliciter les cuisiniers. Il s'efforça également de deviser avec ses voisins. Cependant, chose extraordinaire pour un barde, l'imagination lui faisait défaut : sans doute son esprit était-il trop occupé a faire barrage aux pensées prêtes à s'engouffrer dans la moindre brèches, apportant avec elles craintes, angoisse, incertitudes... et espoir, aussi. Bref, ce n'était pas aujourd'hui qu'il animerait la conversation. En revanche, il écouta, écouta même beaucoup... Moyen plus aisé de se changer les idées, jusqu'à ce qu'on lui donne une nouvelle mission à accomplir.

[Galathée]

Kerun et Arion mangèrent rapidement puis retournèrent dans le hangar. Les enfants avaient des myriades d'aventures frivoles à raconter, notamment sur ce qu'ils avaient déniché dans le grenier, et Sedanius ouvrait des yeux horrifiés en réalisant que la zone avait été mise à sac. Meloenn monta faire la sieste et, la mort dans l'âme, Guéric l'imita. Il promit cependant de ne rester couché qu'une petite heure. Tandis que Perceval commettait le sacrilège d'embaucher Baptiste pour la vaisselle, Lena revint vers Taliesin.
" Kerun m'a dit que tu devais aller jouer du pipeau. Finalement, je ne vais transformer personne aujourd'hui, alors si ça te tente... Je peux te donner une nouvelle apparence et tu peux m'accompagner dans mes démarches de l'après-midi. Nous allons aller chercher du verre à droite à gauche et faire quelques livraisons. Enfin, pour commencer, nous allons aller louer un cheval. Ça risque de nous prendre une partie de l'après-midi, et nous passerons sûrement dans un endroit propice pour jouer... Ce n'est qu'une proposition, cependant. Si tu préfères rester à l'intérieur..."

[Taliesin]

Étudier la question ne lui prit guère de temps.
-Je suis partant, et plutôt deux fois qu'une. Du moins, si le fait que le comptoir ait embauché quelqu'un de nouveau ne paraît pas trop étrange. Et si nous ne sommes pas amenés à passer à proximité d'endroits tels qu'un marché aux esclaves. J'ai besoin d'activité, c'est certain, mais je dois aussi me ménager... Enfin, je suis sûr qu'on peut rester à l'écart de ces zones sensibles et, donc, je le redis, je suis partant. C'est même une excellente idée pour laquelle je te remercie.
Effectivement, rester affairé tout l'après-midi, il ne pouvait imaginer mieux.

[Galathée]

Lena sourit.
" Je vais te donner l'apparence d'Eliott, comme ça personne ne sera surpris. Il avait un gabarit un peu plus lourd que le tien, vu qu'il n'était pas complètement de sang elfe, mais la différence ne sera pas très forte. Essaie juste de réagir tranquillement si quelqu'un te reconnait et lâche des platitudes, ce sera amplement suffisant."
Perceval sortit de la cuisine.
" Bon. Je vais aller vous chercher le cheval, mais vous pouvez commencer à charger la charrette, je pense."
Il partit ensuite vers le hangar, et la drow et le barde lui emboîtèrent le pas. Le véhicule qu'ils utiliseraient était simplement composé d'une grande plateforme avec des bords d'un pied de haut et d'un siège pour le cocher. Ils installèrent les caisses dont ils avaient besoin, bien étiquetées, sur la plateforme, puis les sanglèrent avec des cordes et des lanières de cuir afin qu'elles ne puissent pas bouger. Ils prirent aussi des caisses vides mais qui contenaient de la paille et de la laine, pour les fameux vases dont on avait parlé le matin.
Lena expliqua à Taliesin que Sedanius était allé voir plusieurs clients ce matin, pour s'enquérir de leurs nouvelles commandes, car certains habitués ne se déplaçaient pas. Il avait aussi déniché un service de livraison qui emmènerait les bouteilles hors les murs, pour les viticulteurs de la région. D'ordinaire, ils s'en chargeaient eux-mêmes, mais la situation présente ne leur permettait pas.
Ils avaient terminé d'arrimer leur chargement quand Perceval revint avec un brave cheval de trait qu'ils attelèrent devant la charrette. Lena incanta pour altérer leurs physionomies et Taliesin se retrouva sous les traits d'Eliott, tandis que Lena revêtait ceux d'Ybarra. Perceval alla la porte de façade du hangar, que Taliesin n'avait jamais empruntée, encore, puis ils filèrent dans la rue, direction l'Esplanade.

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard
Chapitre 9. Sauvetages

Une fois rentrés de leur escapade, Lena et Taliesin vidèrent d'abord le chariot, rangeant chaque caisse à la bonne place, avant d'estimer qu'ils avaient le droit de souffler. Ils retrouvèrent Perceval et les trois gamins dans la salle à manger, où ils semblaient s'adonner aux joies de l'écriture, sous le regard de Sedanius, moitié sévère, moitié circonspect.
Le jeune guerrier faussa compagnie aux studieux gamins en filant dans le hangar pour aller se charger du cheval qu'il fallait ramener à son loueur. Lena et Sedanius disparurent vers les étages et le bureau, sans doute pour y faire leurs comptes. Livrés à eux-mêmes (et au barde), les enfants reposèrent leurs plumes.
" On écrit le règlement de l'ELCVD ! annonça fièrement Hippolyte.
— C'est parce qu'il parait qu'on a pris du retard, dit Gurvan avec une grimace. J'espère que je pourrai quand même devenir clerc, même si j'écris n'importe comment."
Baptiste, lui, sourit au barde.
" Moi j'ai pas trop oublié, ça va..."

[Taliesin]

Taliesin s'était d'abord étonné de trouver le trio dans la salle commune : il l'avait imaginé retranché au grenier, comme la veille. Puis il avait songé au retard scolaire accumulé par Victor et les petits Merlus, retard dont il avait eu la preuve flagrante lors de son dernier jour sur Mersant.
-C'est une bonne chose, dit-il à Baptiste, appréciateur, en lui rendant son sourire. Gurvan, si j'étais toi, je ne m'en ferais pas trop : entre ton séjour ici et le trajet en bateau jusqu'à Luménis, tu auras largement le temps d'acquérir un niveau plus que suffisant.
Il les dévisagea tour à tour.
-Bon, puisque Sedanius s'est occupé de l'écriture, je vous propose d'enchaîner avec les mathématiques. Vous connaissez les quatre opérations de base, n'est-ce pas ? Alors passons aux équations...

[Galathée]

Les gamins le dévisagèrent avec stupéfaction.
" Les opérations de base ?
— C'est une base d'opérations, qu'on dit, fit Hippolyte en croisant les bras d'un air suffisant. Après, les opérations, c'est par exemple... infiltrer une bande de trafiquants de statues de Lathandre volées ! Ou la surveillance de l'ambassadeur de Manost !
— Les opérations de base, c'est pas ça, dit Baptiste. C'est additionner, et puis soustraire... et diviser et multiplier.
— Quoi ça ?
— Ah moi je crois que je connais... additionner, c'est faire plus. Quand on a une planche et une autre planche, ben ça fait deux planches ! Moins, c'est quand on doit payer les gens de la scierie."

[Taliesin]

Hum, on allait vite s'éloigner de ces parages dangereux. Il n'avait aucune envie de rappeler à Gurvan - ou aux autres - des épisodes de leur servitude.
-C'est exactement ça. Mais en réalité, je plaisantais. Les bardes et les mathématiques, ça ne fait pas souvent bon ménage. A l'inverse, Lena et Sedanius, qui doivent assurer la comptabilité de la boutique, seront beaucoup plus à mêmes de vous faire progresser en ce domaine.
Non mais ! Comme s'il allait laisser passer sans rien dire leur repli aussi subit qu'expéditif !
-Par ailleurs, comme je suis sûr qu'on ne vous a proposé que des activités studieuses tout au long de l'après-midi, je vous donne quartiers libres. Vous pouvez retourner dans votre base... A moins que certains de nos compagnons soient en train de dormir : sinon, ils risquent de m'assassiner... Et à moins, bien sûr, que vous n'ayez envie de faire autre chose.

[Galathée]

Les deux plus jeunes des enfants détalèrent avant même que Taliesin n'ait fini son discours. Baptiste resta en arrière un moment, comme s'il hésitait à ajouter quelque chose, puis finit par hausser les épaules et fila à son tour. Le barde demeura donc avec une table couverte de créations littéraires avortées, dont l'orthographe était parfois tellement impénétrable que l'elfe ne fut pas certain, malgré ses grandes compétences en déchiffrage de parchemins, de comprendre ce qu'ils avaient essayé d'écrire. Kerun entra peu après et lui sourit.
" Nous allons partir tôt, dit-il. Finalement, Arion nous accompagnera quand même. Il créera une diversion au rez de chaussée au cas où nous en avons besoin. Nous allons limiter l'usage de la magie au maximum... J'ai peur que cela laisse des traces problématiques. Puis-je te charger de nous bricoler rapidement un casse-croûte ? Laisse-le dans un sac. Nous l'embarquerons. Ensuite, je t'ai préparé une tenue pour l'intervention, elle est dans le vestiaire. Il y a un masque et une cagoule, c'est le plus prudent. Au niveau armes, il vaut mieux prendre une dague que quelque chose de plus encombrant... Si les choses tournent mal, je couvrirai ta retraite. Mais il n'y a aucune raison que cela tourne mal. Notre seule difficulté est le timing... Mais nous en reparlerons dans un instant. Va préparer à manger, va te changer, retrouve-moi dans le hangar."

[Taliesin]

-Juste un instant, Kerun... fit-il après une hésitation. D'abord, quitte à prendre toutes les éventualités en compte, on doit en envisager une autre : celle de devoir libérer Galathée dès ce soir. Je sais que nous partons uniquement pour du repérage. Toutefois, si quelque chose tourne mal, et même si Arion ne doit faire qu'une diversion... Nous n'aurons plus l'opportunité de revenir, puisque les Aigremont prendront de nouvelles mesures de sécurité. Quant à exfiltrer quelqu'un de l’École du Necronomicon... Impossible.
Il n'aimait pas pencer à cela mais... C'était nécessaire.
[color=#FFFFF66]-Ensuite... Le pipeau nous a offert un morceau d'étoffe blanche. Je l'ai posé là-bas, si tu veux y jeter un œil. Personnellement, je n'ai pas la moindre idée de ce à quoi il pourra nous servir.[/color]
Et il s'en fut exécuter les ordres de l'agent secret.

[Galathée]

Les vêtements que Kerun avait préparés étaient gris sombre et près du corps. Taliesin pourrait sans difficultés enfiler une tenue plus banale par-dessus au besoin. Il ne mit pas encore la cagoule, ne se grima pas davantage, et regagna le hangar. Kerun l'y attendait. Il lui rendit aussitôt le tissu blanc.
" Je ne sais pas ce que c'est, mais il m'a l'air enduit de quelque chose... Il y a une odeur, en tout cas... Prends-le sur toi. Il révélera sûrement son usage au moment opportun."
Il pinça ensuite les lèvres.
" Si nous devons filer avec Galathée ce soir, nous le ferons. Mais nous ne prendrons aucun risque inutile."
Une grimace déforma son visage.
" Ah, c'est dans des interventions comme celle-ci que ma fouine me manque le plus... Bref. Viens."
Il l'entraîna jusqu'au fond du hangar. Là, un petit enclos avait été formé par des caisses. Au milieu de celui-ci, se trouvait un jeune chien âgé de quelques mois, noir et blanc, la queue frétillante, qui jouait avec un vieux morceau de chiffon. A l'apparition des deux elfes, il se mit à japper en bondissant de joie.
" Bon. Ce soir, nous devrons emprunter au moins deux passages protégés par des glyphes de garde. Ceux-ci sont, d'après ce qu'Arion a détecté, similaires à ceux qui se trouvaient dans le Temple de Baine. Ils ne peuvent pas se désamorcer comme des pièges ordinaires... Leur condition de déclenchement est très simple : ils perçoivent le Bien et leur effet peut être dévastateur. Autant dire que nous ne pouvons pas les déclencher. Arion et moi sommes protégés. Moi parce que je porte un implant, lui... parce que comme Guéric, son coeur n'est pas aussi pur qu'on pourrait le vouloir... Mais toi..."
Il soupira.
" Je regrette de te demander ceci, mais il faut brouiller ton aura. Et pour brouiller ton aura, il faut que tu sois moins bon. Je veux que tu rentres dans cet enclos et que tu tues ce chien. Le plus lentement possible et en lui faisant mal."

[Taliesin]

Taliesin le dévisagea, comme s'il ne comprenait pas.
Son regard alla du Kerun au chien. Du chien à Kerun.
Puis, brusquement, toute couleur quitta son visage et il recula d'un pas.
-Non. souffla-t-il.
La panique s'était levée en lui comme un vent de tempête.
Il essaya de se contrôler. Respira lentement. Mobilisa les souvenirs de Galathée.
Il fallait qu'il le fasse. Il le lui devait. C'était parce qu'elle l'aimait qu'on l'avait condamnée à l'enfer.
Il serra les poings, se redressa de toute sa taille. Jeta un nouveau coup d’œil à l'animal.
Et sa résolution naissante vola en éclats, remplacée par la colère, le désespoir...
Par un terrible sentiment d'impuissance.
-Je... Je ne peux pas... balbutia-t-il d'une voix méconnaissable. Kerun... Je... J'ai été souillé. J'ai été le Monstre... J'ai fait souffrir des innocents... Je les ai massacrés... Si je recommence, même avec un animal... J'ai peur qu'il...
Il chercha le regard du Luménien.
-Je préfère mourir plutôt que de redevenir un bourreau, conclut-il, d'un ton presque suppliant.

[Galathée]

Kerun l'attrapa par le bras, d'une main de fer sur son poignet et le tira vers lui, le regardant droit dans les yeux. Cela ne dura pas plus de quelques secondes, pendant lesquelles il parut sonder son âme, puis il le relâcha avec un soupir et une grimace.
" Pardonne-moi. J'aurais dû songer à la difficulté que cela représenterait pour toi. Tu peux le refiler aux enfants, ça leur fera de la compagnie. Je dois sortir mais je serai de retour dans moins d'une heure. Dis à Arion d'être prêt. Nous partirons immédiatement."
Puis, sans attendre, il s'éloigna, ouvrit la porte qui donnait sur l'extérieur, et sortit.

[Taliesin]

Il resta quelques instants sans bouger, les yeux rivés sur la porte close.
Puis, s'adossant au mur le plus proche, il se laissa glisser jusqu'au sol et resta là, immobile et frissonnant.
Tu n'as même pas été capable de faire cela pour elle. Les autres, qui ne la connaissent même pas, mettent tout en ouvre pour la sauver. Et toi, alors qu'elle est ta compagne, alors qu'elle paye pour l'amour qu'elle te porte... Tu en es indigne.
Débordé par la colère, la culpabilité, le désespoir, il se recroquevilla sur lui-même,.
Indigne. Incapable.
Pourquoi Kerun n'avait-il pas voulu, simplement, qu'on masque son aura, comme pour le Temple de Baine ?
Parce que cela n'aurait pas suffit, crétin. Il sait de quoi il parle.
Galathée avait terrassé le Monstre. Elle ne voudrait pas qu'il le redevienne, fut-ce pour la sauver.
Ne la prends pas comme prétexte. Et tu sais très bien que tu ne le serais pas redevenu. Tu es juste un incapable, un indigne.
Il serra le poing.
Aspiré l'air à grandes goulées.
Je suis surtout épuisé nerveusement. Je dois me ressaisir. Pour ce soir...
Comme si on allait le laisser venir après un tel aveu de faiblesse...

[Galathée]

Dans son enclos, absolument imperméable au trouble du barde, le chiot bondissait avec énergie, aboyant pour tenter d'attirer son attention, la langue pendante et la queue battant à toute vitesse. Il finit par essayer de sauter au-dessus de la barrière de caisses, la percuta sans efficacité, et lâcha un petit jappement déçu. Il retourna à son chiffon qu'il secoua comme s'il se fut agi d'un lièvre délicieux.
Il n'y avait personne dans le hangar, Taliesin était absolument seul avec les craquements de la charpente, les murmures de la rue, et le rescapé qui espérait toujours qu'il ait pitié de lui.

[Taliesin]

A force de respirer lentement, le barde parvint à reprendre un semblant de contrôle sur lui-même. Ce n'était pas la grande forme, non, mais il croyait être capable de donner le change jusqu'à ce qu'il soit véritablement remis. Alors, il se leva et prit la direction de la salle commune, sans un regard pour l'être que sa faiblesse avait épargné. Son échec était encore trop cuisant, et puis, il se voyait mal débarquer avec l'animal, s'imaginait mal expliquer de quoi il retournait aux autres. Non, mieux valait qu'il aille d'abord trouver Arion, comme on le lui avait demandé - mission dérisoire mais dans ses cordes. Avec un peu de chance, il trouverait l'un des gamins sur son chemin et lui dirait d'aller faire un tour dans le hangar...

[Galathée]

Quand Taliesin s'enquit d'Arion auprès de Lena, qui installait la table dans la salle à manger, elle le dirigea vers les étages où le jeune homme se changeait et préparait. Elle parut percevoir le trouble sur son visage, mais ne dit rien, le laissant fuir vers les hauteurs. Les clameurs des hauts faits de l'ELCVD résonnaient dans la cage d'escaliers et tout l'étage, aussi le barde ne fut-il sans doute pas surpris de trouver Arion passablement excédé. Il se contenta néanmoins de grommeler et, par-dessus le tapage, Taliesin perçut la voix de Sedanius qui tentait de ramener un peu de calme parmi ses ouailles.
Les deux elfes regagnèrent le rez de chaussée, Taliesin récupéra le pique-nique qu'il avait préparé, et ils gagnèrent le hangar. Arion entama leurs réserves, puis conseilla à Taliesin de passer une cape au-dessus de sa tenue d'intervention. Ils conservèrent cagoules et grimage pour le dernier moment.
Kerun reparut un peu plus tard. Il parut satisfait de les voir changés mais suggéra à Taliesin de manger à son tour. Il paraissait très calme, très sérieux, déjà complètement dans son opération de la soirée.
Il les abandonna quelques instants dans le hangar puis revint, revêtu des mêmes frusques qu'eux.
" Bon... Arion, tu sais quel est le signal et quelle est la marche à suivre. Tu peux aller te positionner."
L'elfe de lune acquiesça et sortit aussitôt.
" Taliesin. D'abord ceci."
Il lui tendit une fiole.
" C'est une potion qui masquera tes inclinations pendant toute la nuit. Tu peux la prendre dès à présent."
Il lui en donna une autre.
" Celle-ci améliorera tes capacités à te cacher et à te déplacer silencieusement. Elle est beaucoup plus volatile, cependant. Garde-la. Il ne faudra la boire qu'au moment opportun."

[Taliesin]

Taliesin s'était empourpré en entendant à quoi servait la première des deux potions et en imaginant ce à quoi Kerun avait été réduit pour les obtenir. Il le remercia néanmoins, d'une voix qu'il pensa assurée, et interrompit brièvement son casse-croûte pour la boire jusqu'à la dernière goutte. Puis il glissa l'autre dans une poche.
-Peut-être même n'en aurai-je pas besoin, répondit-il avec un haussement d'épaules. Bon, ne manque plus que Lena...

[Galathée]

" Lena ne vient pas ce soir, dit Kerun. Elle sera en contact avec Arion ou moi en cas de besoin. Je ne veux un minimum de magie à l'intérieur, j'ai de bonnes raisons de penser qu'ils y sont particulièrement vigilants, vu leur manque de défenses en la matière. Si nous parvenons à nous en tirer sans ce soir, nous les surprendrons demain."
Il regarda le barde droit dans les yeux.
" Taliesin. Une fois que l'opération a débuté, c'est moi qui commande. Tu fais tout ce que je te dis, absolument tout, et tu restes tout le temps avec moi. Pas d'initiatives sans m'en référer. Est-ce que c'est clair ?"

[Taliesin]

Très clair. Sauf si tu me demandes de me replier alors qu'ils sont sur le point de la tuer, ou alors que s'est produit un incident nous empêchant de revenir demain, songea spontanément l'elfe, lucide sur son attitude dans de tels cas de figure.
Mais évidemment, ce n'était pas le genre de chose à dire à voix haute.
-Kerun, j'ai suffisamment vu ce que donnaient mes initiatives pour n'avoir plus aucune envie d'en prendre, surtout pour une opération aussi cruciale, répondit-il. Je m'en tiendrai donc au rôle d'exécutant. C'est celui pour lequel je suis le moins mauvais.

[Galathée]

L'agent luménien acquiesça et posa la main sur son épaule.
" Taliesin. Je te ramènerai, toi et Galathée, sains et saufs à Luménis. Je te le promets. Et si je n'y parviens pas, c'est que je serai mort en essayant. Mais alors tu y arriveras."
Un sourire passa sur ses traits, son expression redevint concentrée.
" Nous allons nous rendre jusqu'au Havre séparément. Nous nous retrouverons dans le Jardin de la Mélancolie. Garde ton capuchon relevé, n'adresse la parole à personne, prends le temps qu'il faut pour arriver sauf. Si tu es pris à partie, agis en bon Mélandien. Tymora est avec nous, il pleut, nous serons plus tranquilles."
Il marcha jusqu'à la porte.
" Prends le chemin qui passe par les chantiers navals et le temple d'Umberlie, puis qui repique vers l'esplanade avant d'arriver au Havre. Méfie-toi des abords du Palais."
Puis, sur un dernier sourire, plus réflexe que réel, il ouvrit la porte et l'invita à sortir.

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard.
Chapitre 11. Aube (suite)

Cheminant depuis le Havre Bourgeois et le refuge du manoir DouceChute, Taliesin ne rencontra pas grand monde sur sa route : il pleuvait dru et même les Mélandiens, guéris de Talos, préféraient rester à l'intérieur. Bien sûr, quelques prostituées, quelques mendiants, quelques brutes l'observèrent depuis leurs porches abrités, mais personne ne se porta à sa rencontre et les autres promeneurs qu'il croisa semblaient également pressés d'atteindre leur destination. Seuls les esclaves trimaient en dépit du mauvais temps, surtout dans le quartier du port, où il y avait toujours à charger et décharger des marchandises, à toute heure du jour et quelle que soit la couleur du ciel.
Il ne fut pas suivi, pour autant qu'il puisse en juger : personne ne quitta le domaine après lui, et à aucun moment il n'entendit ni ne vit quelqu'un dans son ombre.
Quand il parvint au Comptoir, et avant de pouvoir déterminer si la boutique était ouverte, il vit les grandes portes du hangar béante. Quatre chariots frappés d'une inscription similaire étaient stationnés autour : il s'agissait des véhicules des "Entreprises Verres et Porcelaines". Un homme d'une quarantaine d'années, que Taliesin n'avait jamais vu, engoncé dans un manteau ciré qui lui descendait jusqu'aux chevilles, donnait des ordres à une myriade d'esclaves qui semblaient sortir du Comptoir en transportant des caisses.

[Taliesin]

Taliesin laissa échapper un gémissement.
Ainsi, le pire s'était bel et bien produit.
Arion et Kerun avaient livré tout le monde aux Mélandiens, et on avait déjà vendu les biens du Comptoir...
Il n'aurait même pas l'opportunité de fouiller les lieux pour y trouver des indices quant au sort de leurs anciens occupants.
Mais tout n'était peut-être pas perdu.
Les miracles existaient. Il le savait, désormais.
D'abord, vérifier si la boutique était ouverte : si c'était le cas, jouer les chalands serait une possibilité. Si elle était fermée, et bien... Il irait interroger cet homme. Après tout, il pouvait être un client surpris...

[Galathée]

La boutique était fermée, il s'en rendit compte avant même d'arriver à la porte : il y faisait noir comme dans un four. L'homme qui supervisait le chargement des chariots le héla alors sans qu'il doive s'en charger.
" C'est fermé, m'sire ! Fini ! Mais y'a de la bonne marchandise aux Entreprises Verres et Porcelaines, c'est pas loin d'ici : quatre blocs vers le sud, derrière la halle aux bestiaux. Faut se coltiner les odeurs, mais le choix est nettement plus grand et la livraison gratuite à partir de dix pièces."

[Taliesin]

Il hocha la tête.
-Merci pour l'information. Elle me sera utile, car j'ai effectivement besoin de certaines choses. Mais...
Il jeta un nouveau regard au magasin.
-Le Comptoir des Transparences aurait-il fait faillite ? Sauriez-vous où je pourrais trouver ces propriétaires ? Parce que je leur avais passé une commande d'importance, et versé une avance conséquente... Je n'ai donc aucune intention de les laisser filer avec mon argent.

[Galathée]

" Alors ça, messire, j'en ai aucune idée. Faudra voir avec le patron, mais je crois qu'il a racheté tout, y compris les commandes en cours. Y pourra sans doute vous livrer ce qu'on vous d'vait. Mais ils ont pas fait faillite. Ça tourne toujours bien, les entreprises qui font dans l'verre, y'a d'la demande parce que ça casse tout le temps, et c't'un art de conserver tout ça. Faut des esclaves bien dressés, déjà, avec des pattes pas trop maladroites."
Il eut un sourire satisfait en observant ses propres hommes, qui continuaient à travailler sous l'averse.
" Je crois qu'ils voulaient arrêter, simplement. Ça faisait un p'tit moment qu'le patron était en tractations avec eux. Ça s'est réglé hier et nous voici à pied d'oeuvre ! Mais vous y perdrez pas, j'vous jure."

[Taliesin]

Il adopta aussitôt une attitude soulagée. Factice, évidemment.
-Je n'en doute pas un seul instant. Merci pour ces renseignements et bonne journée !
Il salua l'homme puis tourna les talons, en direction de la boutique qu'on lui avait indiquée. Bien sûr, ce n'était pas là qu'il se rendrait : il prendrait le chemin du domaine Doucechute. Et, sur le trajet, il chercherait un coin tranquille pour user du pipeau.
Il n'y avait pas eu de descente menée par les autorités : sinon, on n'aurait pas manqué de lui en parler. C'était une bonne nouvelle. Mais cela signifiait, aussi, qu'il n'avait aucune chance de retrouver les autres sans un peu d'aide. Peut-être Kerun et Arion les avaient-ils persuadés qu'il allait les trahir, qu'il était nécessaire de changer de planque. Peut-être avaient-ils souhaité les faire disparaître discrètement, pour ne pas griller leur couverture, pour ne pas devoir fuir eux-mêmes la ville... Impossible à dire pour l'heure.
Ce qui était certain en revanche, c'est qu'il ferait tout pour connaître le fin mot de l'histoire.
Et pour aider ceux qui pouvaient encore l'être.

[Galathée]

Au moment où le barde quittait le contremaître, il vit un autre client, encapuchonné comme lui, se diriger vers la porte de la boutique et jeter un oeil à l'intérieur. Sans doute ne serait-il pas le seul à s'enquérir de la disparition de la petite entreprise qui, jusqu'à la veille, fonctionnait si bien.
Taliesin repartit donc dans les rues humides jusqu'à dénicher une impasse où il put sortir son instrument. Dissimulé par une pille de tonneaux vides, avec pour seul spectateur un chat gris bien à l'abri dans sa barrique, il égrena donc les quelques notes du pipeau magique.
Mais il ne se passa rien. Aucun objet ne se matérialisa. Aucune lumière. Aucune révélation.
Par contre, il vit passer la silhouette de l'autre client, marchant d'un pas rapide, dans l'artère sur laquelle donnait l'impasse.

[Taliesin]

Il crut d'abord avoir franchi la limite, abusé du pouvoir de l'instrument et en avoir reçu un cruel rappel.
Puis, lorsqu'il entraperçut la silhouette, il se souvint de ce qui s'était produit, juste avant de quitter la ferme Desmoulins.
Il avait joué du pipeau pour obtnir de l'argent. Rien n'était apparu, mais Victor avait surgi, s'était rué dans ses bras, scellant leur réconciliatioon.
Ce dont il avait réellement besoin.
Alors, il ne fit ni une ni deux et, aussi vite qu'il l'osa, aussi discrètement qu'il le put, il s'efforça de suivre l'inconnu.
Qui n'en était peut-être pas un.

[Galathée]

Taliesin dut suivre l'inconnu à bonne distance, car celui-ci était circonspect, paraissait hésiter sur le chemin à emprunter et s'immobilisait parfois brusquement pour jeter un oeil derrière lui. En somme, cette personne semblait craindre d'être suivie. La seule information que le barde put en retirer, dans un premier temps, fut que c'était une femme. Il le devina à la forme de sa silhouette, à sa manière de marcher, et à la crispation qui la prenait, à peine perceptible, quand elle passait devant un groupe d'hommes.
Loin de partir vers les beaux quartiers que le barde avait imaginé rallier d'emblée, elle prit la route opposée, qui menait aux taudis...