[Bâtiment] Domaine des DouceChute

[Galathée]

" Avec plaisir, messire. Mais il va d'abord falloir que nous dénichions quelqu'un pour vous porter de quoi vous nourrir... Suivez-moi."
Avec un clin d'oeil, elle le ramena vers le manoir, où ils trouvèrent aisément un serviteur. Une fois équipés en fruits et gâteaux, ils repartirent, d'un pas lent, sur les pelouses. L'herbe était encore humide, mais pas au point de se métamorphoser en boue... du moins sous le pas léger du barde. Galathée laissait des traces un rien plus profondes.
" Profitons de ce semblant d'air pur... Une fois que tu m'auras ravie à mes Mélandiens, je devrai m'habituer à la pestilence qui règne dans les rues. Je doute que ton ami Kerun soit capable de vous offrir une jolie maison des quartiers nobles... Vous attireriez bien trop l'attention !"

[Taliesin]

-Notre ancienne base était une boutique de verreries. Une vraie boutique, que l'organisation faisait fonctionner pour avoir une couverture efficace. Elle se trouvait dans le quartier portuaire, au bord de la Houleuse. Alors c'est sûr que les rues adjacentes n'étaient pas les plus reluisantes de Melandis, et que la cour puait à cause des effluves du fleuve. Mais à l'intérieur, il faisait bon vivre. Je crois que tu t'y serais sentie bien : tant de chaleur humaine... Je n'avais plus connu ça depuis fort longtemps.
Il resta un moment silencieux. Puis il s'arracha à la nostalgie qui l'avait gagné avec une rapidité étonnante.
-Je ne sais pas encore ce que Kerun trouvera... Mais il trouvera quelque chose. Et ça ne sera pas dans les taudis : trop difficile d'accès, trop loin de l'endroit où accostent les navires... Et puis, nous avons récupéré une partie de ce que les traitres nous avaient volé... Mais malheureusement, pas de quoi s'offrir un havre tel que celui-ci, c'est certain.

[Galathée]

" Ne crains rien, c'était une boutade. Je serai heureuse d'être auprès de toi... auprès d'eux... J'ai juste... un peu d'angoisse concernant l'accouchement. J'aurais encore été la mieux placée pour le superviser, mais c'est difficile de faire ça pour soi-même."
Elle eut un sourire ironique.
" Mais si ton Kerun est un rôdeur, peut-être parviendra-t-il à faire quelque chose... Et au pire, nous pouvons décider que je reste ici jusqu'à la naissance. Enfin... si Gregor ne s'évanouit pas à cette seule perspective. Je ne sais pas comment Morvan réagira quand je lui dirai que je m'en vais... Il s'en doute. Et il sait qu'Edouard cherche une solution, à l'Ecole... mais bon... La comète, la comète, encore. Difficile de ne pas surveiller sa progression."

[Taliesin]

-J'aimerais que nous soyons vite tous réunis... avoua-t-il. Devoir faire ces allers-retours, alors que je voudrais ne pas m'éloigner de toi, alors que j'aurais besoin de me poser un peu pour souffler, pour assimiler tout ce qui s'est produit ces derniers jours...
Il secoua la tête.
-Mais au fond, ce qui m'importe le plus, c'est que toi tu te sentes bien. Et je sais que tu es bien, ici, que c'est sans doute le meilleur endroit pour l'accouchement... Et puis, de toute façon, je ne sais pas combien de temps il nous faudra pour rendre cette marque inopérante...
Il sourit.
-Alors partons du principe qu'à moins d'une solution extraordinaire, tu resteras chez les DouceChute. Et que j'y resterai aussi, par conséquent. Demain, j'irai là-bas pour discuter avec Kerun, pour lui parler des recherches qu'il faut faire te concernant. Pour m'enquérir de la santé de Guéric et de Perceval, aussi. Et... J'ai promis au petit Baptiste que je reviendrai le voir. Mais ensuite... j'espacerai mes visites. Ils comprendront. Et ils n'ont pas forcément besoin de moi pour avancer.

[Galathée]

Elle pinça les lèvres.
" Je veux que tu fasses ce qu'il faut pour que tu te sentes droit dans tes bottes, murmura-t-il. J'ai envie que tu sois là, bien sûr, mais... je ne veux pas t'emprisonner dans un cercle de journées oisives, tandis que tes amis se démènent au dehors... J'aurais trop peur que tu en viennes à m'en vouloir... même à ton insu."
Elle soupira, sourit.
" Ne nie pas. Cette situation te pèse, je le comprends. Etre enfermé... c'est difficile."
Elle s'appuya contre lui.
" Raconte-moi... Devez-vous trouver encore beaucoup de gens ?"

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Trois personnes, c'est tout. D'une part, nous devons savoir ce que sont devenus deux membres de l'organisation, quoique les probabilité pour que les traîtres les aient tués soient élevées : Lena, une magicienne, et Sedanius, un clerc de Tyr. D'autre part, nous recherchions Polyanna, la sœur de Fred et George, des jumeaux qui avaient embarqué avec nous... L'un est mort sur Mersant, l'autre est rentré à Luménis en même temps que Victor. Ensuite... Dans l'absolu, il y a plusieurs gosses que nous souhaitions libérer. Cependant, je pense que cette tâche sera menée à bien après notre départ..
Il l'entoura de son bras.
-Bon, comme je te l'ai dit, il faut aussi que nous trouvions de nouveaux locaux pour l'organisation. Mais c'est un détail. Alors tu vois, le travail n'est pas immense, somme toute. Et puisque ce que je souhaite le plus, c'est demeurer avec toi... Mes amis, j'aurais le temps de les voir durant notre trajet de retour.

[Galathée]

" Fred et George... Cela me dit quelque chose... murmura-t-elle. Des jumeaux, tu dis... Ah... Oui. Est-ce possible que... qu'ils aient été esclaves à Luménis ? Il me semble que Kasumi et moi-même avions déniché un groupe dans un entrepôt... Deux garçons qui doivent avoir... je ne sais pas... seize ans ?"
Elle fronça les sourcils.
" Mais tu dis qu'un des deux est mort..."

[Taliesin]

-Je crois que c'est bien eux... murmura-t-il. Et oui, malheureusement... Les pirates ont fait beaucoup de victimes parmi nous, parmi les habitants de l'île, aussi... Ce n'est pas un très bon souvenir, c'est le moins qu'on puisse dire.
Il soupira.
-Mais... Ni Victor, ni les petits Merlus, ni Valaellyn, qui nous avait accompagnés... Aucun d'entre eux n'ai été tué. C'est... miraculeux, compte tenu de tout ce qui s'est produit là-bas.
Il n'osait pas imaginer la tête de la rôdeuse lorsqu'il lui raconterait comment il avait arraché son fils des griffes de Squale...

[Galathée]

Elle frissonna et resserra son étreinte sur son épaule.
" Tu me raconteras tout ça... quand nous serons à la ferme, que j'aurai Victor et nos deux bébés près de moi, d'accord ? Contrairement à toi, j'ai très très peu d'imagination... Ça me convient parfaitement."
Elle se redressa et le regarda dans les yeux.
" Ce qui me fait penser, et ça n'a rien à voir, au fait qu'il faudra vraiment que nous réfléchissions aux prénoms de nos enfants à venir. Là non plus, je n'ai pas grande imagination."

[Taliesin]

Il prit une mine pensive.
-Hum, si le schéma familial se répète, il y aura un garçon et une fille. Alors, que dirais-tu de... Taliesin Junior et Taliesina ? Ce serait mignon, non ?
Il sourit de toutes ses dents.
-On va y réfléchir sérieusement. Pour l'heure, j'avoue manquer d'imagination, moi aussi... Il faut que je me fasse à l'idée que je vais bientôt être père, en réalité. Ça fait partie des choses que je dois assimiler, ayant évité de trop y pensé au cours des derniers mois...
Il se pencha pour l'embrasser.
-Mais ce sont de belles pensées. Pleine de lumière. Alors je vais les garder bien en tête !

[Galathée]

" J'espère que tu auras de meilleures idées, en effet !" s'exclama la rôdeuse.
Elle prit appui sur le banc pour retrouver son aplomb.
" Mais il est l'heure d'aller terminer la créature de bois, sinon tu seras forcé d'en faire une seconde pour te faire pardonner de ta lenteur !"
Une fois debout, elle reprit appui sur lui.
" Et je ne voudrais pas quitter Morvan en lui laissant une oeuvre inachevée. Il considérerait ça comme un affront terrible ! Or, mes jours de souplesse relative sont comptés."

[Taliesin]

-Tu as raison. D'autant que... Même si je ne le montre pas forcément assez, je luis suis infiniment redevable de ce qu'il a fait pour nous. Alors le décevoir... Je n'en ai pas la moindre envie.
Tenant d'une main le plateau où avait trôné leur goûter, serrant Galathée contre lui de l'autre, il se mit en mouvement.
-En fait, j'ai trouvé une idée formidable pour faire plaisir à Morvan, dit-il, joyeux. Je vais ramener les trois gamins ici: je suis sûr qu'ils adoreront sculpter ! Je demanderai aussi à Guéric de venir, car Morvan appréciera la manière dont il a essayé de modeler sa jambe de bois... Et puis aussi à Perceval, tiens ! Comme ça, avec Baptiste, ils pourront en plus en profiter pour nous fabriquer le berceau dont ils avaient le projet.
Sourire espiègle.
Bon, d'accord, ça laissera tout le travail à Kerun. Mais... Il est agent secret ! C'est son boulot !

[Galathée]

" Ah ! Ne transforme pas la maison de Morvan en auberge ! Il aime le calme et ses petites habitudes, mine de rien. Et c'est seulement en gardant ses affaires relativement discrètes qu'il parvient à s'en sortir... Ne prenons pas de risques."
Elle sourit.
" Mais s'il y a vraiment un problème, je peux lui parler, cependant. Mais je crains parfois de lui en demander trop. J'ai l'impression que c'est le genre d'homme qui encaisse avec le sourire jusqu'au moment où il craque... Enfin... Je m'inquiète sans doute pour rien."
Ils étaient parvenus à l'entrée du manoir et ils se glissèrent à l'intérieur, puis prirent la direction de l'atelier. Quand ils y parvinrent, ils le trouvèrent désert.
" Je vais te laisser travailler un peu seul, pour progresser dans mon propre travail. Rejoins-moi quand tu as terminé ?"

[Taliesin]

-Hum... Si ça te va, je préférerais que tu viennes quand tu en as assez de ton côté. Parce que... Je ne voudrais pas trop tirer sur la corde, avec notre hôte, et je crois qu'il est plus que temps que j'achève mon élémentaire.
Quelques heures suffiraient probablement pour les dernières retouches. Mais polir le bois puis le vernir - il souhait le faire, car le vernissage serait sans doute ce qu'il raterait le moins -, c'est toute une journée qu'il faudrait. Alors, autant avancer le plus possible. Peut-être même s'y remettrait-il après le souper : après tout, il était à peine levé !

[Galathée]

Galathée promit de le rejoindre dès qu'elle aurait besoin de prendre une pause, et elle l'abandonna face à son élémentaire inachevé. A nouveau, il parvint à trouver l'inspiration qu'il avait cru volatile, et se mit à travailler dans un état qui n'était en réalité pas très éloigné de sa transe elfique, à mi-chemin entre pleine conscience, et torpeur mécanique. Mais l'élémentaire était bien révélé, désormais, et il parvient à le terminer plus rapidement qu'il ne l'avait cru. A moins que sa notion du temps ne se fut légèrement altérée : il commençait à faire sombre quand il prit du recul pour admirer sa création, et il remarqua seulement à ce moment-là que Galathée était assise derrière lui.
Elle lui décocha un sourire admiratif.
" Tu as su trouver la musique du bois. Morvan sera ravi."

[Taliesin]

-Je le souhaite de tout cœur. Sincèrement, je n'aurais pas cru parvenir à un tel résultat... Quelque étrange magie doit être à l’œuvre, en ce lieux. Ou alors, te retrouver me donne des ailes, en tous les domaines... dit le barde, modeste.
Il rejoignit sa compagne, se pencha pour l'embrasser puis jeta un regard à sa sculpture.
-En tout cas, ne prévenons pas Morvan tout de suite. Je dois préparer le bois pour le vernissage puis effectuer celui-ci. J'espère que l'atelier possède des enduits de différentes teintes, car j'aimerais trouver quelque chose rappelant la couleur des flammes.

[Galathée]

" Tu trouveras tout ce que tu veux, et si tu ne le trouves pas, tu peux demander au chef d'atelier, qui le fera venir, dit-elle avec un léger haussement d'épaules. Rien n'est trop bon pour les artistes de Morvan."
Elle s'appuya à lui pour se relever.
" Il serait sans doute préférable que nous allions dîner, d'abord. Peut-être le maître des lieux voudra-t-il te cuisiner sur tes déambulations mélandiennes... Même si, à mon avis, il se contentera de te suggérer de ne pas attirer l'attention sur son domaine."

[Taliesin]

Taliesin fit une légère grimace. Il comprenait la nécessité de rendre quelques comptes, vu les libertés qu'on lui laissait et les secrets à préserver, mais... Cela lui faisait malgré tout une drôle d'impression. D'autant qu'il ne pourrait pas donner de détails précis, sous peine de révéler son véritable métier et, par conséquent, de donner des indices quant à son identité réel.
-Je ferai de mon mieux pour le rassurer, dit-il. Ensuite... Peut-être reviendrai-je ici. Je veux satisfaire notre hôte au plus vite.
Sans cela, sans doute aurait-il pris son temps car, s'il devait passer le plus clair des veilles à venir au sein du domaine, il lui faudrait trouver à s'occuper, puisque Galathée avait ses propres obligations.

[Galathée]

Ils furent accueillis autour de la table du souper, où se trouvaient Morvan, Gregor et Anselme. Ils devisèrent un moment, de choses et d'autres, tout en dégustant un repas délicieux de poulardes et de légumes de saison. Mais cette fois, à la place de s'esquiver vers sa chambre sitôt le repas terminé, Morvan se tourna vers le barde et l'invita à l'accompagner au petit salon. Galathée lui décocha un sourire apaisant : il ne pouvait pas vraiment refuser, et l'elfe dut offrir son bras au vieillard. Ensemble, ils cheminèrent dans le couloir, poussèrent la porte, puis Morvan s'installa dans le fauteuil, fit signe à Taliesin de prendre place près de lui.
" Puis-je vous offrir une pipe ? Vous m'avez l'air le genre d'homme qui pourrait apprécier ce genre de choses. Ce n'est pas très bon pour la poitrine, mais de temps en temps... Là où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir... Et en vous servant... Dites-moi un peu comment se déroule votre séjour."

[Taliesin]

Paraître détendu, même s'il ne l'était pas réellement. En cela, fumer serait un utile secours...
-J'accepte volontiers votre offre et vous en remercie, messire. Je suis grand amateur de tabac.
Tout en entreprenant de bourrer une pipe, il chercha que répondre. Pour l'heure, le sujet sur lequel l'interrogeait Morvan n'était guère embarrassant.
-Mon séjour en votre demeure se déroule au mieux, et je vous sais gré de votre hospitalité. J'espère que mes allers-retours ne vous causent pas trop de dérangement, mais je puis vous assurer que je prends toutes les précautions nécessaire pour que mes entrées et mes sorties passent inaperçues du voisinage.
Autant prendre les devants...

[Galathée]

" Je n'en doute pas, mon ami. Pas une seconde."
Il soupira, tira sur sa pipe, et poussa un soupir de satisfaction.
" Cet après-midi, pendant que vous dormiez, j'ai reçu un vieil ami à moi, le comte Ranulph de Gouffre-Nuit. Ce nom ne vous dit sans doute rien, mais c'est un vieil officier de l'armée mélandienne, qui a vu bien des affrontements, bien des campagnes, et participé notamment aux guerres de 1357-58, quand nos troupes sont allées porter le conflit jusque sous les remparts de Luménis. Je n'ai jamais été très porté sur les armes, comme vous le savez, mais Ranulph et moi avons pratiquement été élevés ensemble et, paradoxalement, son rôle de guerrier l'a mené à côtoyer bien des cultures et bien des mondes. C'est un homme d'une science incroyable, et d'une finesse... Bref. Je m'égare. Ranulph est venu me rendre visite, donc. Il s'est retiré à la campagne, depuis sa retraite. Mais il était encore actif voici un an, à Mélandis. Quand il est entré dans mon bureau, il est parti d'un grand rire et il m'a dit qu'il avait toujours toléré mes originalités les plus folles, mais qu'avoir un buste du Prophète Gris juste derrière ma table de travail, c'était pousser l'excentricité un peu loin."

[Taliesin]

Il s'étrangla avec la fumée qu'il venait d'aspirer, toussa violemment.
Bons dieux, pas ça, pas maintenant...
Inconsciemment, il tendit l'oreille, certain que d'ici un instant retentirait le bruit des bottes.
Allons, Morvan ne ferait pas cela...
Ah bon ? Galathée avait pourtant précisé que les DouceChute, quoique modérés, restaient des Mélandiens.
Il songea à mentir, à arguer d'une prétendue ressemblance...
A quoi bon ? Le buste était à ce point fidèle...
Alors, quand les quintes de toux vinrent à s'interrompre, il demeura silencieux, à court de mots.
A court de mots mais tous les sens en alerte.

[Galathée]

Morvan resta silencieux lui aussi, un instant.
" J'ai joué les innocents, bien sûr. Ce que j'étais. Un ignorant, plutôt. Et je ne lui ai pas révélé que vous habitiez sous mon toit. Je n'ai nul désir d'attirer l'attention sur mon domaine. J'ai eu la chance de côtoyer le pouvoir, de temps en temps, et je ne pense pas grand chose de bien de ce ramassis de parvenus et de dégénérés. Donc, détendez-vous. Je ne vais pas appeler la garde, ni même révéler à mes fils ce que je sais de vous. De la même manière, je vous conseillerais de ne pas avertir Galathée de ma découverte. La pauvre a besoin de calme et de repos."
Il releva ses yeux clairs sur Taliesin et l'observa une seconde.
" En même temps, je suis embarrassé, vous l'imaginez bien. Je tiens beaucoup à mon petit confort et abriter un fugitif, un ennemi public devrais-je, dans votre genre, pourrait me coûter très cher."
Il souffla une nouvelle volute de fumée.
" J'ai beaucoup d'affection pour votre compagne. Quand elle nous est arrivée, elle avait le regard hanté de ceux qui ont tout perdu et qui s'échinent à survivre sans vraiment savoir pourquoi. Elle ressemble aussi beaucoup à ma défunte épouse. Beaucoup. A se demander si elles ne sont pas apparentées..."
Il secoua la tête.
" Mais Galathée vient des Vaux et ma femme était mélandienne jusqu'au bout des ongles, sur plusieurs générations. Coïncidence. Mais dans mon vieil âge, on aime les signes. Et on aime aussi le repos de l'âme. Les belles choses, apaisantes, qui donnent une sorte de sens... même à l'absurde."
Il toussa une seconde dans sa paume, puis reporta son regard sur le parc plongé dans l'obscurité.
" Je voudrais que vous partiez. Avec elle, bien sûr. Je sais que c'est impossible, mais je voudrais que vous trouviez rapidement une solution. Je n'ai nul désir de vous vendre, mais c'est davantage pour ma tranquillité, et la sienne, que pour la vôtre. Je n'ai plus l'âge des tourments."

[Taliesin]

Il poussa un soupir de soulagement. Bien sûr, tout cela n'arrangeait pas ses affaires, mais... Ç’aurait pu être pire. Bien pire...
-Je comprends parfaitement, messire, dit-il sans avoir à se forcer pour être poli - car le vieil homme, après tout, venait à nouveau de lui sauver la mise. Si vous le souhaitez, je partirai dès demain matin et ne reviendrai qu'une seule fois, pour emmener Galathée. Je peux aisément trouver un prétexte à cette absence prolongée qui ne lui causera aucune inquiétude. Et il n'est pas impossible que je trouve assez rapidement une solution pour sinon effacer sa marque, au moins la masquer.
Après tout, s'il y avait des moyens pour protéger un domaine de la divination, il devait y en avoir s'appliquant à un individu. Et vu la manière dont les Moandrins avaient protégé leurs secrets...

[Galathée]

" Je ne sais pas, dit alors le seigneur, songeur. Je ne veux pas vous chasser alors que votre compagne est sur le point d'accoucher... C'est un moment merveilleux et un père se doit de le vivre pleinement. Je m'en voudrais si vous reveniez un matin pour apprendre que les enfants sont nés dans la nuit."
Il soupira puis regarda à nouveau le barde.
" Soyez honnête avec moi, si vous le pouvez. Avez-vous à nouveau l'intention de mettre Mélandis à feu et à sang ?"

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Non, messire. Si je suis venu à Melandis, c'est pour retrouver Galathée, et uniquement pour cela. Je puis même vous jurer que les amis que je suis sorti sauver n'ont pas non plus l'intention de causer le moindre trouble en ville : ils m'aidaient et cherchaient d'autres personnes envoyées ici comme esclaves. Il ne nous en reste plus qu'une seule à racheter. Dès que ce sera chose faite, nous rentrerons chez nous.
Il avait été franc, comme demandé. Hormis en sous-entendant qu'ils n'usaient que de moyens légaux pour récupérer les disparus.

[Galathée]

Le vieux DouceChute opina du chef avant de relâcher une nouvelle bouffée de fumée.
" Très bien. Je compte sur vous pour débarrasser le plancher dès que possible, et oublier que vous avez jamais séjourné chez moi. Mais vous ne devez pas faire vos bagages dans l'instant : mes espions me disent que votre sculpture a pris de bien belles formes et je ne voudrais pas que vous filiez avant d'avoir terminé ! J'aimerais juste que vous... ne tardiez pas à gagner d'autres horizons. Et je pensais de toute façon plus honnête de vous dire ce qu'il en était."
Il étouffa un bâillement.
" Pour le reste, je veux croire que vous êtes conscient que je ne suis pas le Mélandien le plus haïssable, selon vos standards, et que vous me laisserez donc en paix."

[Taliesin]

-J'en suis parfaitement conscient. De cela et... de tout ce que je vous dois, également. Par conséquent, soyez assuré que je n'ai aucune intention de vous nuire, de quelque manière que ce soit, et que je ferai tout mon possible pour que vous retrouviez au plus vite votre tranquillité.
Il se leva.
[color=#FFFFF66]-M'autorisez-vous à me retirer, messire ? Avant même que nous ayons eu cet entretien, j'avais pour projet de passer la soirée à l'atelier, afin de rattraper le retard accumulé ces derniers temps.[/color]

[Galathée]

" Bien sûr. Je vous souhaite un travail fructueux, mon ami." dit-il sans se lever.
Avant même que le barde n'ait quitté la pièce, le vieux DouceChute lorgnait à nouveau le parc, songeur, ou peut-être sur le point de s'endormir. Une fois à l'abri du couloir, Taliesin entendit les murmures qui provenaient encore de la salle à manger : Galathée, Gregor et Anselme y étaient toujours, manifestement, à deviser tranquillement. De l'autre côté s'étendait le hall obscur, encombré par ses mille statues, et plus loin, l'atelier probablement désert.

[Taliesin]

Il opta sans hésiter pour cette direction. Encore sous le choc, il aurait eu du mal à faire comme si de rien n'était en présence des deux frères DouceChute. Or, il était impératif qu'ils ne se doutent de rien... Galathée s'étonnerait sans doute de ne pas le voir revenir, mais il trouverait bien, en chemin, quelques serviteurs auxquels demander de la prévenir de l'endroit où il se trouverait.
Et où il resterait longtemps, assurément. Toute la nuit, même, s'il pouvait venir à bout de la sculpture d'ici l'aube. Car il devrait passer une bonne partie des jours à venir à trouver une solution pour que la rôdeuse et lui soient en mesure de s'installer ailleurs. Il n'y serait plus jamais à son aise, maintenant qu'il savait son secret dévoilé. Sans compter qu'il ne souhaitait pas tirer davantage sur la corde, abuser des bonnes dispositions du maître des lieux.
Non, plus tôt ils seraient partis, mieux ce serait.