[Lieu] Temple de Moandre

[Galathée]

" On peut fabriquer des bonbons, tu sais."
Elle se tourna vers Tim, qui l'observait toujours comme si elle était une petite créature étrange dont il fallait se défier.
" Tu sais fabriquer des bonbons, toi ?
— Non.
— Alors tu sers à rien."
Le Milite rit.
" Au moins je suis fixé sur mon sort."
Ils gagnèrent la bibliothèque où Tim entreprit de classer les oeuvres des deux garçons. Il avait aussi conservé l'ébauche d'Hippolyte, par acquis de conscience. Tandis que Taliesin observait son homologue, il vit la gamine saisir un livre au hasard et le glisser sous sa robe de toile rapiécée.

[Taliesin]

La gamine avait-elle été exploitée par une bande de voleurs similaire à celle à laquelle Ortwin avait appartenu ? Quoi qu'il en soit, il ne pouvait pas la laisser faire. Aussi s'approcha-t-il d'elle et s'agenouilla-t-il pour la regarder en face. Le tout en adoptant une mine dépourvue de sévérité mais au contraire emplie de bienveillance.
-Tu sais, à moins que ce ne soit dangereux, on te laissera toucher ce que tu veux, ici, pour peu que tu en demandes la permission, lui dit-il, doucement. Tu as donc tout ton temps pour regarder et pour choisir. Ici, par exemple... Ne vaudrait-il pas mieux d'abord lire les titres des livres, pour voir lesquels t'intéressent, plutôt que d'emporter le premier venu sans savoir de quoi il parle ?

[Galathée]

Elle le regarda comme si elle ne comprenait pas à quoi il faisait référence, puis elle finit par sortir le livre de sous sa robe. C'était un volume épais, traitant d'histoire régionale, à la couverture reliée de cuir et au titre argenté. Ses yeux se réduisirent à l'état de fente et elle se mit à chuchoter.
" Ecoute. On pourrait en tirer un bon prix. On partage, si tu veux ? Je connais au moins deux endroits où on nous le reprendrait... Trois pièces de cuivre, peut-être..."
L'ouvrage en valait nettement plus, elle n'y connaissait manifestement rien... ou elle essayait de l'arnaquer.
" Je le revends et je te donne une pièce de cuivre. T'en dis quoi ?"

[Taliesin]

Il sourit.
-Prudence... Nous sommes chez des amis, ici. Des amis qui nous offrent le gite et le couvert, qui nous habillent, qui nous cachent des Mélandiens et qui nous aideront à retourner à Luménis. Le tout, sans rien attendre en retour. Est-ce que tu ne crois pas qu'ils seront tristes, si on commence à prendre ce qui est à eux et qu'ils nous prêtent volontiers pour le revendre ? Moi je pense que si...
Il soupira.
-Je sais que tu vas avoir du mal à y croire, qu'il te faudra du temps pour t'habituer, mais... Tu es parmi des Luméniens, désormais, et tu vas retourner dans ta cité, où personne ne t'exploitera, où tu n'auras plus à chiper et à marchander pour gagner ta vie, où il y aura des adultes pour bien s'occuper de toi. Si tu veux, tu peux en parler aux garçons que tu as vu tout à l'heure : ils sont Luméniens, eux aussi, nous les avons également libérés, et ils savent qu'on peut nous faire confiance.

[Galathée]

Elle grimaça et lui rendit le livre.
" On sait jamais quand on va avoir besoin de sous, lui dit-elle, revêche. Même si ils sont gentils... on dirait qu'ils sont gentils... ils font les gentils... Mais si tu avais des sous, ils seraient encore plus gentils. Les gens sont toujours gentils, si tu sais leur donner un sou. Ils montent plus vite ton sac dans la chambre de l'auberge, ils font mieux ton lit, ils sont plus serviables. Mais si t'as pas de sous, t'as rien du tout. Sans sous, t'es perdu !"
Elle haussa les épaules et regagna le couloir.
" Je ne sais pas si elle était déjà comme ça avant, ou si c'est Mélandis, mais c'est assez... intéressant." fit Tim en passant devant Taliesin.

[Taliesin]

Le barde remit le livre à sa place et lui emboîta le pas.
-Comme Kerun ne nous a rien dit à son sujet, comme il serait sans doute indélicat de l'interroger directement, impossible de savoir d'où lui vient cette tournure d'esprit, souffla-t-il. Et si celle-ci est assurément intéressante, elle me fait surtout de la peine. On va partir du principe que c'est Mélandis qui a changé cette petite, et s'efforcer de lui montrer qu'il y a au moins quelques personnes qui sont gentilles même si on ne leur donne pas le moindre argent.

[Galathée]

La gamine remonta le couloir comme si elle était chez elle, sans se soucier d'eux, et bifurqua, très justement, dans la salle à manger. Peut-être Kerun la lui avait-il déjà montrée, peut-être avait-elle un bon odorat. Une partie des Moandrins s'y trouvaient, dont Guéric, Nominoé, Helen et Maude, qui était elle aussi, une demi-elfe blonde. Quand la petite Prudence la vit, son expression se figea sur un sourire. Elle décocha ensuite une grimace hautaine au barde et au Milite, puis courut rejoindre la jeune femme, à côté de laquelle elle s'assit sans faire de manières.
" Et bien, tu es déjà abandonné, telle une vieille chaussette, remarqua Tim. Sans doute parce que non seulement tu ne sais pas faire de bonbons, mais en plus, tu es un piètre pickpocket...
— On parle de moi ?" demanda le halfelin, assis un peu plus loin.

[Taliesin]

-Non, on parle de Prudence, la petite nouvelle, souffla-t-il après être venu le saluer. C'est elle, la pickpocket d'élite. On devrait organiser un concours entre vous deux : si ça se trouve, elle te battrait à plates coutures.
Il sourit.
-Qu'est-ce que vous faites là à paresser ? Je croyais que c'était couture pour tout le monde, ce matin ! Et à moins que les autres ne soient en cuisine, j'imagine que ce sera à Tim et à moi de préparer le repas... Ah, hormis Perceval, qui gère la marmaille, et Kerun, qui sauve les Luméniens captifs, nous sommes les seuls à travailler !

[Galathée]

" J'étais avec Kerun, monsieur le malin. Et c'est même moi qui ai coincé la gamine, si tu veux tout savoir. Entre petits voleurs, on se comprend. Mais elle n'a pas mon niveau, Taliesin. Elle l'aura peut-être dans vingt ans, si on lui laisse développer cet aspect de ses talents... Ce dont je doute très fort, tu vois. Je crois que Kerun a déjà prévu de faire construire une maison de redressement rien que pour elle."
Ismène survint alors, chargée d'une énorme marmite de soupe, qu'elle alla suspendre au-dessus de l'âtre, avec l'aide de Nominoé, qui s'était levé pour l'aider. Dans son ombre arriva Iris avec des bols et des cuillères. Aaron survint quelques secondes plus tard, la mine courroucée.
" On ne peut pas prendre un bain en paix, dans cette misérable demeure ! J'ai été agressé par une bande de grouilleux qui avaient pris la forme d'enfants ! Mais c'étaient des grouilleux, j'vous jure !"

[Taliesin]

-Alors toi non plus tu ne cousais pas ? Mais quel scandale ! s'exclama-t-il. Je suis sûr que tu y étais depuis trois heures, dans ton bain ! Et songe à ce malheureux Perceval qui va devoir gérer lesdits grouilleux. Quoiqu'en réalité, je ne m'inquiète guère pour lui : il sait très bien s'occuper des bandes de gamins. A tel point qu'il faudrait le recommander à la Commanderie ou à quelque temple : il ferait merveille avec les novices.
Il se tourna vers Guéric et reprit, à voix basse :
-Est-ce que Kerun t'a informé de la suite des événements ? Lui et toi vous attarderez ici pendant que le reste de notre groupe ira vous attendre dans la ferme que possèdent les Moandrins et d'où nous quitterons l'empire le moment venu.

[Galathée]

" Il m'a dit, oui. Je dois dire que vu son humeur, je suis plutôt soulagé d'avoir tous ces bénis-oui-oui autour de moi... Je le trouvais déjà pas comique, Kerun, mais là, c'est le pompon. Ce qui m'ennuie, c'est que du coup, je ne saurai pas changer les couches de ta marmaille. Mais si Perceval est si doué... Peut-être qu'il pourra le faire à ma place ? L'un dans l'autre, je te promets que je le ferai... Ici, là-bas, en mer, en Hélonna. Mais voilà... Il reste deux gamines et un gosse, et puis Polyanna. Kerun espère qu'on aura tout bouclé en une veille, mais comme il en faudra bien deux à Galathée pour se remettre... J'imagine qu'on va survivre."
Ismène leur avait servi deux bols d'une soupe de légumes onctueuse, agrémentée de crème, et Iris leur posa des morceaux de pain sur la table. Judicaël venait de faire son entrée, accompagné de Kerun et ils s'installèrent à l'écart. Quelques minutes plus tard, la ribambelle des garçons, accompagnés de Perceval, réapparut.

[Taliesin]

-Je souhaite de tout cœur que vous réussissiez à les sauver tous. Et je culpabilise de ne pas rester pour vous aider. Mais honnêtement, même si je vous accompagnais, j'ai l'impression que je serais trop préoccupé, trop soucieux de ne prendre aucun risque pour vous être vraiment utile. Enfin, si vous le souhaitez, je vous laisserai le pipeau...
Il goûta la soupe, la trouva délicieuse.
-Quant aux langes, ne t'en fais pas. On a discuté avec Helen et on va tout faire pour que l'accouchement n'ait pas lieu avant une veille. Du coup, si ça se trouve, vous nous rejoindrez alors que les jumeaux seront toujours bien au chaud !
Il sourit à nouveau.
-D'ici là, ce séjour campagnard aura des allures de véritables vacances. Perceval occupera les garçons, Helen gèrera Prudence et Gurvan, lorsque celui-ci voudra saluer l'aube ou prendre des cours de religion... Par conséquent, Galathé et moi pourrons nous trouver un petit coin de prairie ombreux où nous étendre paisiblement, deviser des prénoms des bébés et faire la sieste... De quoi prendre des forces avant le branle-bas de combat !

[Galathée]

" Ah, je suis trop jeune pour aspirer à ce genre de programme, dit le halfelin avec un sourire, tout en plongeant son pain dans sa soupe. Je dois dire que pour l'instant, le programme concocté par Kerun me convient et je suis presque en train de songer à ces fichus services secrets luméniens... Enfin... En même temps, Constance me sourira d'un air chagrin, et je remonterai aussitôt à la vigie..."
Il haussa les épaules.
" Mais peut-être me trouverai-je un jour une petite halfeline charmante et aspirerai-je alors, moi aussi, à une couverture sous un cerisier en fleurs..."

[Taliesin]

-Cela aussi, je te le souhaite de tout cœur. Et qui sait ? Peut-être ta future compagne sera-t-elle d'humeur aventureuse. Peut-être, entre les paisibles siestes au milieu de la verdure, pourrez-vous vous lancer de concert dans quelque épique expédition, dans quelque mission pour les services secrets. Ou dans quelque excursion jusqu'à notre ferme, endroit périlleux s'il en est !
Toute en mangeant, il réfléchit au programme de l'après-midi. D'abord, petite visite à Galathée. Ensuite, séance de musique avec le Milite : chose promise, chose due. Enfin... Et bien, cela déprendrait du départ à la ferme, de s'il devait intervenir le jour-même où seulement le lendemain.

[Galathée]

Le repas se passa dans la bonne humeur générale, jusqu'à ce que Judicaël les interroge sur leur escapade matinale. Ils s'emberlificotèrent alors joyeusement dans des explications d'abord très vagues, puis de plus en plus précises, et les visages du clerc et de l'agent secret, en miroir, reflétèrent leur surprise puis leur horreur. Ils demeurèrent cependant silencieux au terme de l'explication, d'autant que les enfants paraissaient ravis de l'aventure.
" Bon... et bien... c'est fait, je suppose, dit finalement Kerun.
— Et il est bon que nous ayons appris l'existence de cet endroit, nous allons pouvoir l'assainir." ajouta le clerc.
Il y avait néanmoins quelque chose dans son regard qui indiquait clairement que Tim et Iris allaient passer un mauvais quart d'heure, mais ni l'un ni l'autre ne semblait s'en inquiéter outre mesure. Ils ne se vantèrent cependant pas des trouvailles du groupe, préférant garder un profil bas. Guéric, de son côté, était scandalisé d'avoir manqué ça. Helen semblait motivée pour y retourner dès l'après-midi, mais Judicaël y mit son veto : la chapelle de Myrkul s'était trouvée là depuis des années, elle attendrait encore quelques jours.
Après le repas, Ismène embaucha les garçons et Prudence pour la vaisselle, tandis que Perceval et Aaron reprenaient leur atelier couture. Kerun et Guéric recrutèrent Iris pour discuter de leur prochaine intervention. Taliesin eut donc tout le loisir de rejoindre Galathée, à qui on avait porté un plateau un peu trop chargé.
" Est-ce que tu vas faire une sieste avec moi ?" demanda-t-elle, une fois qu'il lui eut compté ses aventures matinales.
En habituée des frasques de son elfe, la rôdeuse n'avait paru qu'à moitié surprise.

[Taliesin]

-Laisse-moi réfléchir. Hum... On n'a besoin de moi nulle part, je ne t'ai pas vue de totue la matinée, je me suis épuisé à explorer des catacombes et à raccommoder des vêtements.. Alors oui. Je crois bien que la réponse est oui.
Il entreprit d'ôter ses bottes.
-Il faut que nous dormions un maximum tant que nous en avons encore la possibilité. Et la bonne nouvelle, c'est que nous en aurons la possibilité à la ferme, puisque tout le monde est d'accord pour que nous y allions sans tarder. Je vois déjà un bel arbre en fleurs, son ombre tombant sur un gazon verdoyant, nous étendus sur ce moelleux matelas, à contempler les nuages filant dans un ciel d'azur...

[Galathée]

" Mais d'abord un massage, maître barde. J'ai le souvenir que tu es expert de tes dix doigts... jouant du corps comme du luth. Et j'ai vraiment le dos en compote... Ce poids me déforme l'échine, je vais finir toute tordue..."
Elle s'assit avec un soupir.
" Mais je dois avouer que les concoctions d'Ismène et Helen font déjà des miracles... Si je les avais eues près de moi depuis le début, ma grossesse aurait été une autre aventure, crois-moi..."
Elle ronronna d'aise quand le barde posa les mains sur ses épaules.
" Mais je peux imaginer cette magnifique campagne... le gazon et l'arbre... C'est bientôt le début de l'été, peux-tu le croire ? Je me souviens de l'hiver... Ah... Je crois que j'aurai toujours un peu peur de l'hiver, désormais."

[Taliesin]

-Moi aussi, murmura-t-il en s'activant. Mais les Kanter ne représentent plus une menace, ma situation sera bientôt clarifiée et nous serons tous ensemble. Alors, j'ai bon espoir que, lorsque s'annoncera la morte saison, nous oublions nos peurs pour penser à ce qu'elle peut nous offrir de beau, elle aussi.
Il sourit.
-Ce qui me fait drôle, c'est que quand j'ai quitté Victor, je pensais ne pas être de retour avant des mois, sinon des années. Au final, cela n'aura duré qu'une saison. Et, au total, nous aurons perdu bien moins d'une année. C'est assez miraculeux, quand on y songe.

[Galathée]

" Certaines années filent et d'autres s'étirent... C'est vrai que pour toi, ça ne représente pas grand chose..."
Elle tourna la tête pour le regarder, puis posa une main sur son visage.
" Moi j'ai trouvé que ça durait des siècles et des siècles... Je n'ose pas imaginer dans quel état tu m'aurais retrouvée si cela avait pris des années... Imagine, deux enfants que tu n'aurais jamais vus... Peut-être que j'aurais dû... renoncer..."
Elle grimaça, secoua la tête, et releva les épaules.
" Je ne veux même pas l'évoquer, Taliesin. Plus jamais. Plus de si... Le présent, le futur... C'est bien assez."

[Taliesin]

-Ne te méprends pas, Gal. Cela m'a paru aussi atroce qu'interminable, et quand je repense à nos derniers jours à la ferme Desmoulins, j'ai l'impression que cela remonte à plus d'un siècle. C'est justement pour cela que je m'étonnais que moins d'un an ne se soit écoulé. Pour le reste... Tu as raison : plus de si : j'ai trop passé de temps à imaginer le pire. Je vais en retenir quelque chose, cependant : les faits ont donné tort à ma fichue tendance au pessimisme. Alors... Je vais profiter de l'instant présent et envisager le futur avec sérénité. Tout va s'arranger, et nous serons enfin heureux. Tous ensemble.

[Galathée]

" Oh, j'aimerais ça." murmura la rôdeuse en échappant à sa poigne pour se recoucher.
Elle l'étreignit tant bien que mal, riant gaiement de leurs tentatives de s'organiser autour de son ventre imposant, puis ils s'embrassèrent dans la pénombre. Elle soupira d'aise, lui caressa la joue, puis la gorge, le haut de la poitrine dans l'échancrure de sa chemise.
" Quand partons-nous pour la campagne, crois-tu ? Avec vos frasques souterraines, je devine que certains vont vouloir vous voir débarrasser le plancher au plus tôt..."

[Taliesin]

L'elfe rit.
-Je pense que si Judicaël nous a proposé cela, c'était pour éviter que les siens s'attachent trop à nous, que se retrouver à nouveau seuls s'avère trop rude. Mais nul doute, effectivement, que notre expédition le convainque de hâter les choses au maximum. Alors, et bien que je n'aie pas d'informations à ce sujet, je dirais que nous partirons soit aujourd'hui, soit demain.
Il songea à Tim et eut un demi-sourire.
-Ils vont me manquer. D'un autre côté, partir vite évitera que l'un d'entre eux me dise des vérités aussi sages et bienveillantes que déconcertantes. Ces clercs, je te jure !

[Galathée]

" Si j'ai bien compris, il y en a là-bas aussi... Des Chauntéens et un autre, mais je ne sais pas de quelle obédience..."
Elle sourit.
" Plus la Lathandrite. Je suis contente qu'elle vienne. En fait, je suis ravie de pouvoir accoucher avec vous deux. Enfin..."
Elle eut une petite grimace.
" Si tu penses que tu vas assister à la naissance... J'imagine que tout cela est très codifié, chez les elfes... Je ne voudrais pas te brusquer en exigeant quelque chose qui ne se fait peut-être pas ou alors te refuser une place que tu imagines tienne... Je dois dire que dans les Vaux, seules les femmes assistaient aux naissances..."

[Taliesin]

-Tu sais, mon monde... C'est celui des humains. Le barde de qui j'ai tout appris venait de ma cité, où toutes les races étaient mêlées. Et durant les quelques années où j'ai été barde à la cour d'un prince elfe, s'il y a eu un accouchement, je ne m'en suis guère préoccupé. Bref, je connais les traditions de ma race par ouï-dire et n'y suis guère attaché.
Il se serra contre elle - essaya, du moins.
-Nous procéderons comme tu le voudras, de la manière qui te mettras le plus à l'aise. Si tu tiens à respecter les traditions des Vaux, je le comprendrais fort bien. Sinon, et sauf si Helen ne veut pas m'avoir dans les pattes, je serai à tes côtés.

[Galathée]

" Je ne sais pas, murmura-t-elle. J'ai un peu peur... mais pas trop. Je ne sais pas si j'ai envie que tu me voies comme ça... Je n'en sais rien. Et je n'ai pas envie d'y penser juste là maintenant... Est-ce que je t'ai dit que j'aimais bien Tristan ? Je ne me souviens plus... Je ne sais même pas si j'aurai un garçon, ah..."
La jeune femme était fatiguée, Taliesin aussi, plus qu'il ne l'aurait cru. Mais il fallait croire que la matinée lui avait causé plus d'émotions qu'il ne le croyait, peut-être juste la tension d'avoir dû surveiller les enfants, ou le poids des paroles de Tim. Petit à petit, ils glissèrent de concert dans le sommeil. L'elfe s'éveilla cependant un peu plus tard, peut-être une heure, à en juger à l'état de leur feu. Galathée dormait toujours paisiblement.

[Taliesin]

Il demeura un moment immobile, fixant tantôt le plafond, tantôt Galathée. Il se sentait bien, n'avait pas réellement envie de bouger.
Il finit cependant par le faire, quittant le lit le plus précautionneusement possible, pour ne pas réveiller la rôdeuse qui, elle, devait avoir de l'énergie pour trois. Puis, silencieux comme une ombre, il renfila ses bottes et rajouta une bûche dans l'âtre. Enfin, il sortit en quête de ses compagnons.
Rester des heures durant à contempler sa compagne endormie, cela aurait suffit à le ravir. Mais s'ils étaient sur le point de partir pour la ferme, mieux valait qu'il le sache dès à présent.

[Galathée]

Taliesin trouva Tim dans la salle à manger où le Milite écrivait ses observations de la matinée et annotait la carte des lieux. Il lui apprit que le départ était fixé pour le jour-même, probablement avant le souper. Judicaël ne pouvait cependant emmener qu'un premier groupe de quatre personnes maximum avec lui, ce qui empêchait que le groupe soit rassemblé dès le premier soir, vu qu'ils étaient huit à devoir faire le voyage : les quatre enfants, Galathée et lui, Perceval et Helen. Le Milite lui signala également qu'il ne fallait pas qu'il espère être débarrassé de lui pour autant : ils feraient sûrement une petite virée à la campagne pour fêter la naissance ou leur départ, ou les deux. Il avait simplement plus de temps pour se préparer !

[Taliesin]

-Je suis certain que nous saurons jeter à tous les clercs présents un sort les empêchant de vous prévenir que l'accouchement a eu lieu, et que nous serons en mesure de filer sans que vous ne vous en rendiez compte, répliqua-t-il. Mais... Nous n'en ferons rien, évidemment ! Je serai heureux que nous fêtions la naissance tous ensemble, et que nous puissions nous dire au revoir de manière moins précipitée. Pour le reste, comme nous n'avons aucun bagage à faire, nous sommes déjà tous prêts... Avez-vous discuté des groupes ?
Il s'était attendu à ce que Judicaël fasse en sorte qu'ils restent réunis, et cette scission l'attristait et l'inquiétait quelque peu : pour les plus éprouvés d'entre eux, le changement de lieu pouvait s'avérer difficile, surtout si leur petit cercle n'était pas au complet. Néanmoins, cela resterai bref. Alors...

[Galathée]

" Je crois que l'idée était d'envoyer Helen, Galathée, Baptiste et toi dans un premier groupe, aujourd'hui, puis de faire suivre les quatre autres demain matin. A priori, il n'y aura qu'un repas et une courte nuit entre votre départ et leur arrivée. Nous avons quelques parchemins de téléportation, mais nous sommes obligés de les conserver pour des moments plus critiques. Judi en a déjà touché un mot aux enfants et ils n'ont pas eu l'air scandalisés."
Il eut un sourire.
" Ah, Milil en soit témoin, vous allez nous manquer. Je n'aurais jamais cru dire ça il y a quelques jours, nous étions si tranquilles dans notre routine de Moandriens, et puis... ça nous a mis du baume au coeur, finalement. Voir des vrais gens. Quand nous nous sommes engagés, il y a de cela un certain temps déjà, nous savions que nous vivrions en huis clos... Nous l'avons accepté, nous avons été sélectionnés pour notre capacité de cohabitation... Mais voilà. C'est finalement un plaisir, un peu de variété de cette sorte..."

[Taliesin]

Baptiste avait-il demandé à rester avec lui, ou tout le monde s'était-il rendu compte des liens qui s'étaient tissés entre eux ? Après tout, certaines de leurs grandes conversations n'avaient pas été très discrètes... Quoi qu'il en soit, les groupes lui convenaient parfaitement.
-Je suis heureux que notre présence vous ait fait du bien. Nous vous devons tellement, sans avoir les moyens devous rendre la pareille... Alors oui, si cela vous a changé les idées... J'en suis ravi. Et j'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir sur Helonna.
A moins que les clercs ne se soient engagés à vie ? Non, impossible : certains avaient une famille...