[Quête] Le Domaine des Crocus

[Galathée]

Situé à l'extrême sud des terres mélandiennes, à mi-chemin entre Vys et Orlado, mais non loin de Pajus, le domaine des Crocus est une petite ferme spécialisée dans le safran des collines, une petite plante printanière qui fourni un pollen délicieux. Recueilli par des ouvriers agricoles venus du village voisin, Kholsom, et dirigée par un couple d'âge déjà avancé, c'est un lieu qui n'attire l'attention de personne et se complait dans sa tranquillité...


Quête : Les Squelettes du Placard
Chapitre 13. Printemps

Et le Temple de Moandre s'effaça... pour faire place aux murs blanchis à la chaux d'une petite pièce carrelée et fraiche, éclairée de lampes véritables, où flottait une odeur délicate de fleurs sauvages et de poisson sorti du four. Galathée pesa de tout son poids sur le bras de Taliesin puis lui sourit, tandis que Baptiste ouvrait des yeux stupéfaits sur le nouveau décor.
" Ça c'était assez incroyable, commenta-t-il. Je veux apprendre à faire ça.
— Pas tout de suite, mon garçon, fit Judicaël en lui ébouriffant les cheveux. Remettez-vous, je vais prévenir nos hôtes de notre arrivée."
Rassemblant les pans de son aube mauve sombre, il grimpa quelques marches qui menaient à un couloir voisin. Quelques secondes plus tard, les visiteurs entendirent des exclamations de bienvenue.

[Taliesin]

Cela lui faisait tout drôle de se retrouver presque seul avec Galathée et Baptiste en ce lieu inconnu, et de savoir qu'ils le resteraient jusqu'au lendemain matin... Mais ce n'était pas du tout désagréable.
-Nous avons de la chance d'être arrivés en premier, lança-t-il d'un ton léger. Nous allons avoir le domaine et nos hôtes pour nous tout seuls... A mon avis, nous devrions en profiter pour négocier la chambre la plus vaste et la mieux située !
Il aurait bien aimé sortir, explorer l'extérieur, mais ça n'aurait pas été très sympathique pour la rôdeuse qui devait s'abstenir de trop marcher et serait donc contrainte de demeurer en arrière, parmi des gens qu'elle ne connaissait pas - ou à peine, concernant Judicaël et Helen.

[Galathée]

" A mon avis, il ne sera pas nécessaire d'argumenter très longtemps, remarqua Helen. Vous allez être dorlotés."
Quelques secondes plus tard, trois nouvelles personnes survinrent aux côtés de Judicaël. Les deux premiers formaient un couple âgé d'une bonne soixante d'années, elle aux longs cheveux blancs tressés, lui au crâne chauve et à la moustache grise bien fournie. Ils portaient des vêtements simples mais de bonne facture, qui ne révélaient en rien leur adhérence à l'église chauntéenne. A leur côté se trouvait une femme plus jeune, aux longs cheveux noirs et aux yeux gris, qui portait encore son tablier. Tous les accueillirent avec bonheur.
" Bienvenue aux Crocus, annonça celui qui devait être Alexandre. C'est un plaisir d'accueillir des visiteurs en nos murs.
— Mais peut-être voudriez-vous voir votre chambre avant que nous passions à table ? Il est un peu tard pour faire le tour du domaine, malheureusement... Le soleil a été rongé par des nuages et il va sûrement pleuvoir un peu dans la soirée." dit Blanche.
L'Eldathienne demeura silencieuse et tranquille, souriante.

[Taliesin]

-Je plaisantais, avait-il soufflé à la Lathandrite avant l'arrivée des maîtres des lieux.
Lorsque ceux-ci les eurent rejoints, il leur sourit et les salua amicalement.
-Je suis enchanté de faire votre connaissance, et je vous remercie pour votre accueil. Mais, surtout, ne vous dérangez pas trop pour nous : si vous étiez sur le point de manger, la visite de la chambre peut attendre.
Il jeta cependant un regard à Helen : sans doute celle-ci insisterait-elle pour que Galathée s'allonge au plus vite et, par conséquent, qu'elle prenne son repas au lit...

[Galathée]

" Ne fut-ce que pour déposer vos affaires, dit Alexandre. Ce n'est pas très loin, nous vous avons mis au rez de chaussée pour que Galathée n'ait pas d'escaliers à affronter ces premiers jours. Ensuite, il sera plus facile d'entendre pleurer les bébés."
Le vieux homme les précéda dans le couloir. Taliesin nota que malgré son âge avancé pour un humain, il était encore alerte et ils dépassèrent la salle à manger puis s'engagèrent dans un couloir voisin, dépassèrent quelques portes et ouvrirent la dernière. Elle donnait sur une vaste chambre aux murs clairs, pourvue d'un grand lit pour deux personnes contre le mur de droite et d'un second lit, plus petit, contre le mur de droite. La pièce avait été aérée et des bouquets de fleurs fraîches étaient posés sur les tables de nuit. L'âtre était rouge, diffusant une chaleur agréable. De larges fenêtres s'ouvraient dans le mur du fond et à gauche, près du lit de l'enfant.
" Il n'y a pas de porte qui permette de sortir immédiatement, murmura Blanche, mais si vous empruntez celle sur votre droite à la sortie, elle y mène directement."
Taliesin put constater, grâce à sa vision elfique, que la campagne s'étirait juste sous leurs fenêtres, d'abord en un jardin bien agencé, ensuite en une prairie où paissaient quelques animaux, des chèvres, apparemment. Venaient ensuite des arbres, peut-être le trou sombre d'un petit étang, et il percevait le chant d'une rivière.

[Taliesin]

Le barde sourit. L'endroit n'avait rien à voir avec les rocailles de Mersant, les rives sauvages de la Houleuse, le sinistre Bois du Gobelin Pouilleux, le mortel désert mélandien ou même l'agréable jardin des DouceChute. C'était un paysage agreste et doux, comme celui qui entourait la ferme Desmoulins. Il l'aimait déjà et était certain que Galathée l'aimerait aussi sitôt qu'elle aurait pu le découvrir.
Il dédia à la rôdeuse un clin d’œil complice - n'avait-il pas dit que le son de l'eau accompagnerait ses aubades - puis fit face aux trois clercs qu'ils venaient de rencontrer.
-Merci beaucoup pour cette chambre, pour tout le mal que vous vous êtes donnés... et pour avoir fait en sorte que nous puissions rester tous les trois ensemble.
Ils n'avaient même pas eu besoin de le demander, ce qui ne manquait pas de le surprendre. Quoi qu'ils devaient se douter qu'en un lieu inconnu, ils préféreraient rester groupés...

[Galathée]

" Nous avions des instructions très précises, dit la vieille dame avec un sourire malicieux. Judi peut être vraiment peau de vache quand on ne fait pas ce qu'il demande."
Le demi-elfe s'était arrêté à la salle à manger, aussi n'entendit-il rien de cette remarque.
" Mais je suis contente que cela vous plaise. C'est vrai que c'est une belle pièce, et nous avons si peu d'invités !"
Galathée avait déposé son sac sur le lit, mais elle jeta un regard anxieux en direction du barde avant d'articuler, sans prononcer, une demande très claire de ne pas être abandonnée en arrière. Baptiste, de son côté, s'était assis sur le lit, ravi, et il déballa ses affaires précautionneusement : la tunique de nuit qu'il posa sur l'oreiller, le livre sur les dragons qu'il mit sur la table de chevet, ainsi que le petit crâne de faucon, qu'il caressa pensivement avant de l'installer sur le livre. Son sourire était un peu rêveur, comme s'il était dans un monde parallèle, un moment.
" Nous devrions retourner dans la salle à manger. Le poisson va refroidir et je l'ai pêché tout spécialement !" dit alors le vieux fermier, en regagnant la porte.
Sans Helen pour la surveiller, Galathée se dirigea d'un pas décidé vers la sortie.

[Taliesin]

L'elfe s'interposa aussitôt et secoua la tête.
-Non non non ! Tu dois te rallonger, et tout de suite ! Mais je te promets que nous t'apporterons à manger sitôt que nous aurons terminé le repas. Le poisson froid, ça n'est pas si mauvais...
Avant qu'elle n'ait pu même esquisser une réponse, il la prenait par le bras... et la conduisait vers le couloir.
-Tu viens, Baptiste ? s'enquit-il.

[Galathée]

Galathée lui lança un regard meurtrier, tandis que le garçon acquiesçait et bondissait à leur suite.
" Toi, mon gaillard, tu as de la chance qu'Helen est restée avec Judicaël dans la salle à manger, grommela la rôdeuse. Sans ça, j'aurais été contrainte... encore une fois... de me venger."
Elle sourit cependant amicalement au petit garçon qui les avait rejoints. Celui-ci s'empourpra et fila vers l'avant de leur équipage, sur la piste de l'Eldathienne silencieuse.
" Et bien, je commence à comprendre ce que tu as ressenti avec Victor, murmura Galathée. Mais ça viendra."
Quelques secondes plus tard, ils pénétraient dans une vaste salle à manger d'allure confortable et rustique. De larges fenêtres donnaient sur l'extérieur, mais de l'autre côté que la chambre, et Taliesin souleva le rideau pour apercevoir la cour de la ferme, encadrée d'une grange et de ce qui devait être une étable. Un chat, installé sur l'appui de fenêtre à l'extérieur, lui rendit son regard, énigmatique. La table était mise pour huit, ils furent invités à s'installer.

[Taliesin]

Même s'il ne prenait pas vraiment au sérieux les menaces de sa compagne, il l'aida ostensiblement à s'assoir, pour bien montrer à Helen que ce n'était même pas la peine d'essayer de la renvoyer vers la chambre. Puis il s'installa à son tour, prenant soin qu'il reste, à côté de lui, une place libre pour Baptiste.
-Tu ne trouves pas qu'on se croirait rentrés chez nous ? souffla-t-il à Galathée. Je suis heureux que les jumeaux puissent naître ici : ainsi ne seront-ils pas dépaysés quand nous serons retournés chez nous pour de bon.

[Galathée]

Elle sourit et lui toucha la joue.
" Tu sais, je doute qu'ils se souviennent de quoi que ce soit, murmura-t-elle. Enfin... C'est vrai qu'ils auront une mémoire un peu elfique, et sans doute est-elle différente de la mémoire humaine... On dit que les enfants humains gardent leurs premiers souvenirs à partir de trois ou quatre ans... Or, j'espère que nous serons dans notre vraie ferme avant cela."
Baptiste était un peu intimidé mais il sourit à la cantonade, gigotant sur sa chaise. Blanche apporta le poisson peu après. C'étaient de belles truites cuites dans des récipients en terre, agrémentées d'herbe et de citron. Elles fleuraient bon la nature, l'air frais, la liberté, ou alors était-ce peut-être le contraste entre le terrier de Moandre et les espaces ouverts que promettait la campagne environnante. Taliesin perçut d'ailleurs l'émotion de la rôdeuse, qui prit une profonde inspiration. Quelques minutes après, ils étaient tous servis. Avant de manger, les Chauntéens prononcèrent une prière à leur déesse, que les autres écoutèrent dans un silence respectueux. Ensuite, ils passèrent à table. Taliesin nota que Baptiste s'appliquait pour dépiauter son poisson. L'Eldathienne était probablement végétarienne, une rareté parmi les humains, plus fréquente parmi les elfes, mais classique chez les gens de sa foi : elle ne mangeait que du riz et des légumes.
" Alors, ces rumeurs de guerre ? demanda Judicaël.
— Elles sont sérieuses, Judi, répondit Alexandre. Et nous allons être en plein dedans... Quand nous en aurons un peu l'occasion... Nous devrons sans doute prendre des décisions difficiles.
— Je m'en doutais."

[Taliesin]

-Mince... lâcha-t-il.
L'instant suivant, il se fendait d'une grimace embarrassée.
-Durant la soirée chez les SourdeBouche, j'ai pas mal discuté avec de jeunes officiers qui, me croyant des leurs, ont parlé librement des préparatifs mélandiens, des forces et des faiblesses de leurs troupes... Je voulais en discuter avec Kerun mais j'ai complètement oublié. Enfin, j'imagine qu'il n'est pas trop tard : je lui en dirai un mot dès que possible, afin qu'il puisse transmettre ces informations à qui de droit.

[Galathée]

" Je pense qu'il sera intéressé, dit Judicaël. Nous le sommes tous. Mais il n'est pas impossible qu'il vienne passer une soirée ou l'autre en votre compagnie. Cela lui ferait du bien de retourner un peu dehors... les miasmes mélandiens sont mauvais pour la santé, surtout des elfes... Kerun est probablement le plus urbain des elfes que je connaisse, mais un arbre, de temps en temps, n'est pas du luxe.
— Qui va faire la guerre avec qui ?
— Les vieux ennemis de toujours : Mélandis et Manost. Et sans doute les Luméniens auront-ils à coeur d'aller se joindre à la bataille...
— En ce qui nous concerne directement, Mélandis reste l'endroit le plus sûr. Même avec la paranoïa qu'il va y régner, le Temple de Moandre est un bastion sans danger. Notre couverture est ancienne et solide, vous y serez en sécurité.
— Et abandonner l'exploitation ? Elle va être rasée !
— Elle sera rasée même si nous y restons, Blanche."
Judicaël eut une grimace.
" Profitez-en encore tant que c'est possible... Nous ne pouvons rien y faire, de toute façon."

[Taliesin]

Taliesin baissa les yeux sur son assiette.
Ce devait être dur, pour leurs hôtes. Très dur. Bien sûr, le plus important était de rester en vie, de sauver ses proches. Mais savoir qu'on allait perdre son foyer... Un foyer qui, de surcroit, permettait de rendre la liberté à maints malheureux...
Il soupira.
Et se demanda, une brève seconde, si les LUméniens ne le condamneraient pas à participer à la guerre.
C'était idiot, cependant. On n'envoyait pas un agitateur dont on se méfiait parmi ses troupes. Car ce serait prendre le risque qu'il fomente une mutinerie...

[Galathée]

Fort heureusement, Helen parvint à détourner la conversation par de menus moyens, d'abord en félicitant leurs hôtes sur le repas, ensuite en distribuant des nouvelles des uns et des autres. Les Chauntéens se montrèrent ravis à l'idée que les Moandrins débarquent en masse pour fêter la naissance et commencèrent aussitôt à discuter de la manière dont il faudrait organiser le couchage, bien que Judicaël tenta de calmer leurs ardeurs. Galathée, dans l'âme avait été autrefois pacifique, entama une conversation avec l'Eldathienne sur le domaine environnant, et cette dernière lui promit de lui montrer les coins les plus apaisants dès le lendemain. Baptiste était trop concentré dans sa lutte contre les arêtes de truite pour parvenir à suivre les conversations autour de lui. Mais il refusa de capituler et finit par en manger une bonne partie. Le repas se poursuivit sans que la guerre ne soit à nouveau mentionnée, Taliesin dut promettre de jouer de la musique à une occasion ou une autre, Helen finit par envoyer Galathée se coucher, une infusion chauntéenne bien dosée sur ses pas, Baptiste bâillait à s'en décrocher la mâchoire avec un sourire un peu vaseux, et la fin des hostilités fut déclarée lorsque Judicaël se leva et s'excusa, désirant rentrer à Mélandis dans l'instant pour prendre une bonne nuit de sommeil.

[Taliesin]

Il se leva également et le rejoignit en quelques pas.
-Un dernier mot avant que tu ne t'en ailles... fit-il à mi voix. Voilà, si d'aventure tu te rendais compte que Kerun et Guéric tombent sur un os au cours de leurs missions... Pourrais-tu leur rappeler que je peux recourir au pipeau ou les aider de manière plus directe ? Je sais qu'ils hésiteront à me déranger mais... Si je peux faire la différence, je crois qu'il est de mon devoir de participer.
Il espérait qu'on n'aurait pas besoin de lui, certes. Cependant, si c'était malgré tout le cas... Il ne pourrait rester les bras croisés.

[Galathée]

Judicaël sourit et opina du chef.
" Je le leur dirai. Mais ne t'inquiète pas pour eux. Nous veillons. Ils peuvent être butés, l'un et l'autre, mais s'il faut mettre un veto à quelque chose, je n'aurai aucune hésitation à le faire. C'est l'avantage utile mais malheureux des récents déboires. Les esprits qui doutent sont plus faciles à manipuler."
Il posa une main amicale sur l'épaule du barde.
" Profite de ces temps bénis, mon ami. Quoi qu'en dise Lathandre, la vie doit se vivre au moment où elle se déroule, pas demain."
Puis, sur un sourire tranquille, il abandonna le barde dans le couloir et regagna la petite pièce par où ils étaient arrivés.

[Taliesin]

Il retourna dans la salle à manger, sourit aux clercs encore présents et rejoignit Baptiste, dont les bâillements ne lui avaient pas échappé.
-Et si nous allions dormir ? lui souffla-t-il. Si tu as besoin de quelque chose pour tenir les cauchemars éloignés, je suis sûr que nos hôtes pourront te préparer une infusion.
Il n'aurait rien eu contre veiller encore un peu, deviser avec les maîtres des lieux. Mais quelque chose lui disait que le gosse ne serait pas ravi à l'idée d'aller seul dans la chambre où Galathée dormait peut-être déjà. A moins qu'elle n'attende la chanson promise aux jumeaux...

[Galathée]

Baptiste sourit.
" En fait, Ismène m'a fait des réserves, dit le gamin. Il me faut juste de l'eau chaude, si tu sais t'en procurer...
— Une petite infusion ?" clama alors Alexandre en se levant.
Toutes les personnes présentes autour de la table manifestèrent leur accord et quelques secondes plus tard, l'eau frémissait sur l'âtre et le maître des lieux avait disposé au moins quatre mélanges différent entre les convives.
" Si tu vas voir Galathée, dit Helen, peut-être peux-tu lui apporter un peu de celle-ci ? Même si elle la boit froide pendant la nuit, cela l'aidera à mieux dormir."
Baptiste était allé remplir sa propre tasse et il salua poliment l'assemblée, avant de l'attendre sur le pas de la porte.

[Taliesin]

-Bien sûr, répondit l'elfe.
Il se prépara une infusion pour lui-même et, bientôt, se retrouva avec une tasse dans chaque main.
-Je ne suis pas certain que je reviendrai... dit-il sur un ton d'excuse. Mais j'espère que nous pourrons discuter, demain. Et j'ai hâte de découvrir votre domaine...
Il sourit.
-Merci encore pour votre accueil chaleureux.

[Galathée]

Ils le saluèrent chaleureusement et reprirent leur conversation, tandis que Baptiste le précédait dans le couloir, surveillant précautionneusement sa propre tasse. Ils gagnèrent la chambre où Galathée poussa un cri de surprise avant de replier rapidement les couvertures sur elle. Le petit garçon vira au pivoine et fila vers son lit, où il entreprit de préparer son infusion.
" Hum, c'est un plaisir de vous voir... Tu es venu pour la chanson, Taliesin ?"
Elle n'avait manifestement pas oublié. Baptiste se changea rapidement et gagna ses couvertures, le visage à nouveau serein, empreint de félicité.

[Taliesin]

-Une chanson ? Quelle chanson ? protesta-t-il, jouant les innocents.
Il déposa la première tasse sur la table de chevet de Galathée, la seconde sur la sienne puis récupéra sa propre tunique de nuit.
-Si je suis venu, c'est pour dormir, reprit-il en se changeant. Je suis épuisé, tu n'imagines pas à quel point ! La téléportation à toujours cet effet là sur les elfes : il nous faut... Allez, trois mois de repos absolu et de pure détente pour nous en remettre.

[Galathée]

" Est-ce qu'il est toujours comme ça ?" demanda Galathée à Baptiste.
Celui-ci, assis sur son propre lit, opina du chef avec une grimace.
" Surtout avec les gens qu'il aime bien, je crois."
La rôdeuse soupira théâtralement.
" J'avais oublié. J'ai cru qu'on me l'avait changé.
— Moi aussi j'aimerais bien une chanson, cela dit, intervint le garçon.
— Et tes futurs enfants aussi veulent une chanson. Ça fait quatre contre un. La majorité l'emporte, même si les elfes comptent double." ajouta la jeune femme, malicieuse.

[Taliesin]

-Ils comptent pour dix, et je n'ai pas entendu les jumeaux se prononcer, répliqua-t-il en manière de baroud d'honneur.
Il s'assit aux côtés de sa compagne et, brusquement, se sentit embarrassé.
-Je n'ai plus chanté cela depuis très, très longtemps, alors, ne m'en veuillez pas si je suis un peu... maladroit.
Il jeta un regard à Baptiste, à Galathée, au ventre rond de celle-ci où gigotaient deux petites vies à naître. Livrer cet air chargé de tant de signification ici, devant eux... C'était quelque peu intimidant. Cela avait du sens, aussi. Beaucoup.
Il prit donc une profonde inspiration et se lança.
Il s'agissait de la version elfique de ce qui avait servi de chant de ralliement à la cité disparue. Un chant de bienvenue. L'air était doux, chaleureux ; les paroles promettaient un bon accueil, des jours paisibles, la concorde entre les êtres de bonne volonté...
Il ne fallut guère longtemps avant que sa voix ne s'enroue légèrement. Il continua néanmoins, alla jusqu'au bout contrairement à ce qu'il avait craint puis demeura silencieux, ému, tourné vers les rares images qu'il conservait de sa prime jeunesse.
Tourné vers le futur, aussi.

[Galathée]

Galathée lui sourit, les yeux brillants, et l'embrassa doucement sur les lèvres.
" Ils vont venir, lui souffla-t-elle. Très bientôt. Et tout sera parfait."
Elle ne parlait pas l'elfique, bien sûr, mais sans doute le sens profond de cette mélodie était-il perceptible, juste dans sa tonalité. Baptiste était souriant, lui aussi, et avec un soupir de contentement, il s'allongea, soufflant la bougie qui lui tenait lieu de lampe de chevet.
" Bonne nuit, murmura-t-il pudiquement.
— Bonne nuit." lui répondit doucement Galathée, tout en cherchant une position plus confortable pour s'installer.

[Taliesin]

-Bonne nuit, dit-il à son tour.
Quelques instants plus tard, la chambre était plongée dans une pénombre qui n'avaient rien de froid, rien d'inquiétant, et l'elfe se serrait contre la rôdeuse. Il ferma les yeux, sourit pour lui-même et laissa ses pensées dériver, aller du visage de sa mère à ceux des êtres qui l'entouraient, qui l'entouraient, des visions fugitives de cette ferme dorrandine aux souvenirs de celle qui les attendait sur Helonna, paisible et joyeuse.
Lumineuse, surtout.
Il glissa dans le sommeil sans s'en rendre compte, plein d'espoir et d'optimisme.
Oui, tout serait parfait.

[Galathée]

Et son sommeil serait resté parfait s'il n'avait été réveillé un peu plus tard. Autour de lui, nuit noire, un silence profond, troublé par une respiration régulière. Sous sa paume, la peau veloutée et chaude d'un ventre, parfois agité d'un soubresaut léger, rien d'autre. Douceur, chaleur, bien-être, cocon protecteur. Juste une main agrippée à son épaule, qui le secoue timidement.
" Taliesin... Taliesin, réveille-toi..." souffla une voix à son oreille.
Connue. Aimée. Anxieuse.
Il ouvrit les yeux. Baptiste était penché sur lui et dans la pénombre, il vit son expression inquiète.
" Taliesin, je suis désolé... Je ne voulais pas, mais..."
Il lui désigna son propre lit. Dans les ténèbres, une lumière blanche rayonnait, mouvante. Il fallut quelques secondes au barde pour identifier ce dont il s'agissait, tandis qu'il chassait le sommeil de quelques battements de paupières. Perché sur son crâne, le fantôme d'un faucon se lissait les plumes, tranquille.

[Taliesin]

Il écarquilla les yeux, contempla l'apparition, incrédule.
Puis, tout doucement pour ne pas déranger la jeune femme endormie, il se redressa.
-Que s'est-il passé ? souffla-t-il à l'enfant, d'un ton surpris mais qui se voulait réconfortant. Il est apparu comme ça, tout seul ?
Si c'était le cas, il n'osait imaginer ce qui se manifesterait près de l'os rapporté par Hyppolite. Mais peut-être était-ce une conséquence de l'étrange pouvoir dont Baptiste était investi ?

[Galathée]

" Je ne sais pas, je dormais, souffla-t-il. J'ai ouvert les yeux et il était là. Il n'a pas vraiment bougé... et il n'a pas l'air méchant mais... il est quand même... et bien... je veux dire... c'est une sorte d'esprit, comme le cheval, je suppose..."
Il frissonna.
" Je suis sûr qu'il m'a vu, parce qu'il m'a regardé un moment... On dirait qu'il est muet. Tu crois que c'est dangereux ?"

[Taliesin]

-Je ne sais pas. Mais d'après mes expériences avec les fantômes, d'après le léger et temporaire inconvénient dont a souffert Tim suite à sa... rencontre avec le cheval, je dirais qu'il vaut mieux éviter de le toucher.
Il quitta précautionneusement ses couvertures et se leva.
-Je vais voir s'il réagit à ma présence. Mais je crois qu'il va falloir réveiller nos hôtes pour qu'ils soient témoins du phénomène et décident de ce qu'il convient de faire. A moins que...
Il baissa les yeux sur le petit garçon.
-A moins que tu ne veuilles essayer de le faire disparaître toi-même ? Avec tes pouvoirs d'élu divin, c'est sans doute dans tes cordes...