[Bâtiment] La Boutique d'Eldurvellir du Val Bise, Mage Extérieur

[Taliesin]

-Carl, vérifie s'il y a des passages secrets, fit le sergent.
L'homme qui l'accompagnait s'exécuta, lorgnant patiemment les murs et tonnant quelques petits coups de poing de-ci, de-là.
-A vu de nez, il n'y a rien, dit-il enfin.
Le sous-officier se tourna vers Eldurvellir.
-Bon. Nous allons amener le cadavre à la morgue : on devrait arriver à savoir de quoi il est mort, et depuis quand. Nous allons également enquêter sur les anciens propriétaires et occupants de la maison : si vous avez des informations les concernant, je suis preneur. Oh, et je dois entendre la déposition de votre jeune servante.
-

[Eldurvellir]

Eldurvellir hocha la tête.

- Fort bien. Les papiers de cession de la maison sont au premier l'étage, au salon. Vous y trouverez peut-être des informations utiles. Perline doit être à la cuisine, qui jouxte le salon. Je vous invite donc à remonter...

Le mage ajouta :

- C'est rassurant qu'il n'y ait pas de passage secret. Enfin... Cela signifie que l'homme a été mis là de la maison et non de l'extérieur...

Il se tut. Effectivement, cela signifie qu'il a été jeté là par un habitant de la maison, très probablement. Cela pourrait être moi, comme ce digne représentant de l'autorité mélandienne ne manquera pas de le soupçonner. Heureusement qu'il a la bonne idée de questionner Perline.

[Taliesin]

Le sergent acquiesça, quitta la pièce secrète et demanda à ses deux hommes les plus proches de remonter le cadavre et de le déposer sur la civière qui attendait, à cet effet, sur le perron de la maison. Puis, à la suite du mage, il regagna le rez-de-chaussée où le garde demeuré près de la trappe se porta aussitôt à ses côtés.
-Si vous voulez bien me conduire jusqu'au salon, messire, j'examinerai ces document et entendrai votre servante, fit alors le sous-officier.
Difficile de dire ce qu'il pensait de l'affaire, car son expression demeurait parfaitement neutre.

[Eldurvellir]

Eldurvellir monta l'escalier, invitant l'officier à le suivre.

Il alla à la bibliothèque et en sortit les documents de la maison, les actes de vente et de propriété. Il plaça les documents sur la table, cherchant des yeux les passages susceptibles d'être utiles. Il les trouva sans peine :

« Eldurvellir du Val Bise, Mage extérieur de l’Ecole du Necronomicon, nouveau propriétaire de la Maison sise à Melandis, quartier de l’Esplanade Impériale, place de la Miette-aux-Corbeaux.
Le vendeur Maître Gonfulf Beaujeu, fils aîné de Maître Branard Beaujeu et Dame Tierceline Graindorge, reconnaît avoir cédé ce jour, la Maison icelieu sise pour la somme totale de 6 250 pièces d’or, 50 pièces d’or revenant à Maître Pierresault, homme de loi, dont l’étude sise à Melandis, quartier de l’Esplanade Impériale, impasse du Lien-d’Or, est dument certifiée par les Autorités mélandiennes. »

« Attendu que Maître Branard Beaujeu et Dame Tierceline Graindorge son épouse, propriétaires de la Maison de la place de la Miette-aux-Corbeaux, ont disparu sans laisser de traces depuis une décennie entière, est déclaré propriétaire de leurs biens Maître Gonfulf Beaujeu, sous réserve qu’il prenne soin de son frère Ysardin Beaujeu, placé ainsi sous tutelle pour avoir de notoriété publique, été condamné à la déchéance de ses droits civils et militaires. »

- Perline... L'officier a besoin de ta déposition.

La petite servante posa une écuelle de lait à terre et mit son chiot devant.

- Oui, messire, j'arrive.

[Taliesin]

Après avoir lu une première fois les documents, Lockhart sortit de sa sacoche parchemins et nécessaire d'écriture puis entreprit de prendre un grand nombre de notes. Sa mine était concentrée et si certains passages l'étonnèrent ou l'interpellèrent, il n'en laissa rien paraître.

-Bien, dit-il quand il en eut terminé. A présent, je vous prierais, messire, de bien vouloir nous laisser pendant que j'interrogerai votre servante.

Son ton était tout aussi indéchiffrable que son expression. Sans doute s'agissait-il là d'une procédure habituelle...

[Eldurvellir]

Eldurvellir acquiesça sans mot dire. Il prit un morceau de pain et du fromage, redescendit l'escalier et alla au jardin.

Les deux vieux corbeaux étaient toujours sur la margelle du puits. Le mage leur donna pain et fromage.

- Ma servante fera bien quelques réflexions... Mais je veillerai qu'elle ne vous oublie pas quand je serai absent.

Les tristes oiseaux acceptèrent le repas. Eldurvellir les regarda de près. Ils étaient maigres.

J'aurais pu les laisser mourir, se dit-il. Décidément je suis trop bon... Enfin, il y aura peut-être une carte à jouer si mon vendeur a des soucis...

A l'étage, Perline se tenait devant l'officier Lockhart.

- Vous avez des questions ? Et pourquoi avez-vous fait sortir le maître ? Il ne m'aurait pas empêché de parler, vous savez. Enfin, il n'aurait pas réussi, s'il l'avait voulu !

[Taliesin]

Le sergent haussa les épaules.
-C'est le réglement : on entend toujours les témoins ou les suspects de manière séparée, puis on confronte leurs déclarations.
Il sortit un nouveau parchemin, s'empara de sa plume.
-A présent, raconte moi tout ce qui s'est passé, tout ce que tu as vu. Et souviens-toi que mentir au guet est un crime. Là encore, c'est le règlement qui requiert que je fasse cette remarque, n'y vois donc aucune insinuation particulière. Mais... Tiens-en compte.

[Eldurvellir]

Perline hocha lentement la tête, soudain grave.

- Eh bien, maître Eldurvellir était descendu à la cave. Je m'étais réveillée tard, je l'ai cherché et l'ai trouvé là. Il était devant la barrique ouverte et il y avait quelqu'un de tout maigre dans la pièce cachée. Je me rappelle avoir crié : "vite, il faut le sauver", ou quelque chose de ce genre...

Elle réfléchit un court instant.

- Oui, c'était exactement ça. Maître Eldurvellir m'a dit qu'il était peut-être mort, mais m'a envoyée chercher un linge imbibé d'eau. Je suis donc remontée. Lorsque je suis revenue, après avoir pris en cuisine une serviette mouillée et un gobelet d'ale fraîche, le maître m'a dit que l'homme était effectivement mort.

La petite servante se mit à trembler.

- Je me rappelle avoir profondément soupiré pour essayer de ne pas pleurer. C'est terrible, la mort... D'ailleurs maître Eldurvellir était troublé aussi, lui qui parle volontiers il était très silencieux. Le maître a tenu à ce que nous prenions sans attendre le petit déjeuner... Je n'avais pas vraiment faim, après tout ça ! mais il avait raison, cela nous a remis d'aplomb.

Perline s'était remise de son trouble. Bémour vint à ses pieds et lança un petit aboi plaintif. Elle se pencha et le prit dans ses bras.

[Taliesin]

Si le sous-officier retranscrivit sa déposition avec soin, il ne manqua pas de lui jeter, de temps à autres, de pénétrants regards, comme s'il tentait de la sonder.
-Très bien, nous en avons presque terminé, dit-il de son habituel ton neutre. Il me reste juste quelques questions subsidiaires... D'une part, as-tu noté des détails particuliers concernant le corps ou la pièce secrète ? D'autre part... Depuis combien de temps es-tu au service de ton maître ? As-tu assisté aux transactions concernant la maison, ou rencontré l'ancien propriétaire ?

[Eldurvellir]

Perline tenait son chiot comme une poupée, comme la chose la plus précieuse au monde. Cette petite boule de poils affectueuse la rassurait, face aux sévères hommes du guet.

- J'ai juste vu l'homme, si maigre, affalé contre le mur. Cela m'a rappelé des choses terribles...

Elle réprima avec peine un sanglot.

- Je ne suis au service de maître Eldurvellir que depuis quatre jours. C'est encore ma période d'essai, j'ai une semaine pour faire mes preuves. C'est grâce à moi qu'il a ce petit chien ratier, vous savez !

La petite servante eut un timide sourire.

- Maître Eldurvellir m'a embauchée à l'essai parce que je sais lire et que je sais négocier avec les commerçants. En plus des talents habituels aux servantes concernant l'entretien de la maison.

Perline caressa son petit chien, un instant pensive.

- Ah ! je n'ai pas assisté à l'achat de la maison. Mais j'ai dû arriver très peu de temps après, c'est son amie dame Béroalde Voix-d'Airain, la barde bien connue, qui m'a recommandé de me présenter ici comme servante. J'ai rencontré dame Béroalde à l'atelier de dame Uwelane, qui fait des ouvrages en marqueterie sur l'Esplanade. C'est elle qui m'a appris à lire !

La jeune Naine réfléchit intensément.

- Voilà... C'est tout ce que je peux vous dire, je pense.

[Taliesin]

Le sergent Lockhart prit quelques notes supplémentaires. Sans doute les noms mentionnés par la servante. Peut-être, aussi, le fait qu'elle soit encore en période d'essai : après tout, cela pouvait avoir une influence sur la sincérité de sa déposition, la pousser à ne pas tout dire afin de conserver sa place...
-Cette fois, je n'ai plus de questions, déclara-t-il en rangeant ses affaires. Si je ne croise pas ton maître en sortant, dis-lui que nous le recontacterons certainement quand nous en saurons davantage.

[Eldurvellir]

- Bien, messire officier.
- Ouif !

Bémour se tortilla brusquement. Perline le posa à terre et le chiot trottina vers l'escalier, suivant l'officier. Il se mit à couiner et fit vivement demi-tour vers sa maîtresse, une Tiamandis rageuse à sa suite.

- Tiamandis ! laisse ce chiot tranquille !

Eldurvellir croisa l'officier au bas de l'escalier. Il le salua, lui ouvrit la porte avec affabilité. Les gens du guet sortis, le mage se sentit soulagé. Mais il n'eut pas le temps de soupirer, Perline semblant avec fort à faire avec les animaux : Tiamandis sifflait de rage, Bémour couinait à qui mieux mieux. Eldurvellir monta l'escalier quatre à quatre.

- Que se passe t-il encore, ici ? Tiamandis ! c'est indigne ! viens là !

Le mage prit fermement les mâchoires de la pipistrelle et les ouvrit, libérant l'oreille du chiot.

- Perline, si tu n'y prends pas garde, ton Bémour aura de la dentelle en guise d'oreilles ! je dois préparer un onguent pour sa patte boiteuse, j'en ferai aussi pour soigner son oreille.

Eldurvellir tapota le museau de Tiamandis avec sévérité et la cala contre sa gorge, sous l'écharpe fine que Béroalde lui avait offerte. La petite chauve-souris le mordilla dans un petit geste rageur mais non dénué d'affection.

- L'entretien s'est bien passé ?
- Oui, je pensais être davantage questionnée et plus rudement, mais non.
- L'officier Lockhart n'est pas idiot, je suppose qu'il va enquêter discrètement sur moi, afin de voir quel genre de personnage je suis...
- Oh !
- C'est normal ! enfin, tant qu'il n'inquiète pas les amis que je me fais ici, tout va bien.

Perline renifla.

- Mouche-toi ! j'ai horreur d'entendre renifler.
- Euh... C'est que...

Le visage de la jeune Naine était cramoisi.

- Eh bien ? Parle, bon sang !
- L'officier m'a demandé depuis combien de temps j'étais ici. J'ai dit que j'étais venue sur le conseil de dame Béroalde... Et aussi qu'Uwelane m'avait appris à lire...
- C'est malin ! espérons qu'elles ne seront pas questionnées au point de m'en vouloir !

Comment en vouloir à la gamine ? Elle s'est laissée impressionner, c'est assez naturel à cet âge... Mais malgré cette pensée éminemment raisonnable, Eldurvellir se sentait très mal à l'aise.

[Eldurvellir]

- Perline... Il faut que les choses soient claires...

La petite servante eut fort à faire pour s'empêcher de trembler. Ne pas montrer que j'ai peur, ne pas montrer que j'ai peur, ne pas montrer que j'ai peur...

- Ou-oui ?

Le regard d'Eldurvellir était à la fois inquiet et sévère.

- Si j'ai le moindre problème avec les autorités mélandiennes, je verrais à ce que tu en paies le prix...
- Messire !
- Il suffit ! si je vais dans les geôles mélandiennes, je ferais en sorte que tu tiennes la maison pour moi, mais si j'y suis pour le reste de ma vie ou si je suis supplicié, tu le paieras. Et très cher. J'y veillerai.
- Vous n'irez pas en prison !
- Ha ! je ne te demande pas comment tu peux en être aussi sûre !
- Je...
- Ne me coupe pas ma parole ! tu restes à l'essai jusqu'à la fin de l'enquête. Gare à toi si tu cherches à me quitter pendant cette période... Je te retrouverai.
- Mais...

Les yeux d'Eldurvellir prenaient une couleur fauve, dangereuse. Il se pencha et prit le chiot.

- Mon Bémour !

Une note d'angoisse perçait dans la voix de Perline.

- Quoi ? Je vais le soigner, c'est tout.

Inquiète, l'enfant suivit Eldurvellir à petits pas silencieux. Le mage s'arrêta pour prendre un onguent parmi les petits objets qu'il avait mis sur une des étagères de la bibliothèque. Il posa le chiot et soigna son oreille.

- Je peux vous parler ?
- Oui, pourquoi ?
- Eh bien... Je crois que vous vous inquiétez pour pas grand chose...
- Hein ? Un homme meurt sous mon toit et ce n'est pas grand chose !
- Non, oui, enfin je veux dire que vous n'avez rien à vous reprocher.

Le mage fixa Perline, d'un regard plus fauve que jamais. Perline prit une inspiration et continua son explication.

- Vous n'avez rien fait d'autre que le trouver ! je le sais, j'étais là. Et les hommes du guet vont le comprendre, même s'ils sont méfiants. Et s'ils vont parler à dame Béroalde et à Uwelane, elles parleront en votre faveur.

Eldurvellir soupira et tendit Bémour à la petite.

- J'espère que tu dis vrai, Perline. Mais je ne serai tranquille que lorsque l'enquête sera terminée. Nous allons reprendre notre vie comme si rien ne s'était passé... Que Tiamaat nous aide, nous en aurons besoin.

[Eldurvellir]

Les jours suivants se passèrent dans une espèce de climat étrange, où la crainte céda peu à peu la place à l’espoir.

Eldurvellir ayant pris la décision de rénover un peu la boutique en rez-de-chaussée, lui et Perline furent très occupés. Ainsi évitèrent-ils de penser à l'enquête, s'en tenant d'un commun accord aux choses prosaïques de l'existence.

La boutique fut nettoyée de fond en comble, les boiseries passées au brou de noix. Eldurvellir teinta les casiers de bois d'un ton plus clair, avec une espèce de thé de sa composition. Puis il répara le comptoir lui-même et le teignit d'un brun-rouge, à partir d'une infusion de fleurs d'hibiscus mêlée au brou de noix.

Le temps passa assez agréablement ; Perline avait complètement oublié les gens du guet, tandis que le mage s'efforçait de ne pas trop y penser.

[Taliesin]

Un beau matin, près d'une semaine après la précédente visite de hommes du guet, on frappa vigoureusement à la porte de la maison. Lorsque son propriétaires l'ouvrit, il découvrit l'officier auquel il avait parlé à la caserne, le sergent Lockhart et quatre gardes. Une escouade assez imposante, en sorte...
-Bonjour, messire Eldurvellir, fit le chef du groupe, souriant. J'ai du nouveau à propos de l'enquête... Puis-je entrer pour vous faire part de nos incroyables découvertes ?
Si la question était poliment posée, il semblait qu'il n'avait nullement l'intention de rester dehors quoi que réponde son interlocuteur.

[Eldurvellir]

- Mais je vous en prie, officier Lockhart, entrez donc.

Considérant l'escouade, Eldurvellir s'inquiéta. Cinq hommes, n'était-ce pas là un nombre idéal pour une arrestation ? Il leur désigna un banc massif, à trois coudées du comptoir et alla au pied de l'escalier appeler sa servante.

- Perline, apporte une cruche d'ale fraîche et six gobelets, veux-tu ?

Le mage restait calme. Il avait eu le temps de rédiger du courrier important, essentiellement une longue lettre à l'attention de Béroalde. Une lettre au caractère pratique, au cas où il finirait en prison. Il avait également écrit une lettre à l'Ecole du Necronomicon, arguant de sa sincérité et de ses sentiments profonds envers l'institution mélandienne et empreinte du désir de ne pas porter atteinte à sa noblesse. Et enfin une lettre à sa soeur de sang Sombria, qu'il comptait envoyer accompagnée de plusieurs fioles de soins. Ces courriers seraient remis par Perline, s'il était arrêté.

- Je vous en prie, installez-vous et dites-moi le résultat de votre enquête.

[Taliesin]

Personne ne s'assit. Les gardes demeurèrent sur le perron, arborant une attitude faussement nonchalante - le mage eut en effet l'impression qu'ils se tenaient prêts à intervenir immédiatement en cas de besoin. Seuls le sergent Lockhart et son supérieur franchirent le seuil, le premier ne cherchant nullement à cacher sa vigilance, le second se comportant au contraire avec sa nonchalance habituelle.
-En premier lieu, nous avons fait deux découvertes extrêmement intéressantes... dit-il, souriant. D'abord, nous avons réussi à identifier le mort : il s'agit de Gonfulf Beaujeu, ancien propriétaire de cette demeure. Ensuite, nous sommes parvenus à déterminer le moment de sa mort, qui est survenue après qu'il vous ait vendu ladite demeure. Imaginez notre surprise quand nous avons fait ces constats !
Il croisa les bras.
-Mais pour vous, aucune surprise, évidemment, puisque vous étiez parfaitement au courant de tout cela... conclut-il.

[Eldurvellir]

Eldurvellir tenta son petit sourire en coin sans y parvenir.

- Je vous en prie, installez-vous. Je ne vous mentirai point.

Il s'interrompit alors que Perline descendait l'escalier lentement, un plateau rempli dans les mains. La servante posa les gobelets et l'ale dans un silence empreint de solennité, servit, puis partit s'asseoir à même le sol près du comptoir.

Le mage toussota pour s'éclaircir la voix.

- Accepter de vous désaltérer ici ne changera rien... Quelle que soit votre décision après avoir entendu ce que j'ai à vous dire, je l'accepterai...

Eldurvellir se sentait très ému. En un geste, il avait probablement tout perdu : ses espérances, sa liberté, sa dignité. La maison aussi, sûrement.

- C'est mon familier Tiamandis qui m'a mis sur la voie de la pièce cachée. Elle était agitée, tournicotait en criant dans la cave, près de la barrique. J'ai donc examiné la façade de la barrique et ai trouvé la porte qu'elle dissimulait. Un homme s'y trouvait, épuisé, à la frontière de la mort.

Le mage prit lentement une gorgée de bière légère.

- Il m'a dit être un des fils Beaujeu et avoir été enfermé ici, prisonnier sans eau ni nourriture, par son propre frère. Je suis remonté, pour aller lui chercher un peu d'hypocras, et soucieux de vérifier lequel des frères m'avait cédé la maison.

Eldurvellir passa la main sur son front.

- Sur ces entrefaites, Perline et mon amie Béroalde sont rentrées. Elles étaient parties chercher mes affaires au Luménien Noyé. J'avoue que le fils Beaujeu m'est quelque peu sorti de l'esprit... Si vous connaissez dame Béroalde, vous comprenez pourquoi. Sa gaieté et sa conversation balaient tous les problèmes, font oublier les pires situations...

Le mage soupira. Perdre Béroalde. Ce serait le plus difficile, certainement.

- Lorsque Béroalde est partie, je suis redescendu au sous-sol. L'homme était faible, l'hypocras lui a redonné un peu de vie... Il m'a raconté comment lui et son frère, agacés par la détérioration du commerce de leurs parents, ont décidé de les faire disparaître.

Il se prit la tête dans les mains, soudainement pensif. Au bout de quelques minutes, il rompit le lourd silence qui s'était installé.

- Je... Je n'ai pas eu de parents... Cela m'a terriblement manqué... Et ces hommes... Des hommes ! des hommes pires que le pire fauve ! ils n'ont pas hésité à supprimer leurs parents. Indignes du nom d'homme, indignes de vivre !

Les yeux d'Eldurvellir brillaient. Il ne pleurait pas, mais un sentiment étrange, mêlant le chagrin et la haine, l'envahissait peu à peu.

- Je lui ai dit que ce n'était pas son jour de chance... Et je l'ai laissé mourir là.

Le mage prit son gobelet et but une gorgée. La fraîcheur de l'ale lui fit du bien.

- J'aurais dû le dénoncer au guet, j'aurais dû... J'ai juste obéi à mon sentiment de colère et de haine. Cet homme a commis une indignité, mais je ne devais pas prendre son destin entre mes mains.

Il soupira. Le silence revint, long, une éternité... Soupirant derechef, il reprit la parole.

- Je vous demande juste de me permettre de présenter mes excuses à la ville de Melandis. Et je suis prêt à vous suivre.

Près du comptoir, Perline sanglotait doucement.

[Taliesin]

Ni l'officier ni le sergent ne paraissaient touchés par l'émotion d'Eldurvellir et les larmes de sa servantes. Ils se contentaient de boire tranquillement leur ale, attentifs.
-Peut-être bien qu'on va vous embarquer, oui, fit le gradé. Parce que non content de soustraire un criminel à la justice, vous avez menti au Guet et vous lui avez fait perdre un temps considérable pour élucider une affaire dont vous connaissiez déjà tous les tenants et les aboutissants. Sans compter que vous vous imaginiez que nous ne réussirions pas à découvrir le fin mot de l'histoire... Soit vous nous avez pris pour des demeurés, insulte que nous ne pouvons évidemment pas subir sans réagir, soit vous êtes encore plus désespérément naïf que je ne le croyais.
Il secoua la tête.
-Heureusement pour vous que l’École du Necronomicon vous a à la bonne. Sans quoi, on vous bouclait, et pour longtemps. Mais il paraît que vous avez rendu quelques services, alors... Je vais opter pour l'hypothèse de la naïveté et considérer que si vous nous avez fait perdre du temps, vous en avez fait gagner à la justice, qui aurait de toute façon condamné ce criminel à mort. Reste un problème, néanmoins : en achetant un bien volé, vous avez commis un acte délictueux : le recel. Et puisque cette maison, pour des tas de raisons, n'a plus de propriétaire légitime, c'est à l’État qu'elle aurait dû revenir... Vous voyez où ça cloche ?
Il croisa les bras.
-On pourrait se contenter de vous expulser. Cependant, quand on aura remis la main sur Ysardin Beaujeu, il possédera encore une partie de la somme que vous lui avez versée, ce qui permettra à l’État de toucher partiellement son dû. La différence, ce sera à vous de la combler. Soit financièrement... soit en fournissant gracieusement des potions au guet, jusqu'à ce que votre dette soit de l'histoire ancienne.
Il sourit.
-A vous de voir ce que vous préférez. Oh, vous pouvez également refuser, bien sûr. Mais dans ce cas, on vous arrête immédiatement.

[Eldurvellir]

Eldurvellir resta silencieux un long moment. Enfin il murmura :

- Merci Tiamaat.

Il s'adressa ensuite à l'officier.

- Je fournirai des potions de soin au guet, bien sûr. Mais j'ai encore une précision d'importance à vous soumettre. Les parents de Gonfulf Beaujeu sont vivants. Ils ont été supprimés en tant qu'humains, mais vivent sous une forme animale, transmutés par un mage payé par les deux frères. Ils sont dans le jardin, près du puits. Deux vieux corbeaux.

Eldurvellir soupira.

- Vous comprenez, ainsi que je l'ai moi-même compris, qu'Ysardin Beaujeu n'était pas le légitime propriétaire... Mais les propriétaires existent toujours. Même s'ils ne sont pas en capacité de profiter de leur maison.

Un problème difficilement soluble, songeait le mage. Il regarda Perline, qui ouvrait des yeux ronds de surprise.

- On aurait pu les tuer ! et c'est vous qui disiez que c'est indigne de tuer de vieux animaux... En fait, vous les avez sauvés !

La petite servante sauta sur ses pieds. S'adressant sans façon au guet, elle cria :

- Vous voyez bien ! maître Eldurvellir est honnête et loyal, ce qu'il vous a révélé vous ne le saviez pas, il aurait pu ne rien vous dire ! mais il a confiance en la loi de Melandis. Tout comme Melandis peut avoir confiance en lui.

[Taliesin]

L'officier leva les yeux au ciel.
-Petite, si on ne te l'a pas déjà appris, sache que les domestiques doivent savoir tenir leur langue, ne s'exprimer que si on leur en donne la permission et toujours le faire avec respect. Alors à présent, reste silencieuse où je t'arrête pour outrage à agent. Du reste, si ton maître était aussi honnête que tu le prétends, il ne nous aurait pas sciemment menti.
Ayant débité sa tirade d'un ton calme, sans hausser le ton, il se tourna vers Eldurvellir.
-A moins d'avoir pris des précautions préalables, les biens des personnes disparues depuis plus de deux ans, que ce soit volontairement ou involontairement, reviennent à leurs héritiers ou à l’État si elles n'en ont pas. Si elles reviennent passé ce délai, elles peuvent tenter des démarches afin de récupérer leurs possessions. Concernant le couple Beaujeu, il faudrait d'abord qu'il reprenne sa forme humaine. Cependant, les services d'un mage coûtent chers, et je doute que Melandis consente pareille dépense. Toutefois, si vous ne craignez pas de perdre cette maison, libre à vous de trouver le praticien des arcanes adéquat et de payer ses efforts de vos propres deniers.

[Eldurvellir]

Eldurvellir parvint enfin à esquisser un sourire.

- Non, je ne tenterai rien pour les Beaujeu. Ils n'avaient qu'à savoir se prémunir contre des enfants ingrats et malhonnêtes : ils sont responsables de ce qu'ils sont devenus. Cependant j'ai pris l'engagement de les nourrir, n'étant pas un assassin... Mais je tenais à ce que vous soyez informés.

Le mage se leva.

- Maintenant, je vais suivre vos ordres et préparer les potions que vous me demandez. Et je ne manquerai pas d'éduquer ma servante... Elle est à l'essai, et jusqu'à présent je dois dire que sa vivacité de parole est son seul défaut.

Eldurvellir fit signe à Perline de débarrasser la table basse.

- J'espère qu'Ysardin Beaujeu aura encore suffisamment d'argent sur lui, j'ai l'impression qu'il dilapide toute fortune qui lui vient en mains. Enfin ! quoi qu'il en soit, je veillerai à payer ma dette.

[Taliesin]

-J'espère également que nous remettrons vite la main sur lui : les criminels en fuite, je n'aime pas trop ça. Enfin, s'il venait à nous échapper, ce dont je doute, je me consolerai en songeant que le guet fera d'énormes économies en matière de potions de soin. Il faut toujours voir le bon côté des choses.
Il reposa son verre, imité par son subalterne.
-Un dernier mot, cependant. Vous avez commis une grave erreur en mentant au guet, une erreur qui vous aurait condamné si vous n'aviez bénéficié de certains soutiens. Ceux-ci ne vous sauverons pas une deuxième fois la mise si vous veniez à nouveau à fauter. Par conséquent, si j'étais vous, je me monterais extrêmement prudent et avisé, à l'avenir. A bon entendeur...
Il le salua puis, suivi du sergent, quitta la boutique.

[Eldurvellir]

Eldurvellir regarda partir les hommes du guet. Il murmura :

- Je compte bien rendre suffisamment de services pour racheter ma conduite au-delà de ma faute. Je prouverai ma loyauté à la ville de Melandis.

Perline redescendait, son chiot dans les bras.

- Messire !
- Oui, Perline ?
- Ils sont partis ?
- Oui.
- Ils ne reviendront pas, alors ?
- Non. Enfin, c'est moi qui irai à la caserne de l'Abysse Céleste, pour y livrer mes potions.
- C'est un gros manque à gagner !
- Oh, je travaillerai plus, c'est tout... Ce qui sera compliqué, je comptais aussi faire des potions de soin pour ma soeur de sang Sombria et pour l'armée mélandienne... Je devrais aller loin pour cueillir les simples destinés à la fabrication des potions en grande quantité... Sans compter les fioles qu'il faudra que je fasse faire à mes frais... Bon sang, tu as raison, cela risque d'être plus compliqué que je le pensais !
- Je peux faire le tour des verriers pour voir lequel d'entre eux nous ferait les meilleurs prix.
- Oui, excellente idée.
- J'irai après le repas. C'est presque prêt.

La petite servante s'apprêtait à remonter, mais Eldurvellir la retint.

- Perline, tu as encore à t'améliorer, mais je tiens à te dire que je t'embauche dès maintenant. Inutile de continuer la période d'essai.
- Oh merci ! je serai aussi parfaite que possible ! messire !

[Eldurvellir]

La journée se passa aussi bien que possible. Perline trouva un verrier d'accord pour faire un prix pour des achats en quantité et Eldurvellir fit un rituel à Tiamaat, la remerciant et la priant de lui apporter l'inspiration nécessaire à ses activités. Perline protesta bien un peu, objectant qu'elle ne pouvait pas se lever à une heure décente lorsque les lourds effluves des encens viciaient l'air de la maison, mais ce fut peine perdue... Eldurvellir pensait exactement l'inverse, que les encens dédiés à Tiamaat purifiaient les miasmes de haine qui s'accrochaient aux moindres recoins de son logis.

Un matin, alors que la boutique commençait à être suffisamment pimpante pour qu'on songe enfin l'ouvrir, le mage décida qu'il était grand temps de voir si les démarches qu'il avait lancées aboutissaient.

[Eldurvellir]

- Perline, je dois me rendre auprès du Capitaine Ithrand.
- Pourquoi ? Vous ne les avez pas encore assez vus, les militaires mélandiens ?
- Ne te méprends pas, j'ai fait des démarches : une de naturalisation, l'autre pour obtenir les autorisations nécessaires pour mon commerce.
- Ah ! je vous accompagne !
- Mmmh... J'aimerais mieux que tu restes ici.
- Mais c'est important !
- Oui, ça l'est absolument... Mais j'ai besoin de toi ici, Perline. Plus vite les choses seront en ordre, plus vite nous ouvrirons la boutique.
- Ah... Oui, je comprends...

Eldurvellir sourit devant l'air déçu de sa servante.

- Ne t'inquiète pas, Perline, si tout va bien nous ferons une petite fête ici, avec Uwelane et Béroalde. Moi aussi, je tiens à marquer la solennité de ma naturalisation.

Le mage prit Bémour, qui arrivait en boitillant.

- Tiens, tu soigneras ton chiot en le massant comme ceci...

Il prit un onguent et en frotta la patte du petit chien, en un mouvement tournant et appuyant doucement aux articulations.
- Essaie à ton tour.

Perline massa Bémour avec soin.

- Parfait ! tu le masseras matin et soir. Sur ce, j'y vais.
- Eh bien... Bonne chance !
- Oui... J'en ai besoin, après tout ce qui s'est passé. Ne m'attends pas pour midi, je mangerai à l'auberge.

Ou chez Béroalde, songea t-il.
Eldurvellir était vêtu de ses nouveaux habits, faits par le tailleur déniché par la petite servante. Enfin il se sentait beau et digne de la ville de Melandis. Il cala Tiamandis entre son cou et son écharpe, prit sa bourse et partit d'un bon pas en direction des remparts.

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[Eldurvellir]

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Eldurvellir avait fait un détour par la Guilde, où il avait obtenu son autorisation de commercer. Il était si heureux qu'il en oubliait la petite folie qui avait pris son familier : Tiamandis, excitée par l'odeur des cadavres, s'était mise à mordiller la gorge de son maître. Ensuite, excitée par le goût du sang, elle s'était mise à moduler de petits cris joyeux, à gambader à l'intérieur de la chemise neuve du mage, qui avait eu grand mal à ne pas rire au moment même où il déboursait les cotisations pour la fabrication de ses potions et produits d'herboristerie.

Heureusement, remettre cent cinq pièces d'or calme le rire. D'autant plus qu'Eldurvellir était conscient du manque à gagner que la production gratuite de potions de soin au Guet allait occasionner. Pas de doute, il devrait rapidement acquérir les ingrédients nécessaires. Or aucun commerce ne pourrait fournir les plantes dont il avait besoin en grande quantité : il lui faudrait aller les cueillir, probablement loin de Melandis.

- Alors ? Messire ?

Le mage sourit.

- Tout va bien, Perline, tu as devant toi un concitoyen.
- Bienvenue chez vous, cher concitoyen !

Eldurvellir eut l'air vaguement surpris. Mais Perline semblait sérieuse et son exclamation était sincère.

- Eh bien, il semblerait que notre petite fête soit de mise.
- Ah ! mais il faudra me dire ce que je dois faire... J'ai de quoi faire un bon gâteau qui sera parfait avec l'hypocras, mais je n'ai rien prévu comme plat. Une bonne viande certes, mais pour la sauce il faudrait du temps pour qu'elle mijote...
- Nous la ferons demain soir, alors...
- Ah non, c'est le jour de votre naturalisation qu'il faut fêter ! si vous me faites confiance, je vous servirais quelque chose de bien, mais il faut me laisser faire à mon idée.
- Parfait, tu as carte blanche. Veille juste à ne pas nous ruiner en une seule soirée.
- Oh non ! vous verrez, je vous promets que vous serez content. Et j'irai même chercher Uwelane et Dame Béroalde, vous n'avez à vous soucier de rien.
- Très bien.

[Eldurvellir]

- Y'a t-il quelque chose à manger, j'ai complètement oublié...

Eldurvellir farfouillait dans les placards. Il en sortit pain et fromage. Perline lui tendit une assiette de poulet froid.

- Attendez, je vais vous faire cuire des légumes, je peux aussi vous réchauffer un morceau de poulet avec.
- Oui, je veux bien, merci Perline.

Quelques minutes plus tard, le mage mangeait avec appétit, un Bémour gémissant à ses pieds. La petite servante était partie faire les courses.

Eldurvellir alla porter quelque nourriture aux malheureux Beaujeu. Les corbeaux mangèrent et coassèrent tristement.

Le mage alla examiner le potager. Perline y avait déjà ramassé quelques légumes. Il trouva cassissiers et groseilliers, de la menthe poivrée, de la sauge et de la sarriette.

J'aurai mes plantes pour les onguents désinfectants... Si je pouvais obtenir un giroflier... C'est très cher, il faut le faire venir de loin... Mais j'aurai ainsi quelque chose à proposer contre les maux de dents. Le cassis est assez bon contre les douleurs, mais les maux de dents sont si particuliers...

Il arriva au fond du jardin, clos par un grand mur. Le long du mur courait une vigne rouge.

Excellent ! j'aurai aussi de quoi faire quelques potions pour les gros mangeurs, qui ont toujours des problèmes particuliers... Et de quoi faire un petit vin personnel !

Eldurvellir chercha les plantes qui entraient dans la composition de ses potions de soin. Il trouva du millepertuis et un petit saule blanc, qui semblait avoir été planté récemment. Ce n'était malheureusement pas suffisant. On pouvait ajouter aussi de la menthe poivrée, mais les plantes principales de sa recette ne se trouvaient pas là.

Il faudra que je fasse des excursions, probablement assez loin... Je verrai ce que je peux trouver sur l'Esplanade, mais je ne me fais guère d'illusions...

Le mage cueillit quelques plantes, désireux de préparer au plus tôt quelques onguents. Il fallait remplir les rayons de la boutique ! l'après-midi se passa à concocter ses meilleures recettes contre les petites blessures.

Perline, de retour, le trouva plongé dans la confection d'une pommade odorante.

[Eldurvellir]

- Hé ! ma marmite !
- Ce n’est pas ta marmite, j’en ai acquis une nouvelle, un peu plus grande, pour mes onguents. Nous séparerons soigneusement la fabrication des onguents et la cuisine ! la plupart des onguents ne sont guère comestibles…
- Vous commencez donc à préparer les produits à vendre…
- Oui. Plus tôt j’ouvrirai la boutique, mieux ce sera.
- Oh ! certainement.
- Tu as trouvé le menu de ce soir ?
- Oui ! oui, messire ! et ces dames sont prévenues, elles viendront. Mais je ne leur ai pas dit la grande nouvelle, vous l’annoncerez.
- Parfait ! Perline, tu commences à mériter ton nom !

Perline, ravie, plaçait ses achats sur la table de la cuisine. Eldurvellir alla ouvrir une fenêtre et prit sa marmite.

- Inutile de gâcher le repas avec l’odeur entêtante de mon onguent… Je descends le terminer à la boutique, attends un peu que les effluves se dissipent avant de commencer tes plats.

La fin de l’après-midi fut calme, chacun s’occupa dans un silence juste troublé par le tintement des ustensiles.

Des rires cristallins à l’extérieur firent se précipiter le mage vers la porte. Il l’ouvrit : Béroalde et Uwelane étaient là, les bras chargés de paquets.

- Vellir chéri, nous venons pendre la crémaillère !
- Oui, Eldurvellir… Uwelane avait cependant l’air grave.
- Bienvenue, mes Dames.

Les deux femmes entrèrent. Eldurvellir tenta de prendre les paquets dont elles étaient encombrées, mais un « non non non, c’est une surprise ! » le retint. Ils montèrent à l’étage, d’où parvenait des odeurs de cuisine prometteurs.
Perline manipulait un grand couteau d’une main experte. Elle s’arrêta un instant pour lancer un joyeux « bonsoir ! », puis reprit sa préparation.

[Eldurvellir]

La table en demi-lune était plus belle que jamais. Perline l’avait cirée. Un plat de charcuterie y trônait, une petite marmite contenait un vin blanc dans lequel macéraient des fruits secs. Des chandeliers garnis de longues bougies blanches étaient prêts à être allumés.

- Il manque quelques petites choses, que j’ai apportées !

Uwelane, se tournant vers Eldurvellir, lui tendit son paquet. Le mage remercia et défit avec soin le cordon qui entourait le cadeau et la fine pièce de tissu qui protégeait le contenu. Cinq jolies lanternes colorées apparurent.

- Uwelane, elles sont magnifiques ! et les coloris sont absolument ce que j’aurais souhaité en rêve !
- Je sais, Eldurvellir… Je te connais bien, maintenant…

Elle regarda le mage et sourit.

- J’ai autre chose pour toi. Mais je te l’offrirai plus tard.

Les lanternes, saisissantes de finesse, présentaient des teintes subtiles : la première d’un gris léger, presque blanc, la seconde d’un bleu-vert délicat, la troisième d’un ton ciel très clair, la quatrième d’un roux cuivré, la cinquième d’une indéfinissable couleur sombre.

- Ces lanternes sont des couleurs exactes des objets dont j’ai besoin pour mes rites à Tiamaat.
- Oui, Eldurvellir, j’ai obtenu ces lanternes par un prêtre de Tiamat. Pourquoi dis-tu Tiama-at ?
- On prononce ainsi, dans le Val Bise.
- Ah ! je ne savais pas. C’est amusant, ces différences d’un pays à l’autre.
- Vellir chéri, n’oublie pas ton autre cadeau !

De nouveau le mage prit un paquet et l’ouvrit. De magnifiques coupes de verre apparurent. Il y en avait six.

- C’est une folie, Béroalde !
- Et tu as ici la carafe !
- C’est absolument magnifique… Mes chères amies !

Eldurvellir se sentait très ému, presque autant que le matin, lorsque le Capitaine Ithrand qui lui avait annoncé officiellement sa naturalisation mélandienne.

- Nous boirons dans ces verres dès ce soir, bien sûr.

Il fit asseoir ses amies et servit le vin odorant.

- Perline ! veux-tu venir ? Tu goûteras un peu de vin…
- Ah non, c’est trop fort, la tête me tournera. J’apporte un peu d’ale, pour trinquer avec vous.

La petite servante arriva, un petit cruchon à la main.

- Je vous annonce ce soir, mes dames, que je suis votre compatriote. Je suis Mélandien !

Une exclamation enthousiaste suivit.

Le dîner fut gai, le repas astucieusement composé : Perline avait acheté plusieurs pièces de viande, qu’elle avait coupées en petits morceaux et présentées avec une théorie de sauces différentes et très réussies. Une ratatouille aux épices fut servie en même temps, ainsi qu’un bon pain de froment. Le dîner se termina par un gâteau au miel accompagné de petites cerises acidulées. De l’avis général, ce fut un délicieux repas et Perline fut dûment félicitée.

Enfin Uwelane tendit à Eldurvellir une boîte de bois sombre et délicatement ornementée.

- Ton âme, Eldurvellir.

Le mage prit la boîte. Elle était fort jolie, mais il s’en dégageait quelque chose d’inquiétant. L’observant de plus près, il s’aperçut que l’ornementation a priori simplement jolie révélait des détails tourmentés, si précis qu’il eut l’impression que son esprit en était comme hypnotisé.