[Quête] Guerre des plaines brûlantes : un certain goût pour la mort

[Arthur de Faisanlys]

Misère, songea Arthur.
Il avait à moitié espéré que tout le monde aurait oublié qu'il avait été, un temps, le chef d'une expédition maudite. Les Mélandiens avaient massacré leur escorte et nombre de leurs compagnons, et voilà qu'il était supposé rendre des comptes, à présent ? Est-ce que Gaspard ne s'en était pas chargé ? Il était officier manostien après tout. Le jeune paladin n'avait aucune envie d'entrer dans cette tente. Il n'avait rien à y faire. Il voulait juste localiser d'autres Luméniens et de se cacher parmi eux.
Mais puisqu'il n'avait pas le choix...
" Vous devriez en profiter tant que vous en avez le temps. Je suis certain que vous trouverez un ordre de mission quelque part. Vous étiez affectée à un groupe, si je ne m'abuse, avant que nous ne partions. Ils savent sans doute où vous devez vous rendre, désormais."

[Chandara]

La jeune-femme se tourna franchement vers lui cette fois : son regard ne fuyant plus le sien mais elle avait néanmoins l'air absent, comme si elle était en partie absorbée dans ses pensées, ou ses souvenirs. Se pouvait-il qu'ils se quittent ainsi, chacun poursuivant son chemin, rejoignant son groupe, disparaissant, avalé par les remous de la guerre ? Cependant, Chandara avait autre chose en tête pour l'heure et le fit savoir au luménien d'un ton affecté :

- Non, pas encore Arthur... Je tiens à faire face à mes responsabilités avant toute chose. Et ne pas fuir devant ce qui m'attend : c'est de ma faute si Luna est tombée. Si je n'avais pas stupidement attaqué ces mélandiens, tant de choses auraient pu être différentes... Non, je me dois de vous accompagner et savoir si je suis encore digne de servir dans l'armée manostienne ou au moins me racheter pour mes manquements.

[Arthur de Faisanlys]

Il la regarda en pinçant les lèvres, un moment happé par ses yeux verts, avant que ses soucis ne le ramènent dans le présent.
" Chandara... Je crains que vos supérieurs... S'ils sont un rien comme Gaspard... ne soient pas très sensibles à votre désir de vous amender. Ce sont des gens pragmatiques. Ils vous enverront au front quoi qu'il advienne. Bien des soldats ont fauté davantage. On recrute n'importe où en temps de guerre. Vous n'êtes pas n'importe qui, bien sûr. Mais pourquoi vouloir vous faire malmener à tout prix ? Rien de bon ne va sortir de cette tente. Je peux comprendre votre besoin... d'honneur. Mais il ne trouvera que sourde oreille, dans cet endroit."

[Chandara]

Le regard de Chandara se fit un peu plus vif et elle esquissa même un bref sourire avant de répondre d'un ton déterminé :

- Je ne cherche pas l'absolution ou même la rédemption pour mes fautes. Je cherche juste à faire ce qu'il y a de plus décent : un père - fusse-t-il général - a le droit d'entendre ce qu'il est advenu de ses enfants. Me défiler maintenant par peur des représailles serait trahir tout ce en quoi je crois encore. Arthur... Vous êtes paladin et vous me comprenez certainement mieux que quiconque. Nous avons débuté ensemble cette mission. Je tiens à être là à vos côtés jusqu'à la fin, même pendant les moments les plus difficiles.

Parlait-elle encore uniquement de la mission ? Difficile à savoir... Pour elle-même tout autant sans doute.

[Arthur de Faisanlys]

Il n'était pas certain de comprendre, non. Ce général manostien les avait envoyés au devant de la mort, et il méritait certainement une part du blâme, pour avoir sous-estimé à ce point l'adversaire. Bien sûr, il avait perdu ses enfants, sans doute fallait-il le plaindre... mais se trouverait-il simplement dans cette tente, à attendre des nouvelles ? Il devait être au courant depuis longtemps.
" Comme vous voudrez."
Il se dirigea donc vers la tente gardée, d'un pas égal. Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait réprimander, ce ne serait sûrement pas la dernière. Ce que Chandara ne comprenait pas, c'était qu'il risquait bien plus que cela : il risquait d'être renvoyé manu militari à Luménis, et il n'était pas certain qu'il se remettrait de cette humiliation-là.

[Chandara]

Même si elle n'était pas toujours attentive à ce genre de signe, Chandara sentit le malaise dans le ton du paladin et se porta à sa hauteur, demandant timidement mais avec sollicitude :

- Attendez juste un instant ! Quelque chose vous tracasse, n'est-ce pas ? Je dois reconnaître que moi aussi... On ne peut pas dire que tout s'est passé comme je l'aurais souhaité mais cette expérience va tout de même me manquer... Enfin, peut-être pas d'explorer des temples maléfiques, de me perdre dans des forêts hantées ou de pourchasser un nécromant dément... Mais j'ai apprécié de... de voyager avec vous. Je voulais trouver l'occasion de vous le dire.

Le regard de la paladine n'osait pas - une nouvelle fois - se fixer sur lui et elle semblait presque regretter de s'être ainsi exposée.

[Arthur de Faisanlys]

Il la dévisagea, un peu incrédule, puis lui sourit doucement. Elle avait l'air bouleversée, il ne s'expliquait pas bien pourquoi.
" J'ai apprécié de voyager avec vous également, Chandara. Mais vous parlez comme si nous allions au devant de la mort..."
Il secoua la tête.
" Nous l'avons laissée derrière, avec les fantômes, les morts-vivants et les déments. Faisons notre devoir, à présent. Nous reparlerons ensuite, si nous en avons l'opportunité."

[Chandara]

En auraient-ils encore l'opportunité après l'entrevue avec le général ? Ne risquaient-ils pas d'être séparés irrémédiablement ? Son comportement envers le lieutenant Hurlegloire au-delà même de tous ses échecs et manquements lors de la mission initiale ne lui vaudrait-il pas sinon l'échafaud, la prison ou le bannissement ? Toutes ces interrogations passèrent dans l'expression de profonde tristesse - à peine éclipsée par le sourire d'Arthur - qu'elle affichait désormais. A aucun moment il n'avait laissé entendre qu'il craignait lui aussi cette séparation.

- J'espère que nous le pourrons. Mais je ne nous ai que trop retardé ainsi que notre devoir. Allez, je vous suis.

[Arthur de Faisanlys]

Percevant le trouble de la paladine, Arthur lui serra brièvement la main, avant de la relâcher et de se remettre en marche vers la tente. Il chercha des yeux le signe d'une présence luménienne à proximité. Il avait envie de retrouver le giron de son peuple, peut-être une tête connue, comme l'imprévisible Zaiu qui parvenait à mettre du rire même au coeur des ténèbres les plus ombres, mais surtout, surtout, surtout pas de se retrouver nez à nez avec l'ombrageux général qui lui avait permis d'exister.
Il s'immobilisa devant les sentinelles et se présenta, ainsi que sa compagne, avant de les interroger sur la présence en ces murs de toile de leur commanditaire, ainsi que la permission de le rencontrer.

[Althéa]

Il régnait une certaine agitation dans la tente à en juger par les éclats de voix qu'ils entendaient à présent. Ils reconnurent, parmi les voix celle de Thoenn Boros qui clamait à présent.

"Demander l'aide des prêtres de la Cavalière Rouge est une erreur monumentale. Nous aurons une dette envers eux qui ne fera qu'accroître leur influence à Manost. Sous peu, ils exigeront un temple et ensuite ... Ne venez pas me dire que je ne vous avais pas prévenus."

Le rabat principal marquant implicitement l'entrée de la tente fut soulevé d'un geste rageur et leur commanditaire manqua les bousculer. Accaparé par sa mauvaise humeur, il ne sembla pas les voir

[Chandara]

Chandara s'était presque sentie défaillir à ce simple contact. Cette petite attention, sans doute sans grande signification ranima tout de même une flamme dans le regard de la paladine. D'espoir, d'attente ou de reconnaissance. Ou même de tout cela à la fois. La jeune-femme esquissa un sourire timide et parut sur le point d'ajouter quelque-chose mais fut interrompue par l'entrée en lice du général. C'était lui - cela ne faisait aucun doute - mais, accaparé par ses affaires d'officier, il ne les avait pas même remarqué en passant pourtant à seulement quelques pouces d'eux.

- Général Boros !

Ces mots étaient sortis comme par réflexe avant que la jeune femme ne réalise - trop tardivement - qu'on ne pouvait peut-être pas héler un général de cette façon... Elle chercha immédiatement le soutien d'Arthur, assurée que lui saurait quoi faire et quoi dire.

[Arthur de Faisanlys]

Mais Arthur ne dit absolument rien. Il n'y avait plus d'escouade, il n'était plus le chef de personne, et il avait l'habitude que Chandara prenne les devants. Si Boros ne réagissait pas à l'interpellation de la jeune femme, c'est qu'il n'avait pas envie de leur parler. Et s'il n'avait pas envie de leur parler, Arthur n'allait pas lui courir après... Ils auraient fait une tentative, ils pourraient passer à autre chose. D'autant que le Manostien avait l'air d'avoir d'autres soucis en tête. Gaspard avait sûrement fait son rapport, déjà...

[Althéa]

Thoenn Boros se retourna. Durant quelques secondes, une parfaite surprise se peignit sur son visage vite remplacée par un masque impassible.

"Vous voila ... J'ai bien crû ne pas vous voir revenir."

Il regarda autour de lui, soudain méfiant puis eut l'air d'hésiter avant de prendre une décision.

"Venez avec moi. Nous serons plus à l'aise pour parler dans ma tente. Tout ne s'est pas passé comme prévu, n'est-ce pas ?"

Et sans prendre la peine d'attendre leur réponse, il leur emboîta le pas. Il avança à grand pas au milieu des soldats qui s'écartèrent pour le laisser passer. Il stoppa devant un deuxième abri de toile plus modeste que celui de l'état major mais de taille respectable. Il leur fit signe d'entrer. A l'intérieur, un petit brasero dispensait à la fois lumière et chaleur. Deux chaises autour d'une minuscule table à tréteaux , un lit de camp austère en constituaient l'unique mobilier. Il leur demanda, sans prendre le temps de s'asseoir.

"Qu'avez-vous à me dire ?"

[Chandara]

Chandara n'imaginait pas une seule seconde s'asseoir en présence d'un général qui resterait debout. D'autant plus avec les nouvelles dont Arthur et elle étaient porteurs La jeune femme se tourna vers l'officier, planta un genou en terre et baissa humblement la tête, une expression grave se peignant sur son visage. Son attitude la faisait paraître bien plus fragile, bien loin de la combattante fière mais parfois emportée qu'elle était en mission. Sa voix trahissait une émotion certaine, à la fois compatissante et aussi un peu honteuse :

- Général, nous avons échoué. Nous avons ramené le livre et défait les mélandiens qui le convoitait mais nous avons échoué à vous ramener vos enfants. Tous deux sont tombés avec honneur et j'assume l'entière responsabilité de leur trépas. Bien que ce soit bien peu de choses en regard de votre peine, j'accepterai les sanctions auxquelles vous jugerez nécessaire de me soumettre.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur trouvait la réaction de Chandara un peu excessive. Bien sûr, le général avait perdu ses enfants, mais s'en attribuer la faute, alors qu'ils avaient fait de leur mieux, à tout instant, était, à son sens, une lecture erronée des événements. Boros devait assumer sa part du désastre : il avait envoyé un groupe de débutants au devant d'un monstre. A cause de lui, ils auraient pu tous être tués. Il trouvait également que qualifier la mort d'Elios d'honorable était un mensonge, et en tant que paladin, il ne parvenait pas à cautionner les paroles de la jeune femme. Le jeune nécromant avait péri à cause de son effroyable alliance avec le Mal, il n'y avait pas d'autre explication, et peu de circonstances atténuantes. Tous les endeuillés ne formaient pas des pactes avec les ténèbres et c'était une chance.
Aussi n'ajouta-t-il rien. Chandara avait manifestement besoin de faire pénitence, et elle vivait, elle, aussi devait-il la laisser emprunter la voie qui lui paraissait la plus adaptée pour son propre salut. Mais si Boros la châtiait, il serait forcé de lui dire ses quatre vérités. Il n'avait pas peur.

[Althéa]

Thoenn Boros hocha sombrement la tête. S'il éprouvait colère, culpabilité ou regrets, rien ne passa sur son visage. Peut-être s'y était-il préparé.

"Et que s'est-il passé ? Non, ne me dites rien, vous venez de parler de mélandiens ... J'aurais dû m'en douter. Malheureusement, cela confirme ce que je pensais depuis le début."

Il laissa la phrase en suspens comme s'il passait à une autre idée.

"Où se trouve le grimoire ?"

[Chandara]

Chandara fronça les sourcils, sans se redresser toutefois. Elle s'était attendue à une toute autre réaction - même de la part d'un général. Comment cet homme pouvait-il prendre la nouvelle avec un tel détachement ? Etait-ce une façon d'encaisser le choc ? Non, il semblait s'être véritablement attendu à ce dénouement. Et s'intéresser plus au grimoire maudit qu'à ses propres enfants. Bien évidemment, elle comprenait toute l'importance de cet objet mortellement maléfique. Bien sûr, il fallait le détruire au plus vite pour éviter qu'il n'occasionne d'autres morts et même pire encore. Mais ce détachement était glaçant. La paladine releva la tête juste le temps de croiser le regard d'Arthur. Ils avaient emporté le grimoire mais elle doutait soudainement que le remettre au général Boros fut la chose la plus avisée à faire.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur n'était pas certain de savoir où se trouvait le livre. Ce bouquin était responsable de tous leurs maux, et des siens, en particulier. Il n'aimait pas se souvenir des heures noires qu'il avait passées dans la forteresse mélandienne, quand il était à la merci des divertissements macabres de Destertres. Il s'était donc arrangé pour que quelqu'un d'autre s'occupe du grimoire, dont le pouvoir demeurait intact malgré la mort du nécromancien. Sans doute se cherchait-il une nouvelle âme à pervertir. Il avait pensé que Gaspard s'en était occupé, il était après tout le mieux placé pour ce genre de choses, vu le pouvoir divin dont il était imbu, mais le regard de Chandara lui laissait penser qu'elle était peut-être au courant. Il ne pouvait pas croire qu'on aurait confié le livre à la jeune fille : ça aurait été absurde.
Quant à l'attitude de Boros, il n'en pensait rien : c'était un général manostien, mal avisé de surcroît, et il s'attendait à ce qu'il ait un coeur de pierre. D'autant qu'il était sûrement déjà au courant de leur déconfiture. Non, il n'en pensait rien. Il rendit son regard à Chandara et haussa les épaules. Il aurait aimé qu'elle se relève : elle n'avait rien à faire à genoux devant ce rustre.

[Chandara]

Bien qu'elle ne comprenne pas vraiment pourquoi le paladin lui laissait la parole, Chandara prit son haussement d'épaules pour une invitation à continuer :

- Nous avons confié le grimoire au lieutenant Hurlegloire, général. C'est un prêtre, il était le mieux à même de veiller sur ce maléfice.

Elle jugeait bon de se justifier car - après tout - le général leur avait confié la mission de ramener eux-mêmes l'ouvrage et pouvait considérer cette interprétation des ordres comme un nouveau manquement. Intimidée, la jeune femme ne fit en tous cas pas mine de se relever.

[Althéa]

"En effet ... "

Deux mots qui claquèrent presque sèchement. Il hocha distraitement la tête avant de se reprendre.

"Pour moi, votre mission est accomplie. Pour ce qui concerne les mélandiens, ils sont arrivés beaucoup trop tôt ce qui confirme malheureusement ce que je pensais. Nous avons un traître dans nos rangs. Je vous conseille de surveiller vos arrières."

Il resta muet un long moment, comme pour les laisser digérer qu'il les avait envoyé en dépit de cette menace. Il savait sûrement qu'il avait commis une regrettable erreur mais semblait déjà en assumer les conséquences. Rien ne glissa sur son visage.

[Chandara]

Chandara sentit un frisson lui parcourir l'échine : cet homme était plus froid que la plupart des morts-vivants qui avaient croisé son chemin de paladine. Pourquoi la présence d'un traître dans leurs rangs la surprenait moins que l'avis du général sur la réussite de leur mission ? Elle aurait dû s'en inquiéter bien entendu mais elle était tout de même soulagée que le général Boros n'ait apparemment pas l'intention de sévir. La jeune femme jugea que le moment était venu de se redresser. Quant à la responsabilité de l'officier dans la catastrophe de leur mission, l'idée ne l'avait sans doute pas même effleuré :

- Avez-vous une idée de l'identité de ce traître, général ? Et est-ce que je peux vous être encore utile ?

[Arthur de Faisanlys]

Arthur trouvait le général incroyablement gonflé. Ainsi il reconnaissait que non seulement, il les avait envoyés chercher un artefact immensément malfaisant, mais en plus, qu'il s'attendait à l'arrivée précoce des Mélandiens ? Comment un homme aussi peu... stratège avait-il pu devenir général ?! Peut-être un traître les avait-il vendus à l'ennemi, mais Boros en était certainement un deuxième, compte tenu de son ignoble stupidité. Vu le pouvoir du livre, vu le risque d'intervention mélandienne, c'est un groupe expérimenté qu'il aurait dû affecter à cette mission. Le jeune Luménien voyait rouge, sentant la colère l'envahir. Et Chandara qui demeurait servile, c'était tout simplement insupportable.
Mais il n'était qu'un jeune paladin étranger, il ne pouvait pas créer d'esclandre ou d'incident diplomatique. La seule option était la fuite. Empourpré, se maîtrisant à grand peine, il se dirigea vers la sortie.
" Je m'en vais." annonça-t-il entre ses dents, avant de quitter la tente.
Il n'était pas manostien, il n'était pas obligé de s'infliger cet officier glacial et inconséquent.

[Chandara]

La retraite précipitée d'Arthur surprit la paladine au point qu'elle se relève et se tourne vers le rabat de la tente comme par instinct avant de se rendre compte que c'était inconvenant de prendre ainsi congé d'un général sans son autorisation. Mais si elle n'agissait pas aussitôt, elle avait la sensation qu'elle ne reverrait pas le luménien. Alors, prenant conscience de ses priorités, elle décida de risquer d'encourir le foudres du froid Thoenn Boros :

- Veuillez m'excuser, je vous en prie...

Et elle sortit avant même d'attendre sa réponse. Paniquée et éblouie par le contraste de lumière une fois à l'extérieur, elle chercha frénétiquement le luménien du regard. Etait-il déjà loin ? Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle dirait ou ferait si elle le rattrapait mais elle n'avait jamais été aussi sûre que le suivre était la chose à faire. Ne pas le faire aurait été se trahir.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur n'était pas parti bien loin, sans doute n'imaginait-il pas planter là la paladine, bien qu'il refusât d'assister à la scène. La voyant surgir, il décroisa les bras et tempéra son expression coléreuse.
" Cet homme ne mérite pas votre compassion, Chandara, et encore moins votre allégeance, lui dit-il. C'est peut-être la manière qu'il a de gérer son deuil, cette façade glacée, mais cela ne signifie pas que vous devez en pâtir. Nous n'avons pas démérité. Il nous a trahis en nous envoyant dans la gueule du loup."
Ils le savaient depuis le premier instant, en réalité, qu'ils étaient trop peu expérimentés pour la mission. Pourquoi n'avaient-ils pas refusé de s'y engager, alors qu'elle était si clairement vouée à l'échec ? A cause de l'obéissance stérile que leur dictait leurs voeux, sans doute. Mais leur chef avait prouvé son inanité. Ils n'étaient plus obligés de lui céder.

[Chandara]

Chandara soupira de soulagement en voyant Arthur et admirer le jeune homme qui se tenait là, digne malgré sa colère, lui rendit un peu le sourire. Elle avait un peu de mal à écouter ce qu'il disait tant elle était fascinée par l'expression de son visage et surtout de ses yeux. Mais elle se secoua et entreprit de répondre : qu'aurait-il pensé d'elle si elle s'était contenté de se tenir là, béate comme une frêle adolescente ?

- Tous les vivants qui n'ont pas voué leur âme au mal méritent ma compassion, Arthur. Certains plus que d'autres toutefois... Quant à mon allégeance... Après ce qui s'est passé avec le lieutenant, je dois dire que j'ai peur. C'est sans doute la plus mauvaise des raisons et je risque de vous décevoir une fois de plus mais j'ai peur qu'on finisse par me mettre à l'écart à cause de ma tendance à l'insubordination. Et je crois que je ne supporterais pas d'être rejetée une fois de plus.

Sa voix s'était éteinte, réduite à un murmure sur ces derniers mots et le paladin devait sentir toute sa détresse en cet instant. Elle n'avait personne de confiance sur qui compter vraiment et elle en avait conscience. Les militaires n'avaient rien à voir avec les dirigeants d'une commanderie mais elle n'était plus paladine et ne pouvait plus prétendre à en intégrer une.

[Arthur de Faisanlys]

Il se dirigea vers elle et la regarda droit dans les yeux.
" Chandara. Si vous ne supportez pas l'autorité de vos officiers... Il y a deux possibilités. Soit vous n'avez pas encore trouvé quelqu'un que vous respectez assez pour le suivre, en qui vous avez suffisamment confiance, dont les décisions vous semblent sensées, et que vous êtes prête, parfois, à suivre en dépit de ce que vous dicte... votre coeur... Soit..."
Il soupira et pinça les lèvres.
" Soit vous n'êtes pas faite pour servir dans l'armée. Il n'y aurait nulle honte à cela : bien des combattants hors pair se sont faits champions de leur propre cause. Mais je pense que vous devez résoudre cette question, sous peine de vous retrouver souvent dans ces situations d'incertitude... Quelle que soit votre décision, cependant, cet homme ne mérite pas votre obéissance. Où sont les troupes avec lesquelles vous vous trouviez quand nous nous sommes rencontrés ? Vous y aviez des amies... Vous devriez retourner vers elles."

[Chandara]

Chandara se sentit rougir quand Arthur la regarda dans les yeux. Il lui paraissait si proche en cet instant qu'elle doutait pouvoir lui cacher quoi que ce soit, non pas qu'elle aurait voulu le faire. Mais malgré leur proximité troublante, ses inhibitions étaient encore telles qu'elle se sentait comme paralysée. Dans cette grotte, ils avaient été seuls, elle pouvait se cacher derrière ses terreurs, derrière la recherche d'une présence rassurante. Ici, sur ce champ couru par des soldats inconnus, tout ce qui lui venait à l'esprit en voyant Arthur lui semblait soudain déplacé. Ce qu'il disait était parfaitement sensé, elle en était convaincu, mais pourquoi donc avait-elle tant de mal à se concentrer sur le sens de ses mots. Les derniers qu'il prononça lui firent cependant reprendre douloureusement contact avec la réalité et elle s'exclama sans parvenir à cacher la tristesse dans sa voix :

- J'ai trouvé quelqu'un en qui j'ai toute confiance... Quelqu'un de formidable bien qu'il n'ait pas confiance en lui même. Mais... Mais vous avez raison, Arthur... Mon devoir est maintenant de rejoindre les troupes helmites. Et... Et vous... J'imagine que vous allez retrouver vos compatriotes, n'est-ce pas ?

Elle détourna le regard mais sa façon de se mordiller les lèvres montrait suffisamment son angoisse en cet instant.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur voyait bien que Chandara était troublée, et il devinait en être partiellement la cause. Mais il ne savait pas bien quoi faire pour l'apaiser. Il avait besoin de se poser, lui-même, avant de parvenir à comprendre où elle se plaçait dans son univers. Il n'avait pas oublié ce qu'ils avaient partagé... pas du tout... ça avait été merveilleux, inespéré, formidable... mais il s'était passé tant de choses, depuis. Il avait besoin de stabilité, de certitudes, pas de doutes supplémentaires.
" Je pense, oui... Je dois... me retrouver un cheval... et ensuite... J'ai besoin... de participer à la bataille qui s'annonce."
Il leva les yeux sur elle, affrontant un moment sa détresse. Elle avait quelque chose de charmant... mais aussi quelque chose de franchement effrayant. Les filles étaient des créatures étranges, si promptes à se fissurer.
" Je suis venu de Luménis pour combattre les Mélandiens. Et jusqu'ici, je ne l'ai pas beaucoup fait."

[Chandara]

L'expression de la paladine était toute proche à céder sans doute mais elle se mordilla à nouveau nerveusement la lèvre pour tenter de contenir son émotion : ainsi Arthur confirmait ses craintes : il allait reprendre sa route, s'engager - loin d'elle - dans cette bataille dont l'un et l'autre n'étaient pas certains de revenir. Et même s'ils étaient victorieux, s'ils survivaient tous deux, il y aurait bien d'autres batailles ensuite. D'autres risques et aucune garantie qu'ils puissent se retrouver. Cela sonnait un peu trop comme des adieux au goût de la jeune femme mais elle s'y était attendu, tout au fond d'elle. Elle aurait tant espéré que ce ne serait pas le cas mais ils appartenaient finalement à deux mondes trop éloignés et Arthur ne semblait pas désireux de s'engager dans sa direction. A cette pensée, Chandara sentit qu'elle allait perdre toute sa contenance et des larmes affluaient déjà sans qu'elle puisse les retenir. Alors, elle détourna la tête pour ne pas que son visage baigné de larmes soit l'ultime souvenir qu'elle laisserait au luménien et déclara farouchement :

- Je vous souhaite bonne chance, Arthur. Puissiez-vous trouver ce que vous étiez venu chercher et surtout rentrer chez vous sain et sauf. Je... Je prierai pour vous.

Une façon détournée de dire qu'elle penserait à lui. Elle aurait voulu aussi lui dire qu'elle désirait le revoir après mais elle sentait que sa voix aussi l'aurait trahi si elle s'était montré plus honnête à ce sujet.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur frissonna. Il ne fit cependant pas un geste vers la jeune femme, conscient qu'il suffirait d'un pression pour qu'elle éclate en morceaux. Comment pouvait-on être si fort et si fragile à la fois ? Il ne parvenait pas complètement à réconcilier la paladine fière et impétueuse qu'il avait rencontrée sur la route du moulin avec cet être bouleversé.
" Peut-être..." dit-il finalement.
Il toussa dans son poing pour s'éclaircir la gorge.
" Peut-être pourrions-nous nous revoir ensuite... quand le fracas de la guerre se sera tu et que nous serons davantage libres de tracer nos destinées."
Un paladin n'était jamais vraiment libre, bien sûr, mais ça, Chandara le savait aussi bien que lui.