[Lieu] Une route oubliée

[Hubert de Maleval]

" Bon travail." dit le paladin avec le sourire.
Il se garda bien d'interroger Alban sur son émotion, il ne voulait pas l'embarrasser, et il devinait que cela avait probablement un rapport avec Marthe. Il espérait que le gosse n'avait pas un attachement secret pour l'amie de son défunt maître et qu'il ne la voyait pas partir avec autant d'inquiétude qu'un certain Luménien. Ces deux-là étaient faits pour s'entendre mais leur mélancolie risquait de s'amplifier s'ils entraient trop en contact. Il faudrait qu'il les gère séparément. Heureusement, il y avait Ruth.
" A présent, aux armes, écuyers. Nous allons voir ce qu'il vous reste dans le ventre après cette longue journée."

[Taliesin]

Après un petit tour par l'armurerie, ils débutèrent l'entraînement dans une cour désormais presque aussi déserte que durant la tourmente. Comme l'avait prévu Hubert, l'exercice fut épique, ponctué d'une foule de glissades, de dérapages et de chutes heureusement sans gravité. Le phénomène était d'autant plus amplifié que ses écuyers avaient de l'énergie à revendre et ne se ménageaient pas - quoiqu'ils veillassent à respecter scrupuleusement ses consignes. Alban, en particulier, se démena comme un beau diable, frappant avec plus de force que d'habitude ; avec plus de force que son amie, même. Néanmoins, à aucun moment le paladin ne vit quelque chose d'inquiétant sur son visage : le gosse avait juste besoin d'évacuer, semblait-il. Enfin, la nuit et le froid les rattrapèrent, les obligeant à mettre un terme à leurs passes d'armes.

[Hubert de Maleval]

Le paladin ne s'était pas contenté de recevoir leurs assauts pour les défouler : il avait aussi l'intention de les instruire. Mais il avait encore besoin de les observer un moment : l'un et l'autre avaient déjà des habitudes, des manies, un style de combat et, bien sûr, des faiblesses. C'était sur leur base qu'il devait construire leur technique, en s'appuyant sur leurs forces et en gommant peu à peu leurs défauts. C'était un travail de longue haleine, pour obtenir des combattants hors pair, mais ils étaient tous les deux doués. Alban avait bien appris de son maître, Ruth était plus sauvage, mais elle avait du potentiel. Il sentait qu'il aimerait travailler avec eux, voir leurs compétences se développer, mûrir, se décupler. Il eut un instant de mélancolie assassine, en songeant à Robert qui ne verrait jamais le chevalier qu'Alban deviendrait un jour. Il espéra que son âme, quelque part, pourrait contempler ses prouesses.
Quand ils en eurent terminé, Hubert les félicita et prit le temps de décortiquer la séance pendant quelques minutes. Il savait que les discours ne remplaceraient pas l'exercice et il leur donna rendez-vous le lendemain, pour autant que les conditions le leur permettent. Il leur proposa ensuite... de faire un détour par le chariot où se trouvait le trésor de la liche. Il était temps qu'ils aillent jeter un oeil sur ce que la créature leur avait légué à son corps défendant.

[Taliesin]

Le résultat fut le même que lorsqu'il avait précédemment évoqué le sujet : ils devinrent cramoisis.
-Je... Je ne suis pas sûr que je mérite un objet magique, souffla le garçon. Je n'ai rien fait au cours de cette expédition : j'étais juste le prisonnier à sauver.
-Et moi, j'ai provoqué la catastrophe... murmura Ruth. Je peux pas être récompensée pour ça.
-En plus...
Alban se racla la gorge.
-Messire, est-ce que ce ne serait pas... du gaspillage de nous offrir deux de ces artefacts ? Il faut être honnête : on n'est pas très... utiles à la Communauté et, en cas de danger, il faudra que nous restions à l'abri... Alors est-ce qu'il ne serait pas mieux de réserver ces trésors pour... des adultes qui sauront et pourront s'en servir le moment venu ?

[Hubert de Maleval]

Le paladin ne s'était pas attendu à ce qu'ils se débinent de la sorte, et il fronça les sourcils.
" Vous êtes l'avenir de cette communauté, dit-il alors. Ce trésor est conséquent, la communauté a largement de quoi en profiter, et si jamais les objets que vous choisissez devenaient nécessaires, vous pourriez toujours les prêter... Vous avez l'impression de n'avoir rien fait, mais que devrais-je dire, moi qui n'ai survécu que parce que la communauté a envoyé des renforts ? Vous êtes des enfants. Vous avez droit à l'erreur et j'espère, vous avez appris. Alban, tu as fait preuve d'un courage exemplaire. Tu as sauvé Ruth, tu as résisté à la liche, tu as brisé son phylactère. Ruth, tu as fauté, mais tu n'as pas abandonné ton ami, tu es descendue dans le ventre du tumulus pour faire amende honorable et le soutenir. Vous n'avez pas démérité depuis. Cet objet, c'est avant tout un symbole. De vos erreurs comme de vos triomphes. C'est la victoire de la communauté contre l'ombre. C'est la victoire de l'affection que nous avons les uns pour les autres contre le froid de la mort."

[Taliesin]

Ses paroles firent leur petit effet et, un moment, les enfants ne surent quoi répondre. Ils finirent cependant par acquiescer et par le suivre en direction de l'intendance.
-J'espère qu'il y aura une épée à deux mains, lança bientôt Ruth, sa gravité envolée.
-Tu serais pas assez costaude pour t'en servir, je crois...
-Pas grave, je prendrai aussi des bracelets de force.
-Mais ça ferait deux objets.
-Tu n'aurais qu'à prendre les bracelets ou l'épée et me les donner.
-Dans tes rêves. Si je te donne un truc, ce sera... un objet qui rend plus sage.
-L'attaque, j'y crois pas ! Ça se paiera, monsieur le baron ! Je te filerai... quelque chose qui force à faire des bêtises.
-Ça ne fonctionnerait pas su rmoi.
-On parie ?
Ignace les reçut avec amabilité, leur remit rapidement listes et clefs.
-Vous devriez en profiter pour embarquer messire Albérich : il s'est bien gardé de prendre sa part du trésor... fit-il avec un demi-sourire.

[Hubert de Maleval]

" Ça ne m'étonne pas une seule seconde."
Il devait avoir encore plus d'arguments pour se défiler que Ruth et Alban réunis.
" Je l'embarquerai plus tard dans la soirée, je pense. Je vais déjà avoir du boulot à surveiller ces deux-ci. Cela dit, si vous le voyez passer... Vous pouvez toujours nous l'envoyer."
Le temps qu'il déniche et convainque Albérich de les accompagner, il serait l'heure d'aller se coucher. Il avait fait céder le Luménien une fois aujourd'hui, déjà, il n'était pas certain de pouvoir à nouveau tenter sa chance sans s'exposer à de douloureuses répercutions...
Aussi entraîna-t-il les enfants vers le chariot, tout en parcourant les listes du regard.

[Taliesin]

Il comprit rapidement qu'il n'était pas sorti de l'auberge : peut-être enrichi au fil des siècles et au détriment d'autres explorateurs des Landes, le trésor de la liche était pléthorique. Certes, le choix ne serait peut-être pas trop long pour lui-même : une épée et un bouclier apparemment forts puissants semblaient faits pour lui. Certes, les gamins ne pourraient pas utiliser des armes ou des armures, puisqu'elles étaient prévues pour des adultes. Néanmoins, la variété des objets était telle que lire entièrement les listes et se décider risquait de prendre des heures. En tout cas, si ses écuyers voulaient concrétiser leurs plaisanteries, ils en auraient les moyens, au moins en partie : en effet, il repéra une ceinture de force de géant et... un médaillon de sagesse.

[Hubert de Maleval]

Mais Hubert avait envie que les enfants puissent décider pour eux-mêmes, aussi leur confia-t-il les listes pendant qu'il allait examiner l'épée de plus près. Rien ne l'obligeait à se séparer de celle qu'avait forgée son père, après tout. Il pouvait la conserver pour les entraînements et les échauffourées, et garder une arme plus puissante en réserve pour les moments critiques. Le bouclier aurait été un bon choix également, symbolique, vu la mission qui était la sienne désormais, et qui avait été la sienne à Solarcis. La défense plutôt que l'attaque, telle était à nouveau l'impulsion qui gouvernait son existence. Pourtant, il avait espéré changer cette position attentiste, devenir acteur d'une lutte contre le mal plutôt que s'ériger en protecteur.
En même temps, il y avait Albérich.
Et la communauté.
Et ces deux gosses, à présent, qui comptaient sur lui et qu'il ne voulait pas décevoir, jamais.
Difficile de trancher. Il regarderait l'un et l'autre, et puis ferait son choix.

[Taliesin]

Pendant que ses écuyers se penchaient sur les listes - Alban en faisant la lecture et Ruth mémorisant ce qui les intéressait -, il se mit donc en devoir de trouver les deux objets, ce qui ne fut pas long. L'un comme l'autre étaient d'excellente facture, finement ouvragés et richement ornés sans tomber dans l'ostentatoire insupportable. Tous deux, surtout, également, étaient étonnamment légers, étonnamment maniables : il lui fallut sortir du chariot pour les essayer, mais il ne lui fut pas besoin de s'attarder dans le froid, car il en prit conscience presque instantanément. Enfin, ils étaient porteurs d'une puissante magie ; cela aussi, il le sentit immédiatement. Elle était presque visible, sur la lame surtout, qui s'irisait parfois d'éclats lumineux et féériques.

[Hubert de Maleval]

Le bouclier aurait sans doute été plus utile, mais Hubert décida de se faire plaisir, et il le rangea tout en conservant la lame. C'était peut-être un peu outrancier de sa part, tout bien réfléchi, mais cela le fit sourire plutôt que de l'embarrasser. Il avait acheté un bon bouclier à Albérich, sur la route du sud, et il devinait que le Luménien le lui cèderait sans rechigner : il serait alors équipé de neuf. Neuve, l'épée qu'il avait choisie ne l'était pas, mais sa magie l'avait préservée du temps. Il espérait ne pas devoir s'en servir trop vite, même s'il était un peu impatient de voir ce dont elle était capable. Il fallait qu'il décide de ce qu'il ferait de l'ancienne : elle demeurait une bonne arme, forgée par un expert, elle était certainement supérieure à ce qu'on trouvait dans leur arsenal. Il l'offrirait, sans doute. Ce n'était pas urgent.
Il retourna près des enfants et s'assit sur un des coffres.
" Alors, ça avance ? Je conserve un droit de veto, je vous le signale."

[Taliesin]

Ils relevèrent aussitôt la tête. Le petit garçon acquiesça, raisonnable, mais la petite fille parut inquiète.
-Et... Vous mettriez votre véto pour un marteau de guerre ? Pour la ceinture de force de géant ? Ou pour le sceptre merveilleux qui intéressait Alban ?
-Oh, ça, c'était une blague... fit l'écuyer, embarrassé. Sur la liste, c'est écrit que les effets sont totalement imprévisibles, alors je suis pas sûr qu'il soit très utile... Or, j'aimerais quelque chose qui le soit, utile. Et qui fasse pas trop défaut aux adultes...

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit.
" Il vaut sans doute mieux garder ce sceptre pour les situations désespérées... L'imprévu a parfois du bon, mais souvent, il est difficile de s'y adapter. Je crois que tu ne dois pas trop te formaliser : tu seras adulte un jour. On ne tombe pas souvent sur des objets magiques. Rien ne t'empêche de choisir quelque chose que tu conserveras précieusement jusqu'au moment où il te sera utile. Pour le reste... Dans un premier temps, c'est sans doute la protection qui va primer. Ensuite, vous serez des combattants. Enfin... Il est parfois des objets qui restent utiles toute une vie."

[Taliesin]

-Genre l'amulette de sagesse, parce que je suis pas sûre que même en faisant des efforts, je devienne très douée dans ce domaine... souffla Ruth. Mais... Vous avez pas répondu pour le marteau et la ceinture, m'sire...
-Je croyais que tu préférais le couvre-chef de déguisement, parce que tu avais super envie de te faire passer pour un garçon ?
-C'était une blague ! Moi, prendre l'apparence d'un gars ? BEURK !

[Hubert de Maleval]

" Disons que la ceinture de force, je ne mets pas mon veto, mais je ne suis pas certain qu'il soit une bonne chose que tu la portes d'emblée. Le contraste avec ta force actuelle pourrait se révéler déstabilisant... Enfin... C'est à toi de voir. Pour le marteau de guerre... Et bien, ça rejoint ce que j'ai dit plus tôt. Penses-tu vouloir te spécialiser dans ce type d'arme ? Il va bien avec la ceinture, mais tu n'as droit qu'à un seul objet, donc tu risques d'être encombrée si tu dois le balader à droite à gauche. De surcroît... Si tu t'entraînes avec moi, je suis un spécialiste de l'épée et du bouclier, pas de ce genre de gros machins... Je ne pourrai pas t'aider à progresser bien loin. Il y a d'autres instructeurs, cependant, bien sûr. Je ne force personne à embrasser la voie que j'ai choisie."
Il se tourna vers Alban.
" Nous sommes en temps de crise, et il est clair que le choix d'une arme ou de quelque chose facilitant le combat est tentant... Cependant, ce que nous espérons, c'est la paix à Clairétoile. Peut-être n'est-il pas nécessaire de songer à si court terme... Je n'en sais rien."
Robert avait dû choisir quelque chose dans le trésor, lui aussi, et le léguer à Alban. Cela aurait constitué un bon point de départ pour l'écuyer, s'il avait su ce dont il s'agissait. Il lui semblait cependant peu opportun de mentionner le nom du chevalier dans ces conditions.

[Taliesin]

-Il n'y a pas beaucoup d'objets qui semblent très utiles en temps de paix... répondit le gamin. Enfin, il y en a quand même quelques-uns. Le pendentif de la licorne, par exemple, ça soigne et ça peut arrêter le poison, mais il servirait mieux à un clerc, non ? Et la loupe de détection... Ce serait surtout pour les éclaireurs, et ça aura moins d'intérêt quand on aura exploré toute la cité...
-Le Passepierre, c'est rigolo.
-Oui, mais pourquoi on aurait besoin de traverser des murs ? On va pas être prisonniers... Pareil pour le couvre-chef de déguisement : changer de tête, ça nous serait pas vraiment utile...
-Sauf pour faire des blagues. D'ailleurs... Vous savez ce que c'est, m'sire, un sac à malice ? C'est pas précisé, sur la liste, mais ça a l'air marrant.

[Hubert de Maleval]

" Si mes souvenirs sont bons, en général, il y a une bestiole qui en sort... Maintenant, en fonction de la puissance du sac, c'est un raton-laveur ou un ours géant, donc... à ne pas tester à l'intérieur d'un chariot, de préférence. Peut-être qu'il y a d'autres choses que des animaux qui en sortent, cela dit, je ne suis pas spécialiste... Si tu es intriguée, tu fais mieux de demander à un des bardes. Ou alors sans doute peux-tu tester... mais je ne sais pas si les charges sont limitées."
Il haussa les épaules.
" Difficile de se décider quand il y a tant de possibilités... Vous pouvez dormir dessus, aussi. Je ne veux pas vous pousser."

[Taliesin]

Ils opinèrent du chef.
-Déjà, j'élimine le marteau, fit Ruth. J'aimerais beaucoup continuer à m'entraîner avec vous. Après, la ceinture, elle me tente bien, mais il y a plein d'autres chouettes trucs...
-Est-ce que... commença Alban, embarrassé. Est-ce que si vous avez un peu de temps, vous... Vous seriez d'accord pour jeter un œil aux listes et... Pour nous conseiller ?

[Hubert de Maleval]

" Bien sûr."
Il sourit aux enfants.
" Contrairement à ce que tu as dit, Alban, je crois que choisir un objet qui comble, justement, vos points faibles, peut être plus intéressant que d'en prendre un qui vous rend juste un peu meilleurs... Par exemple, tu parlais de ce pendentif de la Licorne, qui soigne... Il ne servirait à rien à un clerc : il sait déjà faire toutes ces choses. Par contre, un guerrier ou un éclaireur, moins versé dans ces domaines, pourrait y trouver un renfort crucial dans les moments difficiles. Evidemment, tant que je suis dans votre ombre, je peux servir de guérisseur, c'est peut-être un mauvais exemple. D'un autre côté, un objet aux pouvoirs incroyables, comme ce Passepierre, je ne sais pas comment ça fonctionne... ou ce capuchon de déguisement... Ils peuvent avoir des avantages dans bien des situations. Il faut aussi vous dire que si jamais vous vous ravisiez... Vous pourrez toujours revendre ce que vous avez choisi pour vous offrir un autre objet plus à votre goût."

[Taliesin]

-Revendre ? Mais, messire, c'est un cadeau de la Communauté, et un cadeau, ça se garde, non ?
-P't'être que m'sire Hubert voulait dire qu'on pourrait l'échanger...
-Ah...
Les deux enfants s'entreregardèrent.
-Je vais prendre la nuit pour y réfléchir, je crois.
-Itou.

[Hubert de Maleval]

" Rien ne presse."
Les gosses étaient sentimentaux, il avait fait un impair. Lui aussi l'était parfois, mais en l'occurrence, comme il n'était pas très fier de sa prestation dans le tumulus, il ne pensait pas vraiment qu'il se souviendrait avec émotion de ce qu'il en avait retiré. La survie d'Alban était finalement bien plus merveilleuse.
" Vous avez quartiers libres, leur dit-il une fois qu'ils furent à l'extérieur. Essayez d'en profiter un rien."
Il avait l'intention de rendre les listes et les clés à Ignace, puis il lui faudrait dénicher les institutrices.

[Taliesin]

Ruth le salua et s'en fut d'un pas léger. Alban, lui, s'attarda, la mine embarrassée.
-Messire... hasarda-t-il. Je me doute que vous allez être occupé, ce soir : Frida va revenir de son exploration, il y aura les résultats de la consultation et peut-être que vous voudrez faire le guet une partie de la nuit. Alors...
Il hésita, soupira.
-Est-ce que vous m'autorisez à vous poser une question ? Je ne veux surtout pas vous faire perdre votre temps mais... Sinon, je crois que ça va me rester dans la tête et... Hum... Voilà.

[Hubert de Maleval]

Hubert le dévisagea, un peu inquiet, puis sourit.
" Tu peux me poser toutes les questions que tu veux, Alban. Enfin... Presque toutes. Et ne t'inquiète pas de me faire perdre mon temps. Vu tout ce que tu me fais gagner par ailleurs, je serais bien malavisé de te refuser mon attention."

[Taliesin]

Il parut sur le point de protester, n'en fit rien, resta plutôt silencieux avant de prendre une profonde inspiration.
-Tout à l'heure, vous avez dit que si Ruth et moi n'avions pas pris conscience que notre comportement avait été inadapté, quand nous... quand j'ai grommelé parce que vous ne nous laissiez pas explorer les souterrains avec vous... Vous avez dit que vous n'auriez pas donné cher de notre collaboration.
Il se modrit la lèvre, mal à l'aise, puis prit son courage à deux mains.
-Que... Que serait-il arrivé... pour moi... si vous m'aviez renvoyé ?

[Hubert de Maleval]

Hubert se sentit rougir d'embarras.
" Alban, c'était une façon de parler... Je n'ai jamais eu l'intention de te renvoyer. Je ne m'attends d'ailleurs pas à ce que nous soyons toujours d'accord et il viendra peut-être des moments où je serai obligé de sévir d'une manière ou d'une autre. Je ne le souhaite pas. Mais quoi qu'il advienne, je ne t'abandonnerai pas, d'accord ? Aie confiance en moi. Je ne vais pas m'effrayer d'un peu d'insubordination juvénile. Et si jamais... si jamais il nous apparaissait à l'un et l'autre que nous ne sommes en réalité pas faits pour travailler ensemble... Nous trouverons une solution. Mais nous sommes bien loin de là."

[Taliesin]

Le gamin eut un hochement de tête presque imperceptible. Puis, brusquement, il se détourna pour s'essuyer les yeux d'un revers de manche. Enfin, il refit face au paladin.
-Messire... Je ne veux pas que vous regrettiez votre décision ou... Qu'elle devienne un piège pour vous. Si ça devait ne pas aller... Je m'en rendrais compte, vous savez, et je vous proposerais moi-même de trouver une autre solution, parce que je refuserais de vous infliger ça.
Sa voix s'enroua et il se racla la gorge.
-Que vous me grondiez ou me punissiez parce que j'ai fait des bêtises... Cela ne me gêne pas. Enfin, je veux dire, ça ne me fera pas plaisir, je serai pas content mais... J'ai pas peur de ça. C'est normal d'être réprimandé ou sanctionné quand on se comporte mal. Par contre...
Il baissa la tête.
-Je crois que ça aurait été très rude si... Si j'avais eu constamment peur que vous me renvoyiez. J'ai... Tout a été tellement chamboulé... Tout est tellement incertain... J'ai besoin d'avoir au moins une ou deux certitudes. Pour pouvoir m'accrocher.

[Hubert de Maleval]

Hubert posa les mains sur les épaules du petit garçon et se pencha vers lui
" Alban, tu ne dois pas avoir peur, d'accord ? Je me suis engagé envers toi et je ne vais pas brusquement changer d'avis. Appuie-toi sur moi si tu en as besoin, je suis là pour ça. Je ne prends pas notre alliance à la légère, tu peux avoir confiance en moi."
Il lui sourit doucement.
" Nous allons faire une bonne équipe. Tu ne dois pas t'inquiéter. Ce qui ne veut pas dire que tu ne dois pas m'obéir, bien sûr."

[Taliesin]

-Je vous obéirai. Et si je suis assez stupide pour ne pas le faire ou pour mal me comporter, j'accepterai ma juste punition.
Son ton s'était fait solennel.
-Pour le reste... Messire... J'ai confiance en vous. Totalement.
Le gosse poussa un bref soupir. L'instant suivant, il se blottissait contre le paladin et l'étreignait avec force.

[Hubert de Maleval]

Hubert rendit son étreinte au petit garçon et pendant un instant, il songea à la perte terrible qui avait été la sienne. Lui-même avait quitté sa famille à peu près au même âge, pour rejoindre la commanderie luménienne, mais il avait toujours su, même dans les moments les plus difficiles, pendant les premières veilles, quand il se sentait seul, loin de chez lui, dans le noir du dortoir, que quelque part, son père et sa mère pensaient à lui, et que s'il devait jamais revenir chez eux, ils seraient là pour lui ouvrir leurs bras et le serrer contre leur coeur. Dix ans qu'il ne les avait pas vus, et pourtant, il avait toujours cette certitude, ce sentiment d'avoir un foyer, une famille, et malgré la distance, le silence, l'abandon, il savait que s'il retournait à Maleval, leur amour serait intact et qu'ils l'accueilleraient, et que pendant quelques minutes, le monde serait absolument parfait.
Cette seule pensée l'emplit de nostalgie et de compassion, et il resserra son étreinte autour d'Alban, conscient qu'il ne pouvait pas remplacer ce qu'il avait perdu, ni ses parents, ni Robert, mais qu'il ferait immanquablement de son mieux.

[Taliesin]

De longues minutes s'écoulèrent avant que l'enfant ne le relâche et ne recule légèrement. Il essuya les larmes qui avaient abondamment coulé sur son visage, renifla, lui dédia une esquisse de sourire.
-Merci, fit-il simplement.
Il jeta un regard sur la cour déserte avant de revenir à Hubert.
-Je vais... Je vais aller retrouver Ruth. Oui, voilà : retrouver Ruth. Elle doit se demander ce que je fabrique... Je vous souhaite bon courage pour tout votre travail, messire. A plus tard !
Il s'éloigna de quelque pas, se retourna pour lui adresser un sourire un rien plus assuré, puis reprit sa marche.