[Lieu] Une route oubliée

[Galathée]

Albérich ne put s'empêcher de sourire.
" Tout d'abord... Je me dois de rectifier une idée fausse que vous semblez avoir. Je ne suis pas juriste, je n'ai jamais été juriste, et je ne serai jamais juriste. L'aide que je peux fournir à Marthe en ces matières est purement abstraite... ou parfois très technique. Et je suis donc éminemment soulagé que ces questions ne se posent pas en ce moment. Mon créneau a toujours été la réduction des inégalités, et il n'y a pas d'inégalités dans votre communauté, je n'ai donc pas de place naturelle. J'aurais sans doute pu avoir un mot à dire sur l'enseignement, mais la question est très limitée, en ce moment, et votre équipe d'instituteurs s'en sort à merveille. Bref... Je crains que ce ne soit pas une question de choisir un domaine. Je comblerai les trous, Etienne, et ça sera très bien comme ça. Je peux sans doute me charger de la communication, dans une certaine mesure, même si je pense que tu restes le leader obligatoire de la communauté, quoi que tu en dises, et s'il venait des conflits... des tensions... Je pense que je trouverai une certaine utilité."

[Taliesin]

Étienne avait grimacé : être qualifié de leader ne lui plaisait guère, cela crevait les yeux. Néanmoins, il ne protesta pas.
-Résoudre les conflits et les tensions, cela fait assez naturellement partie de la sphère juridique : c'était aussi le travail de Marthe, même si elle n'a pas vraiment beaucoup eu à faire en la matière. Quant à la communication, c'est effectivement utile, surtout que superviser les sentinelles me prend du temps et que mes fonctions militaires peuvent m'accaparer ailleurs. Cependant, cela reste ponctuel, je ne sais pas si cela suffira à t'occuper...
-Je peux te confier l'éducation, intervint Agnès. Tu connais bien les instituteurs, collaborer avec eux te serait donc très facile. De surcroit, concernant les enfants, c'est plus large que l'école proprement dite, cela englobe les autres activités que l'on peut leur proposer. Gabriel étant devenu l'aide de camp d'Hubert, il n'a plus guère de temps pour cela, sans parler de sa participation à l'expédition vers Clairétoile... Bon, ça n'impliquerait pas forcément que tu doives t'occuper des gosses comme il le faisait, mais tu pourrais avoir des idées... Oh, et l'éducation touche aussi les adultes : avant notre départ, il y avait des cours du soir... Là encore, cette tâche resterait ponctuelle, mais si on l'ajoute aux autres...

[Galathée]

" Je pense..."
Il se tourna vers Ignace.
" Que cela pourrait valoir la peine de jeter un oeil à la structure de notre future population. J'imagine que vous l'avez déjà fait, mais... si nous pouvions avoir une idée de nos manques et de nos excès... Je ne dis pas qu'il faudrait aiguiller les enfants directement à gauche ou à droite, mais ça peut donner des pistes pour les savoirs à renforcer dans un premier temps. Je sais que nous recevrons probablement des visiteurs de l'extérieur, ces indécis qui attendent notre réussite... Mais on ne peut pas en jurer. Pour l'instant, j'imagine que chaque enfant, à part quelques apprentis, se forme au métier de ses parents. Or ce n'est peut-être pas le plus utile... Tout cela, évidemment, sans forcer les gens, ce n'est pas de ça que je parle... mais je pense que nous devons songer à la viabilité de la colonie et oser faire des propositions concrètes pour la rendre possible."

[Taliesin]

-Nous avions réfléchi à cet aspect des choses et tenté de préparer l'avenir en encourageant chaque adulte à prendre un apprenti, dit l'Ilmate. Mais le mouvement est resté limité, sans doute à cause de notre vie itinérante. Alors effectivement, il serait intéressant de l'amplifier, surtout à présent que nous ne nous déplaçons plus sans cesse. Organiser des séances de découverte des métiers pour déceler des intérêts chez les enfants, voire des vocations... Enfin, comme l'éducation t'incombe désormais, je te laisse y réfléchir.
-Et je tiens mes listes à ta disposition, fit Ignace.

[Galathée]

Les paroles d'Agnès firent sourire le Luménien : où étaient ses novices ? Mais il lui en trouverait, immanquablement.
" D'accord. Ça me parait un projet dans mes cordes. Et je pense qu'il est porteur en termes de... retour à la normalité, aussi."
Il sourit doucement.
" Je vais gérer cette promenade aux sous-sols ce matin, puis je discuterai avec les instituteurs sur l'heure du midi. Je vous tiendrai au courant de la suite. Je copierai les listes, bien sûr."

[Taliesin]

-Très bien, fit Étienne, visiblement satisfait. A moins qu'il n'y ait des urgences dans la journée, nous pouvons comme d'habitude nous réunir ce soir, avant ou après le repas, et faire le point sur les dossiers... L'expédition vers Clairétoile sera partie depuis des heures, nous aurons sans doute reçu de ses nouvelles. Sans doute en aurons-nous aussi de nos diplomates.
-Barthélemy et moi les contacterons.
Personne ne semblant avoir des choses à rajouter, la réunion n'allait pas tarder à s'achever.

[Galathée]

Ni Albérich, ni Hubert ne reprirent la parole. Le Luménien voyait sur le visage du paladin que celui-ci était ravi de la tournure qu'avaient pris les choses et notamment de son implication dans certains dossiers. Il ne voulait pas faire sa mauvaise tête aussi lui rendit-il son sourire. Il demeurait convaincu qu'il était en train de commettre une erreur, mais sa nature prenait comme de coutume le dessus : s'il y avait des défis à relever, il les relèverait. Le contraire aurait signifié qu'il était bon à aller se coucher pour mourir quelque part. Ils se saluèrent brièvement et le paladin fila sur les traces du rôdeur, tandis qu'Albérich suivait Ignace pour aller copier les informations dont il avait besoin sur ses listes. Localisation, âge, profession... C'était un vrai recensement dont ils disposaient désormais, mais Albérich n'était pas certain qu'Ignace avait eu l'opportunité de compiler toutes les informations dont il disposait, surtout ces derniers jours. Créer un véritable registre de la population l'amusait assez, d'ailleurs. Mais il devait d'abord gérer les visites de la salle souterraine, et pour cela, il lui faudrait de l'aide... peut-être du côté des bardes, s'ils n'étaient pas trop occupés.

[Taliesin]

Albérich ne s'était pas trompé : si Ignace disposait d'un registre des membres de la Communauté, il était classé par ordre d'arrivée, et s'il disposait de plusieurs types de listes, aucune ne convenait pour un recensement en bonne et due forme. Toutefois, chacun de ces documents étant précis et bien tenu, l'opération pourrait être rondement menée.
Quant à la visite de la nef, elle s'organisa sans mal quoique, les volontaires ne manquant pas, il fallut organiser des groupes. Il serait aussi probablement nécessaire de songer à la marmaille qui, si elle était pour l'heure en classe ou occupée à des exercices martiaux, voudrait à coup sûr voir ces lieux si mystérieux à un moment ou à un autre.

***

De son côté, Hubert avait discuté avec Ézéchiel de la quinzaine de noms qu'ils devaient retenir pour la mission d'exploration : la place de clerc étant dévolue à Gabriel, celle de rôdeur prise par le troisième représentant de cette profession au sein de la Communauté, restait à se mettre d'accord sur un barde, et Giovanni étant déjà fort occupé, opter pour Roxane ou Arial semblait préférable. Quant aux autres membres de l'équipe, éclaireurs ou combattants, ils ne tardèrent pas à tomber d'accord.

[Hubert de Maleval]

Hubert hésitait à se séparer d'un non-humain, alors qu'ils étaient peu nombreux et cruciaux pour la surveillance nocturne, aussi aurait-il préféré envoyer Roxane qu'Ariel. Cependant, il ne voulait pas décider à la place des civils, il savait qu'il n'en avait pas le droit et entendait bien respecter cette limite tant qu'il n'était pas nécessaire de la franchir. Il demanda donc à Ezéchiel de se charger des bardes tandis qu'il s'occupait d'annoncer la nouvelle à Gabriel. La tâche les entraînerait tous deux dans les profondeurs, où clercs et troubadours devaient terminer de placer leurs glyphes. Celui sur le chemin sud ne serait probablement installé qu'après le passage des éclaireurs, cependant, à moins qu'ils ne le tracent autrement.

[Taliesin]

Il y avait du monde, dans la nef : le première visite avait été lancée sous la conduite d'Albérich. Le côté positif, c'est qu'on lui indiqua rapidement celui qu'il cherchait : il était dans le couloir est avec Agnès et Roxane.
Sitôt qu'il vit le paladin, Gabriel se porta à sa rencontre.
-Les protections sont en place dans les passages ouest et nord ; ici, ça sera bientôt prêt, ne restera alors que le sud. Par conséquent, si tu as besoin de moi, je ne tarderai pas à être disponible.

[Hubert de Maleval]

Hubert décida d'agir en Lathandrite, sans faire référence à leur accrochage matinal.
" La communauté va avoir besoin de toi pour un travail un peu différent, Gabriel. Nous allons envoyer une équipe en reconnaissance jusqu'à Clairétoile. J'aimerais que tu en fasses partie. Ce n'est qu'une première tentative, vous devrez sécuriser le couloir, explorer les éventuelles salles, aller jusqu'au bout et voir où vous débarquez, puis revenir. Ezéchiel estime l'expédition à trois jours environ. J'avais l'impression que c'était le genre de rupture de la monotonie qui pourrait te plaire... Et de trois clercs de la colonie, tu es très certainement le plus à même de remplir cette mission avec brio."

[Taliesin]

Gabriel croisa les bras.
-En fait, tu voulais un aide de camp maléfique, et maintenant que tu sais que je ne le suis pas, tu désires te débarrasser de moi.
Il sourit largement.
-Blague à part... Je comprends mon utilité au sein de cette expédition et, effectivement, tu commences à bien me connaître : je suis très tenté. Néanmoins, est-ce que ça ne va pas te faire un surcroit de travail, de ne plus m'avoir à tes côtés ?

[Hubert de Maleval]

Le sourire de Gabriel rassura un rien Hubert.
" Je ne crois pas. Les journées risquent d'être passablement... creuses, ici. Je mettrai Alban et Ruth sur les choses à leur portée, et je me chargerai du reste. Si je craque, je te trouverai un remplaçant, le temps que tu me reviennes..."
Il lui sourit.
" Mais je pense que le principal, c'est que tu trouves une activité à ta mesure. Finalement, tu m'as rendu bien des services en deux jours. Mais tu avais raison d'estimer qu'il y aurait sans doute quelque chose de plus adapté à tes compétences, et voici cette opportunité. Nous ne pouvons pas savoir ce que vous trouverez et ce que cela nécessitera de ta part. Mais la place d'un clerc de Lathandre est vers l'avant... Je suis heureux que tu sois tenté. Maintenant, il faut que tu acceptes."

[Taliesin]

-Bien sûr que j'accepte. Et si le travail s'accumule en mon absence, c'est tant mieux : j'aurai de quoi m'occuper à mon retour. Parce qu'au fond, peu m'importe l'activité : ce qui me pèse, c'est l'oisiveté !
Son sourire n'avait nullement disparu, au contraire.
-Mais donc... Quand part-on ?

[Hubert de Maleval]

" Ezéchiel est en train de vous choisir un barde. Il y aura un rôdeur, des soldats, sans doute du contingent de Louis, des éclaireurs. Nous n'avons pas encore décidé de qui commanderait l'escouade. Vous serez une quinzaine. Je dirais que le départ sera donné dès que possible... Quand les chevaux seront prêts, ainsi que le matériel et le ravitaillement, nous vous rassemblerons une dernière fois pour vous donner les consignes, et vous serez partis."
Il le dévisagea.
" Tu seras prudent, Gabriel, d'accord ? Je ne veux pas devoir te désigner un garde du corps."

[Taliesin]

Le Lathandrite leva les yeux au ciel.
-Pitié, ne m'accole pas une nounou, ce serait la honte suprême. En plus, comme j'ai l'esprit de contradiction, je passerais mon temps à essayer de la semer ou de la mettre en rogne.
Il sourit à nouveau.
-"Qui veut aller loin ménage sa monture", comme l'on dit. En d'autres termes, qui veut longtemps lutter contre les ténèbres et faire triompher la lumière doit veiller à ne pas tomber en route, sous peine de voir sa carrière dramatiquement raccourcie. Alors, ne t'en fais pas comme ça : je suis moins écervelé que j'en ai l'air. Si si, je t'assure.

[Hubert de Maleval]

" Très bien. J'imagine que nous placerons un glyphe un peu différent dans le couloir sud, pour que vous puissiez tous le franchir sans danger. Quand c'est terminé, tu peux aller préparer tes affaires et ton cheval. Je pense que vous partirez après le repas de midi, ça nous laisse un peu de temps pour réfléchir à tous les aspects de l'expédition."
Il salua ensuite le clerc et remonta vers la cour. En traversant la nef, il fit signe à Albérich qui surveillait les personnes disséminées dans la salle tout en essayant discrètement de l'examiner lui aussi. Il aperçut la silhouette de Giovanni et espéra que l'esthète ne serait pas trop frustré de laisser partir un de ses collègues vers Clairétoile, tandis qu'il devait s'astreindre à résoudre des casse-têtes sous le fort. Mais c'était seulement un premier voyage. Il aurait sûrement l'opportunité d'y aller plus tard. Hubert songea alors au fait que le barde avait peut-être des desiderata quant à ce que les éclaireurs devaient chercher en arrivant dans la cité, et il décida de redescendre à sa rencontre pour lui en parler.

[Taliesin]

-Hum, il faudrait que j'y réfléchisse... répondit l'intéressé après l'avoir salué et écouté. En même temps, comme j'ai montré à mes collègues tant les gemmes que leurs réceptacles, ils sont au moins autant que moi au fait de ce qui pourrait nous être utile en ce domaine. Et ils savent évidemment que mettre la main sur d'anciens documents nous faciliterait énormément la tâche... Écoute, j'en discuterai quand même avec eux avant le repas.
S'il était déçu d'être cantonné au fort, il n'en laissa rien paraître.

[Hubert de Maleval]

Hubert le remercia pour son aide puis remonta enfin vers les caves, puis l'extérieur. A présent que les choses étaient lancées, il lui restait à prévenir les soldats qu'il avait choisis avec Ezéchiel de leur départ prochain, ensuite, il pourrait gagner les remparts et observer un moment les mouvements des cannibales à l'extérieur. Il avait réfléchi à la question de leurs prisonniers, mais le fait qu'ils étaient des cannibales, eux aussi, rendait toute collaboration éventuelle peu probable. Peut-être avaient-ils, cependant, des captifs plus anciens, des voyageurs imprudents ou des Paludiers bienveillants, avec lesquels ils pourraient s'entendre... Il ne pouvait pas s'empêcher de songer aux pensées qui lui étaient venues plus tôt, sur la possibilité que quelqu'un, dans le fort, ait su depuis le début que cette rencontre aurait lieu, et qui comptait sur un massacre... Après tout, l'aura d'Alban demeurait sans tache...

[Taliesin]

Dès qu'il eut mis le pied sur les murailles, sous un ciel gris d'où la neige s'était remise à tomber, Étienne le héla.
-Nos ennemis ne vont pas tarder à recevoir leurs renforts, annonça-t-il. Les guetteurs du mur nord et de la tour nord-ouest ont repéré un groupe important avant que l'averse ne commence et ne limite la visibilité. Apparemment, il va bien se garder d'emprunter la passe mais plutôt s'avancer derrière le fort oriental, où nous ne pourrons ni l'observer, ni l'atteindre. Bref, si nous voulons avoir une idée de son ampleur et de sa composition, c'est le camp des Écorcheurs qu'il faudra regarder.

[Hubert de Maleval]

" S'ils tiennent tant à nous la cacher, c'est qu'elle doit être porteuse de mauvaises nouvelles, murmura Hubert. Il est probable qu'ils nous avaient sous-estimés, raison pour laquelle leurs shamans ne sont pas intervenus pendant la charge. Ils doivent être avec leurs civils... si ça a le moindre sens pour cette tribu. Je me demande dans quelle mesure nous ne devrions pas risquer d'envoyer quelqu'un pour reconnaître franchement les lieux et les forces... Si nos mages ne peuvent scruter directement l'intérieur de leur camp, peut-être un roublard expérimenté pourrait-il tenter la chose. Je sais que Guillermo a ce genre de talents parmi ces hommes. Mais ce serait évidemment extrêmement dangereux, surtout s'il est pris vivant."

[Taliesin]

-Il faudra lui demander... répondit le chevalier. Mais si je ne fais pas erreur, le trésor de la liche comprend un anneau d'invisibilité : cela pourrait grandement faciliter la tâche, non ?
Il demeura pensif un moment.
-Sinon... Même s'il est effectivement probable qu'ils se cachent pour nous ménager une mauvaise surprise, ne négligeons pas non plus le fait qu'emprunter la passe, c'était pour eux courir le risque de s'exposer à nos boules de feu. Peut-être ont-ils simplement voulu s'éviter des pertes...

[Hubert de Maleval]

" Oui. Préparons-nous au pire, tout en sachant qu'il n'est nullement inexorable." dit Hubert avec un léger sourire.
Il leva les yeux vers le ciel et la neige, qui leur bouchait à nouveau la vue. Le monde était magnifique et dangereux, c'était l'hiver. Il fallait compter avec la promesse du printemps, le retour de Lathandre, le triomphe de la vie sur la mort et le gel.
" Je vais aller jeter un oeil sur les entraînements. Bonne garde, Etienne. N'oublie pas de te reposer ensuite. Tu as vraiment une mine à faire peur."
Il lui pressa l'épaule, le gratifia d'un sourire, et descendit précautionneusement les marches, craignant de se rompre l'échine. Il allait falloir que les crampons d'Ulrich pointent leur nez rapidement. Il se mit ensuite en quête d'Edgar, que le mauvais temps avait peut-être chassé à l'intérieur.

[Taliesin]

Ce n'était pas le cas. Peut-être les instructeurs n'avaient-ils pas trouvé de pièce à leur goût dans les caves, à moins qu'ils ne se soient dit que combattre dans la tourmente risquait de leur arriver et que s'y accoutumer n'était donc pas une mauvaise chose - sans compter que la présence des thermes rendait l'opération moins dangereuse en matière de santé. Quoiqu'il en soit, les entrainements battaient leur plein dans la cour, impliquant tant des adultes que des gamins qui, assurément, iraient à l'école dans l'après-midi. Edgar, lui, s'occupait du groupe qu'il avait un moment supervisé en compagnie d'Hubert, avant qu'ils ne quittent les abords de Grand-Estuaire.

[Hubert de Maleval]

Hubert s'approcha de son ami et lui fit signe, l'arrachant un moment à ses élèves.
" Comment ça se passe ? Je vois que vous affrontez la bise, ce n'est pas une mauvaise idée..."
Il jeta un regard derrière l'officier, vers les combattants qui peinaient à trouver leur équilibre sur la neige tassée.
" Est-ce que c'est sur base volontaire, pour l'heure ? Ou bien tout le monde y passe-t-il ? Qu'est-ce que vous avez décidé ?"

[Taliesin]

-C'est sur la base du volontariat, mon capitaine, fit l'ancien sergent. C'est comme ça qu'on avait convenu de commencer, et vu que presque tout le monde s'est porté volontaire... On a pas jugé nécessaire de traquer les quelques réfractaires. On est partis du principe que si on les forçait, ils ne progresseraient pas beaucoup, tandis qu'il y avait moyen de bien aider tous les autres qui, eux, sont enthousiastes, voire ont sacrément envie d'en découdre...
Il grimaça.
-Mais si vous voulez, on peut passer à l'obligation...

[Hubert de Maleval]

" Non, c'est très bien comme ça. Je voulais juste savoir."
Il connaissait un réfractaire qui ne payait rien pour attendre. Mais puisque les entraînements n'étaient plus obligatoires, cela signifiait qu'il avait tout le loisir d'entraîner à nouveau Albérich lui-même. Peut-être même l'impliquerait-il dans les séances des écuyers, pourquoi pas, cela pourrait faire des étincelles. Mais les gosses étaient en classe et le Luménien jouait les guides sous terre, ce serait donc pour plus tard.
" Bon travail. Surveille les toux, quand même..."
Il se souvint alors du compte-rendu des forces adverses que Gabriel lui avait laissé. Voilà une lecture cruciale qui le motivait un peu plus que les bouquins qu'il avait empilés sur sa table. Il gagna donc la salle d'état-major, non sans prévenir l'un ou l'autre qu'il y serait en cas de besoin.

[Taliesin]

La synthèse établie par Gabriel était précise et soigneusement rédigée, comme de coutume. En matière de chiffres, le clerc avait établi des moyennes en se basant sur les divers témoignages recueillis : la cohorte adverse aurait compris à l'origine environ 375 combattants, dont près de 90 auraient été tués - ou laissés à l'agonie - suite à la charge, et une trentaine grièvement blessés ; cela laissait donc grosso modo 250 cannibales valides ou légèrement touchés. Quant à l'armement, un quart de leurs ennemis avait porté des armes de jet, le reste brandissant des épées, des lances, des fléaux, des masses... Le métal prédominait en ce domaine comme en celui des armures, où l'on trouvait malgré tout un peu de cuir ainsi que de rares équipement d'os.

[Hubert de Maleval]

Ils étaient mieux équipés que ce qu'avait pensé Hubert, mais il était bien forcé d'accepter que ses propres souvenirs correspondaient assez bien à ce qu'avait compilé Gabriel. Mais à pied et dans l'hiver, le métal n'était pas toujours la protection la plus adaptée. Il était lourd et vite glacé. Peut-être les cannibales seraient-ils obligés de faire un choix entre chaleur et sécurité. Il se pencha ensuite sur les listes de sortilèges et ce travail l'absorba jusqu'à la fin de la matinée. Des odeurs de nourriture commencèrent à se frayer un passage jusqu'à son perchoir et, les pensées troubles, il regagna la cour. Le départ de l'expédition serait sans doute donné dès que tout le monde aurait le ventre plein.
De loin, il vit remonter Albérich mais le laissa tranquille. Ce dernier semblait chercher quelque chose, ou plutôt quelqu'un, sans doute les instituteurs. A cette pensée, il décida lui-même de retrouver ses écuyers bougons, histoire de s'enquérir de leur horrible matinée.

[Taliesin]

Leurs recherches respectives menèrent les deux amis à l'intérieur de la cantine. Albérich repéra aussitôt les instituteurs, groupés comme à l'ordinaire et mangeait avec appétit. Hubert ne mit pas longtemps non plus à localiser Alban et Ruth, festoyant de même aux côtés de la mère de la petite fille.
-On prend des forces pour le guet, expliqua cette dernière.
-Faut qu'on se dépêche mais c'est important de bien manger, ça limitera les chances qu'on se transforme en glaçons, enchaîna le gamin.
La perspective de passer quatre heures dans la tourmente ne paraissait pas les inquiéter plus que cela.