[Lieu] Une route oubliée

[Hubert de Maleval]

Hubert était d'accord avec Ignace. Avec un soupir, il se tourna vers Etienne.
" Etienne, je sais que tu répugnes à quitter le gros de la troupe, mais symboliquement, je pense que tu devrais faire partie des pionniers. Les gens ont foi en toi, et ils croiront à notre survie, si nous leur disons que tu es parti préparer notre arrivée. Tu inspireras le groupe autour de toi et ceux qui restent en arrière auront confiance dans le fait que vous ne nous avez pas abandonnés. De surcroît, tu es un soldat, et cela pourrait s'avérer utile pour identifier les endroits propices à notre défense et garder la discipline dans les rangs... Tu pourrais emmener Gaspard avec toi."

[Taliesin]

-Et diminuer ainsi ton état-major non pas d'un, mais de deux de ses membres ? Serait-ce bien raisonnable ?
Il grimaça.
-Et s'il se passe quelque chose durant notre absence ? Si les cannibales attaquent et que cela tourne mal ? Je suis à l'origine de ce projet, je ne peux pas...
Il secoua la tête, soupira.
-En même temps, je dois être réaliste : que je reste ou que je parte, cela ne change pas vraiment la donne ici, cela ne fera aucune différence si un assaut se produit.
Il se tut, ses traits reflétant le violent dilemme auquel il était confronté.
-Je demande un peu de temps pour y réfléchir, reprit-il. Juste... quelques heures, pour y penser à tête reposée. Cela n'empêchera pas les préparatifs de débuter, et je m'engage à donner ma réponse d'ici ce soir.

[Hubert de Maleval]

" Si tu ne veux pas y aller, je peux le faire." intervint alors Albérich, comme Hubert l'avait craint.
Il s'efforça cependant de demeurer impassible. Etienne allait accepter, ce ne serait pas nécessaire, et ils n'avaient pas besoin d'être deux.
" Je ne suis pas très utile ici... mais je n'ai pas de connaissances militaires, je serai sans doute moins efficace pour repérer les lieux. Mais comme ça... Il y a une solution de remplacement. Il ne faut pas que tu y ailles contraint et forcé. Je pense aussi que tu es la meilleure personne pour cette tâche, cela dit. Sinon, je peux aussi t'accompagner."
Non, non, non, non, non, songea Hubert.
" Nous en reparlerons tout à l'heure. Tu as le temps de réfléchir." dit-il, espérant couper court à la conversation.

[Taliesin]

Les conseillers acquiescèrent.
-Merci pour ta proposition, Albérich : ce sera plus simple pour moi de trancher en sachant qu'il existe une autre possibilité, dit le sieur de Fontbrune. Nous sommes donc d'accord pour préparer à la fois l'expédition et un éventuel repli, ce qui passe principalement par le déplacement de tout le matériel non immédiatement nécessaire dans la nef. Voyez-vous un autre point à aborder avant que nous ne levions la réunion ?
Manifestement, il avait au moins aussi hâte qu'Hubert de changer de sujet.

[Hubert de Maleval]

Hubert acquiesça. Il y avait beaucoup de choses à organiser, pour la retraite, en réalité, mais autant ne pas s'appesantir sur les détails techniques dans l'immédiat. Il échangea un regard avec Albérich, espérant ne pas refléter trop de mauvaise humeur, mais le Luménien lui sourit avec un léger haussement d'épaules. Il savait exactement ce qui était en jeu, Hubert ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir agi selon son coeur. Il devait en prendre de la graine.
" J'ai un sujet qui fâche. Albérich a un sujet plus léger. Je ne sais pas qui devrait commencer.
— Vas-y. Je ramènerai un peu de gaieté en fin de réunion."
Le paladin acquiesça.
" Bon. Agnès. Je voudrais que nous parlions d'Alban."
Il se tourna vers les autres.
" Vous l'ignorez peut-être, je ne sais pas ce qui a transpiré au conseil, mais il y a quelques jours, Alban m'a demandé de détecter le mal en lui. Il craignait d'être possédé par la liche du tumulus. Contre toute attente, j'ai détecté une aura maléfique. Mais elle a disparu quelques secondes plus tard. Agnès. Nous n'avons observé aucune trace de la créature. Le comportement d'Alban n'a pas changé. Je l'ai à nouveau sondé et son aura est pure. Pouvons-nous estimer qu'il est sauf ?"

[Taliesin]

Étienne, Ignace et Ézéchiel écarquillèrent les yeux : ils tombaient manifestement des nues, signe qu'ils n'étaient au courant de rien. Quant à Agnès, elle lui jeta un regard incisif : elle avait deviné où il voulait en venir, et lui pouvait sentir qu'elle n'était pas prête à rendre les armes.
-Si tu es absolument sûr et certain qu'il n'y a pas eu le moindre petit changement dans son apparence, son comportement ou la manière dont il s'exprime, oui, nous pouvons estimer qu'il est sauf, répondit-elle d'un ton neutre.

[Hubert de Maleval]

Il savait qu'elle savait, mais il n'était pas prêt, lui non plus, à rendre les armes. Pas quand on parlait de scinder le groupe et d'en envoyer la moitié vers l'inconnu. Pas quand la moindre faille dans leur dispositif pouvait mener à la catastrophe.
" Cela signifie que cette aura émanait de quelqu'un d'autre, qui se trouvait à proximité, dit-il, sans s'appesantir sur Alban. Je sais que vous ne voulez pas que je sonde les colons et je respecte votre décision. Il demeure qu'il y a parmi nous une âme noire. Au moins une, devrais-je dire. Ne vous méprenez pas sur l'effet de mon sortilège. Je ne détecte pas le passé trouble d'un ancien brigand ou une pensée égoïste de passage. Je ne détecterais même pas un Rouge qui a décidé de s'amender. Je détecte le mal qui bouffe actuellement une âme. Robert m'a demandé d'assurer la sécurité de cette expédition et je ne peux pas m'associer à des projets risqués en sachant qu'il y a parmi nous quelqu'un qui pourrait nous vendre aux Paludiers, qui nous a peut-être vendus il y a des semaines déjà — car comment expliquer que ces Ecorcheurs se trouvent à des lieues de leur territoire, justement quand nous passons ? — et que nous ne faisons absolument rien pour le trouver."
Il se tourna vers Etienne.
" Puisque vous refusez que je me serve des armes à ma disposition, vous devez m'aider à le trouver autrement. Vous connaissez les gens, vous devez connaître le passé d'une partie d'entre eux. Nous ne pouvons pas nous voiler la face et jouer les innocents dans un moment aussi critique. Nous avons une responsabilité envers toutes les personnes sincères qui ont remis leur vie entre nos mains."

[Taliesin]

Il y eut des toussotements, des raclement de gorge embarrassés.
-Certains colons... nous ont parlé de leur passé troublé, admit Étienne. Mais nous avons promis de ne pas le divulguer, pour leur laisser saisir le nouveau départ auquel ils aspiraient. Je pense que nous n'avons pas à nous éfier d'eux, car s'ils avaient voulu nous duper, ils se seraient tus, comme d'autre l'ont sans doute fait.
-Il y a sans doute des âmes noires parmi les mercenaires : Guillermo ne s'en est pas caché, ses hommes ne sont pas des tendres, fit Ignace. Néanmoins, il nous a assuré de leur totale loyauté, et les faits, présents ou passés, semblent le confirmer. Peut-être est-ce l'un d'entre eux que vous avez perçu.
-Je ne suis pour ma part absolument pas convaincue que la présence des Écorcheurs soit liée à une quelconque trahison, enchaîna Agnès. D'abord parce que Varamyr assure que les clans cannibales ne négocient jamais, avec personne : ils chassent, ils tuent, ils mangent. Ensuite parce qu'il y avait une autre tribu, celle qui a été anéantie. A mon avis, il a dû se passer quelque chose dans la région où ils vivaient jusqu'ici : l'avancée d'une horde mort-vivante, une menace descendue des Rocheuses du Dragon ou que sais-je encore...

[Hubert de Maleval]

" D'accord. Mettons que les Ecorcheurs sont présents parce que Beshaba nous a pris en grippe." dit Hubert.
Il sentait qu'une fois de plus il n'arriverait à rien. Il avait besoin du soutien d'Albérich et d'Ezechiel, les trois autres demeuraient aveugles et donc potentiellement meurtriers.
" Je me doute, aussi, qu'il y a des âmes noires parmi les mercenaires et je sais que c'est peut-être l'un d'entre eux que j'ai détecté. C'est possible. Mais vous ne voulez pas que je m'en assure. Pour l'instant, notre organisation repose sur le fait que Varamyr — qui m'a autorisé à le sonder — nous a dit que les Ecorcheurs ne penseraient jamais à chercher des souterrains. Il suffit d'une personne qui leur vende l'information, une seule, et ils déferleront dans nos sous-sols sans que nous ayons le moindre soldat à leur opposer. Mon objectif n'est pas de créer un climat de méfiance. Mon objectif est de vous faire prendre conscience des risques que nous encourons et de l'indispensable vigilance dont nous devons faire preuve à l'intérieur même des limites du fort. Car je dois avouer que je n'ai pas de solution. Simplement, j'avais espéré qu'Alban soit possédé. Ça aurait été terrible, mais nous aurions combattu et vaincu la bête. A présent, tout ce que je sais, c'est que la bête est parmi nous. Personnellement, ça ne m'aide pas à dormir."

[Taliesin]

Sa remarque concernant Alban lui valut un regard très dubitatif de la part d'Agnès. Mais elle ne dit rien. En revanche, Ézéchiel prit la parole :
-Cela ne va pas non plus m'aider à dormir, maintenant que je suis au courant. Honnêtement, empêcher Hubert de sonder les colons, c'est prendre un risque énorme pour nous tous.
-L'y autoriser serait contraire aux principes de la Communauté, principes auxquels sont attachés tous ceux qui souhaitent vivre à Cléirétoile, tous ceux qui aspirent à une vie, à une société nouvelles. Si nous les renions au moindre problème...
-Je dirais plutôt : au moindre soupçon.
-...nous pourrons bientôt les jeter définitivement aux orties, car les écueils ne manqueront pas.
-Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, comme dit le proverbe. Même s'il nous faut suspendre temporairement certains de ces principes, auxquels je suis moi aussi attaché, rien n'empêchera de les appliquer à nouveau en temps opportun. Alors que si nous mourrons tous... nous les emporterons dans la tombe.
-Créer un précédent est chose extrêmement dangereuse : briser un tabou, c'est ouvrir la porte à de nouveaux reniements. Aujourd'hui, le Conseil est retenu par cette barrière parce qu'elle n'a jamais été franchie. Si nous la franchissons, nous la franchirons encore et encore, sous des prétextes de plus en plus ténus, nous viendrons à en franchir d'autres, toujours plus nombreuses, toujours pour la bonne cause et, au final, il ne restera plus rien de ce qui faisait la spécificité de la Communauté.
-Mais il restera la Communauté.

[Hubert de Maleval]

Albérich était resté silencieux et Hubert se tourna vers lui avec espoir. Il paraissait incertain, tendu. Pourtant, quelques jours plus tôt, il avait soutenu son idée de sonder l'intégralité des auras. Pourquoi était-il si tiède, soudain ?
" Autrefois, Luménis a laissé entrer la bête en ses murs, dit-il finalement. Nos beaux principes ne nous ont jamais permis de vérifier qui entrait en ville. Nous avons connu des années fastes et nous avons connu la dictature. Nous avons perdu un habitant sur dix. Trente mille morts. A cause de nos beaux principes."
Il soupira, le regard distant.
" Si nous mourrons tous, à quoi auront servi nos rêves ? Peut-être est-il de notre responsabilité de nous salir les mains pour assurer que le plus grand nombre profite d'un meilleur avenir..."
Il n'était pas convaincu, Hubert le devinait.
" Si nous annonçons aux gens que nous cherchons un traître, la méfiance se répandra aussitôt et la communauté sera morte avant d'être née. Si nous ne disons rien et que nous ne faisons rien, nous ne vivrons peut-être pas pour lui laisser sa chance. J'ai l'impression que nous devons agir. Le contraire serait criminel. Je ne sais pas. J'aurais tendance à penser que sonder les auras est un moindre mal, compte tenu des risques."

[Taliesin]

Étienne ne pipa mot, mais l'on sentait que les paroles d'Albérich l'avaient fortement ébranlé. Ignace, lui, tapotait nerveusement des doigts sur la table.
-Dans l'hypothèse où le Conseil déciderait cette mesure... commença-t-il, s'attirant aussitôt un regard horrifié d'Agnès. Que ferons-nous si nous repérons quelqu'un à l'âme maléfique ? Je veux dire, quelqu'un qui ne soit pas un mercenaire... L'emprisonnerons-nous ? Nous contenterons-nous de le surveiller discrètement ? Mieux vaut réfléchir à l'après, si nous nous lançons dans une telle opération. Sachant par ailleurs qu'il est possible que certaines des personnes s'étant seulement engagées à nous escorter aient un mauvais fond mais que leur cupidité soit mieux assouvie en nous aidant qu'en travaillant contre nous.

[Hubert de Maleval]

" Ne pose pas la question à un paladin." dit Hubert en croisant les bras.
Albérich pinça les lèvres, il paraissait terriblement mal à l'aise.
" Je suppose que nous le surveillerions plus étroitement... en nous assurant qu'il n'a pas les moyens de communiquer avec l'ennemi. Et ça dépend aussi de sa position. Nous ne devrons l'écarter s'il a des responsabilités critiques..."
Il regarda Agnès.
" Je comprends tes réticences, et je sais que transiger sur des principes est toujours douloureux mais... que proposerais-tu ? De laisser courir le loup ? Même s'il nous détruit tous ?"

[Taliesin]

-Et comment veux-tu qu'il nous détruise, puisqu'il n'a aucun moyen d'entrer en contact avec les cannibales ? En passant par les tunnels ? Nous y avons placé des glyphes et des sorts d'alarme. En ouvrant la porte ? Il serait arrêté avant d'avoir pu le faire. En leur jetant un message du haut des remparts ? Ceux-ci sont arpentés par une foule de sentinelles. Par ailleurs, pourquoi diables voudrait-il s'allier à nos ennemis ? Il sait, comme tout un chacun, qu'on ne peut s'entendre avec eux, qu'au mieux ils le tueront immédiatement, qu'au pire ils le garderont comme bétail, pour l'écorcher et le dévorer quand bon leur semblera. Même un être maléfique ne peut souhaiter pareil destin pour lui-même.

[Hubert de Maleval]

" Ça, je ne pourrais pas le jurer." lâcha simplement Albérich.
Puis il croisa les bras et se tut. Hubert sentit qu'il ne reprendrait pas la parole, que la colère d'Agnès l'avait mouché, qu'il était reparti errer dans les méandres de son propre passé. Le paladin soupira. Il ne voulait pas s'aliéner l'Ilmate, mais il savait aussi qu'il ne supporterait pas de perdre quiconque à cause de leur incapacité à prendre des décisions difficiles. Une partie de lui-même avait envie de la pousser dans ses retranchements, de l'obliger à assumer l'entière responsabilité du désastre, s'il se produisait.
" Laissons-nous le temps d'y réfléchir, peut-être."

[Taliesin]

-Frida m'a dit que vous aviez déjà abordé la question une fois. Des jours se sont écoulés mais, d'après ce que je vois, les positions de chacun n'ont pas changé.
Le rôdeur soupira, manifestement agacé.
-Hubert a cependant porté à notre connaissance des éléments nouveaux. Alors je suis d'avis de nous accorder un jour de délai, puis de voter, en notre âme et conscience. je me doute que nous ne parviendrons pas à l'unanimité, et j le regrette, mais... Sauf erreur de ma part, la démocratie est aussi de rigueur au sein du Conseil.

[Hubert de Maleval]

Hubert regarda le rôdeur avec reconnaissance. Le camp du pragmatisme avait au moins un allié fiable.
" Je suis d'accord." dit-il.
Sans desserrer les lèvres, Albérich opina du chef. Le paladin espéra qu'il retrouverait un peu d'allant pour parler de la suite, mais ce n'était pas garanti. Il se tourna vers Ignace, Agnès et Etienne. Ils étaient les membres originels du Conseil et ils étaient en train de se faire déborder par des gens qui n'avaient même pas été élus par la communauté... Le breuvage devait être difficile à avaler.

[Taliesin]

Étienne semblait toujours aussi ébranlé, tandis qu'Ignace était concentré et pensif. Quant à Agnès, de loin la plus remontée des trois, elle était blême de colère et les coups d’œil qu'elle jeta aux membres du camp pragmatique n'avaient rien d'amicaux. Néanmoins, l'un après l'autre, ils finirent par opiner du chef.
-Hum, Albérich, tu souhaitais aborder un... sujet plus léger ? dit finalement le chevalier, presque timide.

[Hubert de Maleval]

Hubert croisa les doigts pour qu'Albérich se reprenne. Le Luménien finit par hocher la tête.
" Je voulais que nous parlions divertissements. Les gens s'ennuient, le moral est vacillant... J'ai discuté avec les instituteurs, hier, et nous avons lancé quelques idées en l'air, pour occuper le temps et resserrer les liens... Nous avons pensé que nous pourrions réorganiser un tournoi, peut-être sous d'autres modalités, mais aussi un bal populaire ou un concours de chant, un concert, une compétition de tir, une course de chevaux... N'importe quoi pour animer les journées mornes. Le tournoi et le banquet avaient été de belles occasions de fédérer la communauté. Elle a à nouveau besoin de se retrouver autour de plaisirs partagés. Je voulais savoir ce que vous en pensiez. Il est certain que cela impliquera de bouleverser la routine, mais je pense que nous en avons besoin."
Le contenu y était, mais pas le ton. Albérich avait manifestement envie de se trouver ailleurs.

[Taliesin]

Il n'était pas le seul, à voir la mine de l'Ilmate. cependant, elle parvint à desserrer brièvement les lèvres.
-C'est une bonne idée.
-Du travail en plus ?fit Ignace, un peu plus détendu. Je prends : cela commençait à devenir trop routinier, sans le moindre défi à relever...
Étienne, d'abord surprit, finit par sourire.
-Excellente initiative. Je suis certain que cela fera le plus grand bien à tout le monde. En ce qui me concerne, je te donne carte blanche.
Les autres agréèrent.

[Hubert de Maleval]

" Bon, et bien je tâcherai de voir ce qui peut être organisé, dans ce cas. Je vous tiendrai au courant d'ici ce soir, pour une première activité." dit Albérich.
Et puis il se tut. Hubert relâcha discrètement sa respiration. L'aura maléfique, sans avoir d'identité, avait déjà semé le trouble et la discorde. Ainsi allait l'ombre. Evidemment, il y avait autre chose, derrière le repli d'Albérich. Quoi, il n'était pas certain de le savoir. Il ne désespérait pas que le Luménien s'en ouvre. Chaque chose en son temps.
" Bon, si nous en avons terminé..." dit-il en faisant mine de se lever.

[Taliesin]

Ils l'imitèrent.
-Je vais lancer le déplacement du matériel dans la nef, indiqua Ignace. Cela ne devrait pas gêner les entraînements. Albérich, si vous avez besoin de mon concours pour l'organisation de quelque chose, n'hésitez pas.
Ils se saluèrent - certains plus froidement que d'autres - puis quittèrent un à un la pièce. S'ils avaient mangé au cours de leur réunion, ils avaient aussi beaucoup parlé, mais personne ne semblait avoir envie de toucher à ce qui restait comme nourriture.

[Hubert de Maleval]

Hubert hésita à poursuivre Albérich mais il vit que le Luménien n'avait qu'une envie : mettre cette réunion derrière lui au plus vite. La question serait reposée, bien sûr, et vu comme les choses tournaient, il était probable qu'Agnès se retrouve en minorité. Le paladin n'avait pas réellement imaginé qu'ils en reviendraient aux auras, il avait espéré quelque chose de plus radical, mais il était sensible à la nécessité d'agir discrètement pour prendre les coupables par surprise. En l'absence de meilleure idée, il faudrait s'en contenter.
Il laissa donc filer son ami, contraint par la promesse qu'il avait faite aux enfants, et il partit à leur recherche.

[Taliesin]

Leurs retrouvailles faillirent être quelque peu brutales, puisqu'ils manquèrent se percuter en franchissant le coude d'un couloir que les gamins remontaient à toute allure.
-Désolé, messire...
-Oui, désolée. Mais on vous cherchait de toute urgence...
Ruth jeta un regard à Alban.
-Dis-lui.
-Non, toi.
-Non, toi.
Le garçon leva les yeux au ciel... puis les riva sur la pointe de ses bottes.
-Messire... Comme hier vous n'avez pas pu venir essayer les objets avec nous... Et comme là, maintenant, la nef est déserte pour un petit moment... Ben... Nous nous sommes dit que ce serait peut-être une occasion de refaire des essais... Avec vous et messire Albérich.

[Hubert de Maleval]

" Oh, dit Hubert. Et bien... Pourquoi pas ? C'est une excellente idée."
Il jeta un regard derrière son épaule.
" Je ne suis pas certain qu'Albérich sera très motivé, cependant."
Il lorgna les deux enfants.
" Ruth, si tu allais le chercher ? Je suis certain qu'il ne pourra rien te refuser. Mais si tu sens qu'il est vraiment réticent... Laisse, pour une fois, d'accord ?"

[Taliesin]

-Bien sûr, m'sire ! Mais vous savez, hier, il a vraiment eu l'air de bien s'amuser, alors ça le tentera peut-être. Quand on est pas de très bonne humeur, les distractions, ça fait du bien !
Elle lui sourit puis détala en quête du Luménien, tandis qu'Alban hésitait.
-Si vous en êtes d'accord, je vais aller chercher nos objets...

[Hubert de Maleval]

" D'accord. Je vous retrouve en bas." dit Hubert avec le sourire.
Il se dirigea ensuite vers la nef, songeur. Bien sûr, il était curieux de voir ce que les objets des enfants pouvaient faire et ceux-ci semblaient impatients de le lui montrer. Il était moins sûr d'adorer l'effet du phylactère, mais si cela pouvait détendre Albérich et le remettre sur une pente ascendante, il ne pouvait pas faire le difficile.
Il descendit lentement les marches et s'immobilisa entre les piliers, profitant un moment du silence. Il lui devenait de plus en plus apparent que les choses allaient mal tourner et qu'il allait devoir poser des choix difficiles. S'il avait été clerc, il aurait interrogé Lathandre. Mais les paladins devaient progresser seuls dans la lumière.

[Taliesin]

A l'étage supérieur, Ruth, toute essoufflée, venait enfin de dénicher l'ancien aubemestre.
-Chuis désolée de vous déranger, m'sire Albérich, mais...
Elle sourit de toutes ses dents.
-Avec Alban, on a proposé à m'sire Hubert d'aller essayer les objets magiques avec nous, vu qu'il y a personne dans la nef. Et... Il est d'accord ! Est-ce que ça vous dirait de venir ? Ce serait plus rigolo si on était tous là...

[Galathée]

Rigolo, diable, Ruth, les cannibales vont te dépecer comme les autres, ça n'a absolument rien de rigolo, songea-t-il.
Pauvre gosse. Elle ne méritait pas de mourir parce que les adultes étaient trop stupides pour réussir à la protéger.
Il lui sourit.
" Si tu veux, je peux regarder. Mais je ne me métamorphoserai pas."
Il n'avait pas particulièrement envie d'être en contact avec Hubert, mais les enfants les empêcheraient de parler. Il sentait qu'il risquait de décharger sa colère sur le paladin, qui ne le méritait pas. Ou peu. Il avait envie de reprendre le contrôle de ses émotions, mais il lui fallait les affronter pour le faire, pas les réprimer. Ce serait pour plus tard. Il emboîta donc le pas de la gamine.

[Taliesin]

-J'espère quand même que vous avez votre phyma... phyda... votre objet sur vous, parce que peut-être que vous aurez envie de vous en servir, au final. Ou peut-être que messire Hubert aura envie de l'essayer. Franchement, ça a l'air hyper amusant de pouvoir se transformer comme ça ! Vous croyez qu'on peut devenir un rhinocéros ? Ou un éléphant ? Ou un ogre ?
La petite fille se perdit en conjectures enthousiastes jusqu'à ce qu'ils aient rejoint les deux autres dans la nef où, pour l'heure, aucun colon ne s'entraînait.