[Lieu] Une route oubliée

[Galathée]

" Je comptais bien que les gens soient prévenus, dit Albérich avec le sourire. Je vais aller prévenir Barthélémy tout de suite, et...
— Va plutôt faire l'annonce. Je me charge de Barthélémy. On se retrouve dans la nef.
— Il faut trancher l'ordre...
— Laissons les gens se présenter chacun à leur tour, comme ils le désirent. Nous avons les listes, de toute façon. Nous verrons bien assez tôt si quelqu'un manque à l'appel. D'autant qu'il n'y a pas moyen de sortir du fort."

[Taliesin]

Ils entendirent alors l'un des écuyers se racler la gorge. Lorsqu'ils se retournèrent, ils les virent afficher une mine embarrassée.
-M'sire, je crois que... Hum... commença Ruth.
-Que messire Barthélemy est déjà allé prier, enchaîna Alban. C'est ça qu'il est parti faire quand on a rejoint messire Hubert.
-Mais p't'être qu'il est encore possible de l'arrêter avant qu'il ait fini ?

[Galathée]

Albérich soupira.
" Non. On ne peut pas interrompre un clerc en prière : cela lui ferait perdre tout ce qu'il a déjà obtenu. Tant pis. Il faut espérer que Barthélémy aura mémorisé le nécessaire, sinon nous sommes repartis pour une journée d'incertitude."
Il n'ajouta rien. Il était furieux d'avoir été — une fois encore — aussi stupide, mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même : il avait passé la nuit au dispensaire, il aurait pu en parler directement au clerc quand il l'avait vu au petit matin.
" Je vais annoncer aux gens que nous resterons l'unique conseil et que le contrôle des auras serait organisé dès que nous en aurons les moyens. On ne peut pas faire mieux."
Il quitta ensuite la pièce pour aller faire ce qu'il venait d'annoncer. La colère qu'il ressentait envers lui-même n'était pas quelque chose qu'il voulait étaler devant quiconque.

[Taliesin]

Malheureusement, la suite ne lui donna pas matière à s'apaiser.
-Je suis désolé, Albérich, répondit le vieux clerc, embarrassé. Je disposais bien d'un sort de glyphe, mais je viens de l'utiliser, pour placer une protection à l'entrée du dispensaire, comme on me l'avait demandé hier... Puisque vous, les enfants et moi y dormons jusqu'à nouvel ordre, et puisque nous sommes des cibles potentielles, cela ne m'a pas semblé être une précaution superflue, même si mon garde du corps a l'air extrêmement compétent.

[Galathée]

Albérich essaya de ne pas succomber immédiatement au découragement. Il y avait des alternatives.
" Est-ce que par hasard tu disposes de sorts de détection de la magie ? Nous pouvons arriver à un résultat comparable si tu maintiens ton cône de détection juste avant celui d'Hubert. Evidemment, un seul ne suffira pas pour toute la communauté, mais je pense que les gens apprécieront de constater que nous prenons les choses en main... même si c'est plus lentement qu'idéalement."

[Taliesin]

Le vieux Chauntéen soupira et secoua la tête.
-Non, malheureusement, je ne dispose pas de ce sortilège. Je n'en ai que très rarement l'usage...
Il se frotta la barbe, pensif.
-Peut-être devrais-tu tenter ta chance auprès des bardes ou des mages... Même s'il faudrait d'abord s'assurer de leur bienveillance, hormis pour Giovanni pour qui elle est déjà avérée.

[Galathée]

Et c'est ce qu'il fit. Mais il n'était pas prêt à prendre le risque auprès de quiconque hormis du barde, aussi partit-il à sa recherche. Si Giovanni n'avait pas le sort nécessaire en mémoire, il leur faudrait renoncer à sonder les auras le jour-même, en espérant que les colons ne regretteraient pas d'avoir confié leur destin à un conseil incapable d'anticiper le nécessaire. Non, il n'avait pas le droit d'associer Hubert et Ezéchiel à ce qui n'était somme toute d'un manquement purement personnel.
Les regrets ne servent à rien, se répéta-t-il comme un mantra, sans grande efficacité, jusqu'à ce qu'il ait déniché le barde.

[Taliesin]

Lorsqu'il trouva le barde, celui-ci sortait de la cantine. Peu habitué, de part sa profession, à des levers aussi matinaux - même des semaines au sein de la Communauté n'avaient pu venir à bout de son rythme habituel -, Giovanni n'était pas encore très réveillé. Néanmoins, il l'écouta avec attention... puis se fendit d'une grimace.
-Je suis désolé, Albérich. Je dispose effectivement de ce sortilège, qui ne manque pas d'utilité. Mais y recourir alors que nous avons là une aoccasion d'encourager nos compagnons à se... découvrir, c'est contre ma religion.

[Galathée]

Albérich mit une seconde à comprendre ce que venait de dire le barde, puis il leva les yeux au ciel.
" Giovanni, je crois que tes modèles ne t'offriront pas leur meilleur profil si nous les contraignons à se déshabiller pour sonder leur aura... Cette décision est déjà relativement extrême... Je n'ai vraiment pas le désir que quiconque le vive comme une humiliation."
Il redevint sérieux.
" De combien de sorts de ce type disposes-tu ?"

[Taliesin]

-Je peux le lancer à trois reprises, et ça pourrait durer une dizaine de minutes à chaque fois. Ariel et les mages doivent aussi avoir ça en réserve : c'est utile dans nos professions. Mais...
Il soupira.
-Albérich, tu me demandes vraiment d'aller à l'encontre de ma foi sunite. Je veux dire, en quoi le fait d'être nu constitue-t-il une humiliation ? Cette gêne n'est que la conséquence d'une société à la fois rigide, pudibonde et hypocrite. On devrait encourager les gens a être fiers de leur corps, pas à en avoir honte...

[Galathée]

" Je ne dis pas le contraire... mais ce n'est pas le moment idéal... Ils sont déjà mis à nu par le sortilège... S'ils sont en plus... offerts à la scrutation... Je suis désolé, il faudra que tu trouves autre chose. Les Sunites aiment peut-être les corps, mais ils savent aussi que forcer les gens à se dénuder les remplit rarement d'amour."
Il soupira.
" Cela dit, tu devrais aller passer plus de temps aux Thermes : les gens s'y baignent dans le plus simple appareil, et je suis certain que dans ce contexte, ils se dévoileront plus volontiers."
Il lui sourit.
" Peux-tu prévenir les lanceurs de sorts qu'ils seront sondés en priorité ? Je dois m'assurer que les gens sont sûrs avant de leur demander de nous aider à leur tour. Mais merci, en tout cas. Tu me sauves d'un terrible embarras. Je vais aller prévenir Hubert et Ezéchiel que les choses se dérouleront avec ton concours, puis nous nous retrouverons tous dans la nef."
Et il joignit le geste à la parole.

[Taliesin]

-Mouais. Mais sache que si dans les jours à venir, je me réveille avec quelque maladie de peau, quelque mal défigurant, tu seras chargé d'aller intercéder en ma faveur auprès de ma déesse. Trahir sa foi, même pour la bonne cause, ça n'est pas rien, lui lança le barde, de mauvaise humeur, avant de tourner les talons à son tour.
Midi approchait lorsqu'ils vinrent à bout de cette opération longue, fastidieuse mais rassurante. Tout s'était déroulé au mieux, chacun y mettant de la bonne volonté et les praticiens des arcanes disposant d'un nombre de sortilèges suffisants. Surtout, Hubert n'avait détecté aucune aura maléfique. Tout cela pour rien, pouvait-on penser. Mais ce n'était pas le cas : au moins, la Communauté savait à présent qu'il n'existait plus de traîtres en ses rangs.

[Galathée]

Albérich avait biffé le dernier nom sur sa liste avec une relative stupéfaction. Absolument tous les colons avaient répondu présents, aucune aura maléfique n'avait été détectée, ils pouvaient pousser un soupir de soulagement collectif, et retourner à leurs autres soucis. Il échangea un regard avec Hubert, qui pouvait enfin relâcher sa concentration, et constata que le paladin était au moins aussi surpris que lui. Mais la magie avait parlé, et ils devaient lui faire confiance : il n'y avait plus lieu de craindre une traîtrise venue de l'intérieur.
" J'ai du mal à croire que ça ait été aussi facile.
— C'est parce que tu es un oiseau de mauvaise augure, dit le paladin avec un sourire.
— Tu ne t'y attendais pas non plus.
— Non. Mais je ne m'attendais pas non plus à ce qu'ils soient dix. Finalement, Ignace était tellement sûr de lui qu'il a peu recruté. C'est un travers des diables, que de se croire invincible."
Albérich secoua la tête.
" Te voilà devenu expert.
— J'ai étudié ça, dans le temps."
Le Luménien reporta son attention sur le groupe qui se délitait.
" Nous devrions fêter ça, je suppose.
— Ça serait une idée, oui... Mais quelque chose de raisonnable : si les cannibales nous tombent dessus et que les gens sont ivres, ça pourrait très vite mal tourner."
Albérich acquiesça.
" Je vais devoir trouver quelqu'un pour reprendre l'intendance. Ou m'en charger. La perspective ne m'enchante pas... mais je vais me débrouiller.
— Rappelle-toi que tout ceci est provisoire : nous serons bientôt à Clairétoile. Et moi... Je vais me coucher. Je suis ravagé."
Ils se saluèrent et Hubert battit en retraite vers les hauteurs et son antre. Albérich, de son côté, décida de rassembler les aides d'Ignace pour distribuer les responsabilités qui avaient autrefois échu à l'intendant.

[Taliesin]

Le travail s'avéra moins ardue qu'il n'aurait pu le craindre. Si Ignace avait occupé le sommet de la pyramide, s'il avait soigneusement supervisé le travail de ses subordonnés, il n'avait pas pour autant négligé de déléguer. Alors certes, le Luménien ne trouvea personne pour reprendre la gestion de l'intendance dans son ensemble, mais il ne manqua pas de volontaires pour se charger de tel ou tel secteur, comme la distribution du fourrage aux chevaux, la gestion de l'arsenal... Le plus souvent, il lui suffit de confirmer dans leurs fonctions ceux qui avaient déjà plus qu'à demi effectué ces tâches.

[Galathée]

Puisqu'il manquait quelqu'un pour diriger le tout, il décida de s'en charger, comme il l'avait annoncé à Hubert. Il essaya de rassembler les listes qui avaient survécu puis de se familiariser avec les différents secteurs qu'il fallait coordonner. Il fit une pause rapide pour manger pour persévéra jusqu'à se donner mal à la tête. N'ayant jamais eu l'esprit très pratique, la tâche lui semblait insurmontable et il était certain que les heures de la journée lui suffiraient à peine pour remplir son rôle. Mais quelque part, il était à la recherche d'une place utile depuis un certain temps et, même si ce n'était pas exactement son créneau, il l'avait trouvée. Il espérait qu'il finirait par prendre le pli, ça ne devait pas être complètement impossible...

[Taliesin]

L'après-midi s'écoula ainsi, Albérich travaillant, Hubert se reposant. Puis vinrent la sortie des classes, la ruée vers la cour - pourquoi ne pas en profiter, puisque les cannibales persistaient à demeurer silencieux ? -, les préparatifs du repas... Le paladin finit par s'éveiller, le Luménien par comprendre qu'il ne pourrait pas faire plus se jour-là. Pour l'un, le moment de prendre place sur les remparts ne tarderait plus, et pour l'autre, celui de se retirer pour la nuit. Mais avant... le repas.

[Galathée]

Avant d'aller manger, Hubert essaya de retrouver Barthélémy. Il voulait savoir s'il avait pu entrer en contact avec Marthe, Frida et peut-être Etienne. Avec tous les événements qui les avaient occupés depuis la veille, il n'avait pas réellement eu le temps de songer aux équipes pourtant indispensables qui défendaient leurs intérêts au loin. Albérich, de son côté, avait passé le message en cuisine, pour que le repas ait de discrètes allures de banquet. Il avait estimé qu'il leur restait de quoi offrir un verre de vin à chacun, sans mettre le groupe en danger, et avait aussi demandé à Giovanni et Ariel si l'un ou l'autre se sentait prêt à les gratifier de musique. La communauté se relevait d'une épreuve et il fallait marquer le coup.

[Taliesin]

Hubert apprit de Barthélemy que leurs deux missions diplomatiques progressaient toujours sans entraves vers leurs objectifs respectifs. Quant à la mission d'exploration, elle se trouvait dans le labyrinthe de tunnels s'étendant sous Clairétoile et s'efforçait de sécuriser un trajet jusqu'à la forteresse repérée lors de l'expédition précédente : l'on procédait donc avec méthode et minutie, ce qui était on ne peut plus indiqué.
Quant à Albérich, ses consignes en matière de menu furent exécutées avec empressement, et Ariel accepta volontiers d'animer le repas de quelques airs. Giovanni, lui, annonça au Luménien, avant qu'il n'entre dans la pièce où il se trouvait, qu'il n'était pas visible et préférait se reposer. Avai-il été gratifié de quelque désagrément par sa déesse mutine ? Boudait-il, simplement ? Mystère.

[Galathée]

Albérich ne pouvait pas croire que Giovanni ait été sérieux quand il avait parlé du risque qu'il prenait en ne forçant pas les colons à se dénuder, mais en bon Sunite, le barde était lunatique, et le Luménien se garda bien de l'importuner davantage. Sunie était la déesse de l'amour, pas du corps, et obliger des gens à s'effeuiller en public n'avait rien de romantique. Il n'y songea pas davantage et gagna la salle à manger, histoire de participer aux réjouissances. Elles seraient courtes, plus symboliques que réelles, mais il espérait que les gens y trouveraient un peu de chaleur après l'angoisse. Ensuite, il retournerait se coucher auprès des instituteurs : il n'avait plus aucune raison de dormir au dispensaire.

[Taliesin]

Même si le manque de place et le nombre des colons obligeaient les convives à ne pas s'attarder, l'ancien aubemestre nota la bonne humeur ambiante, les mines réjouies, les conversations joyeuses : sa prévenance et la certitude qu'il ne demeurait plus la moindre âme mauvaise parmi eux avait manifestement libéré la Communauté d'un grand poids et contribué à ruiner, pour l'heure du moins, les efforts des assiégeants pour miiner son moral.
Après le repas vint la nuit. Hubert demeura sur les remparts, sans que sa garde vigilante ou celle menée par ses compagnons n'aboutissent à la moindre découverte inquiétante. Quant à Albérich, il dormit du sommeil du juste, sans qu'aucun cauchemar ne vienne le hanter.
Enfin, l'aube parut au dehors, Edgar s'époumona à l'intérieur...
Un nouveau jour s'était levé.

[Galathée]

Comme chaque matin, Albérich se leva sans broncher, s'habilla et suivit le flot des colons vers la cantine. Une fois n'est pas coutume, il avait bien dormi et se sentait de relative bonne humeur. Ses erreurs des derniers jours n'avaient eu finalement que peu de retombées et, même s'ils demeuraient assiégés par un ennemi d'une cruauté inimaginable, l'atmosphère dans la communauté semblait plus légère que les jours précédents. C'était peut-être la foi, tout simplement.
Il trouva une place, s'installa, et commença, mentalement, à planifier sa journée, en bon intendant.
Hubert entra peu après, illuminé de son énergie divine, et vint le déranger dans ses réflexions. Le Luménien ne demandait pas mieux car il put profiter du rayonnement. Albérich s'enquit des résultats de l'opération couture, qu'Hubert avait bien entendu oublié d'organiser la veille, le paladin le chercha sur le nombre de kilos de pois cassés qui leur restaient, et ils finirent par décider d'une trêve. Dès que le repas prit fin, le paladin se replia vers sa chambre tandis que le Luménien gagnait l'intendance, laquelle dégageait toujours une odeur de fumée désagréable.

[Taliesin]

Deux heures s'écoulèrent. Hubert dormait d'un sommeil réparateur, Albérich travaillait dans l'intendance, qu'on avait remeublée à son intention.
Partout dans le sous-sol régnait la douce rumeur de la vie qui suit son cours. Elle ne troublait pas le repos de l'un, le labeur de l'autre. Elle les accompagnait, simplement, rassurante et paisible.
Et puis...
Un son retentit, provenant de l'extérieur.
Un son que le Luménien mit un instant à identifier, tant il paraissait incongru.
Une sonnerie de cor.

[Galathée]

Albérich se figea au milieu d'un mot, levant la plume du parchemin. Il sentit les poils se hérisser sur sa nuque. Il demeura cependant très calme, reposa son instrument, se leva et sortit dans le couloir. Il ne connaissait pas le code que les militaires avaient mis au point, mais il savait qu'il en existait un. Quelque chose se crispa dans son ventre mais il demeura digne et tranquille tandis que le sang tambourinait à ses oreilles. Il devait montrer l'exemple, aller aux nouvelles, penser à la manière dont Marthe aurait agi, si elle avait été parmi eux. Rassurer. Attendre les décisions de l'état-major. Etre à la hauteur. Il allait réussir à le faire, cette fois.

***

De son côté, Hubert émergea dans la seconde, se leva, attrapa son pantalon, ceignit son épée et courut au dehors, sans avoir réalisé exactement ce qu'il faisait, comme un automatisme, et il se mit aussitôt en quête de l'officier responsable des remparts.

[Taliesin]

Il remarqua du mouvement sur le mur sud, crut reconnaître la silhouette d’Ézéchiel. Il y monta donc.
Le regard du rôdeur, comme celui des sentinelles, était rivé sur un nuage sombre détonnant sur le ciel gris. Un nuage qui se déplaçait dans leur direction à une vitesse impressionnante, qui changeait constamment de forme et qui semblait davantage un agglomérat de corps multiples qu'une masse unique.
Un demi-elfe, non loin, lâcha un commentaire que le paladin saisit parfaitement.
Pour lui, il s'agissait d'une nuée d'oiseaux.

[Hubert de Maleval]

Hubert se souvenait parfaitement des corbeaux morts-vivants que leur avait envoyé le Seigneur des Tombes. Il savait aussi que les cannibales disposaient de shamans — sans doute des sortes d'ensorceleurs ou de druides — qui pouvaient certainement appeler des créatures à leur aide. Mais celles-ci semblaient incroyablement nombreuses. Il essaya de regarder plus attentivement pour se faire une idée de leur taille... Aigles ou moineaux, ce n'était pas tout à fait la même chose.
" Faisons venir les archers et les lanceurs de sorts. Bouclons les accès aux caves. Aucune de ces créatures ne doit pouvoir descendre, quoi qu'elles soient."

[Taliesin]

Il venait à peine de terminer sa phrase que le cor du mur est retentit à son tour, suivi par celui du mur nord.
Des messages dépêchés par les responsables de ces secteurs arrivèrent au pas de course, signalant l'approche de nuées similaires. D'aucuns pensaient qu'il s'agissait de corbeaux.
Puis un guetteur indiqua le camp cannibale.
On y discernait du mouvement.
Surtout, on y voyait prendre forme des bancs de brume qui commençaient à étendre leurs doigts blafards dans la direction du fort.

[Hubert de Maleval]

Hubert prit une profonde inspiration. La magie des barbares allait fondre sur eux sans qu'ils puissent s'en protéger. Il essaya de se remémorer ce dont disposaient les mages pour les aider. Trop peu de choses. Des boules de feu.
" Sonnez la mobilisation générale. Que les gens se casquent avant de sortir. Tous les civils dans la nef, prêts à évacuer au besoin."
Il leva les yeux. Gaspiller leurs flèches sur les corbeaux ne servirait à rien, ils en avaient fait l'expérience lors de l'attaque du convoi. Mais comment s'en prémunir ?

[Taliesin]

Dans les sous-sols, on avait entendu retentir les autres cors. Un coup à chaque fois.
Une alerte provenant de plusieurs directions différentes.
Les colons avaient interrompu leurs conversations, leurs activités. Ils ne savaient trop que faire, redoutaient le pire, espéraient qu'il n'adviendrait pas.
Un cor, à nouveau.
Qui sonna à trois reprises.
Mobilisation générale.
Albérich entendit Gaspard lancer des ordres, les bottes des soldats résonner sur l'antique dallage...

[Galathée]

L'adrénaline le secouait à présent, rugissant dans ses veines, fracassant ses tempes, agitant sa poitrine, mais il demeura extrêmement calme. Il commença à répandre son message : tout le monde dans la nef, emportez le strict nécessaire, pas de panique, les militaires ont la situation bien en main, c'est juste une précaution. Habillez-vous chaudement. Ne vous chargez pas inutilement. Restez avec vos proches. Vérifiez qu'il ne manque personne. Descendez, descendez, descendez.
Il était le seul conseiller en bas. Barthélémy et Giovanni allaient monter rejoindre les combattants, il lui fallait de l'aide et il ne pouvait compter que sur les instituteurs, peut-être sur Gustave, voire le forgeron. Maintenir le calme, attendre les ordres, s'apprêter à s'engager dans le couloir sud. Il aviserait en fonction de l'ambiance dans le groupe.

[Taliesin]

Il vit d'abord refluer de la nef les soldats qui s'y entraînaient, dirigés par Edgar et les autres instructeurs.
Il aperçut ensuite des colons se diriger vers le passage secret, tenant dans leurs mains ce qu'ils avaient pu attraper au passage. Pas d'hommes de l'intendance, encore : ils devaient s'efforcer de rassembler rapidement le matériel à leur portée.
Il remarqua bientôt les instituteurs, conduisant leurs classes en bon ordre. De celle d'Agathe se détachèrent Ruth et Alban qui se ruèrent dans sa direction.
-Devons-nous suivre le mouvement, messire, ou pouvons-nous nous rendre utiles ? En aidant les palefreniers à descendre les chevaux, par exemple ?
-Ou en lâchant un rhinocéros sur les cannibales ?