[Quête] Montequine

[Voyageuse]

Dès qu'elle fut en vue du village, elle bifurqua pour s'approcher de la falaise : progresser le long des rochers serait plus discret. Elle savait qu'elle devait se montrer extrêmement prudente : depuis sa dernière visite, les choses avaient dû changer. Ils savaient qu'elle était là, qu'elle était susceptible de s'introduire de nuit dans le village. Il était probable qu'ils aient cherché à réparer les failles existantes dans le mur d'enceinte, et qu'ils organisent régulièrement des rondes, à la fois sur les murs et dans la ville. En outre, ils devaient se douter qu'elle chercherait à venir au secours de Reynald, et ils devaient l'attendre de pied ferme.
Elle ignorait s'ils avaient repéré les traces de ses derniers passages. Si c'était le cas, ils avaient peut-être renforcé les défenses côté ouest. D'un autre côté, il était tentant de passer là où elle connaissait le mieux l'itinéraire : elle savait pouvoir sauter de toit en toit pour descendre de l'autre côté. Donc elle opta, à nouveau, pour l'ouest de la muraille, redoublant de prudence. Elle se coulait de rocher en rocher, d'arbuste en haie, profitant des petits vergers, des vignes, des moindres irrégularités du terrain. Elle surveillait également ce qui se passait sur le chemin de ronde, cherchant à repérer les lanternes des guetteurs. Il fallait espérer que nul d'entre eux n'était doté de vision nocturne. Heureusement que les centaures ne pouvaient pas y monter...

[Galathée]

Astrée ne s'était pas trompée : les défenses du village avaient été renforcées. Les créneaux étaient garnis de guetteurs et de torches, en un maillage serré qu'elle aurait beaucoup de peine à franchir. Elle entendit aussi le grognement d'animaux, sans doute des chiens. Certains des gardes lui paraissaient grands et au fur et à mesure qu'elle progressait, elle comprit pourquoi. Les Montequins avaient embauché de nouvelles sentinelles : des centaures domestiques qui, eux, voyaient parfaitement dans les ténèbres.

[Voyageuse]

Il fallait pourtant qu'elle trouve un moyen de s'introduire dans le village. Reynald y était. Du moins, d'après Neffen. Il lui avait dit qu'il était hors d'atteinte, que les humains l'avaient trouvé, et emmené. Effectivement, il était plus que probable qu'ils l'aient amené ici. Certes, si elle s'était d'abord rendue près de la pierre, elle aurait eu une plus grande certitude à ce sujet, mais elle serait arrivée trop tard pour espérer entrer cette nuit. Donc elle devait partir du principe qu'il était bien là. Il fallait qu'elle franchisse cette muraille...
Elle redoubla de prudence, progressant lentement, courbée, s'immobilisant un instant derrière chaque arbuste, chaque rocher, chaque cachette que la nature offrait, guettant les réactions. Elle avait beau se creuser la tête, elle ne voyait pas comment passer ces défenses. Il lui semblait que la seule solution était de s'approcher au maximum et de guetter une faille dans les rondes, un moment où les guetteurs seraient relevés et où, peut-être, ils ne regarderaient pas, pour franchir les derniers mètres et escalader le mur. Et ensuite il fallait franchir le chemin de ronde, sans attirer l'attention des chiens ou des centaures. Peut-être, contre la falaise, serait-elle moins exposée aux regards...
De toute façon, elle n'avait pas le choix. Elle devait venir en aide à Reynald. La voix de la sagesse lui soufflait que si elle se faisait prendre elle ne serait d'aucune aide, mais elle ne pouvait tout de même pas rester ici à attendre le lendemain : il serait encore plus dur d'entrer dans le village en plein jour... Peut-être, si passer s'avérait trop ardu, pouvait-elle envisager de tenter une diversion, en allumant un feu plus loin, à l'est de la vallée ? Il lui aurait fallu un complice pour attirer leur attention... Mais non, ils risquaient alors de redoubler de vigilance, avant qu'elle soit de retour à proximité...

[Galathée]

Elle se glissa jusqu'à la falaise, mais elle réalisa rapidement que c'était une des zones les mieux surveillées : sans doute les Montequins avaient-ils réalisé que c'était là l'accès le plus facile. Elle nota aussi que le bas de la muraille avait été débroussaillé sur plusieurs mètres. Les sentinelles ne semblaient pas bouger, scrutant la nuit noire, vigilantes. Sans doute resteraient-elles en place pendant encore plusieurs heures avant la relève. La nuit était noire et nuageuse, ce qui ne facilitait pas la progression de la jeune femme, tout en aveuglant également ses adversaires. Elle pouvait tenter le coup, attendre, ou chercher un endroit plus propice pour grimper...

[Voyageuse]

Astrée profita de l'abri d'un buisson pour se poser et prendre le temps de la réflexion. La surveillance côté falaise était trop importante pour qu'elle puisse passer. Il fallait qu'elle se cherche un accès plus discret. Elle allait commencer par longer le mur à quelque distance, en direction de l'est, en se dissimulant le mieux possible. Elle voulait tenter de repérer s'il y avait un secteur où les sentinelles étaient plus espacées, peut-être suffisamment pour oser grimper entre deux points de lumière.
Et sinon... Sinon, elle ne voyait pas vraiment. Elle eût l'idée complètement folle, un instant, d'escalader la falaise à quelque distance pour franchir le mur en passant au-dessus de leurs têtes, mais, outre qu'escalader en pleine nuit était complètement suicidaire -ça l'était déjà en plein jour-, elle courait le risque d'être vue par les centaures. Sans eux, la situation aurait été déjà suffisamment complexe ; avec eux, sa mission frôlait l'impossible. Mais elle devait persévérer, pourtant. Il y avait peut-être une portion du mur moins surveillée ?

[Galathée]

Astrée longea donc le mur. Cela lui prit un certain temps, à nouveau, car les murailles emprisonnaient tout le vaste village et elle était forcée de procéder avec la plus grande prudence. Un buisson en mouvement aurait suffi à alerter les sentinelles. Elle dut donc, par moments, s'en éloigner pour mieux revenir quand la végétation le permettait. Mais partout, il restait cet espace découvert entre la nature et les remparts du hameau humain. Puis, soudain, la pluie s'intensifia, formant un rideau glacé. Des éclairs marbrèrent le ciel, à l'est, et le vent siffla avec colère. Plusieurs torches, mal protégées, s'éteignirent sur le pan de mur qu'Astrée longeait. C'était sans doute sa seule chance de la nuit.

[Voyageuse]

Astrée n'hésita pas une seconde. De toute façon, il fallait qu'elle entre, et c'était sa seule chance...
Elle se précipita vers le mur, courbée en deux, en espérant que tous, là-haut, étaient occupés à rallumer les torches, que les rares personnes scrutant la plaine regardaient ailleurs que là où elle se trouvait... Et puis, la pluie la dissimulait...
Restait à escalader. Elle avait une corde et un grappin, et c'était nettement plus rapide que de progresser de prise en prise, d'autant qu'ils avaient dû consolider le mur. Plus rapide mais moins discret... Elle commença par chercher une prise ou deux à tâtons. Si le mur semblait relativement facile à escalader, elle opterait pour la discrétion. S'il était trop lisse, elle lancerait sa corde. Elle pouvait toujours envelopper le grappin dans un tissu sombre pour atténuer le bruit.

[Galathée]

C'est finalement ce qu'elle dut faire : le risque était trop grand, en escaladant la paroi, qu'elle se retrouve coincée à mi-hauteur au moment où les torches se rallumeraient. Elle lança donc son grappin, emmailloté dans un tissu sombre, et ceci, combiné à la pluie, étouffa le choc du métal contre la pierre. Elle se hissa ensuite rapidement jusqu'en haut, atteignit le chemin de ronde. Il y avait deux hommes à sa gauche, à moins de dix mètres, un centaure et un homme à sa droite, à une distance similaire. En-dessous : le vide. Aucun bâtiment n'était adossé à la muraille à cet endroit.

[Voyageuse]

Elle n'avait pas le choix, et ne devait pas perdre un instant. Il leur suffirait d'un coup d’œil de côté pour qu'ils l'aperçoivent. Les hommes, peut-être pas, mais le centaure, en revanche...
Elle traversa en une enjambée le chemin de ronde, fixa son grappin, enjamba aussitôt le mur, et se laissa pendre de l'autre côté. Avant de se laisser glisser, elle chercha, à tâtons, s'il y avait des prises dans le mur qui lui permettraient de descendre sans l'aide de la corde et donc de décrocher son grappin. Il était peut probable qu'ils regardent de ce côté-ci, elle avait peut-être un peu plus de temps... Mais si le mur était trop lisse, elle n'aurait pas d'autre choix que se laisser glisser et d'abandonner sa corde sur place. Bien sûr, ils la découvriraient tôt ou tard, probablement demain matin, et sauraient qu'elle était là...

[Galathée]

Mais cette fois, la chance était de son côté. Elle trouva un rebord en pierre sur lequel elle put prendre appui pour déloger son grappin, puis sauter en contrebas. Il pleuvait toujours très fort et l'orage gronda à nouveau, véhément, zébrant le ciel et révélant, une seconde, les rues détrempées du hameau. Sans doute n'y aurait-il pas grand monde à l'extérieur, à présent qu'elle avait franchi le principal obstacle. Mais il restait à savoir où elle porterait ses pas...

[Voyageuse]

La rôdeuse ne perdit pas de temps pour s'écarter du mur d'enceinte, cherchant l'abri relatif d'une ruelle. S'adossant à un mur, elle poussa un soupir de soulagement en se sentant enfin hors de danger, et sentit ses muscles se détendre, ses jambes trembler, sa tête tourner légèrement. Elle ferma les yeux et but une gorgée d'eau. Elle marchait sans discontinuer depuis l'aube -ou plutôt l'aube de la veille-, elle était physiquement épuisée, et psychiquement malade d'angoisse pour Reynald.
Elle s'octroya quelques instants de pause pour retrouver un semblant de calme, puis se mit en route. Elle n'avait aucune certitude quant à l'endroit où le Sorlyn pouvait se trouver, mais il était possible que ce soit dans le bâtiment où on l'avait elle-même enfermée. Bien sûr, elle était aveuglée par un sort lorsqu'on l'y avait conduite, mais ensuite elle avait pu observer un peu les rues quand on l'avait amené de sa cellule à la grande place, même si elle n'avait pas vraiment l'esprit à cela ce jour-là. Elle allait donc d'abord rejoindre la place centrale du village, là où devait se trouver le bâtiment abritant les réunions du conseil, là où ils avaient dû débattre du sort de Reynald... et trancher, déjà, certainement. Elle espérait juste qu'elle n'arrivait pas trop tard. Ensuite, depuis cette place, elle saurait sans doute retourner à ce bâtiment servant de prison, il n'était pas très loin. Et ensuite... elle verrait comment les choses se présentaient.

[Galathée]

Astrée se faufila de porche en ruelle, et de buisson en muret. Ces précautions étaient cependant globalement inutiles, car il faisait nuit, le vent avait éteint la plupart des lampes-tempêtes et les flots serrés du ciel formaient comme un rideau impénétrable. De temps en temps, cependant, un éclair la trahissait. Elle chemina rapidement, bien qu'elle fut trempée et épuisée. Elle connaissait le chemin et gagna rapidement la place principale. Deux lumières y brillaient encore, à l'extérieur, tandis que tous les bâtiments étaient plongés dans le noir. Astrée repéra aisément l'endroit où elle avait été retenue. Il lui faudrait cependant y entrer par effraction. Il n'y avait aucun signe qu'il y ait quiconque à l'intérieur.

[Voyageuse]

Astrée examina le bâtiment. Son premier réflexe fut, tout bêtement, d'appuyer sur la poignée de la porte d'entrée, mais se souvenant de sa mésaventure avec le glyphe de garde lorsqu'elle avait voulu passer par la faille cachée, elle préféra s'abstenir et chercher une autre entrée. Elle se souvenait avoir descendu un escalier, les cellules étaient au sous-sol. Peut-être qu'il s'y trouvait, ou peut-être que non, mais le seul moyen de le savoir était d'aller voir...
Elle chercha tout d'abord s'il y avait un soupirail, au raz du sol, par lequel elle aurait pu apercevoir, peut-être, l'intérieur d'une cellule, en s'éclairant d'une bougie. Puis il fallait qu'elle fasse le tour du bâtiment, et qu'elle examine les fenêtres, d'abord celles du rez-de-chaussée en essayant de voir si elle parvenait à les ouvrir. Elle pouvait également grimper pour tenter de forcer une fenêtre à l'étage.

[Galathée]

La troisième fenêtre fut la bonne et pour cause : elle était déjà ouverte. L'odeur renseigna immédiatement Astrée sur la raison de cette issue béante : elle donnait sur des latrines qui, manifestement, n'avaient pas été vidées ce jour-là. L'ouverture n'était pas très grande, mais la rôdeuse était fine, et elle parvint à se glisser à l'intérieur. Depuis l'appui de fenêtre, elle parvint à choisir des appuis qui la menèrent jusqu'à la sortie sans qu'elle ne se souille. Elle fit grincer la porte en la franchissant, mais le couloir était désert et silencieux. Elle n'entendit absolument aucun bruit, ni respiration, ni pas à l'étage, ni signe qu'il y ait qui que ce soit à l'intérieur. Il faisait du coup extrêmement noir, et Astrée dut tâtonner un certain temps avant que ses yeux ne s'habituent un rien à l'obscurité. Elle suivit le corridor, ouvrit une porte, une autre, donnant toutes sur des salles désertes, avant de trouver la cage d'escaliers qui plongeait au sous-sol. Mais il y faisait plus sombre que dans une caverne et s'y risquer sans source de lumière était tout bonnement suicidaire.

[Voyageuse]

Astrée eût un instant d'hésitation. La maison paraissait déserte, et il lui semblait qu'elle pouvait, peut-être, prendre le risque d'allumer une bougie, en cachant un peu la lueur avec sa main. Mais tout de même, c'était étrange qu'il n'y ait pas âme qui vive. Elle n'avait pas entendu de réaction lorsqu'elle avait fait grincer la porte. S'ils avaient un prisonnier au sous-sol, ils auraient certainement laissé un gardien en faction au rez-de-chaussée, et il aurait dû réagir. Ou peut-être était-il au sous-sol ? Cela lui semblait moins probable. Elle commençait à se dire qu'elle faisait tout cela pour rien et qu'elle ne trouverait personne, que Reynald se trouvait ailleurs. Ou alors c'était un piège, et on l'attendait en bas.
Quoiqu'il en soit, elle devait aller voir. Elle referma derrière elle la porte de l'escalier pour ne pas risquer d'être vue par une fenêtre, et prit le temps d'écouter attentivement, à la recherche d'un bruit de respiration quelconque, avant d'allumer une bougie pour descendre silencieusement l'escalier et explorer l'étage inférieur.

[Galathée]

Astrée écouta un moment les ténèbres. Elle entendit un léger frottement, mais ça aurait pu être n'importe quoi, une souris, le vent, un prisonnier se retournant dans son sommeil. Elle descendit donc, pas à pas, vers l'étage inférieur. Sa bougie lui révéla des caves humides et elle marcha dans l'eau : apparemment, l'orage avait causé une petite inondation au sous-sol, sans doute par les soupiraux dont elle se souvenait. Il y avait plusieurs portes, elle les poussa quand elles étaient ouvertes, regarda par un judas quand elles ne l'étaient pas. Elle reconnut sa cellule. Mais il n'y avait personne, nulle part. Si Reynald était retenu au village, ce n'était pas là.

[Voyageuse]

Avec un soupir de découragement, elle remonta au rez-de-chaussée. La maison était vide, c'était une évidence. Qu'avaient-ils fait de Reynald ?
Elle sentait l'angoisse lui vriller l'estomac. Ils avaient pu le tuer, déjà, l'exécuter hier soir. Ou même le tuer avant même d'atteindre le village. Elle s'en voulait d'avoir voulu gagner du temps en revenant directement au village. Elle aurait dû faire un détour par la pierre, retrouver leur piste, elle aurait vu des traces s'il s'était passé quelque chose. Mais ça n'était pas trop tard. Elle pouvait y retourner...
Elle se dirigea vers les latrines et la sortie, hésitante. S'ils avaient voulu tuer Reynald en pleine nature, ils l'auraient fait tout de suite, non ? Et Neffen le lui aurait dit. S'ils l'avaient emmené avec eux, c'était forcément pour le conduire au village. Après, il y avait deux possibilités : la première était qu'il ait réussi à les embobiner et à les convaincre qu'il se trouvait là par pur hasard, auquel cas il avait une toute petite chance qu'ils le laissent repartir... quoique, s'il avait vu les centaures esclaves, rien n'était moins sûr ; et puis, il aurait eu le temps de prier et de la contacter s'ils l'avaient laissé libre, non ? A moins qu'ils ne l'aient pas lâché de la journée ? La seconde, plus probable, était qu'il soit prisonnier.... et elle n'allait pas faire toutes les caves de toutes les maisons du quartier pour voir si elles abritaient des cellules. Ou alors... Est-ce qu'ils avaient pu, peut-être, réparer l'autre prison, celle qui avait brûlé ? Peu probable. mais elle pouvait toujours aller y faire un tour...
Elle eût un frisson en pensant au billot dans la cour, à la potence. Ils pouvaient l'avoir exécuté. Il fallait qu'elle sache...

[Galathée]

Astrée repartit donc sous l'averse. Celle-ci s'était quelque peu calmée et l'orage s'était éloigné. Les éclairs qui zébraient encore le ciel par intermittence, plus distants, n'illuminaient plus les rues par intermittence. Elle se glissa dans les ombres, évitant les cercles de lumière, les quelques fenêtres où une bougie brûlait encore, puis finit par atteindre les ruines de la prison. Elle n'était manifestement plus utilisée : ses vestiges noircis paraissaient abandonnés, comme la carcasse d'un gros animal mort.

[Voyageuse]

Il n'était pas là. Elle n'était pas vraiment surprise, du reste. Mais il fallait bien, par acquis de conscience, qu'elle vérifie. Et il fallait, aussi, qu'elle voie de ses yeux le billot, la potence, qui étaient dans la cour de l'ancienne prison, pour être certaine qu'ils n'avaient pas servi. Même si ça ne prouvait rien, bien sûr, même si ça ne suffirait pas à la rassurer...
Elle s'approcha donc pour jeter un coup d'oeil dans la cour, à la recherche des instruments de supplice qui s'y trouvaient la dernière fois, espérant ne pas y trouver ce qu'elle redoutait tant...

[Galathée]

Une fois sur le mur, elle put observer l'intérieur de la cour déserte. Il n'y avait absolument rien, aucun signe que quoi que ce soit de sordide s'y soit déroulé. Bien sûr, il était possible que tout ait été rangé, nettoyé, que la pluie ait emporté les dernières traces, mais pour autant qu'elle puisse en juger, ni le billot, ni la potence n'avaient été déplacés. Aucune trace de Reynald.

[Voyageuse]

C'était presque une bonne nouvelle. Mais pas vraiment. Parce qu'il y avait bien d'autres moyens d'exécuter un homme que ceux-ci, elle était bien placée pour le savoir. Et si jamais... s'ils avaient voulu lui faire subir le même sort qu'à elle... Non, cette idée lui était trop insupportable. Elle devait s'interdire de penser au pire.

Elle s'éloigna de la cour, la tête vide. Elle retournait sans cesse les mêmes hypothèses dans son esprit, et elle était fatiguée de réfléchir. Et pourtant, elle ne pouvait pas cesser ses investigations, même si elle n'avait plus la moindre idée de l'endroit où il pouvait se trouver. Peut-être qu'elle pouvait, à tout hasard, pousser jusqu'au temple, au cas où, au lieu d'être prisonnier quelque part, il y soit hébergé en invité ? Bah, elle n'y croyait pas, et de toute façon, si c'était le cas, il n'était pas en danger.

Elle jeta un coup d'oeil au ciel, mais le temps maussade ne l'aidait pas à savoir le temps dont elle disposait encore. Il fallait qu'elle commence par revenir vers la place principale, qu'elle se repère une cachette pour la journée. Si quelque chose devait se produire demain, s'il était vivant, prisonnier, et qu'ils devaient l'auditionner, le juger, le condamner ou quoi que ce soit, ça se passerait là-bas, et il fallait qu'elle sache. Dès qu'elle aurait repéré une cachette potentielle, elle ne perdrait pas une minute pour poursuivre ses investigations. Elle comptait bien passer le reste de la nuit à errer au hasard des rues en jetant un coup d'oeil à chaque fenêtre munie de barreaux, à chaque soupirail, en priant pour que Tymora soit avec elle. Peut-être en allant en allant vers le temple ? Il fallait bien choisir une direction après tout. Elle reviendrait se cacher au lever du jour. Pas avant.

[Galathée]

Elle se trouva aisément une grange, un peu comme celle qui l'avait accueillie lors de sa première visite au village caché, où elle pourrait se dissimuler en journée. Ensuite, elle repartit dans les rues. Mais elle présumait de ses forces : elle avait beaucoup marché, ses émotions l'avaient vidée, elle avait été trempée par l'averse... Bien avant l'aube, elle commença à tituber de fatigue, gelée jusqu'aux os, obligée de prendre appui sur les murs pour ne pas tomber. A chercher sans but de la sorte, elle risquait de s'écrouler en pleine rue, et toutes ses précautions seraient alors réduites à néant, sans compter que Reynald ne pourrait plus compter sur son aide...

[Voyageuse]

Elle résista aussi longtemps qu'elle le put. Elle ne voulait pas abandonner, même si elle avait conscience qu'elle était en train de chercher une aiguille dans une meule de foin. Elle ne pouvait s'empêcher de se dire que peut-être, Reynald était à quelques pâtés de maison, à attendre son aide, qu'elle n'avait pas le droit d'arrêter ses recherches.
Mais la raison finit par l'emporter. S'il était prisonnier, alors elle en apprendrait plus demain, certainement. Il fallait qu'elle dorme, elle était épuisée. A regret, elle retourna donc vers la grange qu'elle avait repérée, et s'y ménagea une cachette, assez loin de la porte, si possible en hauteur, cherchant une fenêtre donnant sur la place, ou sur une rue qui y menait... Il fallait qu'elle prenne quelques minutes, encore, pour se rendre parfaitement invisible, s'enfouissant dans une petite cache de paille. Puis elle pourrait s'autoriser à dormir.
Le seul avantage à son épuisement total, c'était qu'elle trouverait le sommeil sans peine et sans ressasser les inquiétudes les plus sombres. L'inconvénient, c'est qu'elle risquait de dormir trop profondément. Il fallait qu'elle se réveille assez tôt, qu'elle ne manque rien de ce qui se passerait le lendemain sur la place. Qu'elle soit réveillée si par miracle Reynald tentait de la contacter au petit matin... mais il était illusoire d'entretenir le moindre espoir à ce sujet. Il avait beau savoir se montrer très persuasif, vu les circonstances, il n'y avait aucune chance qu'il ait pu les convaincre. C'était sur la place, ou dans la salle commune, que les choses allaient se jouer demain. Si toutefois était encore vivant... Mais il fallait qu'il le soit, il fallait qu'elle y croie. De toute façon, elle serait vite fixée : s'il ne se passait rien demain... Non, elle refusait de l'envisager. Il se passerait quelque chose.

[Galathée]

Astrée se réveilla douloureusement, malade. Elle avait pris froid pendant la nuit, résultat prévisible de son épuisement physique et mental, couplé à la pluie glacée qui l'avait transie pendant des heures. Le bruit qui la réveilla était celui d'un marteau, distant. Il faisait jour et il pleuvait. La rôdeuse dut contenir une quinte de toux rauque. Au dehors, il n'y avait personne. L'averse limitait probablement les activités d'extérieur. Elle vit passer un chariot attelé d'un centaure dans une rue latérale. La place, distante, mais sur laquelle elle avait une vue aux trois-quarts, était déserte. L'une ou l'autre personne la traversait de temps en temps, pressée d'échapper à la pluie, mais rien de particulier ne semblait s'y organiser.

[Voyageuse]

La rôdeuse se pelotonna en frissonnant dans sa couverture, cherchant un peu de chaleur dans la paille. Il lui aurait fallu un feu, une infusion. Elle grelottait, sans doute avait-elle de la fièvre. Ça n'avait rien d'étonnant, après avoir passé une journée et une nuit à courir la campagne et les rues sous la pluie glacée. Mais portée par l'urgence, elle n'avait pas eu d'autre choix que d'avancer, inlassablement, espérant envers et contre tout trouver Reynald. Et elle avait échoué.

Elle jeta un regard morne vers la place déserte. Reynald avait-il été conduit ici la veille ? Condamné, comme elle l'avait été ? Était-elle arrivée trop tard ? La fièvre qui la tenaillait ne faisait que renforcer ses idées noires. Et s'il était encore vivant, mais prisonnier quelque part, comment le trouver ? Elle n'avait plus le secours de Prince pour explorer la ville durant la journée. Elle maudit Goran et ses exigences stupides, pour la vingtième fois au moins depuis cette maudite téléportation. Et s'ils l'exécutaient tout simplement sans procès public, quelque part au fond d'une cave, sans qu'elle n'en sache jamais rien ? L'avaient-ils seulement laissé parler, lui avaient-ils donné une chance de s'expliquer ? Il aurait pu les convaincre, peut-être, de le laisser partir, ou tout simplement leur dire que le tuer leur vaudrait des ennuis, puisque les autorités étaient au courant... Peut-être que ça aurait suffi ?

Elle s'efforça péniblement de manger un morceau, l'esprit absent. Il fallait qu'elle garde des forces, au cas où... au cas où quoi, elle ne savait pas trop. Elle ne savait même plus si elle devait souhaiter ou redouter qu'une foule s'assemble sur la place. Mais finalement, rien n'était pire que de rester dans l'ignorance. Elle ne parvenait pas à songer à autre chose que cette peur qui la minait. Elle tenta, une fois ou deux, de songer à Byron et Tybert, à Kess, à la harde, mais inlassablement, son angoisse pour Reynald reprenait le dessus, éclipsant tout le reste. Qu'était-il devenu ? Et... qu'allait-elle devenir ?
Elle s'emmitoufla aussi chaudement que possible et se blottit dans la paille, les yeux fixés sur la place. Peu à peu, elle sentit qu'elle sombrait dans un état second, quelque part entre fièvre et veille, incapable de penser, attendant indéfiniment sans savoir quoi, tentant de son mieux de garder ses sens en éveil.

[Galathée]

Mais il ne se passa rien. Plusieurs fois, elle sombra dans un sommeil fiévreux, grelottante sous sa couverture, nauséeuse, et son délire l'entraîna dans des contrées troubles et fantastiques, où tous les événements des dernières veilles, parfois des dernières années, s'entrechoquaient en un kaléidoscope d'images absurdes. Quand elle émergeait, son regard retrouvait la place, en une image floue, humide de ses propres larmes, mais elle demeurait désespérément vide. La journée se déroula ainsi entre veille délirante et torpeur agitée. Une fois elle crut qu'elle assistait à une exécution, qu'elle était paralysée, qu'elle voyait la tête de Reynald rouler, mais ce n'était qu'un autre de ses songes. La nuit revint et elle se sentait de plus en plus faible.

[Voyageuse]

La nuit. Elle était sensée... bouger. Faire quelque chose. Tenter quelque chose. Ne pas abandonner, jamais. Sauver Reynald. Elle sentit les larmes couler, une fois de plus. Il était certainement trop tard pour sauver Reynald, maintenant. Il devait être mort. S'il avait été prisonnier, il y aurait eu quelque chose aujourd'hui, ne serait-ce qu'une réunion du conseil pour statuer sur son sort. Bon, peut-être que le conseil se réunissait ailleurs ? Elle n'en savait rien après tout, mais elle n'avait plus la force de réfléchir posément. Une chose était en tout cas certaine, s'il avait été vivant et libre de ses mouvements, il l'aurait contactée. Donc il allait mal, il avait besoin d'elle... ou il était mort, hypothèse de plus en plus probable qui emplit à nouveau ses yeux de larmes.
Elle était vaguement surprise que Tybert n'ait pas cherché à communiquer avec elle par un moyen quelconque : il devait s'inquiéter de n'avoir aucune nouvelle du Sorlyn, il avait dû tenter, déjà, de communiquer avec lui. Demain, peut-être. Tybert était si calme, il ne s'inquiéterait pas tout de suite... Elle espérait que par un miracle quelconque, Byron et lui aient pu être téléportés à Bortheïas, pour qu'ils puissent rejoindre la délégation luménienne et leur montrer la faille... et être là quand les luméniens entreraient. Parce qu'elle n'y serait pas. Elle serait peut-être morte, du reste. Dans l'état second où elle se trouvait, elle l'envisageait avec un étrange détachement. Pourquoi se battre pour vivre après tout ? Elle n'en avait plus le courage. Si Reynald était mort, par sa faute indirectement, pourquoi vivre encore ?

Elle finit par se lever et sortir de sa cachette. Elle se sentait faible, et elle n'avait pas faim. Elle avait soif, en revanche, et sa gourde était vide. Il fallait qu'elle la remplisse quelque part. Au lavoir. Et ensuite.... elle ne savait plus.
Elle pouvait tenter de repartir vers la vallée, chercher des traces de leur passage, vérifier qu'ils n'avaient pas abandonné Reynald quelque part en route. Mais elle n'était pas sûre de pouvoir franchir le mur dans l'état dans lequel elle se trouvait. Elle pouvait aussi continuer à fouiller la ville... une aiguille dans une meule de foin. Elle n'y arriverait jamais. Puis ça servait sûrement plus à rien. C'était trop tard...
Bon... Elle allait commencer par trouver à boire, déjà. Voir si elle tenait debout, si elle parvenait à marcher, pour décider ce qu'elle pouvait espérer tenter. Elle n'était pas venue ici pour se laisser crever au fond d'une grange. Peut-être que son moral miné n'était pas étranger à son état de faiblesse générale, peut-être qu'elle pouvait se bouger, avec un peu de volonté...

Elle toussa à nouveau en entrebâillant doucement la porte de la grange. Une sale toux. Et elle était si faible. Il lui faudrait... un clerc. Elle songea au temple, brièvement. Si elle frappait, la dénoncerait-il ? Peut-être que non... mais elle sentait la peur lui vriller l'estomac. En fait elle avait encore peur de mourir, finalement. Enfin, surtout peur de subir le sort... que celui qu'elle aurait dû subir l'autre fois. Elle frissonna. Le clerc, ce serait le dernier recours. D'abord, juste chercher à boire, manger un bout. Peut-être que ça irait un peu mieux, qu'elle y verrait plus clair...

[Galathée]

Astrée localisa sans peine un lavoir, se guidant sur le murmure de l'eau. Mais même rafraîchie, sa vision demeura trouble et ses jambes flageolantes. La vue de la nourriture lui révulsa l'estomac d'une manière telle qu'elle dut renoncer à se sustenter. Son esprit demeurait douloureux, incapable de concentration, fébrile, et elle avait mal aux membres comme si elle avait couru sans relâche pendant plusieurs jours. Elle fut à nouveau prise d'une quinte de toux qui lui semble résonner sur le toit du lavoir, en échos bruyants. Au dehors, la nuit était claire et tranquille, sans doute les risques étaient-ils plus élevés qu'elle croise des promeneurs, si elle venait à s'aventurer, fiévreuse, dans les rues.

[Voyageuse]

Mal partout. Fièvre. Astrée revint en grelottant se réfugier à nouveau vers la grange. L'air frais n'avait apporté aucune amélioration. Elle n'avait qu'une envie, se blottir dans la paille et dormir. En espérant que ça aille mieux demain... Mais demain, il serait peut-être trop tard. Il était déjà trop tard, sans doute.
Elle but encore, à petites gorgées, pour s'hydrater, posa une compresse humide sur son front, puis elle ferma les yeux un moment. Elle n'arrivait plus vraiment à réfléchir. Le temple. Elle avait besoin d'un clerc... ou de quelques jours de repos au chaud, avec quelques infusions. Mais elle ne pouvait pas faire de feu.

Si elle allait au temple, peut-être que le clerc la soignerait, peut-être qu'il lui dirait, aussi, ce qu'il était advenu de Reynald. Elle pourrait le convaincre, peut-être, de le laisser vivre, s'ils ne l'avaient pas déjà tué. Ou peut-être qu'il appellerai des hommes armés et qu'on la tuerait. Elle n'aurait même pas la force de s'enfuir. Et elle ne pourrait plus rien. Elle ne pouvait déjà plus rien, de toute façon. Trop malade.
Elle sentit les larmes couler sur ses joues. Il fallait qu'elle se repose encore un peu. Il y avait trop de monde. Ensuite... Elle repartirait au hasard des rues, à chercher tout ce qui pouvait ressembler à une fenêtre de cellule. Lentement. Même si ça ne servait à rien... Elle irait plutôt vers l'est et le quartier du temple. Si son état empirait encore, si la tâche était au-dessus de ses forces, elle y chercherait de l'aide. Avait-elle vraiment quelque chose à perdre ?

[Galathée]

Le temps ne l'aida en rien. A attendre, souffrante, elle se rendormit, puis se réveilla, puis s'endormit encore. Quand elle émergea, il devait être passé minuit depuis longtemps. Elle se sentait toujours faible, mais la fièvre était tombée. Elle eut cependant toutes les peines du monde à descendre de son perchoir et manqua tomber plusieurs fois. Une fois dans la rue, l'appui des murs lui fut indispensable pour progresser, incroyablement lentement. Il semblait y avoir mille soupiraux obscurs dans la ville, un ou deux pour chaque maison, et son regard humain n'y discernait que ténèbres. Personne ne répondait quand elle appelait Reynald et sa voix rauque ne rencontrait que le silence.