Quête : Les caprices de Fortune - à Graëlon

[Lothringen]

(HRP : cette quête prend directement la suite de la quête "Guerre des Plaines Brûlantes"
http://www.baldursgateworld.fr/lacouron ... post362313)

Si Lothringen avait espéré un retour discret en ciblant la façade du temple de Valkhur, il fut bien déçu : à peine avaient-ils repris pied après l'épreuve stomacale toujours un peu douloureuse de la téléportation, qu'un officier de garde se portait à leur rencontre. Il avait sûrement beaucoup de nouvelles et de dépêches en attente, mais le conseiller l'arrêta tout de suite : ils n'avaient pour cette nuit besoin que de prêtres, de lits, et de repos. Dans cet ordre.

Peu de temps après, il revenait en compagnie de deux clercs de Valkhur qui les aidèrent à transporter leurs deux blessés dans une des chambres réservées à l'accueil des malades, puis leur dispensèrent de nouveaux sorts de soin. Losha et Rowan parurent alors épuisés, mais guéris : les deux prêtres expliquèrent qu'il valait mieux les laisser dormir tout leur saoul si l'on voulait favoriser leur rémission. Le conseiller demanda à ce qu'ils puissent passer la nuit dans la même chambre, et ce lui fut accordé.

Il s'intéressa alors à l'officier, pour lui ordonner d'informer le gouverneur de Graëlon et de lui demander de faire le nécessaire pour procéder à l'accueil d'une quinzaine de rescapés de Chêne-des-Clercs, qui seraient téléportés en ville le lendemain. Pour sa part, il renonça à se mêler de ces préparatifs : la téléportation est un sort exigeant, et il était à bout de forces. Il articula un vague bonsoir aux deux gardes, s'allongea et s'endormit tout habillé sur son lit.

Bien que dans le même état d'épuisement, Aeron se tourna vers Mornagest avec un regard las.

"Il ne reste plus que nous deux pour monter la garde, je le crains..."

[Mornagest]

Le retour avait une nouvelle fois été une épreuve, mais face aux jours de chevauche à travers les collines et les bois, c'était un soulagement. Néanmoins, la fatigue leur collait les paupières, et, bien qu'ils fussent heureux de voir que sire Rowan et Losha s'en tireraient avec de jolies cicatrices et de mauvais souvenirs, ils n'avaient qu'une seule envie : s'effondrer de sommeil sur un bon lit et dormir une journée entière.

Et voilà que le maudit Lothringen s'affalait comme un malpropre sur son lit, les laissant, Aeron et lui, de corvée de garde sans plus de cérémonie. Mornagest l'aurait étranglé ! Mais il était trop fatigué pour plaisanter, et il se contenta de répondre d'une grimace désabusée à son comparse.

Il faudrait lutter contre l'endormissement prématuré. Les ennemis potentiels - bien que très peu probables ici - seraient plus faciles à gérer.

[Lothringen]

Aeron et Mornagest ne se sentirent pas si seuls que cela ; on entendait aller et venir dans les couloirs et autour du temple, et on vint plusieurs fois les trouver à la porte du dortoir. Ce fut d'abord l'officier de tantôt, qui avait eu l'espoir de tomber encore sur le conseiller : il leur annonça qu'il avait porté son message à l'Hôtel de ville, où leurs quartiers les attendaient d'ailleurs, et que le gouverneur avait pris la liberté de déployer une unité armée autour du temple. Un messager survint peut-être une heure plus tard - un homme grand, botté, aux cheveux noirs ; il portait un uniforme, mais Mornagest ne connaissait pas assez l'armée manostienne pour l'identifier. Il annonça à Hugues qu'il était porteur d'un message pour le conseiller. Comme tous les messagers depuis que le monde est monde, il semblait persuadé que le sien était de la dernière urgence : la preuve, n'était-il pas à battre le pavé en pleine nuit pour le porter ?

[Mornagest]

Au moins, ils n'avaient pas à combattre l'ennui. Quoique... des allées et venues, cela devenait vite lassant. Et voilà qu'un messager surgi d'on ne savait où réclamait à voir Lothringen... qui était-il ? Mornagest était méfiant par nature, et laisser cet homme entrer sans plus de cérémonie ne lui serait jamais venu à l'esprit. Il avait de toute façon une excellente raison de ne pas le laisser voir le conseiller à cette heure indue.

"Désolé, mais le conseiller a un besoin urgent de repos. Il faudra que vous repassiez plus tard, ou que vous nous confiiez votre message afin que nous le lui remettions dès son réveil."

Il était pleinement réveillé et aux aguets, maintenant. Autant que faire se pouvait après une telle épreuve sans la moindre heure de sommeil depuis lors, en tout cas.

[Lothringen]

L'homme ne se démonta pas pour autant. Peut-être s'était-il attendu à cette rebuffade somme toute un peu prévisible. Il toisa les deux gardes, tout en esquissant un sourire un peu sec. Abandonnant rapidement - un peu trop rapidement, peut-être - son idée première, il reprit avec une certaine impatience :

"Je suppose qu'il est inutile d'insister ? Très bien, mais je ne peux vous laisser le message, je dois le remettre en main propre, ordre du capitaine Bacramad. Puisque je vais devoir rentrer sans avoir accompli ma mission, au moins quelles nouvelles puis-je lui donner du conseiller et de son expédition ? Je ne puis retourner les mains vides."

[Mornagest]

Il se détendit, satisfait de ne pas devoir insister pour laisser Lothringen se reposer comme il le devait. Il hésita un instant quand aux nouvelles à donner, cependant. Mais elles n'avaient rien de secret, et elles devaient déjà être plus ou moins connues des gardes qui patrouillaient aux alentours, ainsi que des responsables de Graëlon.

"Le conseiller est sain et sauf. Deux des membres de la Garde ont en revanche disparu lors d'un assaut contre une secte d'adorateurs d'un démon. Il y a eu d'autres pertes en-dehors de la garde, notamment dans les rangs luméniens." Il marqua une brève pause, puis ajouta : "Le conseiller vous en dira davantage. Vous comprendrez que je préfère le laisser mettre au courant le capitaine des détails de cette affaire."

Ce qu'il avait sommeil !...

[Lothringen]

L'homme parut très intéressé de ce résumé. Peut-être ces informations n'étaient-elles pas aussi connues à Graëlon que le supposait Mornagest. Après tout, à part pour ce qui concernait l'accueil des réfugiés, Lothringen n'avait pas été prodigue de détails à son retour... et les autres rescapés n'arriveraient pas avant le lendemain.

"Des adorateurs de démon, dites-vous ? Ciel... Et cela se passait en territoire manostien ? Par ailleurs, quelles étaient les unités luméniennes impliquées ?"

Après un temps, il ajouta.

"Toujours pour mon rapport, vous comprenez..."

[Mornagest]

À nouveau, Mornagest se méfia de l'homme. Son ton ne laissait pas augurer qu'il était réellement un messager, et il commença même à soupçonner qu'il avait entendu le nom du capitaine dans un couloir pour le donner en cas de barrage... Le guerrier ne se démonta pas et répondit d'un ton qu'il voulait ferme :

"Je regrette, mais seul le conseiller pourra vous donner davantage de détails sur cette affaire. Revenez plus tard, comme je vous l'ai suggéré."

D'autant que les informations tactiques ne regardaient que les commandants des armées, pas les messagers... Non, décidément, Mornagest n'aimait pas cet homme. Il reprit sa posture de garde afin de signifier que leur conversation était terminée.

[Lothringen]

Le messager resta planté là quelques instants encore, vit qu'Aeron avait plus ou moins calqué sa posture sur celle de son premier interlocuteur, et, dépité, laissa là les deux cerbères, en maugréant. La nuit se poursuivit, longue et sans autre incident, surtout peuplée de fatigue, de paupières lourdes et de bâillements. Au petit jour, plusieurs autres messagers se présentèrent. Quelques uns consentirent à laisser leurs messages : il fallait croire que la Garde Blanche inspirait plutôt confiance aux initiés. Ni Lothringen ni leurs collègues convalescents ne donnaient encore signe de vie.

Un peu plus tard, Mornagest se réveilla en sursaut, adossé au mur, un pommeau d'épée dans les côtes: cadeau de son comparse Aeron, qui n'entendait pas le laisser dormir tranquille. Le guerrier vit qu'il tenait entre ses propres mains des feuillets froissés - les fameuses missives reçues un peu plus tôt. Il en était encore à les contempler quand il entendit remuer dans le dortoir derrière eux. La porte s'ouvrit, et le semi-drow apparut, manifestement pas très frais bien qu'il ait indéniablement dormi plus qu'eux.

"Bon sang, vous avez veillé toute la nuit ? Je suis désolé, j'étais tellement épuisé, je n'y ai pas pensé..." Tandis qu'il parlait, le semi-drow se massait le crâne, tout en arborant une mine sincèrement contrite. Il devinait bien qu'enchaîner une nuit blanche sur un combat pareil ne devait pas être une partie de plaisir, surtout quand on songeait que la nuit précédente, gâchée par le sortilège de cauchemar, n'avait pas été tout à fait récupératrice non plus.

[Mornagest]

À en juger par le regard amusé d'Aeron, Mornagest devait tirer une tête jusque par terre, lui aussi. Rien de pire que de s'assoupir dans une position inconfortable pour être réveillé en sursaut quelques secondes après par un camarade jaloux de son repos fortuit.

Avec un peu de chance, ils pourraient dormir un peu pendant la journée, en admettant que Lothringen disposât d'autres gardes pour veiller sur lui. Pour sa part, Mornagest ne pouvait plus envisager de rester aux aguets plus de trois minutes sans s'endormir debout. Ennemis à proximité ou non... Il se ressaisit toutefois suffisamment pour ne pas bailler devant le conseiller et lui répondit :

"Nous sommes là pour ça, messire. Et pour recevoir des messages qui vous sont adressés", ajouta-t-il après s'être souvenu qu'il en tenait une liasse dans sa main. Il les tendit au semi-drow avant de poursuivre : "Un autre messager est venu durant la nuit et affirmait devoir vous remettre un message en mains propres, de la part du capitaine Bacramad. Nous lui avons fait comprendre qu'il valait mieux vous laisser tranquille et qu'il devrait revenir plus tard. Cependant... son attitude était étrange" acheva-t-il, l'air songeur mais ensommeillé.

[Lothringen]

Lothringen prit machinalement en main les lettres qu'on lui tendait et dévisagea Mornagest à la dérobée. Une pâleur de non-vie, des cernes profondes comme des besaces... Il ne tiendrait plus très longtemps, mais par qui le faire relever ? Les autres gardes, peut-être déjà téléportés, étaient tous en attente de soins ; il n'y avait plus qu'Haldir de valide, mais il se trouvait avec ces derniers, c'est-à-dire les dieux savaient où. Pour quelques heures encore, il allait falloir serrer les dents.

"Un espion, peut-être ? Nous verrons cela plus tard. Tenez, entrez vous asseoir au moins sur les lits pendant que je dépouille ce courrier..." ajouta-t-il en leur libérant l'entrée. Ils purent alors constater que leur capitaine, sire Rowan, emplissait le dortoir d'un ronflement très régulier, qui faisait penser au doux chuintement d'un moulin à eau.

Lothringen ouvrait les lettres une à une. Sans en lever le nez, il lui arrivait de les commenter à voix haute.
"Vos collègues ont été téléportés... Ils sont à l'Hôtel de ville. Nous devrions les rejoindre dans la matinée, j'ai dans l'idée que le temple va avoir besoin de toutes ses chambres et j'y serai plus à l'aise pour recevoir. Mais j'ai scrupule à réveiller nos loirs..."

Il parlait des deux gardes endormis, qui reposaient du sommeil du juste. A leur décharge, les blessures qu'on leur avait vues, la veille, auraient été mortelles sans les soins cléricaux. Lothringen aurait sans doute pu partir sans eux, mais il semblait répugner à séparer ses hommes davantage.

Il poursuivait sa lecture.

"Le gouverneur de Manost me signale la présence d'unités luméniennes en ville... Nos alliés semblent décidément préférer l'inutile occupation des grandes cités côtières à la ligne de front intérieure, ils ne se feront pas d'amis de la sorte."

Il y avait fort à parier que le ou les successeurs de Lothringen auraient quelque peine à leur faire retrouver le chemin de leurs navires, et que cela génèrerait de fortes tensions. Le semi-drow soupira. L'histoire retiendrait que c'était de sa faute, puisque c'était lui qui avait fait appel à eux... Mais il n'avait pas eu le choix.

"Le choc des armées du sud n'a pas encore eu lieu. Les caprices météorologiques ont ralenti la progression des deux colonnes..."

Il ne commenta pas la dernière missive, qui le rendit aussitôt soucieux. Il la relut, et au lieu de s'y attarder, alla appeler dans le couloir afin qu'on leur apporte trois plateaux de déjeuner. Souhait qui fut exaucé quelques minutes plus tard, au soulagement général : des bols de lait chaud, des petits pains sortant du four... de quoi remplir les estomacs que le chaotique portail d'Halaster avait vidés.

[Mornagest]

S'asseoir ? Mais il tomberait endormi sitôt son derrière posé ! Il ne résista cependant pas longtemps à la tentation, car cette position serait sûrement plus confortable que celle de planton dans le couloir...

Tandis que Lothringen lisait les messages reçus durant la nuit, Mornagest s'efforçait de se maintenir éveillé en dardant de fréquents coups d'œil un peu partout dans la chambre. S'il fermait les yeux une seconde, il se mettrait aussitôt à ronfler...

À travers un voile de coton, il entendit son compagnon marmonner des commentaires sur le courrier, mais il ne pouvait en saisir le sens car il comprenait un mot sur trois, et encore.

Il tombait. La chute était interminable. Au fond, un néant des plus obscurs. Autour de lui, un paysage désolé, en cendres, tout en nuances de gris. Des visages apparaissaient devant lui, brièvement, avant de s'évaporer aussi rapidement. Des gens qu'ils connaissait. Mais dont il avait oublié le nom... Un elfe. Une jeune femme. Une sorte d'elfe avec des cornes.

Il sursauta lorsqu'il reçut un nouveau coup dans les côtes, de la part d'Aeron. Il transpirait à grosses gouttes.

[Lothringen]

"Vous devriez manger, Hugues", insista Lothringen, inquiet. Il était parfaitement conscient de l'état de son compagnon mais manquait de solution pour l'instant. Lui-même dévora le contenu de son plateau comme s'il était à jeun depuis une journée entière, ce qui n'était pas loin d'être le cas. Quand il eut fini, il s'installa à une petite table et se mit à rédiger quelques réponses rapides aux messages les plus urgents. La correspondance était lapidaire: il donnait des rendez-vous, des noms de personnes à contacter, des informations minimales sur la situation. Il n'était pas bien installé et dans la plupart des cas, une bonne audience remplacerait avantageusement l'échange écrit. Il cacheta les plis et les confia à Aeron, avec mission de les distribuer aux soldats de faction qui stationnaient autour du temple. Le garde n'avait pas à aller très loin, il lui suffirait de trouver dans le couloir un officier de liaison auprès duquel se décharger du problème. Dans l'intervalle, Lothringen demeuré seul avec l'ombre de Mornagest au bord de l'évanouissement ne put que souffler : "J'ai convoqué Haldir. ça ira ?..."

[Mornagest]

Suivant le conseil de son compagnon, il avait entamé un solide déjeuner. Il en avait effectivement besoin, car l'énergie qu'il n'avait pas récupérée avec cette nuit blanche était en partie compensée par ce repas roboratif. Il allait un peu mieux lorsque Lothringen l'interrogea.

"Oui. Désolé... les nuits ont été longues, ces derniers temps. Ce rêve qui me hante encore... tu sais de quoi je parle." Il n'en ajouta pas davantage, ne sachant trop quand Aeron reviendrait, ni si quelqu'un d'autre était éventuellement susceptible de les entendre. Il grimaça en songeant trop tard qu'il venait de tutoyer Lothringen.

En évoquant au semi-drow son rêve, il ressentit un malaise indicible. Il avait bien en mémoire leur réveil commun après une... absence de trois jours. Mais aucun souvenir précis n'avait émergé de cette période on ne pouvait plus floue. Qu'avaient-ils enduré pour que leur esprit fût ainsi lavé de toute réminiscence ?

[Lothringen]

Le semi-drow, justement, n'était pas certain de deviner de quoi Mornagest voulait précisément parler. S'agissait-il des souvenirs de son passage sur le plan de Fugue, qui quelquefois peuplaient ses cauchemars ? Ou bien faisait-il allusion à leur long endormissement de trois jours, dont il n'avait pour sa part aucune réminiscence, même la plus infirme ? Ils étaient partis pour Chêne-des-Clercs sans avoir réglé ce mystère, et le temps ne lui avait pas rendu la mémoire de ce qu'il avait pu rêver. S'il avait rêvé... Ce sommeil n'ayant rien de naturel, Lothringen doutait qu'il y eut aucun souvenir à la clef. Peut-être cela reviendrait-il d'un coup, et peut-être jamais... Pour l'heure, le conseiller se demandait encore à qui ça avait pu profiter, car il était bien convaincu qu'il s'agissait d'une manipulation à visée politique.

La réponse énigmatique de Mornagest lui aurait donné envie de prolonger la conversation, mais il n'osa pas : Losha venait de se retourner dans son sommeil ; on entendait marcher dans le couloir. Un instant plus tard, Aeron était de retour, sa mission accomplie, les mains vides. Lothringen ferma les yeux. Jamais il n'avait le temps de prendre du recul par rapport à ce qu'ils venaient de vivre - aussitôt, d'autres soucis, d'autres urgences se présentaient... Il allait falloir qu'il trouve promptement le moyen de s'isoler avec Mornagest. Ou de lui parler, au moins. D'autant que, comme venaient de le lui apprendre les dernières nouvelles, les événements se précipitaient.

Lothringen reçut encore quelques messages, mais aucun émissaire du capitaine Bacramad. Une petite demi-heure plus tard, Haldir se présentait. Il avait pu dormir au campement luménien et semblait de loin le plus en forme des quatre hommes. Lothringen lui demanda de relever Hugues.

[Mornagest]

C'était une lutte de tous les instants, qu'il avait eu du mal à mener. Mais à force de sursauts et de clins d'yeux très fréquents, Mornagest réussit à rester éveillé jusqu'à l'arrivée de Haldir. Il accueillit avec un soulagement visible la nouvelle de sa relève, et il songeait déjà avec délectation au lit qu'il allait occuper pendant de très longues heures, il l'espérait. En réalité, il risquait fort bien d'être réveillé quelque temps plus tard pour une urgence soudaine, mais il préféra ne pas y songer et profiter du temps présent.

Le guerrier salua donc les autres gardes ainsi que Lothringen et alla se coucher, après s'être promptement déshabillé. Pour la toilette, ça viendrait plus tard. Il y avait plus important pour l'heure.

Malgré la tension accumulée et la fatigue musculaire et nerveuse, Mornagest sombra en quelques instants dans un sommeil lourd et bienvenu. Nul rêve ne vint le troubler, cette fois.

[Lothringen]

Tellement épuisé qu'il n'eut guère la moindre pensée pour Aeron, qui veillait depuis aussi longtemps que lui mais n'avait pas eu la chance d'être encore relevé, Mornagest s'endormit bien vite, d'un sommeil lourd. Si lourd qu'à son réveil, que nul tortionnaire n'avait cette fois hâté, il fut surpris de constater que le dortoir était vide, que les lits avaient été refaits, et que, s'il fallait en croire l'inclination du soleil depuis le vasistas, la mi-journée devait être largement passée.

A quelques salles de là, il entendait discuter à voix basse : des clercs reconvertis en garde-malades, sans doute. Ses propres affaires étaient restées telles qu'il les avait laissées un peu plus tôt, posées sur une chaise, en un certain désordre. Il eut beau lorgner sur la table et les petits meubles de chevet, il ne vit aucune instruction à son attention. Sans doute la consigne était-elle si évidente qu'elle pouvait se permettre de rester implicite.

[Mornagest]

Il avait mal partout. L'âge venant, il lui devenait plus difficile de combattre et voyager des jours entiers sans en ressentir les effets le lendemain. Il avait déjà la chance de voir ce lendemain... et d'avoir pu dormir un peu. Trop peu à son goût, mais s'il s'était écouté, il aurait dormi jusqu'au lendemain matin, ce qui n'était évidemment pas envisageable.

Se levant en maugréant, il se demanda où il pourrait faire un brin de toilette. Non... un bain entier lui aurait fait du bien. Il s'habilla et s'équipa toutefois, car il n'était peut-être pas vraiment le temps de ce genre de divertissement certes nécessaire mais également agréable. Bah. Il demanderait, au moins.

Il sortit du dortoir et se mit en quête de l'origine de ces voix. Ces gens pourraient sans doute le renseigner...

[Lothringen]

Il n'eut pas à marcher bien longtemps : les annexes du temple comprenaient, répartis le long d'un couloir commun, quatre à cinq dortoirs en tout point identiques à celui qu'il venait de quitter. Dans le premier, il ne vit que des villageois hagards ou endormis, qu'il soupçonna d'être les rescapés de Chêne-des-Clercs. Il en allait de même dans le second, où il vit néanmoins deux individus debout qui discutaient, homme et femme ; c'étaient eux qu'il avait entendus plus tôt. Sa demande les prit un peu de cours. Ce fut la femme qui répondit.

"Vous pouvez utiliser la salle d'eau des quartiers des prêtres, ce n'est pas bien loin... bah, je vais vous guider."

Un ou deux couloirs plus tard, elle lui montrait une pièce de dimension modeste où l'on pouvait trouver un meuble de toilette doté d'une vasque, de serviettes et d'un seau d'eau.

"Nous avons beaucoup utilisé d'eau pour laver les malades, et comme il faut aller la puiser, nous sommes un peu à court... Mais vous pourrez déjà vous décrasser un minimum."

Elle rougit de sa maladresse. Mornagest et ses vêtements sentaient effectivement le cheval, la sueur, la boue, le sang séché, avec une intensité plus que virile.

[Mornagest]

Il remercia vivement la femme, ajoutant : "Je comprends. Je vais me contenter du minimum. Priorité aux blessés et aux malades." Il ponctua sa phrase d'un sourire, afin de bien signifier qu'il n'était pas ironique dans ses propos. L'envie de se débarrasser de sa crasse et de son odeur de mort le tenaillait, mais il ferait avec les moyens du bord. Heureusement, il avait dans son équipement un morceau de savon...

Une fois la femme partie, il entama ses ablutions. D'abord sommaires, puis, songeant qu'il n'aurait peut-être pas l'occasion de se laver à nouveau avant plusieurs jours, plus complètes. L'eau était fraîche, et elle acheva de le réveiller pleinement et de le remettre en bonne forme. Il se sentit un autre homme lorsqu'il en eût terminé...

Il se rhabilla une fois encore, de ses vêtements tachés de sang, puis s'équipa et se mit en quête du reste de la garde. Il avait sûrement des missions à accomplir, autres que de se laver de fond en comble... il se sentait un peu honteux, mais heureux toutefois de paraître plus présentable.

[Lothringen]

Le guerrier ne trouva pas trace de ses collègues de la garde. Il put aussi constater que le dispositif de sécurité avait été levé, et qu'il n'y avait plus de soldats dans les couloirs ni autour du bâtiment : cela indiquait assez clairement que le conseiller non plus n'était plus là. La nef du temple était à peine peuplée de quelques visiteurs, marchant sans bruit dans les allées. Le culte de Valkhur était assez développé chez les marins, les armateurs et les marchands - et Graëlon était tout entière tournée vers la mer; seule l'omniprésence du culte helmite l'avait empêché de s'étendre davantage le long des côtes.

Dehors, le soleil un peu pâle pleuvait à verse sur les pavés. Mornagest reconnut la place du marché où Lothringen les avait téléportés, lors de leur première arrivée à Graëlon : ils avaient créé un début d'émeute en renversant un étal. Fort heureusement, cette fois, ce n'était pas jour de marché, et les abords étaient calmes. Il aperçut néanmoins une patrouille qui passait.

[Mornagest]

Examinant les alentours, Mornagest ne vit aucun visage connu. Il n'y avait pas grand-monde, et il n'était resté qu'une partie de journée à Graëlon ; c'était donc peu surprenant. En revanche, il s'étonna de l'activité assez faible qui régnait en ville. L'armée était-elle partie si loin ? Quand étaient-ils partis pour Chêne-des-Clercs, au fait ? Une semaine ? Cela pouvait s'imaginer. Mais il revoyait encore la foule qui régnait dans les rues lors du débarquement des navires luméniens, de l'arrivée des troupes manostiennes...

Il avisa la patrouille de gardes, non loin de lui. Ils pourraient sans doute le renseigner.

"Excusez-moi, messires", fit-il à leur encontre. "Pourriez-vous me dire où se trouve le conseiller Lothringen ?"

Peut-être chez le gouverneur, ou au temple de Tymora... mais cette idée ne l'enchantait guère, au contraire.

[Lothringen]

Reconnaissant la cape blanche de la garde personnelle du conseiller, le chef de patrouille avisa Hugues avec étonnement ; qu’est-ce que c’était que ce garde du corps égaré ?

« Le conseiller et son escorte sont rentrés à l’Hôtel de ville depuis déjà deux heures ; nous avons repris nos circuits de patrouille ordinaires depuis lors. A ce qu’on m’a dit, le conseiller a repris ses quartiers là-bas. »

Il lui indiqua alors la direction à suivre – ce n’était pas bien compliqué, d’autant que son interlocuteur avait déjà arpenté la ville précédemment.
Au fil du chemin, Mornagest croisa d’autres patrouilles, ainsi que des soldats luméniens. L’armée depuis son départ avait laissé un grand vide, et une partie de la population semblait avoir prudemment délaissé les lieux pour des régions moins exposées. L’activité en ville était moindre que d’ordinaire, c’était une évidence. Plus il approchait du bâtiment, moins cela se voyait, néanmoins ; la résidence du gouverneur était le centre d’aller et venues nombreuses, car elle accueillait encore, outre le gouverneur et le conseiller, une partie de l’état-major manostien.
Reconnaissant sa tenue, on ne fit pas de difficultés pour le laisser entrer. Il ne lui restait plus qu’à rejoindre les quartiers du conseiller, qu’il connaissait déjà. Il fut néanmoins cueilli dans un couloir par la voix de son supérieur, à peine affaiblie par la convalescence.

« Hugues ! Enfin, vous voilà. Vous avez mis le temps. Déposez vos affaires dans le dortoir, et rejoignez-nous sur l’aire d’entraînement. »

[Mornagest]

Il était vraiment resté trop longtemps au lit... mais il en avait besoin, et personne n'était venu le réveiller, ce qui laissait supposer que l'urgence n'était pas de mise. L'accueil de sire Rowan le fit cependant rougir, et il bredouilla des excuses, tout en se réjouissant de son rétablissement apparemment très rapide.

"Désolé, sire. J'escomptais que l'on me réveille en cas de problème, je le confesse..."

Il alla donc poser son paquetage en notant mentalement d'emporter des vêtements de rechange, car les siens empestaient. Bien la peine de faire une toilette complète pour finir ainsi.

Il rejoignit les autres membres dans la cour, équipé. Les choses sérieuses avaient déjà bien commencé avec cette secte mélandienne, et ils n'avaient pas encore abordé la guerre...

[Lothringen]

Il embrassa du regard ses collègues. Ils n'étaient que six, en comptant leur capitaine. Les autres devaient être de garde, ou de repos, ou encore alités, ou... morts. Certains avaient des mines très pâles, et s'ils portaient vaillamment leur équipement comme si de rien n'était, paraissaient affaiblis. C'était le cas de sire Rowan lui-même.
Ce dernier, les mains posées sur la garde de sa longue épée, les considéra quelques instants. Il n'en était pas à sa première bataille, ni à ses premières pertes, ni même à son premier démon. A certaines choses, pourtant, on ne peut jamais s'habituer.

"Je vous ai réunis pour vous parler : il n'y aura pas d'entraînement aujourd'hui. Comme vous le voyez, nous ne sommes que la moitié du groupe. Je réunirai les autres une seconde fois, le moment venu, mais ils seront moins nombreux... Avec Oscar et Delvas, nous avons perdu deux hommes de valeur hier."

Il marqua un temps de silence, à leur mémoire. Les corps étant demeurés enfouis sous les roches, il n'y avait nul espoir ni de rappel à la vie, ni même de funérailles décentes pour les familles. Une fin bien obscure pour une existence bien exigeante...

"Bien entendu, il existe une liste d'attente de personnes susceptibles de les remplacer. Mais ces personnes sont parties avec l'armée, il faudrait avoir le temps de les former, et de temps, nous n'en avons guère... Aussi ai-je préféré que nous continuions de fonctionner avec un groupe certes restreint, mais plus aguerri. Avant de vous donner quelques informations sur ce qui nous attend dans les jours qui viennent, j'aimerais revenir avec vous sur le combat d'hier, dans la mine. Quelles ont été les bonnes initiatives, les erreurs ? Avez-vous des commentaires à ce sujet ? Hugues ?"

[Mornagest]

Ainsi donc, leur mort était confirmée... il fit la grimace. Bien qu'il eût intégré la garde peu de temps auparavant, Mornagest avait rapidement appris à connaître ses membres, après plusieurs semaines de préparation à la campagne militaire et un assaut contre des fanatiques. La perte était toujours douloureuse, malgré une victoire relative...

Le silence qui suivit la déclaration de sire Rowan instilla en lui un sentiment de malaise. Plus que jamais, il avait l'impression que la mort se tenait en équilibre au-dessus de lui, et qu'il n'avait bénéficié que d'un bref sursis suite à sa résurrection. Sa boule au creux de l'estomac ne s'estompa pas rapidement.

Sire Rowan demanda son avis en premier lieu, et il en fut surpris. Il était loin d'être le meilleur des gardes, ni le plus expérimenté en matière de tactique pure... peut-être était-ce pour ça qu'il était questionné d'abord ?

"La tentative de se débarrasser en premier lieu du nécromancien me paraît être justifiée, surtout a posteriori. Il disposait de pouvoirs plus importants encore que nous ne l'imaginions de prime abord... Notre erreur a en revanche été de sous-estimer sa capacité à convoquer cette... chose. Avec cette idée en tête, nous aurions pu nous concentrer encore davantage sur le magicien et l'anéantir avant qu'il puisse méfaire."

Les alliés avaient disposé de peu de temps pour agir, et la disposition des lieux ne se prêtait guère à un déploiement massif. Le terrain avait joué contre eux, et malgré cela, ceux qui devaient contenir les renforts ennemis s'était parfaitement acquitté de leur tâche, les magiciens avaient contré autant que faire se pouvait les sortilèges du nécromancien... des erreurs, il pouvait en recenser des dizaines quant à ses propres actions, mais de façon globale, et de son point de vue, l'ensemble s'était déroulé sans faille grave. Évidemment, il n'était pas capitaine, et son jugement était sûrement plus débonnaire que celui de sire Rowan.

[Lothringen]

"Effectivement, je crois que personne ne s'attendait à une invocation d'une telle puissance. A votre tour", lança-t-il à un garde qui levait la main.

"Je ne suis pas convaincu que nous aurions pu être tellement plus rapides vis-à-vis du nécromancien. Il était très préparé - intégralement protégé contre les attaques à distance, même magiques, et retranché derrière des rangs épais de créatures sacrifiables. J'imagine que seul Halaster aurait pu briser ses protections, et s'il a préféré contrer le sort, c'est qu'il devait sentir que lui-même n'en aurait pas le temps."

"Bien vu", opina le capitaine. "Quoi qu'il en soit, votre action contre le nécromancien était nécessaire, Hugues. Dans de nombreux cas, cela suffit à briser le pacte et renvoyer la créature d'où elle vient. Sauf si la créature est trop puissante et satisfaite de sa présence sur Toril... Hadlis ?"

"Hé bien, répondit ce dernier en réprimant une grimace. Pour ma part, si j'avais su plus tôt quelle était la puissance d'Halaster et ce qu'il cherchait à faire, j'aurais compris que nous ne devions pas chercher à affronter la créature, mais à gagner du temps. La stratégie aurait dès lors été très différente, et la prise de risques bien moindre."

Sire Rowan soupira.

"Vous avez raison. Nul d'entre nous n'a réussi ne serait-ce qu'à toucher de son arme cet adversaire. Même chose chez nos alliés.
A vrai dire, je ne crois pas qu'il y ait eu de faute majeure, compte tenu des mauvaises surprises successives. Haldir et Aeron ont vaillamment tenu le couloir, et les autres ont fait ce qu'ils avaient à faire en première ligne. Néanmoins, vous avez laissé rapidement le flot ennemi vous séparer les uns des autres, de sorte que nous avons perdu tous les avantages de la coordination. Qui plus est... Un seul d'entre vous peut-il me dire où était le conseiller pendant la phase d'assaut sur le démon ? Et lors de l'évacuation ?"

Il y eut un début de silence gêné. La plupart des gardes, concentrés sur leur objectif du moment, avaient alors totalement perdu de vue cet aspect-là de leur mission...

[Mornagest]

L'analyse était bonne. Qu'auraient-ils pu faire de plus ? D'autant qu'il était certain de ne pas être le seul à avoir eu son baptême du feu contre les créatures démoniaques durant ce combat.

Vint la question de la "disparition" du conseiller. Mornagest savait... en partie, du moins. Il ignorait à partir de quand Lothringen s'était rendu invisible, mais il l'avait aidé à se relever durant la fuite. Sans quoi, il aurait peut-être fini comme Oscar et Delvas... Il se racla la gorge avant de répondre.

"Le conseiller a utilisé un sortilège d'invisibilité. Probablement pour éviter de devenir une cible trop tentante." Il évita d'en dire trop ; cela risquait d'éveiller des soupçons dont il se passait très bien.

[Lothringen]

"Ah oui, intervint Haldir, qui avait manifestement achevé son tour de garde pendant que Mornagest dormait. Je me rappelle l'avoir vu dissiper son invisibilité lorsque nous sommes sortis du portail. Il était infecté par une sorte de maladie que le prêtre de Lathandre a guérie... "

"Alors c'est qu'il avait dû affronter l'un des vrocks. Je vérifierai auprès des absents, mais je parierais qu'aucun d'entre vous ne l'appuyait." Il sourit. "Ce n'était pas mon cas non plus, aussi ai-je ma part de responsabilité, bien sûr.
Vous l'aurez compris, à l'instar du Grand Émissaire, le conseiller Lothringen n'est pas du genre à se satisfaire d'une place au balcon ; à nous de nous adapter. Il semblerait que je doive vous rappeler les bases : notre rôle est de protéger le conseiller, et cela passe devant toute autre consigne. Ce qui veut dire aussi, devant une attaque démoniaque. Et même, le cas échéant, devant les ordres du conseiller lui-même."

Il baissa les yeux.

"Je vais devoir réviser notre organisation de manière à ce qu'une telle lacune ne se reproduise pas. Des suggestions ?"

[Mornagest]

Mornagest sourit. Il savait que Lothringen exécrait l'idée de rester en arrière-plan tandis que les autres se chargeaient du sale boulot. Sans doute un réflexe de son passé de mercenaire près à affronter la mort de très près... Comme lui, à vrai dire. D'un autre côté, la position de sire Rowan se justifiait : si Lothringen venait à être sérieusement blessé - sinon pire - Manost ne pouvait plus que chuter plus durement. Il fallait donc éviter les risques les plus inconsidérés.

Il attira l'attention de son supérieur avant de proposer : "Établir une garde rapprochée à tour de rôle. Lorsque ce serait notre tour, nous ne lâcherions pas le conseiller d'une semelle, sous aucun prétexte. Durant le combat, personne n'avait précisément eu cette consigne." La remarque était peut-être peu diplomate. "Enfin... nous devons tous le garder, bien sûr, mais... enfin, vous me comprenez", bredouilla-t-il maladroitement.