[Bâtiment] La Taverne de la Gorgée d'Orge

[Manfred]

Bien ! Très bien ! Ce que Silmandel savait de la lycanthropie se vérifiait. Il comptait ensuite retourner à sa forme hybride et pourquoi pas réitérer la manœuvre à deux ou trois reprises. Mais avant, il allait devoir se reposer. Et avant cela, il avait une petite visite à rendre à Alexandre. Aussi discrètement que possible, le chat gris s’extirpa de sous les draps, quitta le lit et, à pattes de velours, gagna celui du garçon. Et hop ! D’un bond souple, le voilà à destination. Aussitôt, il se mit en devoir de trouver un coin confortable pour s’y installer. Etant tout de même un gros matou, il était sans doute impossible que cette intrusion passe inaperçu.

[Taliesin]

Au moment où il bondit sur son lit, le garçon poussa un cri de surprise et se redressa brusquement.
-Pile au moment où j'étais enfin sur le point de dormir ! lâcha-t-il d'une voix encore mal assurée.
Du pied, il poussa doucement l'intrus.
-Allez, ouste, retournez chez vous ! Sinon, je vous préviens, ça va mal se passer, d'autant que vous êtes plus en mesure de résister !
Son ton, cette fois, était faussement menaçant.

[Manfred]

Plus en mesure de résister ? Cela restait à voir. Depuis quand les chats avaient-ils besoin de muscles pour demeurer sur un lit ? Leur plus grande arme était... le ronronnement. Silmandel ronronna donc et il se fit câlin, très câlin. Une grosse boulle de poils attendrissante. Le garçon oserait-il rejeter le gentil matou cherchant juste à s’étendre... en plein milieu du lit ? Ben oui, en plein milieu, parce que c’était le plus drôle !

[Taliesin]

Alexandre osa, oui. Peut-être simplement parce qu'il savait ne pas avoir affaire à un vrai chat.
-Si vous croyez que ça va marcher, vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu'au coude ! lança-t-il.
L'instant suivant, il se levait.
-J'avais prévenu : par de matou envahissant sur mon lit ! Alors vous pourrez pas vous plaindre.
Et il entreprit de soulever précautionneusement Silmandel pour le déposer sur la couche que venait d'abandonner ce dernier.

[Manfred]

Ha mais non ! Ça n’allait pas se passer ainsi. Pas du tout ! Silmandel se laissa faire, trouvant déjà l’expérience assez amusante. Mais il n’avait pas dit son dernier mot. Une fois sur son lit, il miaula, se coucha, attendit quelques minutes et... hop, le voilà de retour. Typiquement une stratégie de vraie chat. Il fut toutefois plus discret, cherchant juste à coloniser un coin de lit. Ce serait un bon début.

[Taliesin]

-Désolé, mais ça non plus, ça ne va pas marcher, fit Alexandre, d'une voix parfaitement réveillée.
Il faut croire qu'il était demeuré aux aguets, se doutant probablement que les choses n'en resteraient pas là.
-Dire que vous prétendiez être fatigué ! En fait, vous étiez juste impatient que je vous laisse tranquille pour pouvoir tester cette métamorphose... Mais je vous en veux pas. Au contraire, je comprends bien.
Il se releva, reprit le matou dans ses bras, le déposa à nouveau sur le lit.
-Je suis sympa. Mais peut-être que la prochaine fois, je testerai le rebord de la fenêtre. Ou le couloirs...ajouta-t-il, sur le ton de la plaisanterie.

[Manfred]

Fichtre, Alexandre s’y attendait. En même temps, le contraire aurait été étonnant. Silmandel ne se risqua pas à une troisième tentative. Le garçon devait être capable d’exécuter sa menace. L’ensorceleur aurait l’air fin dans le couloir ou sur la fenêtre. Il ne pourrait plus rentrer dans la chambre par ses propres moyens et en serait réduit à miauler, miauler et miauler. Ce serait très fâcheux. Il préféra donc tenter de reprendre sa forme hybride. Qu’il y parvienne ou pas, il serait ensuite temps de se reposer pour de vrai. Et après... il verrait bien.

[Taliesin]

Peut-être à cause des efforts que lui avaient demandé ses deux précédentes transformations, il ne parvint pas à redevenir un hybride. Mais sa nouvelle tentative, alliée sans doute aux précédentes et à la fatigue accumulée au cours de la journée, l'aida à basculer assez rapidement dans le sommeil. Lorsqu'il se réveilla, beaucoup plus tard, la lumière du petit matin filtrait à travers la fenêtre. Il avait retrouvé son apparence d'elfe durant la nuit, il le constata aussitôt. Dans le lit voisin, Alexandre dormait encore à poings fermés.

[Manfred]

Zut, il avait dormi trop longtemps. Impossible de mener le troisième assaut sur le lit d’Alexandre, le plus fourbe de tous : l’invasion alors que l’adversaire est assoupi. Absolument imparable et les chats le savaient bien. Silmandel ne pouvait bien sûr pas se permettre de se métamorphoser. Ce serait se condamner à devoir attendre l’aube suivante pour redevenir elfe. Non merci. Et puis, le garçon avait sans doute besoin de repos. Autant ne pas le réveiller tout de suite. Rien ne pressait.
L’ensorceleur attendit donc. Il songea à la manière dont il allait s’y prendre pour sortir de l’auberge avec la même tête que celle qu’il avait en rentrant. L’usage d’un sort de déguisement allait s’imposer.

[Taliesin]

Le temps passa. Hors de la chambre, le tumulte de la journée commençante se faisait sans cesse plus marqué. A travers la fenêtre filtrait la rumeur croissante de la rue : bruits de pas, trot des chevaux, conversations des badauds, Depuis le couloir lui parvenaient les sons produits par les autres clients qui descendaient vers la salle commune. Et en provenance de celle-ci, échos ténus, le bruit des chaises qu'on tire, des discussions qui s'engagent...
Alexandre, de son côté, était toujours aussi profondément endormi.

[Manfred]

Silmandel était partagé entre l’envie de laisser le garçon dormir et celle d’aller vérifier si Clémentine était dans les parages. En même temps, si elle n’y était pas... que ferait-il ? Se balader et jouer aux cartes ? Non, il faudrait trouver quelque chose d’autre. Plusieurs de préférence. Pas facile, surtout qu’il deviendrait difficile de ne pas s’inquiéter.
L’elfe finit par se lever. Il ne fallait pas manquer l’effervescence matinale dans la salle commune, sous peine d’attirer plus facilement l’attention. D’une main, il secoua doucement Alexandre.
« Allez bonhomme, debout. »

[Taliesin]

Sa première tentative échoua lamentablement. La deuxième provoqua chez son comparse d'incompréhensibles grommellements. Quant à la troisième...
-C'est bon, c'est bon, je me lève tout de suite, Clémentine... marmonna Alexandre d'une voix rauque.
Mais il ne donna pas l'impression de vouloir joindre le geste à la parole. Au contraire, il enfouit la tête sous son oreiller. Moins de trois secondes plus tard, il était à nouveau endormi.

[Manfred]

Pensant que la troisième tentative avait été la bonne, Silmandel était aller ouvrir son sac, pour y trouver ses habits. Mais ceux-ci étaient dans les affaires du garçon. Il ne dénicha que ses bottes. Allant vers le sac d’Alexandre, il lui demanda la permission de l’ouvrir. Ce fut là qu’il constata que le gamin était décidément dur à réveiller. Très bien. Il fallait employer les grands moyens. L’ensorceleur prit les draps et les rabattit au pied du lit. Il attrapa aussi l’oreiller, si bien qu’Alexandre n’était plus couvert par rien. Il le secoua et déclara :
« Hé, marmotte, où tu te lèves, ou c’est toi qui vas te prendre un seau d’eau sur la tête ! »

[Taliesin]

Silmandel découvrit alors qu'en matière de résistance au réveil, Alexandre battait des records. Loin de se redresser ou même simplement d'ouvrir les yeux, il se recroquevilla sur lui-même, petite boule calfeutrée.
-J'ai dit que je me levais bientôt, Clémentine ! protesta-t-il dans un sourd murmure. Et le coup de l'eau, ça prend pas : si tu trempes le lit, faudra que tu le fasses sécher, et tu vas pas te rajouter du boulot alors que t'es déjà débordée !
Il redevint silencieux, et sa respiration ralentit presque aussitôt. Soit il était à nouveau sur le point de sombrer, soit il jouait très bien la comédie.

[Manfred]

Ha, c’était comme ça ! Alexandre faisait de la résistance ! Tant pis pour lui, Silmandel avait prévenu. Ce dernier s’empara de la carafe d’eau qui trainait dans un coin et faillit la vider sur la tête du garçon. Faillit seulement. C’était peut-être un peu trop brutal. L’elfe, se ravisant, ne versa que quelques gouttes sur la tête et le dos de l'enfant.
« Je compte jusqu’à dix et c’est la douche. Un... Deux... Trois... »
Et à chaque seconde, quelques gouttes de plus.

[Taliesin]

Alexandre devait s'être vraiment rendormi, car ce n'est que lorsque l'ensorceleur atteignit sept qu'il réagit enfin, se redressant avec brusquerie.
-Mais qu'est-ce que vous faites ? lâcha-t-il, incrédule.
Il se frotta les yeux, esquissa une grimace.
-Ç’aurait pas été plus simple de me réveiller en m'appelant simplement ? Ou en me secouant par l'épaule ? En tout cas, ç'aurait été plus sympa...

[Manfred]

Ha bah quand même ! Ce n’était pas trop tôt. Silmandel afficha un sourire satisfait tout en replaçant la carafe.
« T’appeler ? Te secouer par l’épaule ? J’ai testé, mon grand. Sur la plupart des gens, cela fonctionne assez bien. Il semble que tu sois une notable exception. »
Il désigna le sac d’Alexandre.
« Mes vêtements sont dans tes affaires. Moi, je peux te rendre ceux que tu m’as prêté. »

[Taliesin]

Le gamin grimaça, embarrassé.
-Bon, je savais que je n'étais pas toujours très facile à réveiller, mais alors à ce point... Je devais être vraiment crevé... Désolé d'avoir râlé.
Il jeta un regard à son sac.
-Vous n'auriez pas dû attendre de me demander la permission pour récupérer vos affaires : franchement, il n'y a rien de bien secret, là-dedans...
Il revint à Silmandel, sourit.
-Content que vous ayez retrouvé votre vraie forme. S'il faut encore attendre Clémentine, on aura moins de mal à s'occuper. Mais j'espère quand même qu'elle va vite arriver. Voire qu'elle soit déjà là...

[Manfred]

« Moi aussi. On ne va pas tarder à le savoir. »
Silmandel ouvrit le sac d’Alexandre et commença à se vêtir. Alors qu’il était en train d’enfiler sa tunique, il ajouta :
« L’aubergiste m’a vu sous une autre apparence, hier soir. Je vais la reproduire par magie mais je ne crois pas être capable d’imiter la voix que j’avais. Ce sera à toi de commander. Puisqu’on est là, autant prendre un petit déjeuné copieux. »
Il bouclait bientôt sa ceinture et y ajustait sa rapière. L’expérience de la veille avait été instructive. Il devait rapidement acheter plusieurs choses afin de s’équiper en tant qu’hybride. Loin de lui l’envie de se retransformer en plein jour, mais il n’était pas à l’abri d’un accident. Il lui fallait donc un manteau à capuchon, taille nain, des gants et une bonne dague. Sa présente arme était un peu trop grande. Le tout ne devrait pas prendre trop de place. Une fois habillé, il redonna les vêtements que le garçon lui avait prêté, puis il enfila son manteau en retirant les ourlets.

[Taliesin]

Déjà habillé - au moins avait-il le mérite, une fois réveillé, de ne pas lambiner -, Alexandre rangea ses affaires dans son sac, boucla celui-ci et, abandonnant la chambre, suivit Silmandel vers la salle commune. Tous deux scrutèrent les lieux avec autant de discrétion que de minutie mais, parmi les clients attablés, ils ne virent aucune silhouette ressemblant de près ou de loin à celle de Clémentine. Le garçon alla donc leur commander un petit déjeuner que, peu après, ils avalèrent sans se presser... et sans guère parler. L'absence de la jeune fille, quoique ne dépassant pas encore les délais annoncés, commençait à inquiéter son cader, même s'il s'efforçait de le cacher.

[Manfred]

Et elle inquiétait aussi Silmandel. Si jamais elle ne revenait pas, que ferait-il avec Alexandre au milieu d’une ville qu’il connaissait à peine ? Il n’était pas prêt à assumer un enfant. Et en même temps, l’idée même de le laisser tomber le répugnait. Cela ressemblait fort à une impasse. Heureusement, il n’y était pas encore. Combattant le stress induit par la charge du garçon, il retrouva son optimisme naturel. Clémentine était débrouillarde, sans doute plus que lui-même. Et même si, par hasard, elle n’arrivait pas dans les temps, cela ne voulait pas dire qu’elle ne reviendrait jamais. Un imprévu en chemin, son contact qui était trop discret... Quoi qu’il en soit, l’elfe se résolu à affronter la situation avec le sourire, comme d’habitude. Lorsque le petit déjeuné serait terminé, ils sortiraient de l’auberge. Dès que l’ensorceleur le pourrait, il mettrait un terme à son illusion. Ce n’était pas parce qu’il ne voyait pas la jeune femme, que la jeune femme ne pouvait pas le voir. Il était donc préférable de vite revenir à son apparence ordinaire.

[Taliesin]

L'ensorceleur put procéder à ses emplettes sans la moindre anicroche et, une bonne heure plus tard, il reprenait avec son acolyte la direction de la taverne. Ils en étaient tout proches quand Alexandre lui donna un léger coup de coude.
-Clémentine est là.
Il avait le coup d’œil, car l'elfe ne remarqua la silhouette en question que quelques instants plus tard. Silhouette qui les avisa à son tour et se porta à leur rencontre.
-Pendant que les uns travaillent, les autres s'amusent et font des courses... dit-elle à mi-voix. C'est du joli !
-C'est Silmandel qui a insisté ! Moi, je voulais qu'on reste à t'attendre !
-Mon œil... Tout c'est bien passé ?
-Comme sur des roulettes !
-Ce n'est pas à toi que je demande, petit monstre !

[Manfred]

Clémentine, enfin ! Silmandel aurait été très inquiet pour elle si elle ne s’était pas montrée. De plus, il aurait dû trouver de nouvelles activités et essayer de rassurer Alexandre, tâche qui lui paraissait difficilement surmontable. Tout d’un coup, il se sentait plus léger. Elle allait bien. Ils allaient bien. Tout allait bien.
« Ho, on n’a pas à se plaindre. Une petite accroche dans les bas-fonds sans gravité. Le sang n’a même pas coulé. Ton frère a un de ces aplombs, c’est fou ! A part ça, le calme plat », répondit l’elfe, avec son éternel sourire.
L’histoire du chat-garou, ce serait pour plus tard, quand l’occasion se présenterait.
« Et de ton côté ? Tu as trouvé ton contact ? »

[Taliesin]

-Ça n'a pas été évident mais j'ai fini par le trouver, oui. Ensuite, il a fallu attendre qu'il s'entretienne avec ses propres contacts et ainsi de suite, jusqu'à la source. Ils sont encore plus précautionneux qu'avant, ce qui explique que j'ai tant tardé à revenir. Mais l'essentiel est là : ma demande a été acceptée, nous avons donc un lieu où nous installer et nous aurons un certain choix quant à la façon par laquelle nous payerons notre loyer, ce qui vaut toujours mieux. Mais donc, et à moins que vous n'ayez d'autres courses à faire, je propose que nous nous mettions en route sans tarder. Un long périple à travers les bas-fonds nous attend.

[Manfred]

« Parfait. Allons-y. »
Pourquoi attendre ? L’inquiétude s’étant effacée avec le retour de Clémentine, la curiosité de l’ensorceleur avait retrouvé ses droits. Des contacts, des précautions... mais où diable la jeune femme allait les conduire ? Il lui tardait de le découvrir. Une aventure en appelait une autre. C’était parfois ainsi et il suffisait alors de se laisser porter au gré des événements.

[Taliesin]

La jeune femme acquiesça.
-Très bien : en route, donc. Et comme nous allons nous aventurer en des parages peu recommandables, nous adopterons les mêmes techniques qu'hier, afin de nous épargner toute malencontreuse péripétie.
Quelques instants plus tard, le trio bifurquait dans une artère transversale. Ainsi débuta sa longue expédition vers une destination bien mystérieuse...