Quête : Les caprices de Fortune - à Graëlon

[Lothringen]

Il fallut un petit moment à Lothringen pour recouvrer ses sens, et quand ce fut fait, Mornagest était déjà debout, souffrant visiblement de sa position inconfortable de tantôt. Quand le semi-drow le vit chercher des yeux, puis des doigts, les attaches de son armure, il faillit l’arrêter. Etait-ce bien sage ? S’ils continuaient ainsi, ils ne s’arrêteraient pas de sitôt, et c’était peu de dire que les lieux ne s’y prêtaient guère. La pièce était petite, mal meublée, et les sons avaient vite fait d’atteindre le couloir. Dans son idée, son compagnon méritait mieux que cela…

Après un temps d’hésitation, il se ravisa cependant. Comment aurait-il pu lui refuser quoi que ce soit, après l’avoir provoqué ? Et comment étouffer sa propre convoitise, qui s’éveillait à la seule idée de pouvoir à son tour s’occuper de son amant ? En réalité, il était déjà trop tard. Lothringen aida consciencieusement le guerrier à se débarrasser des pièces de son armure, qu’ils déposèrent une à une sur le sol, en prenant garde de ne pas trop les faire tinter. Le semi-drow acheva ensuite de retirer ses propres vêtements, qui le gênaient plus qu’autre chose, et, tout fait nu désormais, alla chercher un peu de chaleur en serrant Mornagest dans ses bras. La peau de ce dernier sentait le savon, mais il ne tarda pas à comprendre que c’était là une fausse promesse ; ses vêtements puaient, et pas à moitié.

« Hum… Tu sais, je crois qu’il y a un service de blanchisserie, dans l’hôtel de ville… » murmura-t-il d’une voix moqueuse.

[Mornagest]

Acceptant l'aide bienvenue de son compagnon pour enlever sa maudite cotte de mailles, il se sentait plus léger une fois débarrassé de cette quincaillerie malpratique. Il sourit malgré lui à la remarque de Lothringen.

"Mon supérieur hiérarchique m'impose un rythme trop soutenu pour que je puisse me charger de cet inconvénient !" fit-il d'une voix faussement plaintive. Il avait honteusement profité d'un large repos pendant que les autres s'échinaient à garantir la sécurité de son compagnon... il était mal placé pour se plaindre. Mais il n'avait guère eu le temps de se trouver une tenue de rechange avant de rejoindre les autres. Erreur à corriger plus tard. Pour l'heure, il n'avait plus besoin de vêtements et les ôta, ajoutant : "Le problème est réglé, comme ça." Sa nudité entièrement exposée, il avait un peu plus fière allure qu'avec ses guenilles malodorantes, il fallait bien l'admettre. Les deux hommes étaient maintenant à armes égales...

[Lothringen]

En effet, c’était beaucoup mieux comme ça. Lothringen prit un peu de recul, pour pouvoir admirer tout entier le corps de son amant. Enfin, non, ce n’était pas réellement son corps – celui-là, il en gardait la nostalgie intacte dans un recoin de ses souvenirs. C’était plus étrange encore, puisque ce corps vieux de quelques mois seulement était, d’une certaine façon, son œuvre, et qu’ils l’avaient choisi ensemble. Malgré l’artifice, il lui plaisait. Le semi-drow avait certes pu se familiariser avec lui un peu plus tôt, dans une autre pièce beaucoup plus confortable de ce même bâtiment, mais il en avait gardé un goût d’inachevé.

Il se rapprocha, posa les mains sur les épaules de son compagnon, et commença de lui dispenser de larges caresses fermes le long des bras, des jambes et du dos, afin de le réchauffer. Il éprouvait la douceur de sa peau, sa chaleur, ses formes. Son ardeur… Qu’il était tentant de s’intéresser tout de suite à des zones plus sensibles – mais il se l’interdit. Lothringen se rapprocha encore, redessinant, du bout des doigts, les traits de son visage, suspendant son pouce aux commissures des lèvres. Moins impatient que la fois précédente, le semi-drow ressentait une pointe d’inquiétude pour l’avenir, et la mélancolie le taraudait ; il voulait qu’ils puissent se souvenir de ce moment. Ses lèvres frôlaient presque celles de son compagnon depuis quelques inspirations déjà quand il referma un à un les doigts sur sa virilité.

[Mornagest]

Un prêté pour un rendu... il fermait les yeux, inconsciemment, et concentrait son esprit sur les frôlements des mains de Lothringen sur sa peau. La douceur après la douleur du combat était un contraste si énorme qu'il se demandait comment de telles choses aussi opposées pouvaient cohabiter dans le même monde. La douceur... il lui revint en mémoire toutes ces fois où ils avaient tenté de faire l'amour, mais n'avaient pu aller jusqu'au bout des choses, faute de confiance mutuelle. Le temps avait effacé ces doutes, et maintenant, il lui semblait que plus rien ne pouvait leur faire obstacle. La douceur... et l'étrange sensation alors qu'il sentait son cœur palpiter follement dans sa poitrine, envoyant de violentes ondes se propager dans son corps entier. La douceur...

Il hoqueta presque de surprise lorsque le semi-drow s'empara de son intimité. Il sentit son souffle chaud contre son visage, ses lèvres... il tendit les siennes pour l'embrasser. Ses yeux étaient toujours clos.

[Lothringen]

Une pression du doigt, puis de deux, puis... plus rien, jusqu'à ce que la paume revienne, douce, chaude, enveloppante... Une pression des lèvres - légère d'abord, à peine perceptible – puis une autre, un peu plus appuyée, plus insistante, mais qui se déroba soudain : Lothringen fit ainsi attendre un baiser qu'il aurait voulu parfait tant il avait de choses à lui faire dire. Il finit par se lancer, heureux, oubliant tout sinon la présence de son amant et leurs propres échanges - lui faire comprendre à quel point il était aimé... Il n'aurait su dire où était le sol, ni où ils se trouvaient. Etait-ce cela, l'apesanteur – ou bien le vertige de la chute ?

Une vision. Il était assis par terre, devant la cheminée d'un chalet de montagne ; une femme blonde l'embrassait elle aussi. Et lui la repoussait, gêné...
Une autre vision. Cette fois-ci il n'était pas acteur : il voyait Mornagest en lieu et place de lui-même précédemment. Mornagest, plus jeune, équipé pour le grand froid. Enfin la même femme, la même tentative maladroite. Son compagnon la tuait.

Lothringen interrompit le baiser et dévisagea Mornagest, interloqué. Ce dernier ne semblait pas avoir partagé sa vision. Ça n'avait pas de sens...

« Je... » Sa voix s'étranglait. Il raconta, en s'efforçant d'être le plus clair possible, ce qu'il venait de voir.

« Cette femme... Je ne l'ai jamais vue, mais je suis certain qu'elle s'appelle Asta. Comme je suis certain que ma seconde vision correspond à ce qu'il s'est réellement passé... N'est-ce pas ? »

Il reporta sur son compagnon un regard désolé. La vision lui était revenue avec une telle netteté que c'était comme une gifle qui balayait leur bonheur.

[Mornagest]

Les lèvres chaudes de son amant frôlèrent à nouveau les siennes, puis s'y soudèrent avec délectation. La sensation était chaque fois différente... cette fois, il ressentait une vague de chaleur presque moite, sans doute à l'idée de ce qui allait suivre. Difficile à dire... d'autant que leur baiser s'interrompit soudain. Mornagest rouvrit alors les yeux, cligna les paupières à quelques reprises pour se réaccoutumer à la clarté. Son amant était brusquement soucieux, son visage trahissait cette émotion...

Asta... il lui fallu un instant pour se remémorer son visage, aussi nettement qu'il le put. Cette affreuse affaire s'était déroulée il y a des millénaires... ou plutôt, une douzaine d'années. A quoi ressemblait-elle exactement ? Comment Lothringen avait-il eu vent de son existence ? Ils s'étaient connus à des milliers de kilomètres d'ici, à une époque où le semi-drow devait subir maints sévices de son effroyable maître.

Le guerrier demeura interdit durant quelques instants. Ce prodige, pour impossible qu'il était, faisait remonter en surface de sa mémoire une période de son existence des plus sinistres. Une période qu'il avait retrouvé avec horreur lorsqu'il avait recouvert ses souvenirs... la honte s'emparait de lui, désormais, et il rougit. C'était ridicule, mais il ne pouvait pas s'en empêcher.

Tant d'émotions, toutes plus délectables les unes que les autres, l'avaient habité... le choc était d'autant plus rude. Désormais, tristesse, honte et désespoir l'envahissaient, et il bredouilla :

"Je... je..." Sa gorge se noua. Sa voix était déformée par l'émotion lorsqu'il finit par acquiescer : "Oui... comment sais-tu ?" Il était au bord des larmes.

[Lothringen]

Il fronça les sourcils. Qui pouvait être assez pervers pour lui envoyer ce genre de vision en un moment pareil ? Ou alors, il y avait un rapport avec le fait qu'ils étaient précisément en train de s'embrasser, eux aussi. La mémoire peut avoir ce genre de remous...

"Je ne sais... ça m'est venu d'un coup, et à présent que j'y pense, les images se précisent, plutôt à la façon d'un souvenir que d'un message magique. C'est comme si je l'avais vécu, il n'y a pas longtemps. Et cette femme... j'ai l'impression de la connaître, d'avoir marché avec elle. D'avoir fui avec elle à travers la montagne... Mais pour cela, il faudrait avoir été toi ?"

Est-ce que cela était lié à leur sommeil magique de trois jours ? Peut-être... Mais il y avait plus immédiat. Il revoyait Asta et son meurtre, avec une telle netteté... Et bien qu'il ne soit pas directement concerné, cela lui faisait mal, à la fois pour elle et pour Mornagest. Cette violence, cette douleur, ce gâchis. Tellement mal...

"Comment as-tu pu faire cela ? Elle venait de te sauver la vie..."

Sortant de sa perplexité, il regarda son compagnon, qui paraissait encore plus bouleversé que lui, et regretta aussitôt ses paroles.

[Mornagest]

Cette vision était étrange. Comment Lothringen aurait-il pu vivre un fragment de son passé ? Et pourquoi celui-là en particulier ? Quand ? Pourquoi ? Tant de questions jaillissaient dans son esprit, et aucune réponse en vue, pour l'instant.

"Oui, nous avions marché... longtemps. Je ne sais plus combien de temps. Je... je ne comprends pas ce qui se passe, Lothringen."

Vint sa question, douloureuse, implacable... mais tellement logique. Il avait le droit de se demander... Mornagest n'avait pas de réponse. Déjà à l'époque, il n'avait pas compris son geste, qu'il avait expliqué par un accès de rage dont il était souvent la proie, à l'époque. Accompagné d'un haussement d'épaules et d'un départ précipité sans le moindre remord ni regard en arrière. Il avait toujours fui ses méfaits.

Il tenta de répondre, mais là encore, sa gorge se serra. Il ne bredouilla même pas et fondit en larmes.

[Lothringen]

Oubliant aussitôt l'énigme de ce curieux souvenir et la mort de cette femme, il ne songea plus qu'au chagrin de son compagnon. C'était de sa faute ; cette question n'avait pas de réponse, il le savait en la posant et aurait donc dû s'abstenir. Honteux d'avoir provoqué ces larmes, Lothringen ne parla pas non plus et aussitôt alla serrer étroitement son compagnon dans ses bras, attendant qu'il se calme. Il n'éprouvait pas de rancune ni de colère à son égard ; il avait toujours su qu'il y avait des zones d'ombre de ce genre dans le passé de Mornagest, c'était juste beaucoup plus cruel et culpabilisant d'avoir longuement côtoyé l'une de ses victimes. Ç'aurait du reste été pire avec une de celles de la révolte des esclaves, dans la mesure où les évènements étaient beaucoup plus récents, et où tous deux se connaissaient déjà lorsque cela s'était passé...

… Et il se retrouvait face à lui-même : il était celui qui savait, et qui avait choisi de passer outre. A voir sa propre réaction devant la peine du guerrier, il savait aussi qu'il ne regrettait rien. Il aurait pu trouver facilement des paroles de consolation, de soutien, arguer que c'était un très vieux souvenir, et aligner les circonstances atténuantes ; mais les paroles n'y pouvaient pas grand chose, la douleur devait s'évacuer. Il attendit, patiemment, que les épaules de son compagnon se soulèvent un peu moins pour répondre avec conviction :

« Ce passé est lourd et je t'aiderai à le porter comme tu m'aides déjà à porter le mien. Car je t'ai choisi, Mornagest, en toute connaissance de cause, et je referai ce choix aussi souvent qu'il le faudra... »

[Mornagest]

Après la honte ressentie face à ce souvenir cruel et douloureux, venait celle de pleurer ainsi, comme un enfant pris sur le fait. En réalité, il ressentait seulement maintenant l'ampleur du désastre qu'il avait commis à l'époque, des années auparavant, en assassinant Asta sans raison autre que la peur et l'incompréhension. Évidemment, ce sentiment était amplifié par le fait que Lothringen savait, désormais... mais comme il le disait lui-même, son passé était parsemé de ce genre d'atrocités. Lourd passé en effet...

Il se calma, renifla, puis soupira. "Je suis un idiot... excuse-moi. Il reprit enfin un rythme de respiration plus normal et continua, la voix à peine audible dans la tête de Lothringen : "Merci... pour ton aide. Et pour tout, en fait." Une brève pause, puis il reprit : "J'aimerais que ça n'ait jamais existé... me dire que ce n'était pas moi... je déteste cette partie de moi.", conclut-il, la voix grave.

[Lothringen]

Lothringen comprenait mieux que Mornagest ne pouvait le penser. Il avait lui aussi un passé auquel il ne repensait qu'en souhaitant mourir de honte, et plus d'une fois, il s'était dit qu'il aurait volontiers troqué ses souvenirs de victime consentante contre de vrais souvenirs de bourreau...

"Je le sais bien. Et c'est ce qui te rend fréquentable..."

Il s'écarta un peu pour le laisser respirer et le dévisagea. Ces yeux rougis le mettaient mal à l'aise, et encore une fois, il s'en voulut. Il reprit doucement :

"C'était toi plus jeune, inexpérimenté, rongé par la colère, la peur, la solitude. Nous en avons déjà parlé. Avec le temps, il faudra que tu le prennes en pitié..."

Evidemment, les circonstances les obligeaient à laisser tout cela de côté pour quelques temps encore. Il redevint soucieux.

"Quelqu'un de puissant sait pour nous deux, et cette personne joue avec nos souvenirs, notre culpabilité. Je ne serais pas surpris que ce soit la même qui nous a plongés dans le coma..."

Dorson ? Peu probable, son maître était loin et n'aurait pas été si long à signer ses actes. Et puis, à quoi bon...

[Mornagest]

Les paroles de Lothringen eurent l'effet escompté. Il se calma, hochant la tête lorsqu'il parlait. La vague de honte et de tristesse était passée. Jusqu'à la prochaine fois... il devait vivre avec, tel un fardeau dont il était le seul responsable. Le prix à payer pour avoir frôlé la mort définitive et revivre dans un esprit lavé de ces horreurs ? Même pas... seule sa fréquentation avec le semi-drow l'avait aidé à ouvrir les yeux sur son existence.

"Tu crois que ces visages dont j'ai eu un vague souvenir cette nuit viennent de ce coma ? Il n'y avait pas que nous deux... et... je n'ai pas l'impression qu'Asta faisait partie des gens que j'ai vus. Mais je n'en suis pas certain." Il bénéficierait peut-être plus tard d'une vision similaire à celle que Lothringen venait d'avoir. Quelle serait-elle ? Vivrait-il une partie de l'existence de Lothringen ? Il risquait de voir des choses qu'il n'apprécierait guère. Mais il était mal placé pour juger qui que ce soit à ce sujet.

[Lothringen]

Lothringen haussa les épaules en signe d'impuissance ; pour l'heure, ils en savaient trop peu pour pouvoir tirer des conclusions, et peut-être les rares qu'il osait avancer étaient-elles déjà complètement à côté de la réalité... Il faudrait attendre d'autres souvenirs pour en savoir davantage. S'ils revenaient jamais. Et si c'était bien des souvenirs, et non des manipulations via des visions aussi mensongères que le sortilège de Cauchemar utilisé par le nécromancien, au Bosquet de Celd.

"Je me sens totalement dépassé par les évènements, et ça ne me plait guère. Si j'en avais le temps, je tenterais d'en savoir plus au moyen d'un sort de Contact avec les Plans. Mais encore faut-il un interlocuteur disposé à vous répondre, et ma dernière utilisation de ce sort n'a pas été très concluante..."

Il grimaça au souvenir de cette tentative et de cet échec, dont il n'avait jamais parlé à Mornagest.

[Mornagest]

Dépassé ? Il n'était pas le seul. C'était peut-être une des personnes les plus au courant de ce qui se tramait actuellement autour d'eux, que ce fût au niveau de la guerre qu'à celui de ce cauchemar, ou coma, ou quel que fût le nom de cette sorcellerie.

"Tu essaies souvent de communiquer avec des extérieurs ?" s'étonna-t-il. "Quels genres d'informations pourraient-ils avoir sur ce sujet ?" Il était pratiquement toujours aussi profane qu'avant sur la magie, et ce sortilège dont son compagnon parlait lui était donc totalement inconnu.

[Lothringen]

Vaste sujet, sur lequel il aurait pu, évidemment, disserter des heures durant... Lothringen se lança dans un exposé qu'il s'efforça de rendre aussi concis que possible.

"Les Extérieurs ont au moins deux chances sur trois de connaître la réponse à la question qu'on leur pose, quelle qu'elle soit. Et la proportion de bonnes réponses augmente en fonction de leur puissance. Le problème est qu'ils ne sont pas toujours coopératifs; ils peuvent engager le mage dans un duel mental éprouvant, et ils peuvent mentir. C'est un sort dangereux... mais c'est aussi le plus puissant sort de divination que je connaisse, alors il m'est déjà arrivé d'y avoir recours, oui. C'est comme cela que l'on a pu retrouver Eroeh, le grand-prêtre de Helm, par exemple. J'ai appelé un extérieur de Mechanus, le plan de Helm... Je pensais qu'il se sentirait concerné par cette quête mais il n'a pas vraiment apprécié que ce soit un renégat qui l'invoque."

Il tordit un sourire au souvenir de l'accueil glacial qu'il avait essuyé. Il était ressorti épuisé de cette confrontation, mais au finale, il avait eu les réponses qu'il voulait.

"La dernière fois que j'ai utilisé ce sort, c'était il y a quelques semaines, à Manost. Je voulais... Bah, tu vas trouver cela stupide. Je voulais trouver un moyen de contacter l'esprit de ma mère sans passer par la nécromancie."

Outre le fait que la nécromancie était une école de magie à laquelle il s'interdisait de recourir, il avait appris qu'elle perturbait l'âme des défunts.

[Mornagest]

Il se rendit compte qu'il avait besoin de cette diversion pour chasser de son esprit l'image d'Asta, de tout ce qu'elle signifiait sur son ancienne existence... les explications de Lothringen étaient bienvenues, et il écoutait attentivement. Interroger un extérieur... il n'y aurait jamais songé. Ni qu'ils pouvaient savoir autant de choses sur ce qui se passait sur Féérune. Étaient-ils dotés de pouvoirs surnaturels si puissants ?

"Pourquoi stupide ?" fit-il enfin, en souriant faiblement. "Si j'en avais la possibilité, je pense que je tenterais aussi. Même si c'est sans doute un peu risqué, d'après ce que je comprends..." Pour sa part, il n'aurait personne à "contacter" de la sorte. Son passé était fait de mort et d'abandon... il ne gardait le souvenir de personne qui lui avait été cher. Sauf évidemment Helena, mais... songer à elle lui donna un malaise qui n'était pas uniquement dû à une mélancolie ancienne. Comme si elle venait de mourir, la veille. Son visage se ferma à nouveau.

[Lothringen]

Lothringen paraissait néanmoins gêné, peut-être parce qu'il se sentait coupable d'avoir abandonné sa mère en partant pour l'Ombreterre et de n'avoir pas cherché à la retrouver lors de son évasion, de sorte qu'elle était morte sans qu'ils aient pu se revoir... Il avait été très dur avec elle lors de son départ ; c'était un de ses grands regrets.

« Je ne t'en ai pas parlé, c'était l'époque où tu étais amnésique... Bref, j'ai appelé le Plan Astral, et il s'est passé quelque chose d'étrange. L'entité qui m'a répondu n'était pas celle que j'attendais. Elle voilait son aura, mais je la sentais beaucoup plus puissante que prévu... En prime, le rituel qu'elle m'a indiqué, et qui devait me permettre d'entrer sur un plan parallèle, était faux. Je l'ai accompli et il ne s'est rien passé. Pourquoi est-ce que je te raconte tout cela ? Ah oui, pour dire que j'hésiterai avant de recommencer... L'entité... Vraiment très puissante... Son aura me laissait à peine la liberté de penser... Elle jouait avec moi. »

[Mornagest]

Étrange. Mais les extérieurs pouvaient sans doute se montrer certainement bien plus cruels encore que les mortels de Toril... même selon les critères d'un semi-drow qui avait déjà subi bien des horreurs au cours de son existence.

"Crois-tu qu'il serait possible que cette... entité ? soit celle qui tente de nous tourmenter avec ce sommeil prolongé, ces visions du passé ?" Il n'aimait pas du tout l'idée d'être à la merci d'un ennemi invisible, inconnu, et aux pouvoirs magiques qui dépassaient son entendement de pur néophyte. S'il fallait l'affronter un jour, ce serait dans son plan natal... ou via des sortilèges qui risquaient de les perdre, d'une façon ou d'une autre. Du moins, c'était ce qu'il songeait, avec ses connaissances en la matière très limitées.

Un élément de la réponse de son compagnon le fit tiquer. "Comment cela se fait-il que tu n'aies pas pu contacter l'extérieur que tu attendais, d'ailleurs ?" Une autre manipulation destinée à tromper Lothringen dans sa tentative ? Cela commencerait à faire beaucoup...

[Lothringen]

Lothringen était hésitant. Il savait qu'ils touchaient sans doute là à un problème important, mais il lui manquait trop d'informations pour pouvoir répondre de manière tout à fait satisfaisante à son amant.

« La seule explication possible est que celui qui m'a répondu *voulait* prendre la place de l'autre, et qu'il était assez puissant pour perturber le sort. Peut-être voulait-il me souffler ce rituel, me pousser à l'accomplir ? Il avait suffisamment d'ascendant sur moi pour m'influencer, c'est certain. Je jurerais, pourtant, qu'il n'était pas maléfique. Par moment, son aura me paraissait presque familière... mais ce peut être l'effet de son charisme plus que la vérité. En tout cas, ce rituel n'a pas eu l'effet que je souhaitais, s'il en a eu un.» Il soupira. Il tournait en rond... « Quant à savoir si cette entité – je n'ai pas de meilleur mot, n'ayant pas réussi à l'identifier – a un rapport avec le coma et les visions, tout ce que je peux te dire, c'est que c'est tout à fait possible. Probable, même, quand j'y repense : cela ferait trop de coïncidences en trop peu de temps ; mais le lien m'échappe. »

Il reporta son regard sur Mornagest, un peu penaud. Il adorait savoir, comprendre, expliquer, et dans cette affaire, il collectionnait les frustrations.

« Je suis désolé, tout cela est très embrouillé et risque de le rester tant que nous n'en saurons pas davantage. Si tu parviens à préciser tes souvenirs de notre sommeil magique dans les jours qui viennent, essaie de trouver un moyen de m'en faire part : tout détail peut avoir son importance. »

[Mornagest]

Tout cela n'augurait rien de bon. Une entité puissante, qui tromperait un devin, pour ensuite le pousser à réaliser un rituel lui permettant de disposer de son esprit pendant plusieurs jours... à quelles fins ? C'était effectivement beaucoup trop pour être le seul fait du hasard. Ils devraient rester sur leurs gardes... mais en cherchant à se protéger de quoi ? De qui ? Mornagest l'ignorait d'autant plus qu'il n'avait que les explications de son compagnon pour seule indication. Et il n'excellait pas au combat contre des extérieurs, comme le massacre d'hier le lui avait cruellement rappelé. Peut-être n'y aurait-il pas de combat physique, évidemment...

"Je ferai mon possible. J'imagine que je ne suis pas le seul dans ce cas, mais... plus je tente de me concentrer sur des détails, plus ils m'échappent... mais ça viendra peut-être durant la nuit. Comme cette nuit-ci, je veux dire. Bref... je te ferai passer un message codé, si tu veux... au moins pour te faire savoir que j'ai du neuf."

Leur langage secret ne fonctionnait que par signes. Par écrit, ils n'avaient jamais rien mis au point. C'était peut-être l'occasion, d'ailleurs... mais le temps manquait.

[Lothringen]

Lothringen approuva d'un hochement de tête.

« Oui, n'en écris pas trop ; même si tu me fais remettre une lettre par un autre garde on ne sait jamais qui pourrait s'en emparer. Il faut que ce ne soit compréhensible que par nous deux. N'hésite pas à rajouter des choses qui ne servent à rien en première et dernière phrase, en guise de fausse piste. Enfin, je te fais confiance. »

Un silence plana quelques instants entre leurs deux esprits. Le semi-drow contemplait son compagnon. Ils étaient toujours aussi nus... Il sourit tristement, songeant que leur entrevue avait pris un tour pour le moins inattendu. Si cette discussion était idéale pour faire oublier le malaise lié à Asta, elle avait aussi interrompu des moments plus précieux. Les occasions n'étaient pas si fréquentes... Il prit doucement les mains de Mornagest.

« Bon... je suppose que tu n'es plus d'humeur ? »

Pour sa part... Non, il préférait s'en remettre à son compagnon.

[Mornagest]

Un petit message. Rien de compliqué, en somme...

"Non... je n'ai plus vraiment la tête à ça... excuse-moi", fit-il, l'air un peu embarrassé. Ces souvenirs l'avaient chamboulé, et il n'était pas près d'oublier ce qui venait de se passer. Même si les conséquences étaient nulles... son esprit resterait préoccupé pendant un long moment. Peut-être à jamais, s'il ne parvenait pas à se pardonner ses actes passés. D'autre part, ils étaient déjà restés bien longtemps dans ce bureau. Ils éveilleraient peut-être les soupçons, à force. Et ils n'avaient pas besoin de ça pour l'instant.

"Mais ce n'est que partie remise, ne t'en fais pas." ajouta-t-il avec un léger sourire triste sur les lèvres. Il ne comptait pas en rester là, même s'ils devaient retarder la suite des événements...

[Lothringen]

Lothringen s'était attendu à cette réponse, aussi n'épilogua-t-il pas. Cette affaire et les mille questions qu'elle soulevait le préoccupaient lui aussi, sans compter cette vision étrange, dérangeante, de la jeunesse de son compagnon... Quant à savoir de combien de temps la partie serait remise, il préférait ne pas y songer. Il commença aussitôt de se rhabiller, rattrapant ses vêtements éparpillés un peu partout. Pas trop froissés ? Il lissa les tissus, machinalement. Non, ça irait.

"Alors on se revoit demain, pour la réception des Tymorans. Essaie de te reposer d'ici là, je ne compte pas m'attarder à Graëlon plus que nécessaire..."

Peut-être retarderait-il un peu le départ, si sire Rowan alléguait que la Garde Blanche n'était pas suffisamment remise, mais ce serait à son corps défendant. Il n'était pas loin de prendre en grippe ce palais et ces précautions constantes, le défilé incessant des émissaires, sans compter l'omniprésence militaire en ville, qui aurait fait passer le Palais des Murmures pour un havre de paix.

[Mornagest]

Cette fameuse réception, et ce gosse collé aux basques de Lothringen... il avait déjà oublié, tout à cette affaire de coma provoqué par les dieux savaient quoi.

"D'accord. Fais-en de même de ton côté, alors... tu as l'air exténué." Trop de responsabilités pesaient encore sur ses épaules, dont une en grande partie de sa faute. Il espérait que la guerre ne durerait plus trop longtemps, qu'ils pussent fuir, s'évader...

Imitant son compagnon, il entreprit de se rééquiper, ce qui lui prit un certain temps malgré tout : l'armure n'était guère commode à enfiler. Heureusement, elle en valait la peine en combat. Lothringen l'aida pour les parties plus délicates à ajuster. Puis, enfin prêt, il fit face à son amant.

"Je m'en voudrais de partir sans un dernier baiser..." susurra-t-il sur un ton de comploteur.

[Lothringen]

Lothringen avait mis beaucoup moins de temps à remettre ses affaires en place, un des avantages pour le moins inattendus de la profession de magicien. Comme la température commençait à fraîchir, le soir tombant, il avait rajusté sa cape sur ses épaules, comptant ainsi masquer un éventuel désordre résiduel dans sa tenue. Et il songea, en les voyant rhabillés l'un et l'autre, qu'ils donnaient très bien le change, car ils avaient ainsi une allure très martiale, parfaitement sérieuse, et presque helmite, celles de deux hauts personnages conscients de leur importance historique et de la gravité de la situation. Les apparences peuvent être si trompeuses...

La remarque de Mornagest le surprenant à ce point de ses réflexions, elle lui arracha un sourire amusé. Leur situation était tellement étrange qu'il lui arrivait quelquefois de s'en étonner lui-même... Mais la proposition tombait à point ; il était indéniable que leur dernier baiser avait subi une interruption grossière, du plus parfait mauvais goût, et qu'ils ne pouvaient se quitter là-dessus. Le semi-drow s'approcha de son compagnon, pour s'arrêter à un pas de lui, et répondre d'un ton moqueur.

« Ah oui ? Viens le chercher si tu l'oses... »

[Mornagest]

À nouveau, un défi ? Décidément, les entrevues avec son compagnon devenaient dangereuses...

"Me prendrais-tu pour un pleutre ?" répondit-il en tendant les bras brusquement mais avec douceur pour attraper Lothringen par la taille et l'approcher de lui. "Ton châtiment sera terrible..." Mornagest l'enlaça tendrement et posa ses lèvres sur celles de son amant. Ils n'avaient pas eu le temps de poursuivre leurs ébats, mais au moins, ils prendraient celui de partager encore un moment de tendresse avant de retourner à leurs occupations martiales et politiques... la mort et la guerre attendraient bien quelques minutes de plus, après tout.

[Lothringen]

Mornagest ne rencontra aucune résistance. Bien sûr, Lothringen aurait pu donner ce baiser lui-même, comme précédemment. Bien sûr, son défi n'était qu'une boutade, et il était bien loin de prendre Mornagest pour un lâche. Mais il se rappelait avoir rencontré, il n'y avait pas si longtemps de cela, un jeune homme timide, que le seul fait d'avoir affaire à un mâle plus expérimenté embarrassait ; et le semi-drow ne voulait pas manquer une si belle occasion de lui faire prendre confiance en lui. Simple ruse amoureuse, qu'il se garderait bien d'expliquer...

Il avait clos les yeux dès que son compagnon avait approché de ses lèvres, et frissonné au contact chaud et doux sur sa bouche. Aucune vision de tristesse ou d'horreur ne vint cette fois l'importuner, et il put consacrer toute son attention aux gestes de son amant. Il retenait son souffle, sans savoir au juste ce qu'il attendait...

[Mornagest]

Le baiser commença doucement, puis fut progressivement plus passionné. Leurs lèvres s'unissaient, leur langue se mêlaient... et l'esprit de Mornagest se vidait complètement, oublieux de ses soucis, de son passé, de la guerre, des complots... le monde aurait pu exploser autour d'eux qu'il n'en aurait rien remarqué.

Maintenant, il se trouvait face à une difficulté qu'il jugeait presque insurmontable : s'arrêter dans son élan, réprimer son envie de déshabiller à nouveau son amant et de faire l'amour avec lui. Il avait le plus grand mal à ne pas déplacer ses mains, les laisser une fois encore glisser sur le corps de Lothringen... pourrait-il s'arrêter ?

[Lothringen]

Cela commença comme un baiser très doux, très chaste, un simple baiser d'au revoir, qui, peu à peu, s'approfondit, et puis... ils s'emballèrent. Tenté d'y mettre toute sa frustration de n'avoir pu aller jusqu'au bout tout à l'heure, toute la passion contenue, Lothringen ne fut pas long à s'échauffer de nouveau, surtout quand il sentit Mornagest dans des dispositions similaires. Enlaçant fébrilement les épaules de son compagnon pour l'empêcher de se retirer trop tôt, il répondait avec ardeur, offrant ses lèvres, sa langue, sa bouche, ses bras, tout ce qu'il voudrait. Leurs torses se soudaient, leurs salives se mêlaient, leurs chaleurs se confondaient, et le baiser devenait trop long, trop intense. Lothringen en avait les larmes aux yeux, et sa virilité n'en pouvait plus.

[Mornagest]

La torture se poursuivait, et ils étaient chacun responsable... c'était trop difficile de se retenir, d'arrêter... mais ils ne pouvaient pas faire ça maintenant ! Ils n'avaient plus de temps...

Mornagest succombait pleinement à la tentation, désormais. Il s'en voulait. Un peu. Un tout petit peu. À vrai dire, il ne se rendait même pas compte qu'il aurait dû s'en vouloir, ne fut-ce qu'un tout petit peu. Parce qu'après tout, ils avaient le droit de penser à eux deux, non ? Lui, en tout cas, pensait beaucoup à son amant... la frustration de tout à l'heure, malencontreuse, était loin. L'envie de passer outre et de pleinement profiter de ce moment.

C'était trop tard. Les mains du guerrier venaient à nouveau d'explorer les endroits qu'il convoitait présentement chez son compagnon.