[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

-J'en aurais quelques unes, oui... Nous nous connaissons depuis un certain nombre d'années et, surtout, lorsqu'il a été nommé grand prêtre, l'une de ses premières décisions a été de me faire mander pour que je complète la décoration de son temple, où j'ai officié plusieurs mois... Alors effectivement, je ne manque pas d'anecdotes truculentes. Toutefois, il en dispose également à mon encontre, alors... Je ne sais pas. Peut-être vaut-il mieux que je vous décrive avec quelle virtuosité il dirigeait ces lieux, en faisant un véritable petit paradis terrestre...

[Galathée]

Albérich sourit.
" Pourquoi pas ? Je suis curieux d'entendre ce qui constitue un "petit paradis terrestre" pour un Sunite."
Il se tourna vers Thibault.
" Cependant, ça ne devait pas être si rose pour toi, vu que tu n'as pas tenu à rester à cette place... C'était il y a longtemps ?"

[Taliesin]

-Oh, il y a quelques années, pas beaucoup... répondit l'intéressé, le regard un peu distant. Et en ce qui concerne la gestion quotidienne, ça a été une expérience formidable. Malheureusement, sur le fond, j'étais sans doute un peu trop... progressiste, ce qui a entraîné quelques tensions avec mes confrères. Mais, surtout, c'est au sein du conseil de la cité que ça a cloché. Les rivalités, les intrigues, les mesquineries... J'avais l'impression que tout cela prenait le pas sur l'essentiel, que chacun gérait son culte à la manière d'un patron de guilde marchande et... j'ai eu le tort de dire un peu trop clairement ma façon de penser. Du coup, je suis devenu indésirable.

[Galathée]

" Je peux imaginer." dit Albérich avec un sourire apaisant.
Il avait toujours eu l'impression d'être devenu aubemestre beaucoup trop jeune, mais Thibault avait été chef de son temple bien avant lui, et Pernille, à Solarcis, avait atteint ce poste avant même ses trente ans. A présent, quand il voyait Gabriel, il prenait un étrange coup de vieux. Malgré tous les écueils, il se sentait davantage capable de prendre les rênes d'un culte — ou d'une ville — qu'un an plus tôt seulement. Il avait franchi un cap, assurément. Mais lequel, au juste ?
Il aurait aussi aimé savoir ce qu'était un Sunite conservateur et sur quoi il s'était accroché avec ses pairs, mais Thibault paraissait affecté par cette période, aussi ne posa-t-il aucune question. Les tensions dans le conseil, par contre, il connaissait bien.
" Buvons à de meilleures bases dans l'entreprise qui nous rassemble aujourd'hui."

[Taliesin]

Ils levèrent leurs coupes - tous en étaient restés au vin.
-N'empêche, je demeure suspicieux quant aux bases de la Communauté, reprit Thibault avec un sourire en coin. Je n'en ai au total été absent que quelques semaines, mais elle me paraît, entretemps, être devenue terriblement conservatrice.
-Conservatrice ?! s'étonna Gabriel.
-Oh que oui, conservatrice ! renchérit Giovanni. Ah, il devenait vraiment urgent que nous recevions des renforts ! Tes amis et toi êtes arrivés à point nommé, Thibault !

[Galathée]

Albérich leva les yeux au ciel.
" Et c'est reparti. Je perçois comme une obsession, à ce sujet. Ou une inquiétude ? Cela dit, Giovanni, tu seras heureux d'apprendre que le sujet a été mis à l'ordre du jour de l'assemblée de demain, par nos soins. Je pense que tu devrais préparer tes arguments. Contrairement à ce que vous racontez, bande de mauvaises langues, je ne crois pas que les gens seront si difficiles à convaincre, mais autant mettre toutes les chances de ton côté."

[Taliesin]

Le barde blêmit.
-Quoi ? La fresque débattue à l'Assemblée... dès demain ?
Il vida sa coupe d'un trait.
-Je crois... Je crois que je vais vous laisser pour aller... préparer un argumentaire, comme le suggère Albérich. Il faut... il faut qu'il soit très convaincant.
-Attends une minute... Tu penses vraiment que ton projet à la moindre chance d'être refusé ?
-Je ne le pense pas : j'en suis convaincu.

[Galathée]

" Alors reste. Teste tes arguments sur nous. Nous ne sommes peut-être pas le meilleur public, vu que nous sommes déjà convaincus, mais ça te permettra peut-être d'affiner ton discours. Et puis.... Je suis sûr que tu ressasses tes bonnes raisons depuis des semaines. C'est la raison de ta présence, au départ, non ? Un jour de plus, un jour de moins, ça n'y changera rien. Et au moins, tu seras fixé. Je ne crois pas que t'angoisser une nuit et un jour changeront grand chose au résultat."

[Taliesin]

Giovanni secoua la tête.
-Tu te méprends, Albérich. Outre apporter mon aide à la Communauté, je suis venu en premier lieu pour redécouvrir l'art des Anciens, les merveilles perdues au milieu des marais... Ce n'est qu'après coup que, mesurant l'ampleur de cette expédition, son caractère à la fois titanesque et idéaliste que l'idée de la fresque m'est venue, parce que, là où d'autres écrivent des chansons ou des récits, ma manière de rendre hommage à autrui est de le peindre... Alors effectivement, j'en ai parlé de manière informelle, l'Assemblée à même discuté du principe d'une telle œuvre, sans rentrer dans les détails... Mais c'était surtout une manière de sonder les esprits, de tâter le terrain. La question ne s'était pas encore vraiment posée, avec toutes ses implications, et lorsque j'en ai parlé sérieusement... avec l'Académie... Et bien, depuis, je suis convaincu que les légitimes réticences d'Hubert, par exemple, seront partagées par la majorité de nos compagnons. Du coup, je n'avais pas particulièrement hâte que le débat ait lieu, parce que je pouvais... encore me dire que ce serait possible.

[Galathée]

" Excuse-moi si je me suis mépris, dit Albérich, embarrassé. Nous avons cru... Hubert et moi... que cela te ferait plaisir si nous te permettions d'attaquer ton grand projet plus rapidement... La question de cette fresque semble revenir souvent et... Mais si tu penses que c'est prématuré, si tu préfères que les gens aient encore un peu de temps pour... se familiariser avec l'art antique... Nous pouvons tout à fait éviter le sujet demain soir. En réalité, nous avons d'autres sujets à aborder, ce ne serait pas un problème de repousser l'échéance. Je ne voudrais surtout pas te forcer la main : nous voulions juste te rendre service et... te manifester par là notre reconnaissance pour le soutien que tu as apporté à la communauté depuis le début et, parfois, contre ton gré. Hum."

[Taliesin]

Le barde s'empourpra.
-Honnêtement, j'en ai fait très peu. Mille fois moins que beaucoup d'autres, même... Et si cette fresque doit voir le jour, il ne faut pas que ce soit un remerciement. Il faut que la Communauté en ait envie, qu'elle lui plaise. Parce que... C'est vraiment un cadeau, un hommage que je souhaite lui rendre... Les rôles ne doivent pas être inversés, cela perdrait tout sens...
Il soupira.
-Mais c'est très gentil d'y avoir pensé et, dans le fond du fond, je pense qu'il vaut mieux trancher la question rapidement. Si le principe en est adopté, je devrai me mettre à l'ouvrage sans tarder, Et même si les modalités que je suggère sont refusées, peu importe : comme je le disais, cette œuvre doit vous convenir, car elle est pour vous.

[Galathée]

Albérich se morigéna : décidément, il ne parvenait pas à s'exprimer sans être mal compris.
" Giovanni, je crois que je n'ai pas été clair... Je n'imaginais pas que la fresque soit pour toi une récompense de quoi que ce soit... C'était le fait de la mettre rapidement à l'ordre du jour... Enfin soit. Peu importe. Ne t'en fais pas, je ne pense pas que le sens en soit bouleversé. Penses-y et dis-moi demain si tu veux ou pas que le sujet soit abordé à l'assemblée. Cela ne nous demande pas de préparation, à nous, et je pense que tu dois le sentir, toi."
Il avait réussi à plomber l'atmosphère.
" Et cette oeuvre est autant pour toi que pour les autres... J'imagine que tu as déjà pratiqué l'auto-portrait, avec tous les miroirs que vous trimballez, vous autres, Sunites."

[Taliesin]

-D'une part, évoquons le sujet à l'Assemblée, demain, et tranchons-le une bonne fois pour toute, que je puisses concrètement me mettre au travail. D'autre part... J'ai réalisé quelques autoportraits oui, surtout durant ma formation, mais c'est peindre les autres qui m'intéresse, et j'ai bien l'intention de figurer sur la fresque non via ma représentation mais par... et bien... la réalisation de la fresque elle-même.
-Ça, c'est de la triche.
-Au fait, tu as réalisé que si tu peins jusqu'au dernier d'entre nous, cela concernera également une certaine catégorie que tu abhorres ? glissa Gabriel, l'air innocent.
-Gaby, t'es vache, tu sais ça ? répartit Thibault, souriant.

[Galathée]

Albérich sourit.
" C'est un air qu'il se donne. Populaire comme il est auprès de la marmaille, je ne peux pas croire qu'il les déteste autant. Mais je suis d'accord avec toi : Giovanni, tu es obligé de te peindre parmi nous ! Si tu refuses, nous serons forcés de demander à quelqu'un d'autre de le faire à ta place. Comme je ne pense pas que tu aies d'apprenti, ou alors il est incroyablement discret, tu risques de te retrouver avec un graffiti lamentable défigurant ton oeuvre ! A moins que... Peut-être que tu sais peindre, en fait, Thibault. Les Sunites ne sont-ils pas obligés de développer une fibre artistique ? Il y a Angélique Mystéria, la célèbre auteure de romans sentimentaux... une Antelucienne, d'ailleurs, si je ne m'abuse... et puis le sculpteur de Luménis... Je ne reviens plus sur son nom.
— Soren, intervint Hubert en se rapprochant avec les deux paladins.
— Tu le connais ?
— Oui. Il m'a sculpté, quand j'étais jeune, et lui aussi. En armure, je tiens à le préciser."
Albérich regarda son ami d'un autre oeil.
" Je n'aurais pas imaginé ça, tiens... Toi ? Posant pour un Sunite ?
— En armure, donc. Oui, j'ai fait ça."
Le Luménien sourit et se retourna vers Giovanni.
" Mais donc... Réfléchis-y. Personnellement, je dessine très mal."

[Taliesin]

Si le nom d'Angélique Mystéria l'avait fait grimacer, celui du sculpteur, et l'anecdote qui lui était liée, fit ouvrir à Thibault des yeux ronds comme des soucoupes.
-Soren a déjà sculpté quelqu'un d'habillé ? Ben ça... Que lui était-il arrivé ? Il était ivre mort ?
-Ce devait être ça parce que honnêtement, je ne vois rien d'autre ayant pu justifier un tel dévoiement... Sinon, Albérich, tu as vu juste : j'ai devancé tes consignes et pris un apprenti, dont la qualité première est la discrétion. Inutile donc de m'en coller un autre ou de chercher quelqu'un pour me représenter : il s'en chargera, et ce sera aussi discret qu'il l'est !

[Galathée]

" Soren a débuté, lui aussi. Mes souvenirs sont flous, mais je ne me rappelle pas avoir dû batailler pour garder mon armure. Il voulait travailler sur les matières, je crois... ou alors c'était une commande ? En tout cas, je ne crois pas qu'il ne faisait que du nu à l'époque. Ou alors il a pensé que je dirais non de toute façon. Quoi qu'il en soit, il n'était pas ivre mort, et ça a pris... misère... des heures et des heures et des heures encore... dans le Temple de Sunie. Parfaitement. Et j'ai même survécu pour le raconter. C'était il y a presque vingt ans. Ça ne me rajeunit pas.
— Je suis stupéfait, lâcha Albérich avant de se tourner à nouveau vers Giovanni. Et donc, ton apprenti... il a été victime d'un sort d'invisibilité particulièrement réussi ?"

[Taliesin]

-Heu... Oui ! Oui oui oui ! C'est EXACTEMENT ça ! Hier ou avant hier, il jouait avec Alban, qui a malencontreusement utilisé son sceptre merveilleux et... POUF ! Invisible, mon pauvre apprenti...
-Alban ? L'écuyer de sire Robert ? Jouer et utiliser un sceptre merveilleux ? Pas crédible comme mensonge, Giovanni.
-Tu viens d'apprendre que Soren avait sculpté quelqu'un d'habillé, et tu es encore capable de t'étonner ?
-Et bien... C'est vrai que cette nouvelle me laisse pantois... Mais concernant l'écuyer, non, ça ne marche pas : ce petit gars est une graine d'Helmite.
-Il va falloir revoir ton jugement, mon vieux. Il a bel et bien un sceptre merveilleux...
-Je confirme.
-...et il lui arrive de s'amuser...
-Je ne peux confirmer, mais cela me paraît plus que probable.
-...et donc il a rendu mon apprenti invisible.
-Le mien aussi, maintenant que j'y pense...
-Ah... Mais alors... Tout s'explique, puisque le mien a disparu également...

[Galathée]

Albérich croisa les bras. Hubert gloussa derrière ses mains.
" Et donc... Attendez... Ils sont invisibles... et peut-être aussi intangibles et muets ? C'est ça ? Il va falloir que je vous croie sur parole ? Parce que... les pauvres... Vous savez, je peux dissiper la magie, assez aisément. Vous aussi, d'ailleurs, si je ne m'abuse."

[Taliesin]

-Oh, je ne pense pas que ça marcherait. Les effets produits par un sceptre merveilleux sont irréversibles ! Enfin, presque toujours. Mais ne t'en fais pas pour nos apprentis : ils sont juste invisibles. Pour le reste, tout va bien. Et ils sont ravis de cette situation.
-Oh oui, ravis ! A l'heure actuelle, ils doivent être en train de faire les quatre cent coups quelque part dans le chateau...
-Peut-être même auront-ils l'audace de dérober quelques mets en cuisine...
-Bref, tu peux nous croire sur parole, Albérich. Les Sunites ne mentent jamais.
-Ni les Lathandrites.
-Mais donc, pour revenir à des sujets autrement plus importants que nos chers apprentis... Ne t'en fais pas, Hubert : si d'aventure il te faut passer par mon atelier, ce sera moins long qu'avec Soren, parce que je travaille assez rapidement.

[Galathée]

Le Luménien leva les yeux au ciel mais n'ajouta rien sur le sujet. Il n'avait pas l'intention d'imposer d'apprenti ou de novice à quiconque et si Thibault, Giovanni ou Gabriel ne le sentaient pas, il serait bien le dernier à leur fourrer un enfant dans les pattes. D'autant que Giovanni était probablement juste de passage et en l'absence de temple, les novices seraient imparfaitement formés. Il valait mieux compter sur le recrutement à l'extérieur pour pérenniser la présence de clercs dans la cité. Tout en y réfléchissant, il songea au fait qu'il avait à nouveau des pensées sérieuses, beaucoup plus pragmatiques qu'autrefois. Le retour de Lathandre ne l'avait pas complètement ramené à son état antérieur. Et c'était sans doute mieux. Cette version plus sage, moins emportée, de lui-même lui plaisait assez. Ou alors c'était juste l'habitude.
" Si la conversation est intéressante, je peux poser longtemps. Le problème, c'est l'ennui. Je ne suis pas du type contemplatif. Sauf quand je dois guetter... Peut-être que ce serait une solution... sauf que je me vois mal rester sur les remparts dans le plus simple appareil par ce temps... Bah. Tant mieux si tu es rapide."

[Taliesin]

-Rapide, rapide, tout est relatif, n'est-ce pas... Mais tu peux être sûr d'une chose : je discute avec ceux que je peins, j'essaie de leur changer les idées, de les faire se sentir à l'aise... Sinon, ils se tendent, leur posture perd tout naturel et, à mon sens, l'expérience est aussi pénible pour le modèle que l’œuvre est ratée pour l'artiste. Alors sois rassuré d'autant qu'à ma connaissance, la plupart de mes modèles gardent un bon souvenir du séjour dans mon atelier.
-Bon, les amis, ce n'est pas que j'en ai vraiment envie, mais il me faut retourner surveiller Ceux-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Mentionner-La-Nature...

[Galathée]

Hubert poussa un léger soupir puis se leva à son tour.
" Je vais t'accompagner. Je n'ai même pas prévenu mes écuyers que je rentrais tard... avec toutes les histoires horribles qu'Albérich leur raconte, ils ont le sommeil agité."
Le Luménien ouvrit une bouche ronde d'outrage mais le paladin lui décocha un léger clin d'oeil.
" Ne faites pas n'importe quoi. Certains se lèvent à l'aube, demain."
Puis il emboîta le pas du clerc.

[Taliesin]

-Gaby, tu as provoqué la fin prématurée de notre symposium, et ne dis pas que c'est involontaire ! lança Thibault, d'un ton faussement indigné. Alors tu peux m'en croire, ça se paiera !
-J'y compte bien, parce que j'adooore les punitions sunites ! rétorqua l'interpellé.
Puis les deux hommes gagnèrent le couloir, une première intersection...
-Tu as l'air de bien avoir accroché avec tes confrères, dit le Lathandrite, souriant. C'est de bon augure. Vous allez sous peu pouvoir mettre sur pied votre commanderie œcuménique, et nous ferons de même avec notre temple multi-confessionnel.

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit.
" Je croyais que les clercs étaient censés vouloir renforcer le pouvoir de leur dieu en convainquant un maximum de personnes de le prier... Sunie et Lathandre ne sont pas ennemis, mais je ne suis pas certain que le Seigneur de l'Aube verrait d'un très bon oeil que tu te soucies aussi peu de la lumière vers laquelle les gens se tournent."
Il haussa les épaules.
" Enfin, ce n'est pas de mon ressort, je vous laisse à vos questions spirituelles. Et je laisse bien volontiers la commanderie aux Sunites. Je n'ai pas l'intention de me retrouver embrigadé dans ce genre d'entreprise. Je n'en ai ni la vocation, ni les épaules."

[Taliesin]

-Vous seriez trois, et je pense que ce serait une chance extraordinaire pour maints novices de recevoir ton enseignement. Tu t'en sors à merveille avec Ruth et Alban, et ça leur réussit énormément...
Il sourit.
-Quant au temple... Tu le sais bien, la vocation est une question d'appel intérieur, aussi. Nous pourrions faire d'une part une classe œcuménique insistant sur les aspects communs de nos dogmes, d'autre part des classes de découverte présentant les spécificités de chacun d'entre eux. Ainsi les enfants pourraient, en toute connaissance de cause, aller vers ce qui les touche le plus, et nos Églises y trouveraient leur compte...
Il eut une légère grimace.
-En même temps, je dis ça, mais je n'ai aucune expérience en la matière, alors je raconte peut-être des absurdités. Enfin, de toute façon, je compte bien m'en remettre entièrement aux décisions d'Albérich.
Son sourire revint.
-Bon, mais tu voulais te retirer, et je te retiens avec mes histoires... Bonne nuit, Hubert. Repose-toi bien.

[Hubert de Maleval]

Hubert salua le jeune clerc et battit en retraite vers ses propres appartements. Il regrettait d'être parti mais il se sentait fatigué, tendu, et tout bien réfléchi, il aimait autant ne pas être témoin de la connivence entre Albérich et Thibault. Il savait qu'il ne dormirait pas avant le retour du Luménien, cependant. C'était pathétique, mais c'était comme ça.
Tout en ouvrant précautionneusement la porte de sa chambre, pour ne pas réveiller les enfants, il songea à ce qu'avait dit Gabriel, à la possibilité d'ouvrir une commanderie dans la cité. Il était nostalgique de son foyer luménien, bien sûr, mais il n'imaginait pas pouvoir se substituer aux maîtres qu'il avait eus à l'époque. Il lui fallait dix, vingt ans de plus, de l'expérience, une véritable carrière de paladin derrière lui. Il avait l'impression qu'il se réveillait seulement de dix ans d'hibernation.

[Taliesin]

Hubert n'aurait sans doute pas à attendre longtemps, seul, dans les ténèbres et le silence de ses quartiers. En effet, comme Thibault l'avait pressenti, le départ des deux Lathandrites avait plus ou moins sonné le glas de la réunion. Bien sûr, les convives restants discutèrent tranquillement quelques minutes supplémentaires, mais Giovanni ne tarda pas à se lever.
-A mon tour de vous abandonner : j'ai un argumentaire à préparer.
Il soupira, s'arracha un sourire.
-Et il faut surtout que je m'enlève toute pression. D'accord, un artiste à ses idées, mais ce qui importe, en fin de compte, c'est la satisfaction de ceux pour qui il travaille. Alors même si mon projet est amendé, j'aurai toujours une belle fresque à réaliser, et je ferai tout mon possible pour que la Communauté ait de quoi être heureuse.
-Allez, file donc : demain, nous boirons à ton triomphe !
Le barde les salua puis s'esquiva sous le regard des paladins qui semblaient se demander si, vu le travail qui les attendait le lendemain, il ne serait pas plus raisonnable de gagner leur lit.

[Galathée]

Albérich soupira dans un sourire et s'étira.
" Je suis désolé. J'ai gâché la soirée en lui parlant de cette fresque... Je pensais sérieusement lui faire plaisir, lui prouver que nous ne faisions pas la sourde oreille, que nous étions conscient de son désir..."
Il secoua la tête.
" J'espère que ça se passera bien. Je le sens aussi prompt aux émotions extrêmes que d'autres Sunites de ma connaissance."

[Taliesin]

Thibault rit.
-On est Sunite ou on ne l'est pas : par définition, l'amour est un sentiment extrême... Mais quoi qu'il advienne, Giovanni aura un travail à effectuer, et s'il est si demandé, ce n'est pas seulement parce qu'il est talentueux, mais également parce qu'il a une grande conscience professionnelle. Alors ne t'en fais pas pour lui. De plus, je suis certain qu'il a été sensible à votre geste : simplement, ce projet lui tient à cœur, et je le comprend car, loin d'être une bête lubie, une fantaisie d'artiste, il fait sens, surtout en ces lieux...

[Galathée]

" Je peux imaginer, en effet, et je comprends que cela lui tienne à coeur..."
Il sourit doucement.
" Mais la vie ne doit pas être facile quand on est tout le temps malmené de la sorte par ses émotions... J'espère juste qu'il parviendra à les contrôler au moment opportun. J'imagine qu'en tant que barde, c'est quelque chose dont il a l'habitude, cependant."
Un autre barde. Il ne put s'empêcher de songer à Aubin. Thibault avait l'air d'aller mieux, c'était un soulagement.