Quête : Les caprices de Fortune - à Graëlon

[Lothringen]

Lothringen n'était plus vraiment en pleine possession de ses moyens. Si ç'avait été le cas, sans doute aurait-il songé que c'était stupide, qu'ils venaient de passer de précieuses minutes à se rhabiller, cependant que le temps passait et que même son sort de télépathie allait venir à terme... Mais son cœur battait beaucoup trop vite pour lui laisser la liberté d'élaborer des raisonnements aussi complexes ; le peu qu'il lui restait d'esprit se concentrait sur l'étreinte de Mornagest – Mornagest dont les mains venaient justement de glisser sous sa taille, l'une sur ses fesses, l'autre sur l'avant, pressant de part et d'autre son intimité en une revendication explicite... Le semi-drow hoqueta, rouvrit soudain des yeux aux prunelles d'un noir plus brillant que jamais, et ce fut la fin du baiser, comme de toute pensée rationnelle ; ne restait plus que l'animalité du désir.

Il s'écarta légèrement, égaré ; son regard tomba avec dépit sur l'armure de son compagnon, qui protégeait ce dernier aussi sûrement qu'une ceinture de chasteté, et qu'ils avaient déjà passé tant de temps à remettre en place ; il avança alors les doigts pour en chercher à nouveau les attaches, mais son aide serait sans doute peu efficace cette fois-ci, tant ses gestes impatients rappelaient la maladresse des ivrognes.

[Mornagest]

Pourquoi n'arrivaient-ils pas à s'arrêter ? Ils devraient se remettre au travail, récupérer, ne pas défaire ce qu'ils venaient de refaire... le désir l'emportait plus sûrement qu'un combat entre David et Goliath. Malgré l'obstacle de son armure, rien ne semblait les arrêter... dans un souffle, Mornagest murmura : "Ce n'est pas très... raisonnable", tandis qu'il continuait ses caresses pour démontrer qu'il s'en fichait éperdument, qu'il n'avait qu'un seul objectif en tête.

Voyant que son amant peinait sur les attaches de sa cotte, il entreprit de les défaire aussi prestement que sa nervosité le lui permettait. Ce faisant, il délaissait provisoirement le corps de Lothringen. Ce dernier parviendrait-il à les raisonner ? Ou plongerait-il tête la première dans cet océan de tendresse mêlée d'envie brute ?

[Lothringen]

Celui qui est prêt à s'en remettre au caractère raisonnable d'un tymoran ferait aussi bien de conclure un pacte démoniaque, tant son cas est désespéré... Les caresses inquisitrices de Mornagest avaient rendu Lothringen à moitié fou, et le seul effet du répit que lui donnait le retrait de l'armure fut de lui permettre de reprendre son souffle, et de calmer certains de ses tremblements. Le semi-drow n'avait aucune envie de se montrer raisonnable, aucune envie de les arrêter dans leur élan ; il lui semblait que cela faisait une éternité qu'ils n'avaient fait l'amour, et maintenant que le désir était là, réciproque, intense et pressant, peu lui importait le contexte : il allait le satisfaire.

Le regard fixe, il vit Mornagest achever de déboucler sa cotte de mailles ; ce n'est qu'à la toute fin de l'opération qu'il songea à l'aider à nouveau. Une fois l’encombrante protection déposée à terre, ainsi que son gambison, restait la tunique ; Lothringen en attrapa les pans, les remonta jusqu'à la taille, et d'un même mouvement, repoussa fermement son compagnon jusqu'au mur le plus proche, où il l'adossa. C'est qu'il était plutôt fort, sous son apparence gracile... Tandis qu'il le maintenait, son regard descendit avec convoitise le long du corps de son amant, jusqu’à son sexe qu'il venait de révéler. Il oublia de respirer.

[Mornagest]

Enfin - et à nouveau - débarrassé de sa cotte et d'une grande partie de ses vêtements, le guerrier se laissait emporter par l'élan de son amant. Il sentait son envie d'en découdre, lui aussi, et lui-même n'avait aucune raison de l'en empêcher, au contraire. L'épisode malheureusement interrompu de tantôt lui avait laissé un goût d'inachevé en bouche, et il souhaitait poursuivre, conclure, aller jusqu'au bout des choses en donnant ce qu'il avait de meilleur en lui : la tendresse, l'attention, l'amour... tant de choses qui lui avaient manqué durant toutes ces années, qu'il avait effleurées lorsque leur relation débutait, et qui commençaient maintenant à s'épanouir pleinement alors que la confiance réciproque s'ancrait profondément entre eux.

Un prêté pour un rendu, Mornagest songea que son compagnon était dans de bonnes dispositions pour prendre l'initiative. À en juger par son regard rempli de gourmandise et ses gestes fermes, il ne devait pas trop se tromper...

[Lothringen]

Trop impatient pour prendre le temps de le déshabiller tout à fait, Lothringen coinça les pans de tunique entre le mur et le dos de son compagnon, tout en s'accroupissant à hauteur de ses cuisses. Comme s'il reprenait là où ils les avaient laissés leurs ébats interrompus, il se mit alors à lui caresser la taille, les reins, les hanches, redescendit bientôt sur l'aine, d'un double mouvement appuyé, et Mornagest sentit soudain sa langue se glisser au creux de son nombril. Tandis qu'il tressaillait encore de surprise, le semi-drow enveloppait son membre entre ses deux paumes, éprouvant avec volupté sa vigueur emprisonnée, sa tension. Il ne tarda pas à laisser ses lèvres descendre jusqu'à lui, lui dispensant le même genre de faveurs que Mornagest un peu plus tôt – à cette différence près que cela dura beaucoup moins longtemps, sans doute à cause de leur état d'excitation réciproque déjà bien avancé. Lothringen prenait plaisir à voir dans quel état il réussissait à son tour à plonger son compagnon, mais il s'interrompit lorsqu'il sentit son amant près de perdre pied. Il se recula alors, libéra ses hanches de son emprise, et, tout en lui caressant doucement la cuisse, souffla : « Retourne-toi... »

[Mornagest]

Le temps s'était arrêté. Une calamité s'était abattue sur l'univers, très probablement. Ou alors, il devait être proche de l'évanouissement... tout l'environnement, autour de lui, lui paraissait éthéré, assourdi, terni. Une seule chose retenait l'immense partie de son attention, et il lui était difficile de ne pas s'abandonner entièrement au supplice imposé par son amant. Mais le combat était trop inégal, et il savait qu'il ne pourrait guère lutter longtemps face à un tel traitement... fort heureusement, ou non, Lothringen le relâcha bientôt avant d'annoncer la suite de cette douce torture. Sous l'effet d'une félicité pratiquement inégalable, Mornagest s'exécuta sans se faire prier, là encore, signe d'une confiance qui s'était renforcée au fil des années. Confiance mutuelle, et en lui-même...

[Lothringen]

Il lui fallut à nouveau soulever la tunique, et cette fois-ci, agacé de l'obstacle bien léger qu'elle lui opposait, Lothringen la repoussa jusqu'à l'encolure, aidant Mornagest à la retirer tout à fait. Quand ce fut fait, il posa les mains sur les reins de son compagnon désormais mis à nu et, tout en laissant glisser un baiser brûlant le long de sa colonne vertébrale, reprit sa position initiale à hauteur de ses cuisses. Il n'aurait pas échangé le spectacle qu'il contemplait pour tout l'or du monde. Il trouvait les fesses de son amant magnifiques de muscle, de fermeté et de douceur, et savoir qu'elles s'offraient à lui, qu'elles ne s'ouvraient que pour lui, qu'elles le feraient encore... lui tournait la tête.

Il se força à faire passer le plaisir de son compagnon avant le sien et distribua patiemment baisers et caresses, le temps de faire un peu baisser leur commune nervosité. Ses gestes prenaient un rythme lancinant, faussement répétitif ; car en réalité, Lothringen ne perdait pas un instant de vue son objectif. Quand il pensa le moment venu, il lui écarta les fesses, glissant ses lèvres dans la fente. Il l'explora quelques temps de la bouche et des doigts, puis le guerrier sentit soudain que la langue du semi-drow était entrée dans son intimité.

[Mornagest]

La tension baissa un court moment lorsque son compagnon repassa à des caresses et des baisers un peu moins ciblés. Cependant, elle revint brusquement quand Lothringen entreprit d'explorer son intimité... d'abord surpris, il se laissa aller et se détendit, autant que faire se pouvait étant données les circonstances : lui-même était dans un état d'excitation très élevé, et il devait se concentrer pour n'en pas trembler. Progressivement, les choses s'améliorèrent, avec le rythme plus paisible qu'imprimait son amant, et l'habitude qui venait petit à petit. La peur était dissipée, désormais, pour ne laisser la place qu'à l'envie.

Bien malgré lui, il eut quelques pensées pour cette évolution, lente mais certaine. Leurs premiers ébats avaient été délicats... et psychologiquement houleux. La patience de Lothringen avait fini par venir à bout de ces incertitudes, mais le temps et leur éloignement avait aussi joué en leur faveur. Chacune de leurs rencontres devenait une étape vers un achèvement qui était peut-être très proche, maintenant. Car la seule chose qui inquiétait vaguement Mornagest, désormais, était de savoir si personne ne s'inquièterait de constater que lui et le conseiller restaient bien longtemps en conversation dans ce bureau. Mais, face au déferlement de sensations toutes plus érotiques les unes que les autres, que valait ce questionnement ? Il voulait profiter.

Il gémit.

[Lothringen]

Lothringen prit ce gémissement pour un encouragement à passer outre. Mornagest le sentit prendre appui sur ses hanches pour se redresser, le tirer un pas en arrière et l'inciter à écarter un peu plus les jambes... Il n'était pas difficile de deviner ce que le semi-drow avait en tête, surtout quand il l'entendit délacer ses chausses à nouveau. Il y eut pourtant un léger temps de latence, pendant lequel le guerrier discerna le bruit caractéristique de l'appel d'air produit par l'ouverture d'un bocal ; typiquement, c'était celui que faisaient les innombrables petits réceptacles de verre utilisés par le devin pour ses ingrédients de sorts ; mais pourquoi diable voudrait-il lancer un sort en un moment pareil ? Il comprit son erreur quand il sentit le membre de son compagnon s'introduire entre ses fesses que Lothringen pressait doucement tout autour. Le contact était presque froid, plus fluide que d'ordinaire... Le semi-drow avait utilisé une sorte de lubrifiant, qui rendit bientôt la pénétration plus facile qu'elle ne l'avait jamais été.

De son côté, Lothringen déployait une énergie surhumaine pour se contrôler, car son excitation était à son comble. Cela faisait de longs mois qu'il n'avait pris possession de son compagnon – en fait, cela s'était produit pour la dernière fois à Melandis, près de deux mois avant sa disparition. Depuis lors Mornagest était mort, ressuscité, avait changé d'apparence, était devenu amnésique, avait retrouvé la mémoire... avait voulu de lui... et le semi-drow se rendit compte qu'il avait nourri la sourde inquiétude que, peut-être, à la suite de tous ces bouleversements, il ne voudrait jamais plus.
De plus, le côté complètement scandaleux, voire scabreux de la situation, qui l'avait mis si mal à l'aise tout à l'heure – le fait qu'il ait peu à peu dépouillé Mornagest de tous ses atours de garde du corps, pour ne lui laisser que les bottes aux pieds – le fait qu'il l'avait retourné contre un mur de ce bureau de travail et commencé de le besogner debout alors qu'il était encore paré, pour sa part, de tous ses atours de conseiller – tout cela, il fallait bien le reconnaître, ne faisait que décupler son plaisir.

S'il s'était donné libre cours, il aurait attaqué son compagnon avec la vigueur d'un madrier sur la porte d'une citadelle, mais ce n'était pas ce qu'il voulait. Il voulait qu'ils puissent partager les sensations, que cela dure un peu, qu'ils se souviennent. Il saisit Mornagest à bras-le-corps, le pressa contre son torse et entama un lent va-et-vient dont l'intensité s'accrut peu à peu.

[Mornagest]

Des sensations, Mornagest en vivait des dizaines différentes en ce moment. Physiques, psychiques... le membre de Lothringen, bien entendu. Ses mains posées de part et d'autre de son bassin, la chaleur de son corps... mais aussi une impression de calme, d'apaisement après une tempête nerveuse qui s'était emparée de lui avant l'acte. Comme si toute la tension retombait brusquement, alors qu'ils s'accouplaient.

Bien vite, cependant, l'excitation revint, augmenta, tandis que Lothringen accentuait ses allers-retours. Désormais adossé à son amant, il ressentait son corps musclé, ses bras qui le retenaient... ses yeux restaient clos, goûtant chaque instant ce plaisir nouveau mais ô combien intense.

[Lothringen]

A mesure que le mouvement semblait s'intensifier comme s'il portait en lui sa propre dynamique, Lothringen, en s'y abandonnant, sentit toutes les pensées qui le parasitaient jusque là s'effacer peu à peu. Ne restaient plus qu'une immense fatigue, un soulagement inavoué, et le corps chaud de son amant qu'il pressait contre sa poitrine. Combien de mois d'attente avant de pouvoir simplement l'étreindre, de nouvelles semaines de supplice avant de pouvoir le garder à ses côtés... Quelle fut la durée de cet échange ? De longues minutes, sans doute. De très longues minutes. La vérité qu'il recelait sur eux le faisait paraître si dense que Lothringen n'aurait pas été surpris d'apprendre que la guerre avait pris fin dans l'intervalle...

Quand il se sentit sur le point de partir, il laissa l'une de ses mains descendre s'emparer avec précaution du membre de Mornagest, dans l'espoir de l'entraîner avec lui dans l'orgasme.

[Mornagest]

Il suffisait de peu pour être heureux, et pourtant, c'était déjà énorme... le fait d'être avec son compagnon, de lui parler librement, de l'embrasser, de faire l'amour avec lui... était-il heureux ? En tous les cas, il jouissait pleinement de l'instant présent. Il jouissait de sentir son amant monter en excitation, réaliser ce qu'il n'avait pu faire depuis des mois... Que dire, dès lors, quand Lothringen saisit sa virilité et recommença à lui prodiguer de savantes caresses ? L'orgasme était proche, très proche. Il serrait les mâchoires, inconsciemment, et contractait ses bras... si Lothringen ne l'avait pas tenu, il aurait pu choir au sol.

Tout cela était nouveau pour lui, même s'il en avait déjà vécu une partie. À chaque fois, c'était nouveau. L'incertitude sur ce qui allait se passer pouvait engendrer chez lui une forme de peur, mais elle était dissipée dès le moment où il rentrait dans le jeu de la séduction et du désir. Curieux de penser qu'autrefois, la simple évocation mentale de ce qu'il était en train de faire avec le semi-drow lui aurait fait se dresser les cheveux sur sa tête...

[Lothringen]

Il s'était emparé, une fois de plus, de la virilité de son compagnon ; elle était dans un tel état qu'il en ressentit une fierté immense, et qu'il sut qu'il n'y aurait pas besoin de la tourmenter longtemps pour la mener où il voulait. Le plus difficile était de réussir à accorder les mouvements de sa main avec ceux de ses hanches, mais quand il y parvint, il ne tarda pas à sentir son compagnon se raidir ; ce dernier ne tenait plus debout qu'à la force de ses bras. Ce spectacle le troubla. Mornagest avait réussi à se donner avec une telle générosité, une telle simplicité... Lothringen l'enviait un peu, car il savait que pour sa part, le chemin serait encore long avant qu'il n'y parvienne.

Impitoyable, le semi-drow mena son amant au bord de l'implosion, jusqu'à ce que ce dernier cède enfin en un sursaut. Cette vision le galvanisa, de sorte qu'après deux ou trois poussées plus vigoureuses, Lothringen se contracta, se cambrant pour atteindre l'orgasme à son tour. Il y eut encore ce moment où, essoufflé, à peine conscient, il continua de torturer doucement le membre de son compagnon pour jouir de chacun des gémissements qu'il lui arrachait et s'assurer qu'il en profitait jusqu'au bout. De son côté, il sentait sa semence se déverser abondamment, par vagues, dans l'intimité de son amant... et il en ressentait là encore un immense orgueil, irrationnel mais sans doute semblable à celui de l'animal qui vient de marquer son territoire.

Il ferma les yeux, chercha son souffle, ses esprits. La tension retombait peu à peu. N'était-ce pas la première fois qu'ils réussissaient à jouir ensemble ? Non, il était trop tôt pour penser. Son homme entre les bras, il était heureux.

[Mornagest]

Il reçut un choc, comme un éclair électrique, une gifle mentale... ses jambes se dérobèrent sous lui lorsqu'il atteignit l'apothéose du plaisir provoqué par Lothringen qui s'occupait doublement de lui. Insoutenable et irrésistible à la fois, la sensation était proche de l'assommer à moitié. Il ne devait le fait de rester encore debout qu'aux bras de son amant, qui le maintenaient fermement. Il ne s'en rendit pas compte tout de suite, car il lui fallu plusieurs longues secondes avant de réussir à rouvrir les yeux. Il les cligna à quelques reprises avant de pouvoir voir réellement ce qu'il avait devant lui...

Quel déferlement de sensations... des influx nerveux qui s'étaient emparés de lui comme une main invisible et gigantesque, qui l'aurait maintenu enfermé dans un plan où tout était amplifié, sublimé... son cœur lui donnait l'impression de cogner brutalement pour sortir et clamer son innocence, demander à ce que cela cessât pour qu'il pût enfin se reposer un peu. Quant à son intimité... les mots ne suffisaient pas pour décrire l'infinité de plaisir apaisant qu'il avait ressenti dans tout son être.

Il haletait, reprenait peu à peu l'équilibre et se tenait au mur d'une main. Il était exténué, maintenant, et aurait sans doute besoin d'un bon repos après tant d'émotions et d'effort.

"Bon sang", finit-il par murmurer.

[Lothringen]

Il y eut un silence, tandis que l'un et l'autre s'efforçaient de profiter un peu du moment, puis de recouvrer leurs esprits. Un silence tellement intense qu'il dut de quelque manière traverser les murs, de sorte que Lothringen ne fut guère surpris d'entendre un des membres de la garde l’interpeller soudain à travers l'épaisseur de la porte :
« Messire ? Faut-il congédier l'officier d'état-major qui vous attend depuis déjà une heure ? »
« Faites patienter, ce ne sera plus long. »

Une grande fatigue l'envahissait, mais elle était bien différente de celle que lui infligeait la guerre ; celle-là s'accompagnait d'une impression d'accomplissement, de plénitude. Il embrassa doucement l'épaule de son amant avant de lui glisser à l'oreille :

« Un dernier baiser, en somme... »

[Mornagest]

Il sursauta malgré lui lorsqu'on frappa à la porte. Il était dans un état de torpeur qu'il aurait bien aimé laisser se poursuivre jusqu'à l'endormissement tranquille, mais c'était désormais chose impossible. Il se redressa en soupirant doucement, puis entreprit de se rhabiller en toute hâte. Il faudrait compter un peu de temps pour qu'il remît son armure, également. Mais auparavant, Lothringen le taquina. Il sourit aussitôt à l'évocation de ce dernier baiser. Ces mots avaient précipité les choses, tout à l'heure...

Il lui rendit le baiser sur les lèvres, rapidement, malheureusement. Il ne fallait plus guère traîner. "Le dernier avant le suivant..." fit-il tout bas. Puis il lui demanda un coup de main pour sangler à nouveau son armure. C'était nettement plus rapide avec de l'aide...

Il avait envie de dormir. Mais aussi de ressasser ces moments si intenses...

[Lothringen]

Lothringen n'avait pas eu besoin de beaucoup de temps pour refermer ses chausses, aussi put-il aider Mornagest à réajuster sa cotte avec plus d'efficacité que tantôt. Cette armure leur avait bien compliqué la vie cette fois-ci, mais il préférait la savoir sur le dos de Mornagest dans les combats, en lieu et place de sa besantine. Il remettait consciencieusement les attaches en place, prenant garde de ne rien modifier, et ce faisant, repensait à ce qu'il venait de se passer. Il éprouvait comme l'envie furtive d'y revenir, et pour la première fois, confusément, le regret que Mornagest ne se soit pas occupé de lui de la même façon. Cette idée le troublait. Il connaissait trop bien ce désir, et les souvenirs qui y étaient inévitablement associés disaient sur lui des vérités dont il avait peur.

Il se recula d'un pas, quand Mornagest fut prêt, afin de vérifier que rien ne détonait dans sa tenue. Il scrutait l'équipement avec attention, dans le moindre détail. Non, tout était à sa place, cela irait. En revanche, il allait falloir que le guerrier fasse un effort pour se sortir de cette ouate qui semblait l'envelopper, ou l'on allait se douter de quelque chose.

[Mornagest]

Les choses reprenaient un cours peu ou prou normal. Il devait forcément avoir l'air un peu... déboussolé, mais il pourrait donner le change en se concentrant un peu. Et puis, il pourrait toujours évoquer la fatigue - réelle - qui l'habitait. Mornagest soupira brièvement, puis, sur un dernier regard vers son amant, sorti du bureau réquisitionné en se redressant du mieux qu'il le pouvait. Il devait sûrement avoir une drôle d'allure, mais après tout...

Il choisit de ne pas se précipiter pour aller ronfler encore quelques heures dans un bon lit. Lothringen lui avait bien fait comprendre que ses vêtements étaient bons à jeter, et il lui en faudrait donc des neufs. Et du change, tant qu'à faire. Le plus difficile serait de trouver un quelconque marchand de frusques...

[Lothringen]

Il ne trouverait pas de tel marchand dans l'hôtel de ville, ni dans les rues avoisinantes. Si ç'avait été jour de marché, il n'aurait eu aucune peine à en trouver sur la place du temple de Valkhur, mais il n'avait rien vu de tel dans la matinée. En somme, il ne lui restait plus d'autre solution que de s'en remettre à Tymora pour flâner au gré des ruelles de Graëlon, ou de demander à qui voudrait bien le renseigner. L'Hôtel de ville grouillait de monde, membres de la garde, soldats, officiers, personnel administratif local, bref, il ne manquerait pas de trouver quelqu'un à même de lui indiquer ce qu'il voulait... à condition de ne pas manquer de persévérance.

[Mornagest]

Mornagest avait l'avantage de ne pas avoir grand-chose d'autre à faire dans l'immédiat. Et puis, se mettre en quête de vêtements ne lui demandait pas une attention folle, ce qui lui permettait de repenser avec un mélange d'émotions diverses aux actes secrets et ô combien savoureux auxquels ils s'étaient adonnés peu auparavant. Du plaisir brut, en tête... et ensuite, des sentiments plus complexes, comme le fait d'avoir réussi à franchir une nouvelle étape dans leur relation, autrefois difficile, et qui comportait encore beaucoup d'obstacles. Dont chacun en était responsable, volontairement ou non. Leurs passés respectifs était probablement le plus ardu à franchir, ils en avaient encore une fois eu la preuve, cet après-midi. Comment diable Lothringen avait-il pu "vivre" un fragment de sa propre existence ? Le mystère était entier. Et le guerrier fit la grimace, en songeant à toutes ces choses atroces qu'il avait pu commettre, avant...

C'est avec un visage plus fermé qu'il arpentait désormais les rues de Graëlon. Il aurait voulu se remémorer les choses avec plus d'optimisme, mais cet épisode, si bref avait-il été, lui gâchait ce plaisir... il essaya vainement de se consacrer à la recherche d'une boutique pour se changer les idées, mais ses pensées demeuraient. Néanmoins, il fit l'effort de demander des renseignements aux gens du cru.

[Lothringen]

La première personne à laquelle il demanda se révéla être un réfugié, venu à Graëlon depuis les campagnes environnantes et guère plus au fait des lieux que lui. Il eut néanmoins plus de chance au deuxième essai ; l'homme lui indiqua une adresse, à deux rues de là, et se proposa même de l'accompagner. Parvenu devant la devanture, Mornagest put apercevoir une enseigne en forme de chemise, qui lui promettait de ne s'être pas trompé. Ayant remercié son guide, il poussa la porte, qui ouvrait sur une pièce assez mal éclairée. Il se trouvait manifestement chez un fripier qui revendait des vêtements d'occasion. Sur les portants et les étagères, on pouvait trouver un peu de tout, à condition d'être d'une taille commune, ce qui était heureusement le cas du guerrier depuis quelques mois.

Le commerçant l'accueillit avec un air de surprise ; Mornagest portait un uniforme prestigieux, même pour qui ne savait pas au juste à quoi il correspondait, et en règle générale, les corps d'élite avaient plutôt recours aux services des tailleurs, vu que c'était dans leurs moyens.

"Messire, que puis-je pour vous ?"

[Mornagest]

Il avait songé à un ensemble sur mesure, mais le temps de le faire réaliser, et ils seraient peut-être déjà loin... mieux valait miser sur des vêtements pratiques dont il pourrait se débarrasser sans remords s'il venait à les tacher à nouveau de la sorte. Ce qui ne manquerait sans doute pas d'arriver avant longtemps, malheureusement.

"Bonjour... hum. Voilà, je cherche des vêtements pratiques pour le voyage. Plusieurs changes complets, si c'est possible."

Surréaliste. Après des ébats torrides avec son amant, il se retrouvait, moins d'une heure plus tard, à faire ses emplettes du dimanche dans une boutique de Graëlon. La vie avait parfois de ces côtés grotesques...

[Lothringen]

L'homme l'examina de la tête au pied et commença de grommeler pour lui-même.

"Alors... des vêtements à porter sous votre armure, je suppose ? Je vois que vous portez une tunique, mais cela laisse une partie de vos jambes découvertes ; ce n'est guère ce qu'il y a de plus pratique en terrain arboré ou simplement s'il vient à faire un peu froid... Je peux vous proposer deux ensembles chemises / chausses ; le tissu en est épais et robuste, il me semble que c'est ce qu'il vous faut."

Il disparut quelques temps, afin de rassembler les éléments qu'il posa sur son comptoir. Les chemises étaient plus brunes que blanches, mais propres, et les chausses brunes pour les unes et d'un bleu sombre pour les autres. Il repartit vers ses portants.

"Et je peux y ajouter une tunique si décidément c'est ce que vous préférez, ou simplement si vous aimez pouvoir choisir."

La tunique qu'il exhiba, assez longue, était d'un beige plus clair, avec un liseré rouge sombre.

"A vue de nez, tout ceci devrait correspondre à votre taille, mais mieux vaudrait que vous preniez le temps d'essayer."

[Mornagest]

Une tenue pour les rares moments où il ne serait pas en armure, pourquoi pas ? Il avait pratiquement toujours porté la tunique, il n'allait pas s'en défaire si facilement...

"Parfait. Une tunique au cas où, oui... comme vous devez vous en douter, je n'aurai pas beaucoup l'occasion de racheter de nouveaux vêtements avant un moment. Autant prendre des précautions tant que je le puis." Il grimaça cependant à l'idée d'encore enlever tout son attirail... il n'avait pas vraiment le choix s'il voulait essayer, et il n'avait pas non plus envie de se rendre compte trop tard que ces vêtements étaient trop grands ou, au contraire, étroits.

"Va pour l'essayage, dans ce cas." Il pouvait heureusement enlever sa cotte seule, mais c'était plus laborieux. Il ne se voyait pas vraiment demander à l'homme de l'aider, d'autant que ses vêtements, en-dessous, étaient répugnants...

[Lothringen]

Le marchand lui indiqua un renforcement dans un coin de sa boutique, devant lequel on pouvait tirer un rideau. Mornagest eut alors le plaisir de redéfaire les attaches de sa cotte pour la nième fois de la journée, et put essayer successivement tous les vêtements, ce qui prit un certain temps mais s'avéra profitable : une des chemises était trop étroite de carrure, et ne tarderait pas à céder sous la pression. Le fripier trouva assez facilement à la remplacer, et le deuxième essai fut le bon. Il rassembla les différents effets, laissant l'un des tenues sur le dos de Mornagest, qui ne semblait curieusement pas pressé de la quitter, et les déposa sur son comptoir tandis qu'il faisait mentalement ses comptes.

"C'est tout ce qu'il vous faudra ?"

[Mornagest]

Par les dieux. C'était la première fois qu'il vivait une telle expérience, et il n'était pas prêt de souhaiter la recommencer ! S'habiller avait toujours été une sorte de corvée pour lui, sans parler d'enfiler une armure - et a fortiori, de l'enlever. L'espace exigu qui lui était alloué ne facilitait pas ses mouvements, et il dut grogner quelques fois sans même s'en apercevoir. Fort heureusement, il ne fit pas tous ces efforts pour rien, car l'une des tenues l'enserrait comme un ours sa proie. Il l'ôta avant d'étouffer et en demanda une autre.

Finalement, Mornagest fut satisfait, pour deux raisons : il disposait de tenues, et il savait qu'il n'était pas fait pour se choisir des vêtements.

"Ce sera tout, merci", fit-il, soulagé, en détachant sa bourse de la ceinture.

[Lothringen]

"Très bien, cela vous fera trois pièces d'or."

Un prix tout à fait raisonnable, à première vue ; pour n'être pas de tissus précieux, ces tenues semblaient solides et bien cousues. Après avoir empaqueté les tenues restantes, le commerçant avisa le tas de vêtements que Mornagest avait abandonnés sur le sol, dans la cabine d'essayage.

"Vous oubliez vos affaires, à moins que vous ne souhaitiez pas les reprendre..."

Il était trop loin pour pouvoir deviner la cause de la désaffection du guerrier pour ses frusques. De son point de vue de fripier, rien ne se jette, et tout se récupère.

[Mornagest]

Mornagest déboursa la somme sans trop sourciller. L'argent n'était pas un problème pour lui, car la plupart de ses dépenses étaient couvertes par la Garde. Excepté son équipement de guerrier, il n'avait d'ailleurs pas grand-chose à emporter, sauf de menues affaires pour le couchage et la toilette...

Il eut des scrupules à laisser sa tunique couverte de sang d'orques séché, puant la mort, la sueur et la peur... le marchand ne pourrait rattraper de tels outrages que difficilement. Aussi, il estima plus courtois de le prévenir.

"C'est-à-dire qu'elles sont... extrêmement sales. Si vous pensez pouvoir en faire quelque chose, ne vous gênez pas pour les garder... sinon, autant s'en débarrasser."

[Lothringen]

"Oh, vraiment ? Hé bien, un bon décapage à l'eau bouillante et au savon, une bonne teinture sombre... et je connais pas de vêtement qui n'en sorte comme neuf, pourvu que le tissu tienne le coup. Si vous le permettez, je tenterai volontiers l'opération, d'autant que cela ne coûte pas grand chose."

A vrai dire, il considérait que c'était le genre de choses que ferait n'importe quelle ménagère un peu avisée, avant de jeter des vêtements qui coûtent somme une somme trop importante pour se débourser à la légère. Il haussa les épaules, renonçant à développer sa pensée. Après tout, c'était aussi de cela que vivait son commerce : la paresse des clients.

"Sur ce petit cadeau, je ne peux que vous souhaiter le plus grand succès dans vos voyages ! J'imagine qu'un homme d'armes comme vous va avoir à faire, dans les semaines qui vont venir..."

[Mornagest]

Il ne put qu'acquiescer. La guerre était proche, les combats d'autant plus, et sa propre mission n'était pas de tout repos, au contraire. Il se garda évidemment de donner des détails sur son avenir proche, et se contenta de remercier le marchand, qui réalisait probablement une bonne affaire avec ses vêtements finalement récupérable. Bah... il n'allait pas se faire du souci pour si peu, alors que tant d'autres choses réclamaient son attention.

Il sortit, son achat empaqueté sous le bras. La rue était calme, malgré le conflit imminent. Les gens ne cessaient pas de vivre sous prétexte que d'autres s'entretuaient, parfois à quelques kilomètres de là... la nature humaine était ainsi faite, sans doute.

Mornagest marcha d'un pas tranquille, de retour vers l'hôtel de ville. Il songeait à tout cela. La guerre, les cultistes, sa relation avec Lothringen, sa rédemption si intense qu'il éprouvait du dégoût envers la notion de Mal... sa vie avait toujours été compliquée, mais avant, c'était lui le responsable de cet état de fait. Désormais, il suivait davantage les événements qu'il n'y prenait part. C'était plus simple, d'un certain côté. D'autant que lorsqu'il était chancelier, il subissait aussi beaucoup de choses sans pouvoir agir sur elles. Les tensions, les complots, les trahisons...

Son esprit vagabonda de la sorte durant un bon moment.