[Lieu] La ferme Desmoulins

[Taliesin]

L'elfe sourit.
-Consentir à un sacrifice pour en éviter un plus grand encore... Tu as raison, il faut penser à long terme.
Il jeta un regard autour de lui.
-Mais donc, puisque nous allons oublier toute forme de travail pour aujourd'hui... Comment souhaites-tu occuper les heures de détente qu'il nous reste ?

[Galathée]

" Il n'est plus si tôt que ça, tu sais... dit Victor en levant les yeux. Peut-être qu'on ferait quand même mieux de ne pas se montrer trop tard, tranquilles comme des princes... Le poulailler pourrait leur sembler punition trop douce... et il y a sûrement d'autres choses pénibles à faire... Je ne sais pas quelle heure il est exactement, mais... Je ne veux pas non plus provoquer les copains, tu vois."

[Taliesin]

-Bien sûr, répondit-il, tranquille.
Il observa un instant le soleil, qui, effectivement, avait déjà bien décliné.
-Bon, on rentrera dès que tes vêtements seront secs,
Il faudrait ensuite qu'il trouve un moment pour discuter avec Galathée mais, au pire, cela attendrait qu'il ait raconté son histoire quotidienne aux enfants.

[Galathée]

Victor se tourna sur les coudes.
" Qu'est-ce que tu vas nous apprendre, à l'école ? demanda-t-il, curieux. Moi j'aurais pas pensé qu'on resterait à la ferme, pour ça... Enfin, il y a une école à Pré-aux-Sources... Sans doute que l'instituteur, là-bas, il est pas aussi malin que toi, cela dit, c'est sûr... mais ça va te faire un sacré travail, quand même, non ? Surtout que ça s'improvise pas comme ça, je suppose, d'être professeur... Est-ce que t'as déjà fait ça, dans le passé ?"

[Taliesin]

-Pas avec un groupe, non, avoua-t-il. Du coup, il faudra être indulgent avec moi, les premiers temps, si c'est un peu... de l'improvisation, dira-t-on. Je commencerai par mettre l'accent sur les bases : lecture, écriture, grammaire, orthographe, calcul, avec aussi de l'histoire et de la géographie hélonniennes. Peut-être enrichirai-je par la suite. Ceci dit... Si certains d'entre vous préfèrent aller à l'école de Pré-au-Sources, c'est tout à fait possible, d'autant que ça aurait l'avantage de vous faire sortir un peu.

[Galathée]

Le petit garçon s'était assis et il opina du chef.
" J'imagine que ça dépend un peu... avec l'hiver qui vient... Aller jusqu'à Pré aux Sources, ça va de toute façon être un peu compliqué... Peut-être au printemps..."
Il haussa les épaules.
" Tu as été à l'école, toi ? J'aurais pas imaginé que tu t'y connaissais beaucoup en calcul..."

[Taliesin]

-Il n'y avait pas d'école là où j'ai grandi et ce sont mes parents qui m'ont transmis ce qu'ils savaient. Ensuite, c'est mon maître qui m'a tout enseigné : c'était un apprentissage très axé sur les matières littéraires, les contes et légendes, l'histoire et la musique, tu l'imagines bien, mais le calcul n'en était pas absent. C'est important de savoir ses opérations quand on doit acheter des vivres et du matériel, quand on doit négocier avec un employeur... Plus tard encore, j'ai dû approfondir mes connaissances en mathématiques lorsque je me suis intéressé à l'astrologie. Je n'ai toutefois rien d'un grand mathématicien, je l'admets volontiers.

[Galathée]

" Je vois... Je trouve que c'est jamais complètement la même chose de savoir quelque chose puis de parvenir à l'expliquer... Mais j'imagine que c'est plus facile quand on est adulte... On a eu le temps de voir comment ça fonctionnait... ce qu'on sait, je veux dire... et puis on a des meilleurs mots."
Il haussa les épaules.
" Moi j'aime bien le calcul. Plus que le commun, je dois dire."

[Taliesin]

-Je ferai mon possible pour t'enseigner ce que je sais de cette discipline mais, si c'est vraiment ce qui te plait le plus, si tu veux poursuivre sur cette voie, il faudra qu'on te trouve un autre professeur. Cela ne doit pas manquer, à Luménis, puisque les mathématiques servent dans beaucoup de domaine comme le commerce, l'architecture, l'astrologie...
Il s'interrompit quelques instants, songeur.
-Après, tu as totalement raison : on peut avoir de bonnes connaissances sans forcément être doué pour les transmettre. N'ayant jamais été maître d'école, n'ayant jamais eu d'apprenti, je ne sais pas du tout ce que je vaux, comme enseignant. Et si je m'avère trop mauvais, on cherchera une autre solution.
Les quelques cours donnés à bord de la Polissonne, en effet, ne pouvaient guère augurer de la réussite ou de l'échec de sa future tentative.

[Galathée]

" Je ne crois pas que tu seras trop mauvais, dit gentiment Victor. Je pense juste que c'est déjà pas facile à la base, mais si en plus tu dois donner cours à des gens de niveau différent, avec des envies différentes... C'est plus ça qui m'a l'air compliqué. On n'est pas toujours très calmes, en plus... Hum. Enfin, en même temps, tu nous connais..."
Il sourit.
" On verra bien. Bon. Je crois que c'est sec, tout ça..."

[Taliesin]

-Alors on y va ! lança-t-il avec entrain.
Un instant plus tard, il était en train de récupérer les cannes à pêche.
-M'est avis qu'on va essuyer un certain nombre de remarques et de moqueries, surtout après l'annonce de notre condamnation au nettoyage du poulailler. Mais on fera face avec dignité !

[Galathée]

" On va quand même cueillir le cresson, non ? Si je rattrape des sangsues, tu me les retireras !"
Il retourna aussitôt dans l'eau et se trempa en moins d'une minute. Il descendit le cours de la rivière vers les limites du domaine, puis se pencha dans l'onde.
" Comme on a rien pris, tu pourras le ranger dans les paniers de pêche." remarqua-t-il tout en cueillant les plantes.

[Taliesin]

-Bonne idée !
Il le rejoignit, panier à la main, mais veilla à demeurer éloigné de la frontière qu'il n'était pas autorisé à franchir. Il jugeait préférable de ne pas frôler celle-ci, au cas où un garde viendrait à passer - même s'ils étaient invisibles, il ne les avait pas oubliés.
-Ce cresson a l'air superbe et, de mon point de vue, il serait largement suffisant pour nous éviter le poulailler. Malheureusement, je doute que les autres l'entendent de cette oreille... Enfin, si ça se trouve, ça ne sera pas aussi térrible que ça en a l'air, sans compter qu'on a déjà triomphé d'ennemis bien pires...

[Galathée]

" Sans doute... mais tout juste..." dit Victor en lui ramenant une première brassée de cresson.
Il retourna aussitôt au coeur de la rivière pour en chercher davantage.
" En cueillir assez pour une soupe... ça demande tout juste dix minutes ! Guillhem peut être pire que Squale, certains jours."

[Taliesin]

Il rit.
-Tu es dur, bonhomme ! D'autant que, même si ça peut être parfois désagréable pour vous, Guilhem a raison d'agir de la sorte : sinon, notre petite communauté n'irait pas de l'avant...
Il eut un sourire personnel.
-En plus, il a du mérite : quand on a bon cœur comme lui, ça n'est pas facile de se montrer sévère, de faire régner la discipline. Honnêtement, je ne sais pas si je m'en sortirais aussi bien, à sa place. Hum, en fait non, j'en suis sûr : ce serait une catastrophe.

[Galathée]

Victor sourit.
" Une vraie catastrophe, ça c'est sûr !"
Il rapporta une nouvelle brassée de cresson.
" Faudra encore le nettoyer. Les poissons pissent dessus. Et y'a des escargots collés un peu partout."
Il retourna à nouveau vers le coeur de la rivière. Puis subitement, il poussa un cri aigu et disparut sous la surface.

[Taliesin]

Relâchant le cresson dont il s'était déjà emparé pour le nettoyer, Taliesin se redressa et, yeux plissé, scruta la rivière : ses eaux transparentes devraient lui permettre de repérer rapidement le gamin. Il n'était pas réellement inquiet : cela faisait des mois que les habitants de la ferme venaient régulièrement se baigner en ces parages, si bien qu'ils n'auraient pas manqué de repérer le moindre danger potentiel. Bref, il penchait plutôt pour une facétie de Victor. Ce qui ne l'empêcha pas d'être vigilant et de se tenir prêt à intervenir, juste au cas où.

[Galathée]

Le gosse réemergea quelques secondes plus tard.
" Incroyable ! T'es même pas venu me sauver ! Et si un poisson chat géant était venu me bouffer ?! Ça existe, tu sais !"
Il paraissait réellement scandalisé et grimpa sur la berge, avec sa dernière fournée de cresson.
" Cela dit, ça sert à rien de laver le cresson dans la rivière : il en vient. Faut le laver avec l'eau de source qu'on a dans le puits !"

[Taliesin]

-C'était pour enlever au moins les escargots... commença-t-il.
Cependant, la déception du gosse étant visible, il ne put résister au besoin de se justifier.
-Tu sais, je me tenais prêt à sauter à l'eau. Mais je me doutais que c'était une blague, et comme on est proche des limites du domaine, je préférais rester vigilant... Enfin, si tu avais vraiment été en danger, je plongeais, limites ou pas.

[Galathée]

" Mais tu l'aurais su comment, que j'étais en danger ? demanda Victor. On peut se noyer vite ! Tu aurais fini par plonger si je n'étais pas remonté mais voilà... ça aurait été trop tard !"
Il sourit.
" Mais t'avais raison, c'était une bête blague !"
Il l'aida à ranger la fin du cresson dans les paniers.
" Guillhem cuit les escargots et les mange avec de l'ail, en général... Seulement les gros."

[Taliesin]

-Et il aurait tort de s'en priver : c'est très bon, les escargots ! Il faut juste réussir à oublier l'aspect qu'ils ont avant qu'on ne les cuise... Nous lui mettrons donc de côté les plus gros. Et, qui sait ? Peut-être en sera-t-il à ce point ravi qu'il oubliera de nous condamner ?
On pouvait toujours rêver.
-Allez, va un peu te sécher au soleil. Ensuite, on rentrera. Il commence vraiment à se faire tard.

[Galathée]

" Je peux sécher sur la route... Il ne fait pas froid."
C'était peu de le dire : l'été était encore bien présent malgré la rousseur des arbres et la chaleur était torride dès qu'on quittait l'ombre.
" Le problème, dit Victor en repartant dans le bois, c'est que même si Guillhem aime les escargots, même s'il n'oserait jamais t'imposer quoi que ce soit à toi, le grand Taliesin le magnifique, il va subir la pression des autres... Mais ne t'en fais pas : à mon avis, Robin a déjà tout organisé. Il ne sert plus à rien de gémir."

[Taliesin]

-Je ne gémis pas ! protesta l'elfe qui avait pris soin de récupérer toutes les affaires abandonnées sur la berge. Simplement, comme je suis beaucoup plus optimiste qu'autrefois, j'ai désormais tendance à penser que le pire est toujours évitable...
C'était presque vrai.
-Mais donc... Soit : demain, nous triompherons du poulailler. Et dans quelques mois, nous pourrons narguer Robin lorsqu'il lui faudra nettoyer la porcherie.

[Galathée]

" Les cochons ne resteront pas longtemps. On les engraissera jusqu'aux premières neiges et puis... couic !" dit le jeune Desmoulins.
Il frissonna dans l'instant.
" Heureusement qu'on a traversé toutes ces horreurs, finalement. Ça me permet de survivre à la rude vie de la ferme... C'est un univers drôlement sanglant, quand on y pense... Je n'y étais pas préparé, avec ma petite vie tranquille de citadin..."

[Taliesin]

Il faillit lui demander s'il n'avait pas passé quelques temps ici, quand son grand-père était encore vivant. Mais c'était une question idiote : lors de ses séjours à la ferme, il était trop jeune pour qu'on le laisse assister à pareilles scènes.
-C'est sûr que c'est une vie rude par bien des aspects. Si davantage de gens en étaient conscients, ils témoigneraient plus de respect à ceux qui la mènent et qui ont bien du courage...
Il sourit à l'enfant.
-Ceci dit, je pense que rien ne t'obligera à être là, pour les cochons, reprit-il, avant de s'empresser d'ajouter, devançant une possible riposte - Victor pourrait craindre les moqueries de ses amis, s'il évitait le sanglant spectacle : D'ailleurs, je ne suis pas sûr que je tiendrai à en être témoin moi-même.

[Galathée]

" Moi je crois qu'il faut le voir. Tous les fils Merlus, ils ont déjà vu ça, même Mathieu. Ils disent que le cochon hurle, et que c'est mieux de le voir, parce que sinon, tu imagines des trucs encore plus atroces que ce qui est vraiment en train de se passer. Et puis que c'est aussi une manière d'accepter qu'on le fait... Enfin. C'est pas pour tout de suite. Et si ça se trouve, ils emmèneront le cochon pour le tuer ailleurs. Comme ça, ça ne réveillera pas les bébés."
Son sourire se fit mutin.
" Et ça ne choquera pas les elfes sensibles."

[Taliesin]

Il fut à deux doigts de lui tirer la langue.
-Dieux, qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... dit-il plutôt en levant les yeux au ciel.
Puis il sourit à son tour.
-Mais d'accord : j'assisterai à la mise à mort des cochons si elle a lieu à la ferme. Et de ton côté, tu assisteras Galathée la prochaine fois qu'elle ira mettre la main dans le ventre des vaches.
Et toc !

[Galathée]

" Ah beurk, quelle horreur. Cela dit, ce ne sera pas la première fois... et on a manqué l'agnelage... Il parait que c'était pas toujours frais... Enfin... Tant pis. Les cochons, les vaches... Vivement qu'on puisse rentrer en ville. La campagne, c'est très sympa pour les vacances, mais finalement, on n'est pas si mal dans des endroits... plus civilisés, voilà."
Ils débouchèrent hors du bois, dans le jardin, non loin de l'endroit où Guéric et Galathée se trouvaient, en grande conversation. Ils leur firent signe puis reprirent aussitôt leur conciliabule, à grands renforts de gestes. Ils discutaient sans doute de l'emplacement des futures ruches.

[Taliesin]

Malheureusement pour Victor, ils ne pourraient pas retourner s'installer dans la maison de Luménis avant que la fin de la guerre n'ait permis la tenue de son procès. Des mois, peut-être même des années s'écouleraient donc sans qu'ils puissent partir d'ici. Même si, bien sûr, Galathée pourrait toujours amener le petit garçon séjourner en ville quelques temps...
-Bon, nettoyage du cresson et, ensuite, nous aurons terminé notre dure journée de travail, dit-il, souriant.

[Galathée]

Ils furent rapidement rattrapés par le reste de la famille et l'organisation interne de la ferme. Mathilde, qui était aux fourneaux, les délesta de leur cresson, et les envoya aider Mathieu et Jehan à mettre la table. L'arrivée de Taliesin fut considérée comme une bénédiction car les deux petits peinaient à soulever les assiettes et les risques de casse n'étaient pas minimes. Victor fut ensuite embarqué par Félix pour aller pendre du linge, tandis que Guillhem réquisitionnait le barde pour l'aider à réparer la charrette, qui avait souffert de ses dernières escapades. Il fallait soulever, déplacer, clouer, reposer, et les deux hommes, aidés d'Antoine et Elliot, finirent en sueur, si bien que Mathilde leur imposa de se laver avant le souper. Ils se retrouvèrent ensuite tous ensemble devant le repas du soir, composé de petits rôtis en croûte plutôt délicieux.