[Lieu] La ferme Desmoulins

[Taliesin]

Il savait qu'il ne s'agirait que d'une formalité, que cela ne durerait qu'une journée, que ce serait une broutille comparé au procès. Néanmoins, cet épisode ne manquait pas de l'inquiéter car il serait malgré tout éprouvant. Jusqu'ici, lorsqu'il avait eu affaire aux autorités - aux autorités bienveillantes, en tout cas -, cela avait toujours été en temps que collaborateur, qu'appui : à présent, il allait passer de l'autre côté de la barrière, ne serait plus dans le rôle de celui qui aidait à régler les problèmes mais de celui qui en avait causé. Comme, cette nuit funeste, il avait cessé d'être celui qui chassait le mal pour le perpétrer... Bref, son statut de criminel allait se concrétiser brutalement et plus seulement au travers de ses propres pensées, d'une surveillance discrète... Par conséquent, chaque jour passant fit croitre sa tension, son anxiété et son besoin de s'occuper sans trève ni repos. Les dieux soient loués, le labeur ne manquait pas et il y prit bien plus que sa part.

[Galathée]

Galathée vint le trouver avant le jour fatidique. A voir sa mine, il devina qu'elle avait beaucoup hésité à l'aborder, mais qu'elle ne pouvait plus se taire.
" Tu vas partir à Luménis pour la lecture de l'acte d'accusation, dit-elle en préambule. Tu sais que même si je viens à Luménis, moi aussi, je devrai voyager autrement et que je ne pourrai pas te voir, ni te soutenir, ni assister à l'audience."
Elle grimaça.
" Est-ce vraiment ce que tu veux ? Cette solitude ? Est-ce vraiment une bonne idée, compte tenu de ce que nous savons par ailleurs ?"

[Taliesin]

-Oui, répondit le barde sans hésiter.
Il soupira.
-D'un point de vue purement pragmatique, je sais que j'arriverai mieux à contenir mes émotions, à jouer la comédie et à adopter l'attitude convenable si... s'il n'y a personne à qui je tiens pour assister à tout cela. Dans le fond, ça ressemblera à des situations que j'ai déjà connues, à ces fois où j'ai dû jouer un rôle alors que je me trouvais au milieu d'ennemis et que je ne devais jamais baisser ma garde sous peine d'être pris. Si j'envisage ainsi cette audience et plus encore le procès, ça ira. Je sais me cuirasser et donner le change.
Il eut un sourire douloureux.
-Et puis... Je sais que tu trouves cela idiot, mais à chaque fois que je repense à ces événements sinistres, je me sens tellement sale que... que j'ai l'impression de ne pas avoir ma place auprès de vous. Il est donc impératif que je maintienne strictement séparés ces deux aspects de ma vie, que je ne laisse pas la facette sombre qui sera bientôt définitivement reléguée dans le passé souiller la facette lumineuse qui, elle, ne fait que commencer.

[Galathée]

" Taliesin, je ne comprends pas... Quel rôle entends-tu jouer ? Je pensais... que tu allais à ce procès en homme honnête, pour mettre un terme définitif à cette histoire et accepter une sentence pour des actes que tu as réellement commis... Pourquoi devrais-tu prétendre quoi que ce soit ?"
Elle paraissait sérieusement interdite.
" De plus, je sais tout de ce qui s'est passé. Je suis allée sur place. Et je vois dans quel état tu es, chaque fois que tu mentionnes ces événements, sans aucune... évolution en la matière... Tu auras besoin de moi. Si pas demain, au moins pendant le procès lui-même."

[Taliesin]

Il ferma les yeux.
-Je souhaitais ce procès. J'avais besoin que justice se fasse et j'espérais que cela m'aiderait à tourner la page. Mais mes discussions avec le sieur de l'Atalante m'ont montré que je me trompais.
Il secoua la tête.
-Il ne sera pas question que des Kanter. On risque de me reprocher, aussi, d'autres actes dont je n'ai pas à rougir. De surcroit, même si jamais aucune référence explicite n'en est faite, il y aura constamment, en arrière-fond, ma responsabilité dans l'avènement de Nwalk, une responsabilité que d'aucuns aiment à croire plus large qu'elle ne l'a réellement été. En somme, d'un côté on me dit que puisque j'étais fou, je ne suis pas coupable, et de l'autre qu'il me faudra malgré tout payer pour une foule de motifs extérieurs à l'affaire dont il est officiellement question. Entendons-nous bien : l'issue sera heureuse, il n'y a aucune raison de douter de mon avocat sur ce point, surtout compte tenu de sa grande francise. Mais voilà : je n'aurai pas droit à l'acquittement qui est généralement de mise pour les gens ayant commis des crimes sous le coup de la folie, il ne s'agira pas de justice en bonne et due forme mais plutôt de tractations en coulisses afin de trouver un compromis acceptable entre gens qui n'ont qu'une hâte : expédier ce dossier au plus vite.
Il se mordilla la lèvre inférieure, nerveux.
-Dans pareil contexte, la culpabilité qui me ronge sera une force. Elle me permettra d'endurer le procès et ses aléas, de ne pas me récrier contre les sous-entendus ou les accusations injustifiées. Ce sera une épreuve, oui, mais elle constituera peut-être ma véritable sentence, bien plus que celle qui sera finalement prononcée. Ensuite, ce sinistre chapitre sera définitivement clos et nous pourrons nous tourner vers l'avenir, un avenir sans ombres à l'horizon. Je suis certain que j'arriverai à accepter l'idée que j'étais bel et bien fou et donc non responsable. Et au pire, si c'est trop dur, je pourrai me faire aider.

[Galathée]

" Je veux être là, à ce procès, Taliesin, dit la rôdeuse, butée. Je refuse de te laisser aller au devant de tes accusateurs sans pouvoir te soutenir. Imagine que les choses soient inversées... Resterais-tu ici, à la ferme, tandis que je serais jugée ? Je n'en crois rien. Donne-moi le droit d'être dans ton ombre. Tu n'as plus rien à me prouver, depuis longtemps."
Elle s'écarta une seconde de lui, comme pour prendre du recul.
" Je pense qu'Henry t'expose le pire pour que tu ne sois pas surpris. Mais dans le fond, avant la lecture de l'acte d'accusation, rien ne t'est encore reproché."

[Taliesin]

-Bien sûr. Mais tout ne se résumera pas à l'accusation officielle,, puisqu'il y aura des tractations en coulisses.
Il soupira à nouveau.
-Je comprends que tu veuilles m'aider, je t'en suis redevable et, oui, si les rôles étaient inversés, j'aurais le même désir. Mais pour que tu puisses assister au procès, il faudrait que nous nous marions. Or, si j'en ai envie, je rechigne à ce que nous le fassions en partie pour des raisons pragmatiques. Est-ce que ce ne serait pas entacher d'ombre un événement qui ne devrait être que lumière ? Est-ce que ça n'aurait pas plus de sens de réserver cela... pour après ? Pour marquer... un nouveau départ ?

[Galathée]

La rôdeuse sourit doucement et revint vers lui pour lui prendre la main.
" Ne pouvons-nous pas faire les choses rapidement, pour leur côté pratique, et puis célébrer comme il se doit ensuite ? Moi aussi, j'ai envie que ce soit un jour magnifique... mais j'ai l'impression que nous devons être... réalistes, oui. Et d'abord te couvrir. Je sais comme tu es prompt au désespoir. Je ne tiendrai pas, si je dois me languir sans savoir comment tu vas, sans te voir pendant des veilles... Nous avons été trop séparés, ces derniers temps... Je ne veux plus jamais revivre une chose pareille. J'ai besoin de rester près de toi, pas que tu m'échappes..."

[Taliesin]

-Très bien, faisons ainsi, murmura-t-il finalement, après un long silence.
Dieux, que ces mots avaient été durs à prononcer. Rien qu'en imaginant la rôdeuse assistant aux audiences où venant le visiter en prison, il se sentait submergé de honte. Mais peut-être était-ce de l'orgueil mal placé, comme sa foutue manie de se juger responsable de tout. Et puis, ce procès serait une terrible épreuve pour elle aussi : il n'avait donc pas le droit de se montrer égoïste.

[Galathée]

" Merci, dit-elle, consciente de l'effort que cela lui avait demandé. Nous traverserons cette épreuve ensemble. Je suis fière de toi, de tout ce que tu es, de nous. Je ne me laisserai pas impressionner par une cour de justice. Et je serai là, toujours, quoi qu'il advienne. Tu ne le regretteras pas, je te le promets."
Elle se blottit entre ses bras, malgré sa réticence.
" Je suppose que nous devrons faire venir un officiel ici. Si tu veux, nous pouvons ne rien en dire aux enfants... leur garder la surprise pour après le procès."

[Taliesin]

-Je ne sais pas, murmura-t-il en la serrant contre lui.[color=#FFF66] Cette option a effectivement ma préférence, mais... S'ils s'inquiètent trop, la nouvelle pourrait aussi les réconforter, dans la mesure où si nous nous marions, cela signifie que nous croyions en l'avenir, quelque part, que nous avons la ferme conviction que tout ira bien, que notre situation est tout sauf désespérée. Sans compter qu'une fois le contrat de mariage signé, je deviendrai officiellement le beau-père de Victor. Dans l'absolu, ça ne change absolument rien, mais qui sait si ça ne le rassurerait pas quant à nos liens ?[/color]

[Galathée]

" Je ne sais pas, dit la rôdeuse. Peut-être que, de toute façon, nous devrions l'impliquer dans cette décision... puisqu'il n'a pas été impliqué dans la précédente et qu'il l'a mal vécu... Je sais que ce n'est pas son rôle, ni son droit, de décider si nous pouvons nous marier, mais... Il devrait peut-être y avoir un moyen de lui présenter la chose pour qu'il se sente associé à cette étape dans nos vies, tu ne crois pas ?"

[Taliesin]

-Si, tu as raison, dit-il en esquissant un sourire. Je n'ai pas la oindre idée de la manière dont les choses se passent quand l'un des futurs conjoints a déjà des enfants, mais il ne me paraît pas impossible que certaines clauses du contrat aient trait au partage de la responsabilité parentale... Dans tous les cas, notre union aura des conséquences pour lui, sur un plan légal... Pas besoin d'aller chercher plus loin pour l'impliquer.

[Galathée]

La rôdeuse rit.
" J'imaginais quelque chose de moins prosaïque ! Si nous nous marions, cela signifie qu'il t'aura dans les pattes encore un certain temps et qu'il ne pourra plus esquiver tes directives en t'accusant de n'avoir aucune autorité sur lui. Ça me semble suffire pour lui parler. Et je propose que tu le fasses toi. Tu n'as qu'à prétendre que les choses ne sont pas encore décidées..."

[Taliesin]

-Mais elles ne le sont pas encore tout à fait ! N'hésiterions-nous pas un peu s'il m'opposait un refus inébranlable ?
Son sourire s'élargit.
-Je me ménagerai un moment avec Victor dès que possible et je lui en parlerai. En n'évoquant ni lois ni paperasses, sois rassurée : j'avais bien l'intention de présenter les choses comme tu viens de le faire.

[Galathée]

" Prépare-toi à ce qu'il te malmène un rien, cependant. Tu connais Victor. Il t'aime mais c'est un rancunier, et je suppose qu'il saisira l'occasion pour te rendre la monnaie de ta pièce. Mais c'est aussi une bonne manière de vous remettre à égalité. Oui, vraiment, je crois que c'est une bonne idée."
Son sourire s'élargit, puis elle redevint sérieuse.
" Fais-le avant de partir pour Luménis, cependant. Il a aussi besoin d'être impliqué dans ce qui t'attend. Cacher les choses difficiles aux enfants n'est jamais une bonne idée."

[Taliesin]

-Je sais. Mais que voulais-tu que je lui dise ?
Il soupira.
-Tu as raison, cependant : il faut que je lui en parle. A Baptiste, aussi. Mais d'abord Victor. Je trouverai bien un prétexte pour que nous passions un moment ensemble, assez long pour que la discussion soit menée à son terme. Et se déroulant un peu à l'écart, au cas où elle soit houleuse.
Il n'avait pas encore la moindre idée mais il ne doutait pas qu'une opportunité vienne rapidement à se présenter.

[Galathée]

" Pourquoi te rends-tu la vie si compliquée ? Il n'est nul besoin d'un prétexte. Marche vers lui, tape-lui sur l'épaule, et demande-lui un moment. Honnêtement, il n'en faut pas davantage. Pourquoi refuserait-il ? Quant à leur parler du procès... Je ne le ferais pas d'emblée. Ils viendront vers nous et nous irons vers eux... mais ça n'est pas urgent, vraiment pas. Ils te poseront peut-être des questions à ton retour de Luménis et nous aviserons à ce moment-là."

[Taliesin]

-Très bien. Quant au fait que je me complique trop la vie... C'est vrai, mais disons qu'il ne faut pas non plus que je lui en parle à un moment où il a d'autres choses en tête, où il a prévu d'aller jouer avec ses amis, par exemple... Enfin, ne t'en fais pas : je saisirai la première occasion venue. De toute façon, l'imprévu fait souvent aussi bien l'affaire que les longues planifications.
Il se contenterait d'imaginer sa tirade d'introduction. Pour le reste, il improviserait.

[Galathée]

Les occasions ne manquaient effectivement pas : les enfants étaient toujours dans les parages, que ce soit parce qu'ils donnaient un coup de main, venaient se ravitailler, ou préparaient le matériel de leurs jeux. Taliesin voyait ainsi Victor de l'aube à la nuit, ainsi qu'en classe. Il ne tenait donc vraiment qu'à lui de l'interpeler pour lui parler. Mais peut-être était-ce l'anxiété qui le faisait tergiverser...

HRP : c'est vraiment le genre de circonstances où tu peux parfaitement improviser l'heure, le lieu, le cadre...

[Taliesin]

Anxieux, il l'était assurément, non pas à propos du dénouement mais plutôt du déroulement - un peu à l'instar du procès. Néanmoins, il alla trouver Victor dès le lendemain, en fin d'après-midi. Si la journée avait été très pluvieuse, une éclaircie invitait à la promenade et comme le garçon avait pu largement s'amuser avec ses amis, comme il lui semblait de bonne humeur, l'elfe décida de ne pas tergiverser.
-Serais-tu d'accord pour venir te balader un moment avec moi, bonhomme ? lui demanda-t-il. Je voudrais te parler de quelque chose.

[Galathée]

Victor parut instantanément suspicieux.
" Hé, j'ai rien fait, hein. Les bouses de vache, c'était pas mon idée. Et c'est pas moi non plus qui ait fait tomber son bouquin dans la soupe. C'était un accident. Et c'était Mathieu."

[Taliesin]

Il sourit, amusé, et ne put s'empêcher de lui ébouriffer les cheveux.
-Ne t'en fais donc pas comme ça : ce dont je veux te parler n'a absolument rien à voir avec ces histoires. Je n'ai pas l'intention de te gronder pour quoi que ce soit, je souhaite juste te faire part... d'un projet que nous avons avec Galathée mais dont nous vouons d'abord discuter avec toi pour savoir ce que tu en penses.

[Galathée]

La suspicion devint curiosité. Il emboîta le chemin du barde, les yeux plissés, les questions bourgeonnant sans doute dans son esprit. Il n'en posa aucune, cependant, avant qu'ils ne se soient éloignés de la ferme. Victor entraîna Taliesin vers un des champs vides, qu'ils devraient bientôt réensemencer. Ce faisant, ils dérangèrent un groupe de corneilles qui s'élevèrent dans le ciel gris en croassant.
" Quoi ça ?"

[Taliesin]

Se tournant vers l'enfant, Taliesin prit une profonde inspiration. L'air était chargé des senteurs de l'automne, un peu mélancoliques peut-être mais nullement désagréables.
-Galathée et moi envisageons de nous marier, dit-il simplement.
Et il se sentit tout à coup intimidé par sa propre annonce. Un mariage, ça n'était tout de même pas rien.

[Galathée]

Pendant une seconde, un éclair de joie traversa le visage de Victor. Puis tout aussi vite, il se fit renfrogné et flanqua un coup de pied dans une touffe d'herbes jaunies.
" Ah. Et tu m'en parles pourquoi ? C'est des affaires d'adultes, non ?"

[Taliesin]

L'elfe ne se laissa pas démonter et poursuivit calmement :
-Pas uniquement, parce que si ta mère et moi nous marions, cela aura des conséquences pour toi. D'une part, il te faudra me supporter encore des années et des années. D'autre part, tu seras en partie placé sous ma responsabilité. Je veux dire... De manière officielle, désormais. Donc voilà, nous ne pouvions pas prendre cette décision sans en avoir au préalable parlé avec toi.

[Galathée]

Victor lui jeta un regard en coin, suspicieux.
" Et vous ferez quoi, si je dis non ? Vous le ferez pas ?"

[Taliesin]

Heureusement que Galathée l'avait prévenu, sans quoi il aurait été quelque peu décontenancé. Quoi qu'il en soit, il décida d'être honnête.
-Je n'en sais rien, avoua-t-il. Je pense que ça nous ferait sacrément hésité, que nous en discuterions entre nous, que nous t'en reparlerions pour essayer de comprendre pourquoi tu t'y opposes et, qui sait, de te convaincre de changer d'avis. Ce qui est certain, c'est que si tu me dis non, je n'irai pas immédiatement retrouver Galathée pour lui dire "Lançons les opérations". Notre conversation n'est pas une simple formalité et, crois-le ou non, ton opinion compte.

[Galathée]

" Rassure-toi, je vais pas dire non, dit Victor en se détournant. Je sais bien que vous vous aimez beaucoup... Je l'ai assez constaté. Et ça me fait plaisir pour vous. Je me demandais quand ça allait arriver, en fait. Je me disais que peut-être, les elfes ne font pas ce genre de choses avec les humains. Vu que... vous êtes différents, tout ça."
Il refit face au barde.
" Mais ça veut dire que tu vas être mon père... et que je vais devoir t'obéir tout le temps."