[Habitation] Le clos des roses

[Arthur de Faisanlys]

Arthur acquiesça, pensif. Le clerc ne pouvait sans doute détecter le poison qu'un nombre limité de fois, il faudrait se montrer pragmatique.
" Alors tentons le théâtre. Nous avons attendu un moment à l'extérieur avant d'entrer... Nous pourrons sans doute retracer notre parcours, à peu de choses près."
Il trouvait la pluie plutôt agréable. Depuis qu'il ne pouvait plus tomber malade, il appréciait la manière dont le froid aiguisait sa conscience. Il était désolé pour les autres, cependant, mais il n'avait pas de veste à offrir à Chandara, pour couvrir sa robe légère, et sa tunique était déjà trempée.

[Chandara]

Heureusement, Chandara était habituée au temps exécrable de Manost et elle avait en outre récupéré sa cape. Cependant, elle aurait certainement apprécié la sollicitude d’Arthur mais tâcha de ne pas montrer qu’elle avait malgré tout un peu froid. Le principal danger n’était cependant pas de tomber malade et la volonté de résoudre l’enquête avant qu’il puisse y avoir d’autres victimes suffisaient à la détourner de ces sujets d’inconfort.

Le théâtre allait-il leur apporter enfin des éléments supplémentaires et les rapprocher de leur but après la déception bien naturelle devant l'absence de résultat près de la fontaine ? L'ancienne paladine afficha une moue concentrée et déterminée : s'ils cherchaient les empoisonneurs, il était probable que l'inverse soit également vrai.

[Althéa]

Les deux autres manostiens ne semblaient pas non plus souffrir de la pluie. Yvain semblait s'être de nouveau muré en lui-même. L'ilmate, quant à lui le visage haut levé sentait goûter autant qu'Arthur les bienfaits de la fraicheur comme s'il était resté un long moment enfermé, ce qui était sûrement le cas. Ils prirent donc la direction du Nouveau théâtre, aussi muets que Chandara.

Arthur sentit la migraine se rappeler douloureusement à ses tempes. Était-ce une illusion ou commençait-il à se sentir quelque peu fiévreux ?

[Chandara]

A bout de souffle, le cœur battant la chamade, Chandara arriva en courant dans la rue menant au Clos des Roses. Elle était tellement perturbée qu'elle avait bien failli se perdre à deux reprises depuis les abords du temple d'Ilmater où elle avait laissé Arthur mais pas ses regrets et ses doutes. Quelle était donc cette peur idiote qui l'avait fait fuir et peut-être gâcher toutes ses chances ? A plus d'une reprise, elle avait voulu faire demi-tour et retrouver le luménien mais la peur de se montrer à nouveau trop ridicule et présomptueuse l'avait retenue.

En proie à l'indécision, la jeune femme avait pleuré et - arrivée devant la porte de la pension - elle s'efforça d'en masquer les traces de son visage avec assez peu de succès sans doute. Encore une fois, elle se sentait stupide de n'en avoir pas demandé une clé : il lui aurait alors suffi de gagner sa chambre et s'y demeurer le temps de retrouver le contrôle d'elle même. Si une telle chose était possible... Au lieu de cela, elle fut bien obligée de frapper doucement à la porte pour qu'Amélie vienne lui ouvrir.

[Althéa]

Au bout d'un moment la porte finit par s'ouvrir sur une Amélie à l'air fatigué et hagard comme si Chandara venait de la tirer du sommeil. C'était d'ailleurs sûrement vrai. Elle sourit malgré tout à la jeune femme.

"Contente de te voir. Alors, tu as laissé ton beau paladin ?"

Elle s'approcha légèrement de son amie avant de froncer les sourcils.

"Apparemment oui, vu que tu es toute triste."

Elle la tira à l'intérieur avant de tendre les bras.

"Viens par là."

[Chandara]

Chandara faillit bien fondre à nouveau en larmes malgré ses bonnes résolutions. En tous cas, elle avait la gorge trop serrée pour répondre par des mots et elle ne chercha pas à résister à Amélie qui l'entraînait à l'abri des regards ni à son étreinte chaleureuse.

Au bout, d'un long moment, la tête appuyée sur l'épaule de son amie, l'ancienne paladine parvint enfin à parler d'une toute petite voix attristée :

- Il est reparti pour Luménis...

[Althéa]

Amélie serra un long moment la jeune femme dans ses bras en la berçant doucement, chantonnant une ritournelle aux paroles à peine audibles. Quand la jeune femme se fut calmée, elle lui demanda.

"Qui est-ce ? Raconte-moi donc"

Tout cela comme si elle oubliait qu'elles ne s'étaient pas vues depuis plus de dix ans.

[Chandara]

Chandara se sentait un peu plus vaillante mais elle avait la tête un peu lourde et elle se dirigea vers un des fauteuils tout proche pour s'y asseoir avant de répondre à la question bien légitime d'Amélie d'une voix hésitante :

- Arthur est un paladin lathandrite que j'ai rencontré pendant la guerre. Je... Je ne pensais pas le revoir aujourd'hui... Et je ne pensais pas que ça me ferait un tel effet de passer la journée avec lui. C'est... C'est d'autant plus difficile de le voir repartir maintenant.

Les yeux dans le vague, un peu perdue, la jeune femme chercha à croiser le regard et le soutien de son aînée.

[Althéa]

Pendant qu'elle parlait, Amélie était allée s'adosser sur l'accoudoir du fauteuil qu'elle occupait. Elle l'avait laissée parler sans l'interrompre, lui souriant chaque fois que ses yeux se posaient sur elle.

"Tu sais, je comprends ce que tu vis, lui dit-elle au bout d'un moment, du moins je le suppose. Je n'ai pas fait la guerre mais j'imagine qu'à ce moment là, ce qu'on ressent est bien plus fort, et qu'on a envie de vivre tout plus vite."

Elle soupira légèrement.

"Dans tous les cas, j'ai l'impression que tu es vraiment amoureuse."

Elle sourit mine de rien.

"J'allais me faire un thé. Tu en veux ?"

[Chandara]

Chandara devint instantanément écarlate : éprouver de tels sentiments était nouveau pour elle. Comme pour tout ce qui était nouveau, elle éprouvait des incertitudes. Le fait qu'Amélie s'en soit rendue compte donnait un peu plus de réalité à ce qu'elle ressentait. Une sensation à la fois grisante et la menant au bord de la panique.

- C'est si évident que ça ? Oui, bien sûr... Je crois qu'il le sait lui aussi... Mais tu as raison : j'ai voulu aller trop vite. Lui non : il a préféré rentrer chez lui.

Elle poussa un soupir à fendre l'âme et ajouta encore :

- Oui, je voudrais bien un thé : ça me ferait du bien...

[Althéa]

Amélie posa quelques instants une main apaisante sur l'épaule de sa cadette.

"Peut-être qu'il aurait voulu rester mais qu'il est parti parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Entre vouloir et pouvoir, il y a parfois un énorme gouffre."

Elle soupira à son tour avant de se lever et gagner la cuisine. Chandara l'entendit musarder quelques instants en chantonnant avant de lui demander.

"Tiens, tu savais que Léonard notre terreur d'enfance de l'été, est devenu Ilmate ?

[Chandara]

- Pardon ?! Léonard, un Ilmate ? La réponse avait fusé, aussi vive que la jeune-fille adepte d'aventures dont Amélie se souvenait peut-être encore. La jeune barde était douée pour détourner les gens de leur tristesse car, l'espace d'un instant, Chandara fut trop éberluée par cette révélation inattendue pour songer au départ d'Arthur.

- Non, tu me fais marcher je parie !

[Althéa]

Elle entendit Amélie rire durant quelques secondes avant de se reprendre.

"Le pire, c'est que je ne plaisante pas du tout. Il a beaucoup changé. Il est venu habiter en ville avec son père juste à coté de chez mes parents. Au début, je ne voulais pas en entendre parler mais on a fini par devenir amis. Du moins, jusqu'à ce qu'il quitte Cojum."

Un léger silence et elle revint avec deux tasses de thé.

"C'est du thé à la menthe et il est délicieux, tu peux me croire."

[Chandara]

Chandara prit la tasse avec reconnaissance et en huma le parfum avant de répondre à son hôtesse :

- Il a changé en bien alors : je suis contente pour lui. Les ilmates ont une vocation honorable et sont plein de compassion : ils s'occupent des soins, même des plus pauvres. Comme ces pauvres bougres qui avaient été empoisonnés en ville. Mais Léonard a donc quitté Cojum, lui aussi ? Tu sais pour où ?

[Althéa]

Amélie hocha la tête avec un soupir et l'espace d'un instant Chandara vit des larmes apparaître dans ses yeux.

"Aux dernières nouvelles, il est parti pour Manost. Mais nous ... Nous nous sommes disputés juste avant son départ et je n'ai plus de nouvelles de lui. J'ai peur qu'il soit allé se faire tuer à la guerre."

Le temps qu'elle hésite et elle demanda.

"Tiens, tu n'aurais pas entendu parler de lui par hasard ? Cela m'étonnerait vu votre nombre mais ... Son nom, c'est Jaouen, Léonard Jaouen."

[Chandara]

Chandara fut touchée par les larmes de son amie mais elle écarquilla les yeux et esquissa un sourire lumineux au nom que venait de donner Amélie. Se pouvait-il que... Oui, c'était forcément lui même si, dans le feu de l'action, elle ne l'avait pas reconnu. La jeune-femme répondit d'un ton ingénu :

- C'est à mon tour de te faire une révélation que tu auras du mal à croire : Léonard est ici, au temple de Manost. Je le sais car je l'ai rencontré pas plus tard que cet après-midi !

[Althéa]

Et ce fut au tour d'Amélie d'ouvrir les yeux en grand.

"Comment ça ? Léonard est ici ?"

La stupéfaction fit place à un éclat de rire enjoué. En quelques secondes, les larmes furent balayées.

"Alors, c'est magnifique. Toi, tu arrives avec des bonnes nouvelles. Tu devrais venir beaucoup plus souvent. Même sans bonne nouvelles d'ailleurs."

Quelques instants, elle balaya ses cheveux d'une caresse amicale.

[Chandara]

Chandara était contente d'avoir contribué à ce qu'Amélie retrouve le sourire. Par empathie, elle esquissa elle aussi un sourire tranquille. Quelques instants plus tard, elle ajoutait avec un certain amusement :

- Tout de même, je ne l'ai même pas reconnu : il m'a donné son nom mais je n'avais pas fait le rapprochement. Et dix ans, ça change un garçon, c'est certain ! Mais je ne crois pas que lui non plus m'ait reconnue : on avait tous les deux autre chose à l'esprit... Il fallait aider tous ces malheureux...

[Althéa]

"Dix ans, ça change aussi une fille"

Amélie la contemplait, un sourire espiègle sur le visage par dessus sa tasse de thé. Elle retrouva cependant rapidement son sérieux.

"Mais raconte-moi ce qu'il s'est passé. Avez-vous trouvé les origines du poison ? Et Léonard, comment va-t-il ?"

Elle avisa la tâche de sang sur la robe de Chandara, blêmit.

"Tu as été blessée ?"

[Chandara]

Amélie était vive d'esprit et parfois difficile à suivre tant elle passait d'une idée à l'autre au gré de ses pensées. Mais Chandara y voyait son reflet, cela ne la dérangeait pas, bien au contraire. Elle tenta tout d'abord de rassurer son amie avant de répondre à ses questions :

- Ce n'est rien : j'ai été blessé par imprudence mais Arthur était là pour veiller sur moi et il m'a bien soignée. Et pour répondre à ta question : oui, nous avons eu beaucoup de chance. Nous avons trouvé un antidote et une personne capable d'en produire en quantité : ce poison ne fera plus de victimes si les dieux sont cléments avec nous.

[Althéa]

Amélie parut rassurée.

"Alors vous êtes extraordinaires. Voila plus d'une veille que le guet et le temple d'ilmater cherchaient sans succès. Mais tu sais, si on me l'avait dit avant, je n'en aurais pas doutée une seule seconde. Déjà petite, c'est toi qui nous a débarrassés des épouvantails. Alors sauver une ville, c'est ... une continuation logique."

Elle lui pressa amicalement le bras.

"Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse de te revoir en tout cas. Je commençais à me sentir bien seule ici."

[Chandara]

La remarque d'Amélie ne manqua pas de colorer à nouveau les joues de l'ancienne paladine. Chandara ne voyait certainement pas les choses sous le même jour favorable qu'Amélie et elle ne manqua pas de s'en défendre :

- Je suis heureuse de te revoir moi aussi même si tu exagères : nous sommes parvenus à sauver quelques personnes et c'est déjà merveilleux mais, tôt ou tard, quelqu'un d'autre aurait trouvé ces criminels. En plus, Arthur a eu bien plus de mérite que moi : il a été empoisonné et il a tenu le coup malgré tout. Et c'est lui qui a neutralisé les empoisonneurs alors que je n'ai réussi qu'à me faire blesser.

[Althéa]

Amélie fronça les sourcils.

"Il a été empoisonné ? Hé bien, il va avoir un magnifique souvenir de Manost ... J'espère qu'il se remet. Et toi, tu es sûre que tu vas bien ? Si tu veux rester ici ce soir, je te ferai à manger et si tu veux, je te raconterai des histoires. D'ailleurs, toi, tu ne m'as pas tout raconté. Comment la petite fille courageuse que tu étais est-elle devenue une paladine encore plus courageuse. Ta famille doit être vraiment fière de toi. Moi, je le suis en tout cas."

[Chandara]

Chandara sourit à nouveau avec enthousiasme et s'empressa de rassurer Amélie en répondant que l'antidote avait éliminé toute trace du poison qui affligeait Arthur. Elle prit un ton plus neutre pour ajouter :

- Je préfère rester ici ce soir, oui. Surtout que nous avons beaucoup de choses à nous raconter, toi et moi. Et je crois qu'il ne suffira pas d'un soir ! Tu sais, Marvin m'a confié dans une lettre que vous étiez restés plus ou moins en contact, toi et lui. Mais c'est une tête en l'air : il ne m'a pas dit ce que tu faisais maintenant dans la vie.

La jeune femme avait préféré éviter de parler de sa vocation : non pas parce qu'elle n'était plus une paladine à part entière et que c'était encore un peu douloureux d'y songer mais surtout parce qu'elle était sincèrement curieuse de ce que pourrait lui raconter son hôtesse et qu'elle ne voulait pas centrer l'attention sur elle-même.

[Althéa]

L'espace d'un instant, Chandara vit Amélie ouvrir de grands yeux avant d'avoir un léger hoquet qu'elle tenta de noyer dans sa tasse de thé. Quelques secondes passèrent durant lesquelles elle retrouva le sourire avant d'avoir un nouveau tressaillement.

"Plus ou moins en contact. Oui, c'est vrai ... Plus ou moins comme il dit. Oui, c'est bien du Marvin. Même c'est tout à fait lui. Oh ... Mais ne vas pas croire que je le vois souvent. Je le vois ... Plus ou moins. Oui, c'est tout à fait ça. Il est très gentil ton petit rouquin ... Heu ... Ton frère ... Ton jumeau ... Et cela fait combien de temps qu'il t'a dit ça ?"

[Chandara]

La réaction d'Amélie avait surpris Chandara qui ne s'attendait pas à ce qu'une remarque aussi anodine. Elle jeta un regard pénétrant à Amélie qui laissait à penser qu'elle soupçonnait quelque-chose mais l'ancienne paladine s'esclaffa, faisant redescendre la tension de plusieurs tons :

- Mon petit rouquin ? Je suis certaine qu'il appréciera la formule !

Le regard rieur cette fois, elle ajouta après avoir bu une gorgée de thé :

- C'était il y a quelques mois il me semble. Pourquoi, tu l'as vu plus récemment ?

Elle avait posé cette question sans aucune malice, presque une remarque anodine à nouveau.

[Althéa]

"Récemment ? Mais non voyons ! Enfin récemment ... Le temps passe tellement vite. Pas tout récemment en fait. Enfin, c'est relatif tu ne penses pas ?"

La voix d'Amélie s'était perdue dans les aigus. Elle eut un nouveau hoquet puis un petit sourire.

"Mais je ne te l'ai pas dit : je suis barde maintenant. Du moins, encore un petit peu maître verrier vu que j'ai fini mes années d'apprentissage et réalisé le chef d’œuvre attendu. Je travaille avec mon père. D'ailleurs, au dessus de l'atelier, il y a écrit "Malone et fille" en grosses lettres de verre. Chaque fois que je passe devant, je suis fière comme pas permis. C'est un peu futile mais ..."

[Chandara]

Chandara se laissa attraper par la diversion de la jeune femme mais elle lui avait tout de même jeté un nouveau regard pénétrant après sa réponse des plus confuses. L'ancienne paladine ne pouvait pourtant pas ignorer les révélations d'Amélie sur sa carrière et elle s'enthousiasma sincèrement pour les progrès et les choix de son amie :

- C'est une formidable nouvelle ! Une barde ? Tu me donneras une représentation ? Et en plus tu es parvenue à la fin de ta formation ! Tes parents doivent être très fiers de toi !

[Althéa]

Cette fois Chandara vit Amélie rougir et le sourire gagner jusqu'à ses yeux.

"Je ne sais pas s'ils sont fiers de moi. Enfin, je le crois un peu même si je ne leur ai jamais vraiment posé la question. Et ça ne les a pas empêchés d'accepter que je devienne barde. Ce sont des parents fantastiques."

Elle reprit à mi voix.

"Même s'ils ne sont pas mes vrais parents."

Une ombre indistincte passa sur ses yeux.

"Mais oui, si tu veux, je te ferai une représentation rien que pour toi. Est-ce que tu as faim ? Ou tu voudras peut-être prendre un bain ou manger quelque chose. Je parle, je parle et je fais une hôte peu efficace."

[Chandara]

Chandara s'était redressée en entendant Amélie parler de ses parents mais la jeune-femme avait changé trop vite de sujet, signalant sans doute qu'elle ne voulait pas s'étendre sur le sujet ce soir. A moins qu'elle ne cherche à la ménager. Elle se promit de laisser l'opportunité à Amélie de s'épancher plus tard mais le moment ne semblait pas bienvenu.

- Je voudrais prendre un bain avant de manger, si ça ne te dérange pas : j'ai l'impression que ça fait des mois que je n'ai pas eu droit à de l'eau chaude !

Et il y avait toujours ce sang qu'elle n'avait pas pu prendre le temps de nettoyer aussi. Décidément, un bain lui ferait du bien pour apaiser toutes les émotions de la journée. Même si elle ne pourrait sans doute pas s'empêcher de rêvasser.