[Bâtiment] Le Palais de Justice

[Voyageuse]

Le procureur leva un sourcil, l'air passablement interloqué.
" Veuillez pardonner mon insistance, votre honneur, mais quel est l'objet de ce procès sinon de juger justement des actes de torture commis en temps de guerre ? En l'occurrence, mon témoin ne faisait que rappeler que la guerre n'autorise pas tout, comme nous le savons tous ici -sauf peut-être l'accusé ?-, et c'est bien pour cela que nous sommes tous réunis aujourd'hui."
Il attendit quelques instants que le greffier raccompagne le témoin, puis poursuivit.
" Nous avons devant nous les faits, clairement énoncés par l'officier De Duran. Nous connaissons également l'état d'esprit de l'accusé au moment où il les a commis, grâce aux deux précédents témoignages. Un être déterminé, froid, calculateur. Pour moi, l'essentiel est dit. Bien sûr, nous pouvons creuser encore la question de la répartition des responsabilités. Le témoignage du serviteur est éloquent là-dessus : l'accusé a avant tout été le donneur d'ordre. Cette réalité ne dédouane certes pas les autres exécutants de leur propre culpabilité, mais elle en fait le responsable principal de ce crime abject. "
Il fouilla dans ses parchemins, en sortit un document, et s'approcha du juge pour le lui tendre.
" Voici une copie du témoignage écrit du jeune Léchalotte, mais je présume que vous en avez déjà pris connaissance ? Je précise qu'il a été interrogé sous le contrôle d'un sortilège de vérité. Si vous le souhaitez, je peux le lire à voix haute... Ou si vous préférez qu'il vienne s'exprimer de vive voix, il se tient bien sûr à la disposition de la cour. Sinon, je n'ai pas d'autre témoin à appeler.

[Kasumi]

Le Juge jeta un œil au document et le parcourut par acquis de conscience et professionnalisme mais il était effectivement probable qu’il en ait déjà pris connaissance. Il répondit toutefois à la question rhétorique :

- Ce témoignage est effectivement une pièce importante du dossier et vous et l’avocat de la défense pouvaient appeler ce témoin si vous pensez qu’il peut apporter des éléments complémentaires à ses déclarations. Toutefois, je ne le juge pas encore nécessaire pour la séance d’aujourd’hui. Et enfin, pour répondre à votre question bien légitime, ce procès n’est pas destiné à juger des faits commis puisque l’accusé ne les a pas contestés. Non, ce procès vise à déterminer sa responsabilité, ses circonstances atténuantes ou non et s’il est susceptible de récidive. La cour vous remercie en cela de l’avoir éclairé par les témoignages précédents. Pour l’heure, et à moins que vous ayez une nouvelle déclaration à faire, la cour lève la séance jusqu’à demain matin.

[Voyageuse]

Le procureur répondit que non, il n'avait pas de nouvelle déclaration à faire.
Ignorant ostensiblement Taliesin et son avocat, il retourna à sa place, les lèvres pincées, et rassembla sa liasse de documents, la feuilletant d'un air concentré.

[Galathée]

Henri attendit que la cour se lève et quitte les lieux avant de se tourner vers le barde.
" Bon, voilà le plus pénible derrière. Je vais vous raccompagner à la prison. Je pense qu'on me laissera voyager avec vous. Au pire, je vous verrai là-bas."
Il se tourna vers son assistant.
" On se retrouve chez moi après le souper."
Le jeune homme acquiesça et, après avoir salué Taliesin, partit avec toutes les notes qu'il avait prises. Les gardes affectés au tribunal vinrent chercher le barde et son avocat lui emboîta le pas. Ils s'arrêtèrent dans la petite antichambre où on retira ses fers au barde avant de l'escorter dans la cour. Le ciel s'était déjà assombri. Mine de rien, le temps s'était écoulé durant cette première journée d'audiences.

[Taliesin]

Taliesin se sentait littéralement épuisé : encaisser les coups sans laisser entrevoir à quel point il était intérieurement ébranlé l'avait obligé à puiser jusque dans les dernières de ses ressources. Pour autant, il savait que sans l'aide des plantes, il ne parviendrait pas à fermer l’œil de la nuit, ou alors seulement pour plonger dans des cauchemars aussi violents que ceux qui l'avaient hanté juste après que Galathée ait tué le Monstre. De surcroit, il estimait que le sieur de l'Atalante et son assistant avaient bien du mérite de vouloir continuer à le défendre car après avoir passé la journée à entendre d'accablants témoignages, lui-même se demandait s'il était légitimement défendable.

[Galathée]

Henri grimpa à sa suite dans le chariot prison, écartant les inquiétudes des gardes d'un geste désinvolte. On boucla la porte derrière eux et, peu après, le véhicule s'ébranla. L'avocat se laissa aller un moment contre le dossier du siège, dans la lumière déclinante de la fin d'après-midi. Il passa les paumes sur son visage puis se tourna vers le barde. Les roues glissaient presque sans bruit sur les pavés égaux du quartier nord, les sabots des chevaux étaient étouffés par le bois.
" Rude journée, je suppose. Je suis désolé que nous n'ayons pu vous épargner le rappel de ces faits, plus toutes ces accusations à tort et à travers. J'aurais pu secouer un témoin ou l'autre, je suppose, mais ça n'aurait fait que rallonger les séances... et pour nous, ce n'est pas le principal. Contester ces faits nous aurait fait perdre du temps. Nous attaquerons à la racine demain, en contestant la définition du terme dément que Duchesne voudrait nous imposer. Enfin... Sauf s'il nous sort un nouveau témoin, mais je ne crois pas qu'il le fera."
Il eut un sourire tranquille.
" Le juge n'aime pas son style belliqueux, ça se sent... C'est un avantage pour nous."

[Taliesin]

L'elfe le dévisagea un instant, tentant de mobiliser ses souvenirs concernant le juge.
-J'avoue ne pas avoir réussi à être très attentif à ses réactions mais... je vous fais confiance, murmura-t-il finalement.
Il se concentra à nouveau, essayant de rassembler ses esprits.
-Pour le reste, je m'en remets entièrement à votre stratégie : vous savez ce qui est pertinent ou non, ce qui m'aidera ou non, tandis que je suis totalement inexpérimenté en matière de procès et trop peu serein pour avoir un jugement objectif. Néanmoins, si vous le jugez utile, peut-être cela vaudrait-il la peine de rappeler que je ne me suis rendu coupable de barbarie qu'avec les Kanter : il n'en a point été question avec les Rouges dont je cherchais avant tout à éliminer le plus grand nombre... Je pense que mes crimes sont suffisamment graves pour qu'il ne soit pas besoin d'en inventer d'autres.

[Galathée]

" Ça n'a pas réellement d'importance pour la suite des débats, mais si c'est important pour vous, je ferai la rectification, dit Henri. Pour le reste, si vous voulez répondre vous-même aux accusations dont vous avez été l'objet, cela ne me gêne pas... Mais je ne veux pas que vous nous déforciez en allant battre votre coulpe à la barre. Cela dit, là non plus, cela ne changerait pas grand chose. Que vous vous sentiez coupable et que vous désiriez faire amende honorable ne menacera pas la thèse de la démence."
Il haussa les épaules.
" Mais je peux rétablir la vérité, ce n'est pas un souci. C'est sans doute moins dangereux que de vous exposer à Duchesne."

[Taliesin]

Il soupira.
-Messire, je suis trop conscient de tout ce qu'il y a en jeu pour m'autoriser la moindre erreur. Alors s'il s'avère que je doive être directement confronté au procureur, soyez assuré que je demeurerai calme et posé quoiqu'il m'en coûte, aussi éprouvé que je puisse être intérieurement. Je comprends que vous ne me fassiez pas spontanément confiance sur ce point, vu... l'image que je vous offre en dehors des séances. Mais si j'ai été capable de garder mon sang froid devant la tristement célèbre Squale, si j'ai été capable de me faire recruter comme son second, alors qu'elle tenait mon fils à sa merci... Je pense être en mesure de donner le change lors de ce procès. Comme je vous l'ai dit, je ne m'en tire pas trop mal quand je n'ai pas le choix.
Il ferma les yeux.
-Cependant, je suis aussi conscient de mes moyens limités. C'est pour cela que je m'abstiendrai d'intervenir si je n'y suis pas contraint, si vous n'estimez pas que c'est absolument nécessaire. Ainsi réserverai-je mes ressources pour... les moments cruciaux. Quant à cette histoires de Rouges... Oublions-la, puisqu'elle ne vous paraît pas indispensable. Là encore, je préfère de loin m'en tenir à votre stratégie.

[Galathée]

Henri pinça les lèvres.
" A votre guise. Mais vous avez le droit d'avoir un avis. Et j'ai toute confiance en vos compétences de comédien. Simplement, si vous devez garder de la hargne à l'intérieur de vous, ça ne sera pas bon pour votre coeur. A long terme, même un elfe peut souffrir de ces choses-là. D'autant que Duchesne, si je lui laisse accès à vous, fera tout pour révéler la présence d'une violence tapie en votre sein... qu'elle sorte au prix d'insultes et de provocations ne changerait pas grand chose. Mais soit. Tenons-nous en au plan prévu et tout ira bien."
Le chariot filait toujours, puis ralentit comme ils gagnaient le quartier plus bruyant et odorant du port, encombré comme toujours.
" Puis-je autoriser Galathée à venir vous rendre visite ce soir ? Je pense qu'elle aimerait venir vous voir. Elle sera sans doute présente à l'audience demain, puisque vous êtes d'accord."

[Taliesin]

Le barde esquissa une grimace. Ce n'était pas qu'il ne voulait pas voir la rôdeuse : c'était juste que dans son état, dans ce contexte, il avait du mal à imaginer la rencontre autrement que comme terriblement humiliante... Néanmoins, il ne pouvait pas lui opposer de refus : ce serait cruel, elle le vivrait mal et il n'avait aucune envie de rendre les choses encore plus difficiles pour elle.
-Bien sûr, répondit-il simplement.
Au moins pouvait-il se réjouir qu'elle n'ait pas assisté à la première journée du procès, la pire à en croire l'avocat.

[Galathée]

" Très bien, dit Henri en hochant la tête. Je lui donnerai un laissez-passer pour après le repas. Vous n'aurez pas plus d'une demi-heure et cela devra se dérouler dans la petite salle où nous nous sommes vus hier soir, mais les gardes vous laisseront tranquilles. Chaque preuve de votre non-dangerosité que nous leur apportons, même par la bande, est bonne à prendre, de toute façon."
Le chariot ralentit et ils entendirent le fracas des sabots résonner contre les parois étroites de l'arche de la prison, tandis qu'une seconde, la lumière était masquée. Ils étaient arrivés à la Prison.

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard
Epilogue : Exorcisme (suite)

Cette fois, le parcours de la prison au quartier du gouvernement parut plus court. Peut-être parce qu'il faisait mauvais et qu'il y avait moins de gens dans les rues : la pluie tambourina sur le toit du chariot pendant tout le trajet et Taliesin, malgré son statut d'accusé, fut accueilli sous une ombrelle. On le guida jusqu'à l'intérieur où il fut pris en charge, outre par les gardes, par l'assistant d'Henri. Ce dernier avait prévenu le barde qu'il devait s'entretenir une dernière fois avec ses témoins avant le début des audiences.

[Taliesin]

Il se montra docile face aux gardes, poli face à l'avocat et s'il se demanda qui pouvaient être ces témoins que le sieur de l'Atalante appellerait aujourd'hui à la barre, il se garda de poser toute question : il verrait bien en temps utile. Pour le reste, il se sentait reposé et n'était pas certain que ce soit une bonne chose : privé des brumes de l'épuisement, il percevait sa situation et ce qui se passait avec une acuité bien plus grande et donc, potentiellement, bien plus douloureuse. Enfin, théoriquement, l'audience du jour serait moins rude que la précédente...

[Galathée]

On l'entrava cependant comme la veille. Taliesin apprit à cette occasion qu'on ne craignait pas qu'il s'enfuie, mais qu'il prenne la cour en otage, ou quelque chose comme ça, si les choses ne tournaient pas à son avantage. L'assistant d'Henri lui raconta la chose avec la grimace éloquente de celui qui n'est responsable en rien des inquiétudes des autres.
Ils regagnèrent ensuite la salle d'audience où se trouvaient déjà Henri, dont la nervosité se trahissait par un sifflotement agaçant, et le procureur, Duchesne.

[Kasumi]

Le Juge ne tarda pas à faire à son tour son apparition, calme et digne représentant de sa fonction. Comme la veille, il gagna sa place au centre de l'estrade réservée à la cour, frappa de son marteau pour ouvrir la séance et les invita à s'asseoir d'un ton neutre avant de se tourner vers le défenseur de Taliesin :

- Il est de coutume de laisser la parole à la défense lors du deuxième jour du procès. Maître De l'Atalante, avez-vous une déclaration ou des témoins à produire ?

[Taliesin]

Qu'il prenne la cour en otage, alors qu'il était désarmé, que les bardes n'étaient que de médiocres praticiens des arcanes au répertoire de sorts très limité ? Alors qu'il y avait de vrais mages et des guerriers dans la salle ? C'était du dernier ridicule. Comme, à bien y réfléchir, étaient ridicules les craintes quant à sa dangerosité. Si on le prenait pour un être au potentiel à ce point destructeur et susceptible de s'en servir à la moindre contrariété, comment avait-on pu le laisser en résidence surveillée des mois durant, en compagnie de civils, en compagnie d'enfants ?
Quelque chose devait lui échapper.
Taliesin poussa un soupir intérieur. Il était plus réveillé, donc plus sensible aux vexations... Non, décidément, c'était à se demandé s'il ne préférait pas son état comateux de la veille, plutôt que cette pleine conscience... Cette pleine conscience qui, par ailleurs, le laissait percevoir la nervosité de son avocat et le poussait évidemment à s'en inquiéter.
A beaucoup s'en inquiéter.

[Galathée]

HRP : Duchesne, c'est l'autre

" Oui, Votre Honneur. Pas vraiment un témoin, mais un expert."
Henri se leva et se tourna vers le greffier.
« J'appelle à la barre Messire Anthime de Fernelroc. »
Un homme d’un certain âge, portant un pourpoint gris simple mais bien coupé, monta à la barre. Il paraissait extrêmement calme et posa son regard clair sur toutes les personnes présentes, tour à tour, indéniablement curieux.
« Messire, pouvez-vous décliner vos nom, âge et profession ?
— Je me nomme Anthime de Fernelroc, j’ai 67 ans, et je suis clerc d’Ilmater.
— Messire de Fernelroc, pouvez-vous nous dire où vous officiez ?
— Je travaille à l’Hospice des Saints Serments, à Evendum.
— Plus précisément ?
— Je suis en charge de l’aile des esprits tourmentés. Là où on accueille les fous, si vous préférez. »
Henri sourit et se tourna vers Taliesin.
« Voici l’accusé. Vous l’avez déjà rencontré ?
— Jamais. »
L’avocat sourit à nouveau et refit face à son témoin.
« A quoi reconnaît-on un dément ?
— C’est une question qui n’a pas de réponse.
— Comment ça, pas de réponse ?
— La démence a bien des visages. Ce qui est raisonnable pour l’un, peut être déraisonnable pour l’autre.
— Mais les déments, ils sont comment dire… fous, non ? Ils sont prompts à la colère, à la violence, ils décident sans réfléchir… comme des déments, quoi !
— Sans vouloir vous vexer, maître, vous confondez bouffée délirante et démence. Ce n’est qu’un type de folie… la plus tapageuse, sans doute, mais pas la plus répandue…
— Vous voulez dire qu’il y a des fous… des déments… qui sont… calculateurs et organisés ?
— Bien sûr. Imaginer que folie et désordre sont synonymes renvoie à une vision tout à fait dépassée de la maladie mentale. Prenez un paranoïaque, par exemple… Son univers est extrêmement ordonné, extrêmement construit. Logique, même. Dévoyé, mais logique.
— Mais dans ce cas, à quoi reconnaît-on la démence ?
— La démence s’exprime toujours comme une rupture dans la psyché d’un être. Il devient étranger à lui-même, autre, et ne peut plus fonctionner dans ses cadres usuels.
— Donc si je comprends bien, la démence, c’est le changement ?
— Le changement vers l’abysse, oui. La faille. Parfois c’est un glissement progressif. Mais il y a toujours un déclencheur.
— Ah. »
Henri fit quelques pas, comme s’il réfléchissait.
" Et c'est curable ? demanda-t-il finalement.
— Bien sûr."
L'avocat sourit.
" Merci. Ce sera tout pour l'instant, Votre Honneur. Si Maître Duchesne a des questions..."

[Voyageuse]

Le procureur était resté concentré, tripotant machinalement ses parchemins. Il leva les yeux au ciel lorsque le clerc mentionna sa spécialité, sans paraître éprouver la moindre surprise, juste, peut-être, une certaine impatience. Mais il écouta attentivement les explication et se leva lorsqu'on lui donna la parole.
" J'ai une question, oui, si vous permettez. Messire de Fernelroc, vous dites, si j'ai bien compris, que la démence se caractérise par un changement, parfois brutal, parfois progressif, qui fait que la personne ne fonctionne plus comme d'habitude. Mais... le changement, c'est tout de même quelque chose d'assez répandu dans nos sociétés humaines. Et puisque vous semblez dire qu'on ne peut pas vraiment reconnaître un dément, il me semble qu'invoquer cette explication lors d'un procès peut être un argument assez fallacieux. Comment le prouver, comment l'infirmer ? Plus précisément, pour le cas qui nous concerne, sauriez-vous déterminer avec certitude si l'accusé est un dément ? Comment vous y prendriez-vous ?"

[Galathée]

Le clerc ne parut nullement décontenancé par l'intervention du procureur.
" C'est assez simple, maître. J'ai parlé d'un changement vers l'abysse. Vers le trouble, le tourment, l'extrême. Je partirais de la situation avant le crime. Je regarderais si les circonstances de celui-ci sont suffisamment... contrastées par rapport à cet avant... Comment dire... S'il semble que l'accusé a agi de manière tout à fait différente de son état habituel. Et je chercherais, évidemment, l'élément déclencheur. La cause de la rupture. S'il n'y a pas de cause, s'il n'y a pas de contraste... Alors j'estimerais qu'il n'y a pas démence, sans doute. Mais si l'accusé était... méconnaissable... Alors les chances sont plus élevées. Cela demande une sorte de travail... historique."

[Voyageuse]

Le procureur paraissait un peu dubitatif.
" Je vois... mais tout de même ça me semble un peu... imprécis. Si, par exemple, un homme qui tue sa femme adultère sur un coup de colère doit être qualifié de dément, il me semble qu'il y a bon nombre de déments parmi les criminels... mais soit, c'est votre spécialité, pas la mienne. Toutefois, j'aimerais savoir ce que vous entendez par curable ? De quelle façon les soignez-vous ? Vous les gardez... enfermés dans votre temple ? Ils sont tout de même dangereux... et on ne peut jamais être sûr qu'ils soient guéris..."

[Taliesin]

Quoique fort peu probable, la perspective de finir ses jours dans un asile pour aliénés ne manqua pas de faire frissonner le barde. Mais il refusa d'y attarder ses pensées, comme il refusa de s'attarder sur le point de vue du procureur, par trop subjectif. Non, il préféra de loin se concentrer sur les propos de l'expert, intéressants à plus d'un titre. D'abord parce qu'ils étaient fondés, professionnels et objectifs, donc dignes de foi. Ensuite parce qu'ils lui donnaient à réfléchir... Peut-être finirait-il par réussir à se ranger à son avis et a admettre que, oui, il avait jadis bel et bien sombré dans la folie, circonstance atténuante que, jusqu'ici, il n'était pas vraiment parvenu à s'accorder.

[Galathée]

" Je ne travaille pas dans un temple, reprit l'Ilmate, tranquillement. Je travaille dans un hospice. Mais peu importe. La maladie mentale se soigne comme beaucoup de maladies... Avec du temps et de bons soins. Ils diffèrent selon la pathologie, si vous me permettez l'emploi du terme. Mais la démence cède parfois de manière beaucoup plus spectaculaire... de manière un peu magique, ce qui, dans notre monde, ne devrait pas vous surprendre. Personnellement, je suis partisan de la méthode douce, d'une guérison progressive, mais certains utilisent des sortilèges de guérison puissants, ce qui est radical. Après, un dément guéri peut être sondé pour s'assurer que son âme est à nouveau intègre. Et son risque de récidive est alors généralement au même niveau que le vôtre ou le mien. Jamais nul, bien sûr, mais n'importe qui, soumis à la pression adéquate, atteint son point de rupture."

[Voyageuse]

Le procureur hocha la tête, songeur.
" Avant de déterminer si un dément est guéri de sa démence, encore faudrait-il être certain qu'il y ait bien eu démence. Ce point-là me semble personnellement un peu délicat. La limite entre démence et simple déviance paraît en effet bien floue... Mais donc, pour ma part, je n'ai pas d'autres questions."

[Kasumi]

Le Juge choisit cependant d'intervenir avant de rendre la parole à l'avocat de la défense :

- Messire Anthime de Fernelroc, je voudrais être sûr de bien comprendre. Dans l'éventualité où nous souhaiterions à présent nous assurer que l'accusé est sain d'esprit, seriez-vous capable de le déterminer de façon certaine ? Et si oui, de quelle façon vous y prendriez vous ?

[Taliesin]

Bon, il y aurait donc des moyens de démontrer devant la cour qu'il n'était plus fou - moyens dont il connaîtrait la nature exacte quand le juge aurait obtenu réponse à sa question. Mais restait à prouver qu'il l'avait été, ce qui n'avait rien d'évident... Et c'était justement pour cela que le procureur insistait tant sur ce point. Sans doute est-ce aussi sur celui-ci qu'insisteraient les témoins à venir : Henri avait dû retrouvé des personnes qui l'avait connu jadis, qui pourraient souligner le contraste entre sa personnalité réelle et celle du Monstre... Il devait l'admettre, la perspective de voir ressurgir des figures d'un passé révolu le mettait quelque peu mal à l'aise. Néanmoins, puisque c'était pour la bonne cause...

[Galathée]

" Disons que ça dépend de la démence en question, votre honneur. S'il y a eu violence et meurtre, une simple détection du mal devrait déjà apporter de nombreuses réponses. Mais pour m'en assurer, je le soumettrais à un sort de guérison puissant. De cette manière, on peut faire d'une pierre deux coups. Cela dit, certains humanistes estiment qu'user de magie dans ce genre de cas, c'est démontrer la méfiance viscérale que nous avons en la nature humaine. A ma connaissance, les Lathandrites sont généralement opposés à ces méthodes et préfèrent, de loin, prouver la santé mentale d'une personne à l'aune de ses actes présents. De la même manière que la démence est rupture par rapport à un état antérieur, le retour à celui-ci pourrait constituer une preuve suffisante auprès de nombreux praticiens des sciences mentales."

[Kasumi]

Le Juge hocha la tête et fit remarquer qu'il respectait bien évidemment le point de vue des prêtres de Lathandre mais que son travail consistait également à s'assurer du caractère inoffensif pour autrui des accusés qu'il était amené à relaxer. Il enchaîna cependant par une autre question :

- La cour aimerait savoir si vous avez eu l'occasion de traiter des patients dont vous pourriez déterminer avec certitude qu'ils sont devenus fous sous la dictature qui a frappé notre cité.

[Galathée]

Taliesin vit son avocat pincer les lèvres mais il ne dit rien. De son côté, le clerc secoua la tête.
" Non. Je suis d'Evendum, comme je l'ai dit. Ce n'est pas exactement la porte à côté. Nous n'avons pas de patients luméniens. Ceci dit... les faits gravissimes qui ont frappé notre capitale ne sont pas particulièrement rares à l'échelle de l'humanité. Et les effets du trauma, qu'il soit physique ou mental, sont documentés par les Ilmates depuis des générations."

[Kasumi]

Le Juge se contenta de hocher la tête et de prendre une note sur un morceau de parchemin avant de libérer l'expert :

- La cour vous remercie, messire. Elle vous laisse retourner auprès de vos patients. Maître de l'Atalante, souhaitez-vous convoquer votre prochain témoin ?