[Commerce] L'Herbe Folle

[Kasumi]

Kasumi prit cette fois quelques secondes avant de répondre : après tout, il n'était pas du tout certain que Sylvia puisse apprécier que son ancienne compagne puisse le voir, ne serait-ce que très épisodiquement. En effet, la rôdeuse verrait certainement Astrée comme une rivale potentielle et pourtant il n'avait pas envie de tout à fait couper les ponts avec elle pour bien d'autres raisons qui n'avaient rien à voir avec ces considérations. C'est pourquoi il finit par répondre :

- La nature appartient à tous et une druidesse y sera toujours la bienvenue. Je sais avec certitude que le bosquet se situe en bordure de la Forêt Maudite. A proximité d'une localité du nom de Peyregorde ou quelque chose d'approchant. J'étudie quelques pistes qui pourraient la situer un peu au nord de Luménis mais je ne suis encore sûr de rien.

[Voyageuse]

Astrée hocha la tête.
" Peyregorde... ça me dit quelque chose. Il y a un village de ce nom à un jour ou deux au nord-est de Respelm, pas très loin de la Lézarde. Je dirais trois jours de marche en y allant directement d'ici, à pied. Ca doit être celui dont tu parles... C'est sur ma route lorsque je vais de Luménis à mon abri dans les Montagnes de Fer. Enfin, lorsque je choisis de contourner la forêt. J'y suis passée la dernière fois que j'ai fait seule le trajet d'ici à là-bas. Ca devait être il y a un an et demi déjà. Le temps passe vite..."
C'était en hiver, après qu'ils aient sauvé le conseiller Megrall. Et avant qu'il ne lui arrive toutes ces mésaventures avec les esclavagistes.
" Dans mon souvenir, c'est un tout petit village de bûcherons et de paysans. Je n'ai pas vu de bosquet sacré et je n'en ai pas entendu parler non plus, mais je n'ai fait que traverser..."

[Kasumi]

Kasumi ne manqua pas de la remercier pour cette information même si elle n'était guère encourageante. Somme toute, il serait assez rapide d'aller vérifier dans cette région si des indices complémentaires les y menaient. Il restait du temps avant de devoir impérativement planter le gland mais tout de même pas assez pour se lancer à l'aventure sans de solides pistes à explorer et sans avoir à repasser plusieurs fois par Luménis en cas d'échec.

[Voyageuse]

Astrée resta quelques instants silencieuse. C'était tellement étrange de discuter ainsi avec Kasumi. Autrefois, ils avaient été si intimes, heureux de s'aimer et de faire des projets. Et aujourd'hui... ils n'étaient pas des étrangers, non, mais c'était un peu comme s'ils étaient juste de vieilles connaissances, avec un rapport presque fraternel. Il ne restait plus trace en elle des sentiments qu'elle éprouvait autrefois. Juste des souvenirs, doux-amers, comme une occasion manquée.
Elle était presque jalouse de la félicité qu'elle lisait dans ses yeux lorsqu'il évoquait sa nouvelle compagne. Lui, au moins, il avait trouvé le bonheur, sa vie s'annonçait sans nuage. C'était une bonne chose pour lui : il avait besoin d'aimer quelqu'un de façon totale et exclusive, il croyait en l'amour éternel, et il lui fallait quelqu'un qui soit dans le même état d'esprit. Elle-même n'en était plus capable : la vie l'avait vaccinée contre ce genre d'illusion. C'est bien pour cela qu'une partie d'elle-même avait freiné des quatre fers lorsqu'elle s'était lancée dans cette relation, et qu'elle n'avait jamais réussi à y croire pleinement. Et qu'elle ne pourrait peut-être jamais être heureuse...

" Je crois que je vais te laisser rejoindre ta belle finit-elle par murmurer, avec un relent de regret dans la voie. Prends bien soin d'elle... enfin, je sais que tu feras ça très bien... Mais elle a intérêt à bien te soigner et à être digne de toi, sinon dis-lui qu'elle aura affaire à moi !", ajouta-t-elle avec un clin d'oeil, sur le ton de la de plaisanterie.

[Kasumi]

Kasumi esquissa un sourire sans joie, bien conscient lui aussi de l'incongruité de tels propos : il aurait besoin d'un peu de temps sans doute pour faire le tri dans son ressenti mais une chose était maintenant certaine : le premier instant de gêne passé, il s'était senti plus détendu - pas tout à fait et à des années lumières de ce qui avait été autrefois - mais il ne craignait plus de recroiser Astrée en une prochaine occasion.

- Puisse Mielikki veiller sur toi et sache que tu auras un ami qui se cherche un petit bosquet et qui ne demande qu'à t'apporter de l'aide si tu en as besoin un jour ou l'autre.

[Voyageuse]

" Je m'en souviendrai, répondit gravement Astrée. Et toi aussi, bien sûr, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux compter sur toi. Je ne sais pas si je resterai vivre indéfiniment dans mon petit abri des montagnes, mais de toute façon, Isudë saura toujours où me trouver en cas de besoin."
Elle sourit doucement. Puis, un peu gauchement, ne sachant trop comment le saluer dans ces circonstances, elle lui tendit la main... et finalement, dans un geste spontané, elle lui donna une brève accolade, le serrant fort contre elle.
" Prends bien soin de toi ! Et au plaisir de te recroiser un de ces jour..."

[Kasumi]

La légère gêne qu'il avait éprouvée jusqu'ici depuis le début de la conversation laissa la place à l'émotion et il rendit son étreinte à Astrée avec sincérité avant de la laisser s'écarter pour lui dire au-revoir. Oui, il était probable que leurs routes se recroisent un jour, surtout s'ils restaient plus ou moins liés à Luménis l'un et l'autre. Mais ce en pourrait plus jamais être pareil, ils devaient tous les deux en avoir conscience. Il lui souhaita bonne route en mettant dans son vœu tous les sens possibles puis il se dirigea vers le parc d'un pas alerte mais un peu perdu dans ses pensées.

[Voyageuse]

Astrée, de son côté, revint à pas lents vers l'herboristerie. Elle avait la tête ailleurs, et se sentait anormalement épuisée. Vidée.

Isudë était occupée avec un nouveau client, un homme d'âge mûr que ses vêtements désignaient comme habitant les beaux quartiers de la ville. Les laissant discuter, elle s'assit sur l'une des chaises, songeuse. Elle avait l'âme triste, et le démon de la jalousie lui pinçait le coeur. C'était absurde, elle n'allait pas être jalouse de cette inconnue alors qu'elle avait elle-même choisi de quitter Kasumi. Ils seraient heureux ensemble, ils l'étaient déjà, et ça se voyait. C'est de ce bonheur qu'elle était jalouse. Elle poussa un soupir à fendre l'âme et s'efforça de songer à autre chose, sans grand succès.

" Isudë... Est-ce que vous connaissez un bosquet sacré près d'un village nommé Peyregorde, en bordure de la forêt maudite ?"
La question lui était venue subitement. Elle aurait dû y songer plus tôt. : l'herboriste était certainement la personne la plus à même de renseigner Kasumi.
" Oui, je vois l'endroit dont tu veux parler. Pas très loin de la Lézarde...
- Il y a un bosquet là-bas ?
- Oui, il y en a un. Enfin... à quelques heures de marche du village, tout de même. Il y règne d'une magie druidique puissante et ancienne, pour autant que je m'en souvienne. Mais ça remonte à plus d'un siècle... Je ne sais pas où les choses en sont là-bas. Peut-être que la flétrissure a pris le dessus... Pourquoi cette question ?
- Oh... C'est juste que Kasumi a reçu pour mission d'y planter un gland, à la demande d'un Sylvanien si j'ai bien compris...
- Alors, c'est sans doute que ce bosquet est en danger, mourant peut-être..."
L'elfe posa les feuilles qu'elle était en train de tailler, et quitta son comptoir pour se rapprocher de la rôdeuse.
" Et quoi d'autre ?.... "
La jeune femme la regarda sans comprendre.
" C'est de l'avoir revu qui te rend si mélancolique ?"
Astrée hocha la tête.
" Il a refait sa vie..."
" Et alors ? Tu ne vas pas me dire que tu es jalouse alors que c'est toi qui l'a quitté ? Sur un coup de tête, d'ailleurs, je parie..."
La rôdeuse acquiesça, baissant la tête sous le reproche.
" Tu regrettes ?
- Non, non... je n'étais pas prête pour ça, c'est tout, il valait mieux en rester là... Mais de le voir aussi heureux... ça me déculpabilise, mais en même temps je l'envie... "
L'herboriste poussa un bref soupir où Astrée crut sentir une pointe d'exaspération.
" C'est juste que ma vie à moi est si vide...", tenta-t-elle d'expliquer.

Mais déjà, Isudë s'éloignait, parcourant les allées, prenant quelques bouquets de feuilles séchées de-ci, de-là.
Elle se planta ensuite devant elle et lui tendit, énumérant.
" Millepertuis. Bacopa. Scutellaire. Deux feuilles du premier, une des autres, en infusion le matin. Et le soir, tu ajoutes deux feuilles de valériane ou de passiflore."
Astrée prit machinalement les feuilles. Elle les connaissait, savait leur usage. Dépression, mélancolie, anxiété, insomnie. Avait-elle réellement besoin de cela ? Ne suffisait-il pas de laisser passer le temps ?
" Je te vois trop mélancolique depuis ton retour, ajouta l'elfe en guise d'explication. Je sais que tu as vécu des choses difficiles là-bas, même si tu n'as pas pris le temps de me raconter. Ca te ferait pourtant du bien d'extérioriser tout ça, il me semble, parce que de ce que j'en vois, ça t'empoisonne sérieusement l'humeur... Et comme tout poison, il faut l'extraire. Ou, à défaut, le combattre..."
Elle n'avait pas tort, Astrée le savait. Peut-être qu'elle pouvait essayer, après tout, juste pour quelques jours.
L'elfe hésita, puis ajouta un dernier sachet de feuilles séchées.
" Et absinthe. Une feuille dans l'infusion du matin. Enfin... Tu n'es pas enceinte au moins ?"
Astrée ouvrit de grands yeux.
" Heu... non, je ne crois pas.
" Qu'est-ce que ça veut dire, tu ne crois pas ? Il me faut une réponse nette ! Quand as-tu eu tes règles pour la dernière fois ?"
Astrée réfléchit un moment. Ca remontait au début de son voyage vers les Pics des Orcs, tout de même. Soit...
" Il y a... un mois et demi. Ou deux", souffla-t-elle, subitement alarmée.
" Ah..."
Il y eut un instant de silence, tandis qu'Astrée recomptait les jours encore et encore. Près de deux mois sans règles. Oh merde...
" Bon, et bien dans le doute, pas d'absinthe, et une seule feuille de millepertuis. Et tu évites de laisser infuser trop longtemps", conclut sobrement l'herboriste avec un haussement d'épaules fataliste.

[Voyageuse]

Astrée ne pipa mot pendant le reste de la matinée. Perdue dans ses pensées, elle tentait de donner le change en aidant à trier des herbes, étiqueter des sachets, réapprovisionner les étagères, mais le coeur n'y était pas.
Isudë finit par reprendre la parole, un peu avant midi, profitant que la boutique était vide de tout client.
" Si tu veux en avoir le cœur net.... A deux rues d'ici, il y a une sage femme. Une cliente à moi. Tu peux avoir confiance, elle est expérimentée. Elle saura te dire. Tu prends à droite en sortant, puis la deuxième à droite. Elle habite au numéro 9."
Astrée hocha la tête, l'air absent. Isudë avait raison, il fallait qu'elle sache. Même si en réalité, plus elle y réfléchissait et plus une grossesse lui paraissait probable. Leur amour avait été passionné, intense, elle n'avait pris aucune précaution, et ils avaient passé toute une veille ensemble. Sans compter quelques étreintes ensuite.
Profitant de la pause de midi, elle se dirigea vers la ruelle en question sans même prendre le temps de casser la croûte. Elle n'avait pas faim.

Rien ne distinguait le numéro 9 des autres habitations. C'était un petit logement d'allure modeste, sur trois niveaux étroits, accolé aux autres. Elle frappa timidement à la porte, et une femme relativement âgée vint lui ouvrir. Si elle ne lui avait pas été recommandée par Isudë, Astrée aurait sans doute pris peur devant son apparrence : avec son visage en lame de couteau, sa lèvre déformée par un bec-de-lièvre, sa verrue sur le nez, son teint sombre, ses yeux aussi noirs que ses cheveux, elle évoquait une sorcière. Mais elle souriait, et son expression, passée la surprise initiale, semblait douce.
" Je peux vous renseigner ?
- Oui... Heu... C'est Isudë, l'herboriste, qui m'a conseillé de venir vous voir. Il parait que vous êtes sage-femme.
- Oui, c'est mon métier effectivement. J'en déduis que vous pensez être enceinte ? Ou vous avez un problème de stérilité peut-être ?
- Et bien... Peut-être que je suis enceinte... Mais je voudrais être sûre...
- Sûre, sûre... ma science n'est pas toujours exacte. Mais entrez, entrez donc. Normalement je suis en pause à cette heure-ci, je vais retourner tout à l'heure chez les Illmates, mais je peux prendre le temps de vous examiner !"
Elle la fit asseoir dans un petit salon. Astrée se sentait un peu mal à l'aise de l'avoir dérangée pendant sa pause, mais puisque c'était fait, autant aller jusqu'au bout.
" Dites-moi pour commencer à quand remontent vos dernières règles ?
- Au mois de Ches. Au début de la seconde veille, il me semble...
- Ca fait deux mois et une veille, donc. Vos menstruations étaient régulières, d'ordinaire ?
- Oui.
- Bon, c'est en général un signe qui ne trompe pas.
- Il y a d'autres choses qui pourraient l'expliquer, protesta Astrée. J'ai vécu des choses difficiles, avalé une potion magique dangereuse, failli mourir...
- Oui, oui... Je vais procéder à quelques examens complémentaires, si vous voulez. Je vous demanderais d'aller uriner, et de recueillir la miction dans ce bol. Et je dois examiner, aussi, la zone concernée...
- Ou..oui, bien sûr.

L'examen était désagréable au possible, et elle ferma les yeux, se raidissant tandis que les mains expertes de la sage-femme tâtonnaient au contact de son utérus. Fort heureusement, tout fut terminé en quelques minutes.
" Étant donné que votre utérus est aussi gros qu'une orange, et vu l'aspect du col et des muqueuses, l'aspect trouble et les points blancs dans les urines, la taille et le toucher de vos seins, et surtout l'absence de règles... pour moi, ça ne fait aucun doute. Vous êtes enceinte."
La sage-femme se lavait les mains, laissant Astrée se rhabiller. Gestes simples et machinals. Elle n'était pas en état de penser.
" Vous n'avez pas eu des nausées, récemment ? Des maux de ventre ? Des sautes d'humeur ?
- Pas vraiment. Enfin... Je n'ai pas d'appétit le matin -elle avait mis ça sur le compte de la mélancolie-, peut-être qu'effectivement je suis un tout petit peu nauséeuse au lever. J'ai les nerfs à fleur de peau, c'est vrai. Et j'ai eu un peu mal au ventre lors de marches prolongées.
- Faites attention aux efforts prolongés ou violents, à ne pas trop monter à cheval également. Mais vous savez tout ça, il me semble que ce n'est pas votre premier d'après ce que j'ai vu à l'examen.
- Ah... Non, effectivement, ce n'est pas mon premier enfant."
Elle ignorait que l'accouchement précédent eût laissé des traces. Mais c'était logique, à bien y réfléchir.
" Vous avez l'air un peu... sous le choc. C'était une grossesse non prévue, non désirée ?
- Je n'avais pas songé... ce n'était pas prévu, non. Mais... je... ça n'est pas grave...
- Bien sûr que ce n'est pas grave ! C'est Lathandre et Chauntéa qui vous bénissent ainsi !
- Oui, vous avez raison...
- Allez, je vais vous préparer un thé pour vous remettre de vos émotions. Je vous trouve bien pâle. Vous devriez vous reposer. Une petite sieste vous ferait le plus grand bien. Il faut vous ménager, penser à votre enfant...

Elle but le bol de thé d'une traite, et se retrouva dans la rue sans vraiment se souvenir d'avoir salué la matrone. Machinalement, elle se dirigea vers l'herboristerie, mais se contenta de saluer Isudë au passage. Puis, un peu sonnée, elle se mit à marcher au hasard des rues, sans parvenir à réaliser vraiment. Autour d'elle, la vie continuait, indifférente, les passants se bousculaient, les fiacres la dépassaient au trot des chevaux. Les bruits de sabots sur le pavé, les cris des enfants, les altercations et bavardages, tout cela lui fut subitement insupportable. Elle s'isola un instant dans une ruelle, le temps de sortir Prince-écureuil de sa poche et de lui enjoindre de se transformer en cheval. Elle avait besoin de silence et de solitude, de calme et des bruits et odeurs de la nature. De réfléchir sans se sentir oppressée par les murs. Elle se hissa aussitôt en selle et mit le cap vers la campagne.

[Voyageuse]

RP solo : apprentie-druide, prologue

La rôdeuse dut prendre le temps de déposer sa lettre pour Kasumi, puis celle pour Reynald, de faire la queue et régler la somme convenue, avant de pouvoir enfin aller méditer un moment dans le grand parc. Elle n'avait pas vraiment la tête à ça, le coeur encore trop plein de la nouvelle de sa grossesse, mais elle parvint tout de même à nouer le contact avec la Nature, et cela lui fit un bien fou, l'aidant à retrouver la sérénité qui la fuyait depuis la veille.

Finalement, il était déjà la fin de matinée lorsque la rôdeuse poussa la porte de l'herboristerie. Il y avait déjà trois clients en train d'attendre, aussi prit-elle son mal en patience et s'assit-elle dans un coin. Elle aurait pu rejoindre l'arrière-boutique, elle aurait dû peut-être. Mais une sorte de pudeur, ou de timidité, l'en empêchait. Ce fut Isudë qui finit par l'y inviter, tandis qu'elle servait l'avant-dernier client. Elle la rejoignit quelques minutes plus tard.
" Alors ?
- Alors... Je suis enceinte", expliqua Astrée, soudain presque embarrassée.
Mais l'herboriste avait bien dû le comprendre en la voyant fuir si vite la veille.
" Oui, et alors ?" insista l'elfe.
- Alors... quoi ?
- Que vas-tu faire ?
- Et bien... J'ai prévenu Reynald, je vais voir ce qu'il en dit..."
Que voulait dire sa question ? Elle n'envisageait tout de même pas qu'elle avorterait, si ?
" Est-ce si important ?
- Et bien... Oui, il a le droit de savoir, et puis notre enfant a le droit de connaître son père...
- Sans doute... mais ce n'est pas vraiment ce que je voulais dire... ou entendre."
Astrée haussa les épaules en signe d'incompréhension.
" Je me demandais ce que tu comptais faire ... au sujet de ta vocation de druide. Tu n'as pas oublié ?
- Non bien sûr ! protesta Astrée. Mais... on a bien le droit d'avoir un enfant quand on est druide, non ?
- Bien entendu. Cela n'entre pas en contradiction avec nos principes. Mais ce que je voulais savoir, c'est quand comptes-tu trouver le temps de te former ?
- Je... je ne sais pas... J'imagine qu'il vaut mieux que j'attende un peu, une fois l'enfant là ?
- Une fois l'enfant là, entre les tétées, les couches, le tricot et la couture, les nuits raccourcies et les journées à t'en occuper, tu crois vraiment que tu en auras l'énergie ? La formation de druide est exigeante..."
Isudë secoua la tête.
" A mon avis, tant que tu allaiteras, tu n'auras pas la disponibilité et l'énergie suffisante pour débuter ton apprentissage. Et pourtant, on ne peut pas attendre trois ans. Tu dois apprendre à utiliser et maîtriser tes dons de la façon qui convient, sans quoi la Nature qui te les a octroyés te les reprendra.
- Ah bon ?, s'alarma Astrée.
- Un druide qui utilise ses pouvoirs de façon non conforme aux principes du druidisme les perd. Ce serait dommage que tu en arrives là par simple méconnaissance... Non, je pense qu'il faut absolument que tu débutes ta formation tout de suite.
- Mais... c'est compatible avec une grossesse ?
- Pourquoi ne le serait-ce pas ? Tu n'es pas malade : tu es enceinte, et c'est un état tout à fait normal pour une femme.
- Vous disiez que c'était exigeant...
- Ca l'est surtout mentalement. Après, il faudra voir avec ton mentor comment il peut adapter sa formation pour éviter de trop gros efforts physiques. Mais je pense qu'il aura à coeur de te donner au moins les principes de base, quitte à reprendre une formation plus complète lorsque tu seras plus disponible pour cela.
- D'accord..."

Elle n'avait pas envisagé les choses sous cet angle. A vrai dire, elle n'y avait absolument pas réfléchi. Elle comptait profiter de ce temps d'attente de l'enfant pour préparer un petit nid douillet chez elle, dans les montagnes, ou peut-être envisager de déménager, tricoter une layette, coudre, bricoler un berceau, rassembler des provisions, bref, s'adonner aux mille et unes tâches qui permettent de meubler l'attente tout en la rendant plus concrète. Alors que là... Si elle partait en apprentissage, elle allait y passer l'été... Bah, il lui resterait l'automne pour tout préparer. Elle mettrait les bouchées doubles ! Elle sentait qu'Isudë avait raison, que c'était important : même si l'enfant à venir était devenu le centre de sa vie, il ne devait pas occulter le reste. Et sa vocation de druide était importante, aussi. Elle ne devait pas la sacrifier. Même si elle avait bien du mal, en réalité, à hiérarchiser ses priorités.
" Alors je pense que je partirai demain ou après-demain. Il ne me reste que quelques provisions à acheter...
- Je vais te fournir en simples, bien entendu. Gratuitement, cela va sans dire : ce sera ma contribution à ta formation.
- Oh... C'est gentil.
- En échange, je compte sur toi, si tu trouves des herbes intéressantes, pour me les rapporter ! Mais ta dernière livraison était déjà conséquente, et je n'ai besoin de rien dans l'immédiat.
- Je verrai ce que je trouve là-bas. Votre ami pourra sûrement me renseigner.
- Ce n'est pas un ami, pas seulement. C'est mon neveu. Le fils de ma soeur."
Astrée regarda l'elfe avec une expression totalement abasourdie. Et pourtant qu'y avait-il de surprenant à cela ?
" Cela dit, évite de trop parler famille avec lui. Ça ne se fait pas trop, chez les elfes, quand on n'est pas intimes... et ça prend des années pour devenir intimes.
- D'accord. J'essaierai de me souvenir."
Un carillon tinta à l'entrée.
" Je te laisse te servir en herbes. Mais je te conseille d'utiliser celles que je t'ai données hier, à petite dose. La grossesse n'aide pas à garder une humeur égale, et la tienne est particulièrement fragile depuis tes aventures en montagne."
La jeune femme acquiesça sans protester. L'herboriste avait la sagesse due à son âge, et elle ne lui aurait pas proposé ces herbes si elles avaient été néfastes. Pour le reste il lui fallait quelques baumes, mais ses provisions d'herbes étaient déjà bien fournies grâce à Dymphéa. Non, décidément, elle n'avait pas besoin de grand-chose. Juste quelques provisions, et elle serait prête. Il fallait aussi, et surtout, qu'elle digère cette subite décision. peut-être attendre le surlendemain. Quoique... qu'est-ce que ça lui apporterait de plus ? Non, décidément. Elle partirait demain.

[Voyageuse]

RP Solo : apprentie druide

La vieille elfe était seule derrière son comptoir, compulsant des parchemins. Elle leva les yeux à son arrivée.
" Tiens... Te revoilà. Ah, c'est bon signe ! Failxte roïë...
- Onoïrkïë, répondit la jeune femme après un temps d'hésitation.
- Je vois que tu es sur le départ ?
- Oui..."
Astrée déposa dans un coin son sac à dos, et eût un sourire contrit.
" Je serai mieux sur les routes que dans ma chambre d'auberge, fit-elle sobrement.
- Ça, c'est certain.
- Je venais vous rapporter votre plant, expliqua-t-elle en ouvrant le sac de jute dans lequel elle avait transporté l'arbuste en pot.
- T'a-t-il été utile ?
- Oui. Je ne saurais décrire comment il a agi sur mon esprit, mais l'avoir dans la chambre, près de la fenêtre ouverte, m'a fait un bien fou. C'est comme s'il m'avait donné des forces... des forces mentales, je veux dire. Comme s'il apaisait mon âme.
- Le pouvoir qui l'habite est une ancienne magie druidique. Primitives diraient certains, mais d'une puissance indéniable. Le genre de pouvoir qui hélas se perd petit à petit, qui sombre dans l'oubli, au fur et à mesure que les autres formes de magie et notamment les dieux prennent de l'importance.
- Un peu comme l'Arbre de Vie...
- Sans doute. Ou comme tant d'autres choses"
La suggestion lui était venue naturellement, sans préméditation, mais elle eût fugacement l'impression que Isudë éludait volontairement le sujet, comme si elle en savait davantage au sujet de l'Arbre de Vie qu'elle ne le disait. Cependant, l'herboriste ne lui dévoilerait rien à ce sujet, elle le savait. Elle n'insista pas.

La marche depuis l'auberge l'avait fatiguée, et elle se laissa tomber sur une chaise.
" Tu es encore faiblarde. Tu es sûre d'avoir bien avalé les infusions que je t'ai prescrites ?
- Oui...
- Il faut du temps pour que le sang perdu se reconstitue. Comptes entre deux veilles et un mois, peut-être jusqu'à deux mois, selon la perte de sang et ton régime alimentaire. Pour récupérer plus vite, il faut que tu t'astreignes à manger des aliments riches en fer : poissons gras, coques, viande rouge, gibier, foies de volaille, fruits rouges, céréales, légumes secs... Des produits sucrés, du miel, des céréales, pour l'énergie. Et... ce qui te fait envie, ce qui te fait plaisir, pour le moral, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil. Ne néglige pas le millepertuis et le scutellaire. Et passiflore ou valériane pour mieux dormir, toujours.
- J'ai l'impression de me doper, avoua Astrée avec une grimace. De m'intoxiquer, de conditionner mon corps, de ne pas laisser faire la nature.
- Mais... c'est la Nature qui te donne ces plantes ! Trouvais-tu plus naturel de laisser faire le pouvoir de l'arbre de Rillifane ?
- En un sens, oui, parce que c'était extérieur à moi, ce n'est pas quelque chose que j'ingérais et que j'intégrais à ton corps.
- Détrompes-toi. il existe d'autres vois que l'estomac pour ingérer quelque chose. Tes poumons s'emplissaient des émanations de ses fleurs, qui descendaient jusqu'à ton coeur, la mélodie de ses feuilles faisait vibrer ton âme et agissait sur ton organisme. Il n'y a pas que la bouche pour ingérer les choses... comme il n'y a pas que les oreilles pour entendre une mélodie.
- Je sais. Je me souviens de ce que Neffen m'avait expliqué, sur sa chanson qui parlait à tous les constituants de mon corps même si mes oreilles et mon cerveau ne la décryptaient pas.
- Oui, c'est la même chose. Et donc, ces infusions ont un effet tout aussi naturel que le chant des feuilles de cet arbuste, ou celui de ton ami Neffen..."
Cette fois-ci, Astrée acquiesça en silence. Son coeur se serrait encore à ces souvenirs. Tout ce qui s'était passé depuis, sa perte et sa souffrance récente, auraient dû chasser tout cela, l'enfouir au fond de sa mémoire. Mais il n'en était rien.

Cependant, Isudë faisait le tour des étagères, prélevant quelques sachets de poudres végétales, quelques feuilles sèches, une fiole de liquide transparent -de l'alcool de menthe-, un baume désinfectant.
" Voilà de quoi regarnir ta sacoche à pharmacie. Cadeau, bien sûr.
- Merci, c'est vraiment gentil à vous.
- Et... si ce n'est pas indiscret... Quelle est ta destination ?
- Je vais voir votre ami. S'il veut bien de moi comme apprentie. Enfin, votre neveu.
- Sohel."
L'elfe sourit.
" C'est une bonne chose que tu te sois décidée en ce sens et que tu n'aies pas simplement choisi de rentrer chez toi.
- Être chez moi ne m'apportera rien. Il vaut mieux que je bouge, que je m'occupe l'esprit, que je voyage, et que j'apprenne tout ce que je peux apprendre.
- Tu apprendras. Tout ce que tu dois apprendre. Je suis sûre que tu seras à la hauteur de ta vocation.
- Votre confiance m'honore, marmonna la rôdeuse en rougissant.
- Bah, ne fais pas cette tête, je suis sûre d'avoir raison ! J'espère juste que tu réussiras à trouver Sohel... mais c'est un bon test de ta motivation ! Une fois à Togoria, tu dois prendre la route qui part vers la Lorien, puis obliquer vers les montagnes... mais c'est un peu au milieu de nulle part en fait. Il y a un village au pied de la montagne, et un ou deux hameaux de bergers, c'est tout. Et un bosquet sacré pas très loin d'un magnifique lac d'altitude, je sais qu'il y est souvent. Il est probable que tu cherches un moment avant de le trouver, mais peut-être les locaux sauront-ils te renseigner."

Elle secoua la tête.
" Mais donc... Je te souhaite bonne route. Et bonne chance. N'oublie jamais que tu dois suivre ton coeur, ton instinct, être toi-même. Si j'ai bien compris, Mielikki t'a fait confiance. Donc fais-toi confiance, toi aussi.
- J'essaierai.
- Ne te contente pas d'essayer. Réussis et deviens druide. C'est là qu'est ton destin, c'est la voie que tu dois suivre.
- Je le crois aussi.
- Reviendras-tu par ici avant l'hiver ?
- Probablement... mais je ne peux rien promettre. Ces derniers temps, le destin me joue de bien drôles de tours, et on n'est jamais à l'abri d'un imprévu. Mais si je peux, je reviendrai.
- Tant mieux. Ramènes-moi ce que tu trouves d'intéressant, et des nouvelles de Sohel.
- Je vous le promets !
- Alors à très bientôt, Astrée. Tiaraidhïë an dràsda. Ça veut dire au revoir...
- Tiaraidïë an... heu...
- Dràsda."
Astrée s'appliqua à répéter l'expression entière, et Isudë sourit.
" Bonne route, répéta-t-elle en l'étreignant brièvement. Que la Nature veille sur toi.
- Merci. Vraiment. Pour tout, murmura-t-elle d'une voix chargée d'émotion en reprenant son sac.
Elle se hissa en selle sitôt sortie de la boutique : elle avait conscience de tenir à peine sur ses jambes. Tant pis, elle avancerait lentement, ferait des haltes, des siestes, des grasses matinées. L'essentiel était d'être le plus possible en pleine nature, loin des murs de la ville. Le temps ferait le reste.