[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

Alors qu'ils s'apprêtaient à quitter la salle, un mercenaire les croisa en sens inverse. D'un pas pressé, il s'en fut murmurer quelque chose à l'oreille de ses collègues, lesquels lui emboîtèrent aussitôt le pas. Sans doute avaient-ils reçu un ordre de leur chef.
Il fallut un certain temps au paladin pour trouver ses écuyers. Alban fut le moins difficile à dénicher : comme chaque jour, en compagnie de certains de ses camarades, il prêtait main forte à Gabriel et Thibault auprès des petits Paludiers. Concernant Ruth, en revanche, il dut arpenter un moment la forteresse qu'elle explorait en compagnie de Giovanni, toujours en quête de trésors cachés.
-Pas de grande découverte aujourd'hui, dit le barde à Hubert lorsqu'il les eut rejoints. Peut-être Tymora a-t-elle tourné ses regards ailleurs...
-Rêve pas trop, fit la gamine. J'ai une réputation à tenir donc demain, il y aura forcément un trésor.

[Hubert de Maleval]

" Vous pourriez décider... d'inventorier le trésor que vous avez trouvé, plutôt que d'en chercher un autre ! Ça va devenir une maladie, à force..." dit le paladin avec une grimace.
Il fit signe à la petite fille.
" De toute façon, c'est l'heure de l'entraînement. Assez fouiné pour aujourd'hui."

[Taliesin]

-Je ne fais que m'acquitter de la tâche qu'on m'a confiée ! se défendit Giovanni. En plus, ce n'est pas tant des trésors que j'espère trouver que des objets utiles à la Communauté... Sinon, je crois bien qu'il y a déjà du monde qui s'occupe d'inventorier nos précédentes découvertes.
-En tout cas, souviens-toi : interdiction de faire des fouilles en mon absence ! Sinon le pari ne sera plus valable.
-Je suis un homme de parole.
-Ouais ouais...
-Fichtre, je vois que la confiance règne ! Allez, à plus tard. Entraînez-vous bien !
Et, les ayant salués, le barde s'en fut à ses nouvelles occupations, quelles qu'elles soient, tandis qu'Hubert et ses écuyers prenaient la direction de la salle d'entraînement.

[Hubert de Maleval]

Hubert avait l'intention de faire travailler leur garde aux enfants, après un échauffement classique. Il les laisserait se défouler dans le dernier quart d'heure avant de les envoyer s'occuper de Grand Vent et du destrier de Robert. Après quoi, il avait l'intention de se trouver un adversaire davantage à sa mesure, parmi les soldats ou les mercenaires. C'était dommage que les paladins sunites étaient de sortie quand il était à la forteresse, et inversement. Il aurait bien aimé se mesurer à l'un d'entre eux. On disait leur style de combat très élégant, incisif et précis, un peu comme une danse mortelle. Dans le même temps, il n'était pas certain d'avoir envie de prendre un tel risque avant de les avoir vu affronter quelqu'un d'autre...

[Taliesin]

Malheureusement pour Hubert, ce n'est pas cet après-midi là qu'il pourrait défier des adversaires aussi chevronnés qu'il le souhaiterait : outre les paladins dont il connaissait déjà l'absence, outre les chevaliers qui devaient eux aussi être de sortie, les mercenaires ne montrèrent plus le bout de leur nez dans la salle d'entraînement. Il dut donc se contenter des instructeurs, Edgar en tête. Néanmoins, ils étaient de bons bretteurs et il eut même la nette impression qu'à force de s'exercer, ils gagnaient en maîtrise et en efficacité.

[Hubert de Maleval]

Quand il estima avoir eu son content d'exercice, il prit à son tour le chemin des thermes. Albérich devait sans doute avoir rejoint son bureau où il travaillerait jusqu'on le convainque de descendre se nourrir. Quant à lui, il avait l'intention de se décrasser, de monter se changer, puis il serait sûrement plus ou moins l'heure où l'équipe d'exploration rentrerait. La nuit tombait très tôt, vu la saison, et rester à l'extérieur dans le noir était un risque qu'ils ne pouvaient pas courir. Le paladin voulait se débarrasser au plus vite des contrats : les conserver le mettait curieusement mal à l'aise.

[Taliesin]

Il croisa Étienne alors qu'il se dirigeait vers la cantine : celui-ci récupéra les contrats, l'air soulagé de les découvrir signés, et l'informa que les expéditions n'avaient rien découvert de particulier mais bien progressé. Depuis qu'ils avaient adopté l'organisation concoctée par le paladin, l'exploration avançait à grand train. Bientôt, la rue menant aux portes nord de la cité aurait été entièrement reconnue et, grâce aux différents systèmes de repérage mis en place par les rôdeurs, il serait très aisé de savoir si des monstres s'y aventuraient. Ce serait une belle étape de franchie.

[Hubert de Maleval]

Il était encore un peu tôt pour manger aussi Hubert décida-t-il d'aller faire un tour sur les remparts pour passer le temps, observer les ténèbres et la cité, le blizzard. Vu sa résistance naturelle, sans doute aurait-il été sage d'offrir de remplacer un des officiers de quart, au moins pendant une partie de la nuit, et c'est ce qu'il décida de faire, se mettant en quête d'Edgar. Sans doute son subordonné saurait-il s'il y avait des défections dans l'effectif, et de qui il pouvait prendre la place.

[Taliesin]

-Des défections ? fit l'ancien sergent quand il l'eut retrouvé. Et bien non, mon capitaine, il n'y en a aucune : tout le monde a à cœur de se montrer à la hauteur de la tâche qui lui a été confiée et aucun malade n'est à signaler pour l'instant.
Il se fit songeur.
-Bon, après, c'est vrai qu'il y en a un ou deux qui ont l'air crevé ou qui ont la goutte au nez. Ils sont toujours en état de tenir leur poste, c'est pas le souci, mais du repos leur ferait sans doute pas de mal. Seront un piol vexés si vous leur ordonnez d'en prendre, mais bon, si c'est pour la bonne cause...

[Hubert de Maleval]

" J'aurais dû y songer plus tôt. J'étais fatigué après les péripéties des derniers jours du trajet, mais j'ai récupéré, et je peux gérer le froid et la nuit mieux que la plupart des gens. Je devrais en faire une habitude. La nuit tombe tôt. Je pourrais prendre un premier quart jusqu'à la mi-nuit et avoir encore entre six et huit bonnes heures de sommeil avant l'aube, ce qui me suffirait amplement."
Il pinça les lèvres.
" Je vais relever un officier. Je ne doute pas qu'il sera vexé en façade, et très soulagé en réalité. Il pourra travailler en journée."
Evidemment, cela signifierait ne plus jamais passer aucune soirée avec Albérich, et laisser le champ libre à Thibault, mais il y avait le coeur, et il y avait le devoir... Il ne fallait plus y songer.

[Taliesin]

Edgar lui jeta un long regard.
-C'est vous le chef, dit-il. Au moins, je sais qui je dois contacter si je vois que vous vous épuisez à rester quasiment en permenance sur le pont et si vous refusez de souffler autant que vous en auriez besoin. Avec Robert, c'était plus compliqué...
Il grimaça.
-Enfin, pardonnez-moi, mon capitaine. Je ne me permettrais jamais de dire que vous surestimez vos capacités... C'est juste qu'on aura besoin de vous en pleine forme si ça cloche et... Enfin bref, oubliez.
Et il lui donna les noms.

[Hubert de Maleval]

Hubert était sensible aux inquiétudes de son subordonné, mais dans le même temps, il était parfaitement certain de pouvoir fonctionner avec six heures de sommeil. Au-delà, c'était du luxe, et il était prématuré d'en profiter. Mais expliquer cela à Edgar aurait sans doute nécessité de lui parler de sa nature d'aasimar et il n'en avait pas envie. Ce n'était pas à proprement parler un secret, mais il n'avait pas envie d'en faire étalage. Il avait l'impression que cela l'isolait des autres, d'une manière qu'il ne parvenait pas bien à appréhender.
Il décida finalement de ne pas mettre son projet à exécution avant le lendemain, puis songea au problème du conseil, qui avait lieu le soir, et l'obligerait donc à prendre le second quart de nuit. Ce qui était une mauvaise idée : il fallait qu'il dorme avant l'aube. Bref, ce n'était finalement peut-être pas une si bonne idée... Il monta donc errer sur les remparts sans plus parler à personne de ses intentions. Il redescendrait pour le souper, mais d'ici là, il avait l'âme à contempler le noir...

[Taliesin]

Et il put le faire à loisir. Hormis la lumière projetée par les torches des guetteurs, hormis la clarté filtrant par certaines des fenêtres de la forteresse, l'obscurité régnait sans partage et de la ville en contrebas, même son regard pourtant perçants ne distinguait pas grand chose, si ce n'est de vagues contours. Il ne neigeait pas mais d'épais bancs de nuages masquaient des pans entiers de ciel, escamotant l'éclat de la lune et des étoiles. Il faisait sombre, donc, et silencieux... Un climat idéal pour qui avait besoin de solitude. Un climat pesant pour qui aspirait à la chaleur et à la compagnie.

[Hubert de Maleval]

Pendant un moment, Hubert eut l'étrange sensation qu'ils étaient seuls au monde, comme sur un navire perdu au milieu d'un océan immense, à mille lieues des côtes et de la civilisation. Même s'ils hurlaient tous de concert, personne ne les entendrait. Il réprima un frisson et battit en retraite vers l'intérieur et la chaleur de la salle à manger, avec l'idée de s'installer auprès des premières têtes connues qu'il apercevrait. Il avait une subite envie de repousser la nuit.

[Taliesin]

Le souci auquel il fut confronté en pénétrant dans la cantine, c'est qu'en un seul regard, il aperçut maintes têtes connues. Sans compter ses écuyers, attablés avec leurs amis, il vit Étienne, Gabriel et Barthélemy en train de deviser paisiblement ; plus loin, les deux Paludiers dînaient de concert avec Thibault et ses coreligionnaires paladins ; plus loin encore, l'Académie s'était en grande partie reconstituée, avec Giovanni et les instituteurs ; à l'autre bout de la salle - était-ce un hasard ? - son état-major... En fait, le seul qui manquait à l'appel, c'était Albérich. Sans doute quelque tâche le retenait-elle en son bureau...

[Hubert de Maleval]

Hubert hésita un moment puis décida de partir à la recherche du Luménien, comme au bon vieux temps solarcien quand il devait aller l'arracher à ses documents pour lui aérer l'esprit. Il faisait noir dans la plupart des couloirs de la forteresse, mais c'était une obscurité dont le paladin s'accommodait sans difficultés. Il gagna le recoin où s'était installé son ami et le trouva, comme prévu, penché sur une liste. Il avait enchanté un livre pour qu'il diffuse de la lumière et il paraissait extrêmement concentré, comme toujours. Hubert s'arrêta dans l'embrasure de la porte pour le regarder un moment, sans rien dire, juste l'expression de son visage, les mouvements précis de sa plume, la courbe de son épaule... Il se sentit balayé par une bouffée de désir, puis de mélancolie, puis de tendresse, laquelle céda la place à un terrible embarras quand il réalisa que le Lathandrite avait levé les yeux et le dévisageait, vaguement incrédule.
" Tu m'observes depuis longtemps ? demanda-t-il.
— Heu... Non. Non, je viens d'arriver. Je voulais... te laisser le temps de terminer."
Albérich sourit et reposa sa plume.
" Je ne suis pas prêt de terminer."
Il s'étira avec une grimace.
" Diable, j'aurais bien besoin d'un bon massage."
Hubert se détourna vers le couloir.
" Tout le monde est à table, déjà.
— Je me nourris de pures pensées.
— Je me doute. Mais il faut faire semblant de manger, sinon les autres vont se poser des questions."
Albérich rit doucement et le rejoignit dans le couloir. Ils bavardèrent en redescendant vers la grande salle, des apprentis, de la liste de matériel pour le groupe de Grand Estuaire, de leur passe d'armes de l'après-midi... Une fois parmi leurs compagnons, il ne leur resta plus qu'à se glisser à un endroit où il restait deux places.

[Taliesin]

Comme ils arrivaient très tard mais pas assez pour que des convives aient déjà commencé à partir, ils n'eurent guère le choix et durent s'installer à une table majoritairement occupée par des gens qu'Hubert ne connaissait que de vue et Albérich de vue et de nom, pour avoir échangé quelques mots avec eux au cours de ses diverses enquêtes. En fait, le seul visage vraiment familier était celui de Roxane, laquelle les salua chaleureusement.
-J'espère que ce ne sont pas de graves problèmes qui vous ont empêchés de vous sustenter plus tôt... fit-elle.

[Hubert de Maleval]

" Oh non, fit le Luménien, affable. Juste de la distraction..."
Il huma son assiette.
" Ça fait un moment que nous ne nous sommes pas croisés... Comment se passe votre installation ? Les lieux sont-ils à votre goût ?"
Hubert demeura silencieux et s'attaqua à son repas.

[Taliesin]

-Il faudrait être très difficile pour ne pas les trouver à son goût, tant ils sont magnifiques. Certes, je les trouve un peu intimidants, avec toute leur splendeur, tout ce marbre, toutes ces œuvres d'art... Peut-être un peu froids, aussi, dans le sens ou davantage de bois et d'étoffe leur conféreraient un caractère plus chaleureux. Mais je fais la fine bouche : nous les rendons chaleureux par notre présence, et c'est proprement incroyable de ramener de la vie en cette cité désertée depuis des siècles...
Elle sourit.
-Et de votre côté ? Que pensez-vous de ce château, de cette ville ?

[Galathée]

" Et bien... Je trouve ça magnifique... inespéré... et grand et froid, aussi. Mais l'hiver y contribue immanquablement. Je suis d'accord avec vous, l'énergie de la communauté lui rend vie, et c'est bienvenu. Après... Toute la splendeur des lieux... me rappelle aussi qu'il faudra du temps et du travail avant que nous ne soyons vraiment chez nous. C'est un beau défi, cela dit, et nous sommes certainement à la hauteur."

[Taliesin]

-Oh, je ne doute pas que nous le soyons : nous avons déjà surmonté bien des obstacles, et ils étaient pires que ce à quoi nous pouvions rationnellement nous attendre. Mais il faudra que tout le monde continue à pousser dans le même sens...
Elle l'observa un instant.
-Savez-vous combien de personnes attendent à Grand-Estuaire de pouvoir nous rejoindre ? Elles constitueront un renfort bienvenu, c'est indéniable, mais si elles devaient être plus nombreuses que nous... Bah, je m'inquiète sans doute pour rien : on leur expliquera nos principes, elles s'y rallieront donc si elles décident de franchir le pas.

[Galathée]

" Elles sont moins nombreuses que nous. Mais l'afflux de nouvelles personnes, désirables ou beaucoup moins, est une réalité que nous devrons immanquablement gérer. C'est le lot des grandes villes, partout sur l'île."
Il pinça les lèvres, faillit mentionner ses gros doutes quant au réalisme du projet d'Etienne, mais s'abstint.
" Grâce à l'hiver, les premiers renforts arriveront au compte-gouttes, ce qui nous permettra de les intégrer progressivement à notre dynamique... et il faudra qu'au printemps, lorsque la route sera réellement praticable, nous ayons mis en place les structures adaptées pour nous prémunir de personnes mal intentionnées."
S'ils parvenaient à contrôler les ruffians et autres chasseurs de trésors sans scrupules, ce serait déjà miraculeux... Au-delà de ça, il ne fallait pas rêver.

[Taliesin]

Elle opina du chef.
-Oui, il faudra vraiment que tout soit en place à ce moment-là. Et je vous plains, vous et le reste du Conseil. Nous, nous avons le beau rôle : nous pouvons émettre des idées et nous prononcer sur le résultat de votre travail. Vous, il vous faut tout imaginer, tout penser, tout mettre sur pied... Bon, d'un autre côté, j'avoue que je serais totalement incapable de vous aider en ces matières... Mais en tout cas, d'avance, bon courage et merci.

[Galathée]

Albérich faillit lui rappeler qu'il ne faisait partie du conseil que jusqu'au retour de Marthe, et qu'il pourrait alors tout au plus servir d'assistant à la juge, du moins jusqu'aux nouvelles élections. Il avait à cet égard des sentiments mitigés : il aimait faire partie des décideurs mais il se sentait plus rigide qu'autrefois quand il avait été le cadet idéaliste qui titillait les habitués du pouvoir. Il se sentait aussi plus démuni face aux défis qui se présentaient, et il avait l'impression que son rôle était avant tout de servir Lathandre. On construit sur le passé et le passé lui avait brûlé les ailes. Il ne pouvait pas faire comme si rien ne s'était passé.
Curieusement, la présence silencieuse d'Hubert à ses côtés le rassura. Le paladin était un garde du corps autrement plus capable que ne l'avait été le jeune Hector à Luménis. Pourtant, il avait ses devoirs, lui aussi, ici et là, et il ne pourrait pas toujours être dans son ombre, pour surveiller l'obscurité.
" Des décisions difficiles devront sans doute être prises, finit-il par répondre, conscient qu'il était peut-être resté silencieux trop longtemps. Et l'assemblée devra, elle aussi, se positionner. Mais nous serons tous à la hauteur."

[Taliesin]

Son regard s'était fait pénétrant.
-Qu'entendez-vous exactement par décision difficiles ? s'enquit-elle. S'il s'agissait de mesures telles que voter le sondage des auras des nouveaux venus pour nous assurer qu'aucun ver n'entre dans le fruit, vous auriez sans doute plutôt employé le terme de raisonnable... Du coup, je l'avoue, ma curiosité est piquée.

[Galathée]

" Ce qui est raisonnable pour les uns est difficile pour les autres, dit Albérich avec un sourire tranquille. Je n'avais pas d'idées précises en tête, je dois dire, mais oui... Le sondage des auras n'est pas une procédure aussi anodine que certains le pensent. Et elle n'est pas non plus infaillible... Mais décider de faire de... Clairétoile... une cité fermée, dont on filtrerait toutes les entrées... n'est pas complètement évident. De plus, les esprits peuvent évoluer au fil du temps... Les frustrations, les jalousies, les colères, les haines apparaître au fil du temps... Qu'allons-nous faire ? Sonder les gens tous les deux mois ? Je ne suis pas sûr que ce soit souhaitable. Non, il faudra faire au mieux. Et rester humble dans nos possibilités. Nous verrons. J'anticipe. Et dans le fond... Je n'en sais rien."

[Taliesin]

-Anticiper n'est jamais une mauvaise chose : cela diminue les risques d'être totalement pris au dépourvu. Et pour en revenir aux décisions... Je ne pense pas que quiconque parmi nous ait dans l'idée de bâtir une cité fermée : simplement, quand on bâtit un projet aussi ambitieux que le nôtre, il me paraît normal de contrôler qui s'y joint, au moins durant la phase de mise en place des structures. Les concernant, nous ne pourrons pas vraiment faire dans l'originalité : il faudra un guet, une justice, bref, ce qu'on trouve dans toutes les villes, ce qui permet de régler les problèmes que vous évoquiez. Mais peut-être, en les imaginant, parviendrons-nous à refléter dans une certaine mesure l'idéalisme qui anime nombre d'entre nous... Et quand tout cela sera mis sur pied, ma foi, nous serons mieux armés pour accueillir des nouveaux venus.

[Galathée]

" Bien sûr. Vous voyez que vous ne manquez pas d'idées en la matière !"
Albérich regretta une seconde que Thibault ne soit pas là pour constater qu’il avait posé une question anodine et que c’était son interlocutrice qui l’avait ramené dans des sujets sérieux et professionnels. On ne pouvait même pas compter sur les bardes pour alléger l’atmosphère, c’était un comble !
Il réalisa qu’il attendait le retour de Marthe avec impatience, désormais. Elle serait vraiment nécessaire pour ces décisions à venir, et il se languissait de son sérieux mâtiné d’idéalisme. Elle aurait des idées, des pistes, ils pourraient interagir pour progresser. En son absence, malgré toute leur bonne volonté, les autres membres du conseil n’étaient pas des interlocuteurs de sa trempe. Et elle saurait parler à Etienne, le faire fléchir, le faire évoluer.
Une chose était certaine, il n’avait pas envie d’y songer trop avant à l’instant. Peut-être même était-ce le bon soir pour démarcher Giovanni… Si et seulement si le barde avait un sujet de conversation moins cérébral à proposer… Il avait apparemment le don de mettre ses modèles à l’aise, donc…
« Heureusement, nous avons un peu de temps pour faire les choses au mieux. »

***

Hubert n’écoutait pas vraiment la conversation entre Albérich et Roxane. Il n’avait pas oublié que la jeune barde s’était montrée entreprenante avec le Luménien lors de leurs premiers échanges, mais depuis qu’ils s’étaient disputés et surtout depuis qu’Albérich avait sympathisé avec Marthe, il ne la voyait plus comme un danger. Il avait l’impression — malgré l’épisode nébuleux de la chasse aux grenouilles — que le clerc avait passé l’âge des élans purement basés sur l’attraction physique, et qu’il serait circonspect avant de s’engager avec quelqu’un de la communauté, qu’il serait appelé à fréquenter quotidiennement et longtemps. Bien sûr, les choses changeraient du tout au tout quand la juge reviendrait mais elle était encore loin et elle devait porter le deuil de Robert. Cela lui laissait de la marge.
De son côté, il était manifestement protégé par son statut et son sexe. Malgré tous les discours sur l’égalité des fondateurs de la communauté, il n’était pas dans les mœurs, pour une femme, d’aborder un homme dans sa position, et il faudrait assurément un certain temps avant que ces réserves ne fondent. C’était tout bénéfice pour lui. D’autant que ni Etienne, ni Gaspard ne semblaient avoir de cousine charmante à lui présenter. En cela, la situation était nettement plus reposante et facile à gérer qu’elle ne l’avait été à Solarcis, quand Béranger ne cessait de lui suggérer de bons partis qu’il devait rejeter avec diplomatie.
Bref, il se souciait peu de ce que Roxane et Albérich échangeaient. Son regard cherchait Guillermo, en réalité. Il avait été très occupé dans l’après-midi, mais il n’avait pas manqué de remarquer l’absence des mercenaires. Même si ça ne le regardait qu’à moitié, il était désireux de s’assurer que tout était en ordre dans ce domaine.

[Taliesin]

Les mercenaires, installés à une table éloignée, devisaient tranquillement. Malgré l'éloignement, il nota que Guillermo avait l'air fatigué. Fatigué mais de bonne humeur.
-Oh, ce ne sont pas vraiment des idées... répondait Roxane. C'est plutôt... Je ne sais pas, de grands principes qu'à peu près n'importe qui est capable d'énoncer. S'il s'agissait d'entrer davantage dans les détails, vous me trouveriez bien moins inspirée ! Les bardes sont comme ça : doués pour les conversations de comptoir, mais pas experts pour deux sous.

[Galathée]

" Vous voilà dénigrant votre profession... Ce n'est vraiment pas nécessaire. Les bardes sont la lumière dans la grisaille, et leur polyvalence est souvent critique : dans bien des situations, même une légère compréhension d'un problème permet de débloquer les choses."
Il sourit.
" Comment avance votre projet, d'ailleurs ? Combien de témoignages avez-vous récolté jusqu'ici ?"
A côté de lui, Hubert se leva. Albérich nota qu'il avait terminé son assiette. De son côté, il l'avait à peine entamée.
" Je vais voir Guillermo." se justifia le paladin.
Il salua Roxane, puis s'éloigna.