[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

La nuit avait dû être couverte, à voir les nuages qui subsistaient au firmament. Mais ils ne formaient plus une couverture uniforme : ils dérivaient par bancs, laissant entrevoir de grands pans d'un ciel de cobalt où luisaient encore les dernières étoiles. D'un ciel qui, à l'est, allait s'éclaircissant rapidement. Bientôt, l'astre diurne émergerait au-dessus de l'horizon, illuminant de ses flamboyants rayons le monde, la forteresse, le lac et la cité a ses pieds...
Les illuminant eux.

[Hubert de Maleval]

Quel que soit leur nouveau degré d'intimité, la prière était un moment personnel et chacun s'abima dans la sienne. Hubert un genou en terre, comme toujours, replié sur lui-même et sur sa communion ; Albérich debout, le visage levé vers le ciel, changeant de position en fonction des paroles qu'il murmurait. L'embrasement suivit, absolu et salutaire, les énergisant l'un et l'autre, et ils reprirent pied dans la réalité.
Albérich avait toujours l'air un peu lumineux, ensuite, et Hubert n'était pas certain qu'il ne s'agissait pas là d'une illusion causée par son propre lien à Lathandre.
Ils descendirent ensuite vers la salle à manger, sans se frôler, mais avec une légère connivence, tue et invisible, mais que le paladin percevait dans l'air et qui dépassait leur complicité habituelle.

[Taliesin]

Comme toujours, malgré l'heure matinale, il y avait bien du monde dans la salle à manger : dans un coin les instituteurs, buvant du thé bien corsé en prévisions des heures de cours et, dans un autre, leurs élèves, déjà débordants d'énergie ; ici Thibault, Giovanni, Renaud et Roland, dont la facilité à quitter tôt leur lit battait en brèche la réputation de lèves-tard des Sunites ; là les hommes de la garde, plus loin ceux qui s'apprêtaient à prendre leur poste sur les remparts et ceux qui étaient sur le point de partir en expédition... Pour autant, il restait des places disponibles un peu partout, ce qui laissait Albérich et Hubert libres de choisir avec qui ils souhaitaient déjeuner.

[Hubert de Maleval]

Tacitement, ils se séparèrent. Hubert se dirigea vers Edgar, qu'il avait repéré dans un coin, tandis qu'Albérich rejoignait la table des enseignants. Le paladin nota que le Luménien évitait les Sunites et il essaya de chasser le petit nuage noir qui s'annonçait. Il était conscient qu'il y aurait une conversation nécessaire entre Albérich et Thibault, mais elle n'aurait certainement pas lieu au petit déjeuner et, de toute façon, ce n'était plus de son ressort. Rien de ce qu'il pourrait dire ou faire n'atténuerait les émotions difficiles de l'Eredhun et il était décent, simplement, de ne pas s'imposer à lui. Bien sûr, ils sortiraient en expédition d'ici moins d'une heure... Ils se débrouilleraient.
Il tenta de reporter son attention sur la conversation de ses voisins. Giovanni avait tort sur un point : il se sentait encore moins concentré que la veille...

[Taliesin]

Ses hommes l'accueillirent avec leur habituelle chaleur et, tout le temps que dura le déjeuner, ils ne parurent pas remarquer sa distraction. En revanche, peu avant qu'ils ne se lèvent, Edgar lui glissa qu'il avait meilleure mine - ce qui le réjouissait visiblement.
De son côté, Albérich eut aussi droit à un bel accueil : cela faisait un certain temps, après tout, qu'il n'avait pas mangé avec ses anciens comparses de l'Académie. On lui demanda de ses nouvelles, y compris de son travail, mais il n'entendit pas un mot à propos de l'école.
Vint enfin l'heure de se rassembler. Thibault fut sur les lieux parmi les premiers, comme à chaque fois qu'il était de sortie. Et, comme à chaque fois, sa mise était impeccable, à se demander comment il parvenait à maintenir son équipement aussi rutilant. Pour le reste, il ne chercha pas à éviter Albérich, le saluant au contraire avec affabilité. Il semblait même décidé à faire comme si de rien n'était et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il se débrouillait très bien. Peut-être, cependant, Giovanni ne l'avait-il encore mis au courant de rien...

[Galathée]

Albérich ne pensait pas que le moment soit opportun pour provoquer une discussion avec Thibault. D'abord, il savait à peine ce qu'il ressentait, encore. Ensuite, blesser son ami était quelque chose qu'il n'avait aucune envie de faire. Enfin, ils étaient sur le point de partir en exploration. Les éléments qu'il avait concernant le Sunite étaient épars. Il se doutait qu'il s'agissait du fameux rival dont Hubert lui avait parlé l'avant-veille, celui qui s'était retiré par noblesse. C'était le genre de choses qu'un Sunite, surtout un Sunite comme Thibault, ferait dans ce genre de situation. En même temps, il n'était pas persuadé que c'était là chose possible : l'Eredhun avait eu mille occasions de l'approcher quand ils étaient ensemble, au printemps précédent. Evidemment, il y avait eu son trouble, et Aubin, et puis le tumulte de tout ce qui s'était déroulé.
Thibault qui avait traversé la moitié d'Hélonna pour le retrouver, jusqu'à abandonner la communauté sur le départ pour rallier Solarcis.
Le Luménien se sentit brusquement coupable et déstabilisé en rejoignant le convoi aux côtés de son vieil ami. Ne l'avait-il pas douloureusement trahi ?

[Taliesin]

Quand Hubert fit son apparition, le Sunite le salua aussi amicalement que l'avant-veille. Aussi amicalement qu'il l'avait toujours fait.
Quand le groupe se mit en marche, il anima le trajet de son bavardage coutumier, se demandant à nouveau qui d'Albérich ou de lui mettrait la main sur un quelconque trésor.
Ce fut ensuite l'exploration proprement dite. Si aucun trésor ne vint la récompenser, l'on dénicha des tessons de poteries. Thibault s'en réjouit : ils constituaient une nouvelle occasion d'en apprendre davantage sur les jeux antiques et, qui sait, pourraient les inspirer pour ceux qu'ils organiseraient peut-être...
Enfin, ce fut le retour. Lorsqu'ils émergèrent des tunnels, la forteresse était baignée par la lumière radieuse du soleil de midi.

[Galathée]

Hubert les abandonna dès qu'ils arrivèrent à la forteresse pour se mettre en quête de Gabriel. Albérich savait que l'ouverture de la fameuse porte close aurait lieu en début d'après-midi, tandis que l'équipe d'Etienne poursuivait son exploration. Il avait manifesté le désir de faire partie du groupe qui serait présent, espérant y découvrir des indices sur les raisons de la chute de Clairétoile, mais le paladin avait remis le choix de l'équipe entre les mains de leur cadet, et il s'y conformerait.
Dans un autre registre, l'attitude de Thibault tout au long de la matinée l'avait conforté dans l'idée que le Sunite n'était pas au courant de ce qui s'était produit la veille : Thibault était sanguin, il aurait laissé filtrer quelque chose. Mais tout bien réfléchi, il n'était pas pressé de le prévenir. Chaque chose en son temps.

[Taliesin]

Gabriel ne fut pas difficile à trouver : il était attablé en compagnie notamment d’Étienne et de Barthélemy. Voyant arriver le paladin, il tira un morceau de papier de sa poche et le lui tendit avant même de le saluer. La liste des membres de l'expédition à venir y figurait, comprenant, outre les soldats, deux mages, Giovanni et... Albérich. Il n'avait donc pas suivi la suggestion du paladin quant au fait d'impliquer le Chauntéen.
-J'ai prévenu quasiment tout le monde, afin qu'il ne te reste plus qu'à donner le signal du départ le moment venu, annonça-t-il, souriant.

[Hubert de Maleval]

" Merci, lui dit Hubert. J'espère quand même que tu n'y as pas passé la nuit..."
Dès qu'ils se seraient sustentés et qu'ils se seraient un rien reposés, il rassemblerait le groupe pour descendre. Il faisait froid, mine de rien, et même s'il ne le ressentait pas personnellement, il était conscient de l'effet de l'hiver sur ses compagnons. Il hésita un moment à convier ses écuyers à l'ouverture de la fameuse porte, mais finit par renoncer. Ils ne savaient pas ce qu'ils allaient trouver derrière, et il n'était pas nécessaire de les y exposer. De toute façon, si découverte importante il y avait, tout le monde en profiterait.

[Taliesin]

Environ une heure et demi plus tard, le groupe se trouvait devant la fameuse porte. Les lanceurs de sorts incantèrent, protégeant les individus comme les lieux et, une détection du mal n'ayant rien révélé d'inquiétant, l'on fut fin prêt pour passer aux choses sérieuses.
-Est-ce que ça dérange quelqu'un si je tourne le dos pendant qu'on défonce la porte ? souffla Giovanni. Si je vois cette antiquité ainsi maltraitée, je crains l'attaque cardiaque...

[Hubert de Maleval]

Hubert se tourna vers le barde. Il avait, comme prévu, décidé de passer devant.
" On n'est pas obligé de la défoncer, dit le paladin. On peut essayer de faire levier et de la débloquer comme ça... Mais Giovanni... C'est juste une porte de cave dans un commerce... Des centaines d'autres ont déjà disparu..."
Albérich posa une main tranquille sur l'épaule du barde.
" Je crois que tu peux te détourner. On te préviendra quand la voie est libre."

[Taliesin]

-C'est justement parce que des centaines d'autres ont déjà disparu qu'elle est précieuse, cette porte maintes fois centenaire... marmonna le Sunite. Mais je sais que ce qui doit être fait... doit être fait.
Il se détourna et l'on procéda à l'ouverture, laquelle se résuma finalement à défoncer l'huis, tant il refusait de céder. il finit cependant par s'avouer vaincu dans un sinistre grincement de gonds martyrisés.
Au-delà s'ouvrait une petite pièce où l'on discernait encore des vestiges de mobilier en bois.
Où l'on voyait, surtout, des squelettes étendus sur le dallage.

[Hubert de Maleval]

C'était probablement le résultat auquel tous s'attendaient. Une tentative de trouver un abri dans la tourmente, et son échec. Hubert détecta à nouveau le mal dans l'embrasure de la porte — celle-ci avait pu bloquer les effets du sortilège et il ne voulait rien laisser au hasard. Ensuite, il s'écarta pour laisser passer Albérich et Giovanni.
" Tu sais communiquer avec les morts ? demanda le paladin au clerc, comme il passait devant lui.
— Je crains que ceux-ci ne soient un peu trop anciens." répondit Albérich avec une légère grimace.
Il faudrait les faire "parler" autrement.

[Taliesin]

Comme, une nouvelle fois, le sortilège d'Hubert ne détecta pas la moindre trace d'être ou d'énergie maléfique, le barde et le clerc pénétrèrent dans la salle pour l'examiner. Elle comprenait quatre corps en tout : trois en son milieu, dont deux de taille plus petite, et un autre près d'un mur auquel, peut-être, il avait jadis été adossé. Près de ce dernier reposait une dague. En dehors des ossements, ce fut le seul élément qui, de prime abord, attira leur attention. Pour le reste, on ne voyait que des débris, que de petits objets du quotidien comme ils en avaient déjà découvert beaucoup.

[Galathée]

Deux enfants, une femme - on pouvait le reconnaître à la forme de ses hanches, immanquablement - un homme, qui les avait peut-être tués lui-même, craignant qu'ils ne trépassent dans des circonstances pires encore, de faim, de froid ou d'autre chose... Le Luménien avança doucement, attentif. Des écrits, c'était ce qu'il fallait chercher... Un coffret, une cache, un morceau de parchemin serré dans une paume. Ensuite il examinerait les squelettes, au cas où...

[Taliesin]

Malheureusement, l'ancien aubemestre en fut pour ses frais : s'il y avait jamais eu le moindre écrit ici, il fallait croire que le temps en était venu à bout, car il ne trouva ni parchemin, ni papier, ni quoi que ce soit de gravé sur les murs. Ceux-ci ne comportaient pas de niche dissimulée et, de manière générale, la pièce demeura aussi muette que les dépouilles. Tout juste semblait-il qu'avant de s'enfermer ici, les défunts avaient apporté avec eux de quoi boire et de quoi manger : en tout cas, certains débris de vaisselle et de contenants le suggéraient.

[Galathée]

Albérich resta pensif un moment, puis se pencha à nouveau sur les squelettes, cherchant des traces de la lame de la dague sur les os du sternum de l'homme, voire le cou des trois autres. Mais sans doute, s'il avait tué sa famille, avait-il usé de moyens moins barbares. Ensuite, il chercha d'éventuelles inscriptions sur les murs, avant de laisser le champ libre à Giovanni. Il n'était pas impossible que la magie bardique soit capable de faire parler les lieux : les bardes étaient après tout tournés vers le passé et le Sunite avait un goût particulier pour celui-ci.
Le Luménien revint en arrière et s'arrêta devant la porte brisée.

Albérich -> Réparation intégrale -> Porte

On pouvait détruire, on pouvait reconstruire. C'était pour ça qu'ils étaient là, après tout.

[Taliesin]

-Oh, c'est gentil, ça... murmura Giovanni. Ça me touche beaucoup.
Il rejoignit le clerc : visiblement, lui non plus n'avait rien découvert.
-Que fait-on ? On les laisse là, éventuellement pour procéder à d'autres examens plus tard ? On les emporte pour les inhumer quelque part ? Bon, je ne sais pas trop quelles étaient leurs pratiques funéraires mais même si on s'y prend mal, j'imagine qu'ils seront sensibles au geste...

[Galathée]

Albérich se tourna vers Hubert, qui était resté immobile à l'extérieur, leur laissant le champ libre. Il revint à Giovanni.
" Penses-tu que tu pourrais faire un rapide croquis ? Leur position exacte, celle des différents objets ? Histoire qu'on puisse y revenir au besoin. Ensuite, je proposerais aussi qu'on les emporte. Il n'est pas impossible que nous trouvions des indications sur leurs cérémonies, voire un cimetière, quelque part, pendant nos explorations. Nous pouvons conserver leurs restes jusque là."

[Taliesin]

Le barde avait grimacé.
-Dessiner des corps morts ?!
Il jeta un regard aux squelettes, poussa un profond soupir.
-Nécessité fait loi, j'imagine...
Il tira crayon et papier de sa poche et s'exécuta avec minutie mais sans grand entrain. Quand il en eut terminé, les dépouilles furent déposées dans des couvertures et, aussi respectueusement que possible, emportées en direction de la forteresse. Trouver un lieu désert où les déposer ne serait guère un problème.

[Galathée]

L'attitude de Giovanni fit sourire Albérich, mais il se garda bien de l'asticoter. Diable que les artistes étaient... capricieux. Mais l'important était que le croquis avait été réalisé, par la personne la plus capable. Pour le reste, le Luménien était immanquablement déçu. Ils savaient ce qu'ils allaient trouver derrière la porte avant même de l'ouvrir, et il n'y avait eu aucune révélation.
" Tu es songeur." remarqua Hubert tandis qu'ils remontaient vers la forteresse.
Le clerc haussa les épaules.
" J'avais espéré un indice supplémentaire. Ici... Qu'avons-nous appris ? Que quelqu'un a préféré se barricader que de fuir, et que ça ne lui a pas réussi. On ne sait pas de quoi ils sont morts : de faim, de maladie... Est-ce que l'homme a tué les trois autres puis s'est suicidé ? Si oui, pourquoi ? Est-ce qu'il l'a fait d'emblée, parce qu'il avait peur ? Est-ce que la menace a duré ? Ou il a cru qu'elle durait ? Il n'y a pas d'indices. Pas de petites barres sur les murs pour indiquer le passage du temps... Pas de message... Rien. Cela suggère peut-être que tout s'est passé très vite."

[Taliesin]

Autour d'eux, leurs compagnons se livraient au même genre de conjectures, d'interrogations. On les sentait intrigués, graves pour certains ; mais, globalement, point de grande inquiétude : on prenait l'affaire au sérieux sans trop se laisser affecter. Hormis peut-être Giovanni : il était étrangement silencieux et, les mains dans le dos, il paraissait plongé dans ses pensées. Néanmoins, bien d'autres sujets de réflexion pouvaient l'absorber ainsi... Toujours est-il qu'il n'avait pas prononcé le moindre mot quand ils atteignirent enfin leur destination.

[Galathée]

Quand ils arrivèrent à la forteresse, Albérich pressa doucement l'épaule du paladin, puis prit le barde en chasse. Hubert allait plus que certainement rejoindre les soldats, mais le clerc se sentait tenu de rédiger un court compte-rendu de leur intervention. Et il voulait le point de vue de Giovanni, dont le silence était presque inquiétant.
" Tu as l'air... troublé, lui dit-il après l'avoir rattrapé. Est-ce à cause de ce que nous avons découvert ?"

[Taliesin]

-Entre autres.
Il eut un sourire embarrassé.
-Je n'aime pas les dépuouilles mortelles. Bon, quand elles bougent et s'en prennent aux autres, ça va encore : ce sont juste des monstres moches et méchants dont il faut se débarrasser. Mais quand ils sont immobiles, froids et indéniables symboles du caractère éphémère de l'existence terrestre et de sa vanité, quelque part...
Il secoua la tête.
-Et puis, je ne peux m'empêcher de me mettre à la place de ces gens. De me demander non seulement ce qui s'est passé mais également ce qu'ils ont ressenti, quels tourments ont été les leurs dans les derniers instants... J'ai de la peine pour eux, en fait. Mais bon, les bardes sont parfois trop sensibles... Le vrai point embêtant, c'est que nous n'avons rien découvert d'utile. Ça finira par venir, cependant, j'en suis sûr.

[Galathée]

" Je ne sais pas si tu es trop sensible, dit doucement Albérich. Mais dans certains environnements, c'est indéniablement plus difficile. Une cité en ruines a quelque chose de mélancolique, je suppose... Ce n'est pas étonnant... et pas honteux... d'être touché."
Il sourit.
" Bon, je vais aller résumer ce que nous avons trouvé. J'aimerais y adjoindre ton dessin, et si tu es d'accord, tu pourras peut-être me relire et y ajouter ce que tu aurais noté, même si ce n'est rien ?"

[Taliesin]

Il acquiesça.
-D'accord. Là, maintenant, tout de suite, je vais me trouver un coin animé : j'ai besoin de bruit, de mouvement... de vie. Mais je te promets que je viendrai te trouver plus tard dans l'après-midi, pour que tu puisses remettre ton rapport au conseil dès ce soir.
Il lui donna son croquis, restitution étonnamment fidèle de la scène macabre, puis s'en fut dans les couloirs.

[Galathée]

Albérich savait que Giovanni était extrêmement doué, aussi admira-t-il son croquis sans réelle surprise. Il regagna ensuite les hauteurs et son bureau. Comme il l'avait prévu, il commença par consigner ce qu'ils avaient observé. Ensuite, il se laissa aller à ses propres réflexions. Elles n'étaient pas encore très construites, mais il savait que s'il voulait avoir l'esprit libre ensuite, il devait d'abord épuiser les ruminations qui menaçaient de le troubler. Il devrait revoir les corps, peut-être avec Barthélémy : s'ils avaient eu faim, la malnutrition se verrait probablement dans l'état des os, surtout chez les enfants.
Pourquoi cette ville avait-elle été abandonnée ? Quelles étaient les hypothèses ? Pourquoi Ignace, un diable dissimulé parmi les hommes, avait-il tenu à ce qu'ils réussissent ? Il lui semblait que les deux choses devaient être liées. Qu'il y avait peut-être quelque chose de caché, de maléfique, de puissant, tapi dans ces vestiges. Ou peut-être pas. Peut-être Ignace avait-il convoité la magie puissante des Anciens, ou leurs richesses. Peut-être cherchait-il un artefact unique, dans un trésor, oublié quelque part. Peut-être la Catastrophe était-elle liée à la magie, justement. Ça n'aurait pas été la première fois que l'homme créait quelque chose qu'il ne pouvait ensuite maîtriser et l'histoire de Toril regorgeait d'exemples où certains, s'étant crus l'égal des dieux, tombaient foudroyés.
Il reposa sa plume, demeura songeur un moment. Ils devraient attendre d'autres découvertes pour progresser.

[Taliesin]

Ses réflexions furent plusieurs fois interrompues par des visiteurs : des parents venant l'entretenir du devenir de leurs enfants ou des personnes venues poser des questions sur les plus jeunes Paludiers qui, vivant depuis plusieurs jours au coeur de la Communauté, commençaient mine de rien à y trouver une petite place. Fidèle à sa parole, Giovanni finit lui aussi par faire son apparition, relut son texte, y ajouta quelques infimes détails puis prit congé. L'après-midi devait déjà être bien avancé : d'ordinaire, c'était à peu près à cette heure qu'Hubert se manifestait pour conduire Albérich à l'entraînement...

[Galathée]

Et il ne dérogea pas à ses bonnes habitudes. Il survint, la cotte de mailles sur les épaules, hésitant à pénétrer dans le domaine de son ami.
« Entraînement ? »
Albérich acquiesça et se leva, avant de se diriger vers la porte. Cependant, avant de la franchir, il entraîna Hubert vers le mur voisin, à l’abri des regards de quiconque se promènerait dans le couloir. Le paladin eut un sourire presque soulagé et l’embrassa doucement.
« Ça va ?
— Beaucoup mieux qu’hier. »
Le Luménien lui toucha la joue, puis se glissa dans le corridor. Il entendit Hubert soupirer puis lui emboîter le pas. Il ne reprit la parole qu’après une volée d’escaliers.
« Je me suis dit que je devais entraîner ta concentration.
— Ma concentration ?
— Incantation au combat.
— Oh. Ce n’est pas exactement la chose la plus simple…
— Je sais bien. Raison de plus pour la travailler.
— Et qu’est-ce que tu imagines ? De me taper dessus pendant que j’essaie de lancer quelque chose ?
— J’imaginais davantage travailler le retrait… et en groupe. Combattre avec un lanceur de sorts, c’est quelque chose qui s’apprend. Combattre en équipe aussi, d’ailleurs. Ici, la difficulté, c’est le roulement des hommes… Mais je me dis que je devrais pouvoir constituer des escouades fixes, où les individus ont des rôles bien spécifiques.
— C’était comme ça dans le Rayon ?
— Oui. Bon, un garde doit toujours avoir une certaine polyvalence… mais, oui. Même au niveau du tempérament, tu peux créer de petites unités plus ou moins fonctionnelles. »
Ils atteignirent la cour.
« Est-ce que c’est une excuse pour me mettre dix gardes du corps sur le dos ? demanda le Luménien à voix basse.
— Pas du tout, protesta le paladin.
— Alors ça va . »
Ils se trouvèrent un coin plus ou moins dégagé, et Hubert mit ses envies en pratique. Ils travaillèrent un enchaînement parade – désengagement – incantation très simple. Les deux premières fois, Albérich détecta la magie, la troisième il fit tomber une petite pluie, la dernière il rendit son bouclier lumineux, ce qui — ils en convinrent — était assez déstabilisant pour l’adversaire. Ensuite, comme il avait épuisé ses oraisons du jour, ils se contentèrent d’imaginer le résultat. Albérich finit par demander grâce et Hubert se montra magnanime. Le Luménien put donc regagner son bureau tandis que le paladin se consacrait à ses écuyers.