[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

Tandis qu'il transportait les deux derniers mages, il essuya quelques tirs d'arbalète. Ils le manquèrent heureusement - et de beaucoup - mais ils montraient néanmoins que son manège n'était pas passé inaperçu.
Il remarqua également que des Ithiliens avaient pris pied sur les remparts. Peut-être cherchaient-ils à repérer où se dirigeaient les colons en fuite, grâce aux torches que ces derniers devaient brandir pour se guider dans l'obscurité.
Après avoir déposé ses passagers, il revint une dernière fois en direction du sommet de la forteresse, où ne demeuraient plus qu'Hubert et Thibault.
De nouveaux carreaux jaillirent dans sa direction. Le manquant de peu, cette fois.
Une escouade ennemie était arrivée sur le toit. Encore incapable d'atteindre le paladin et le Sunite, protégés par le mur de lames, ils pouvaient néanmoins viser le griffon...

[Galathée]

Il s'éleva haut dans le ciel, vers les nuages, à la verticale au-dessus de la forteresse, avec l'intention de plonger comme un faucon vers le centre de l'anneau de lames une fois qu'il serait hors d'atteinte. Cela ne l'empêcherait peut-être pas d'être touché, mais c'était le mieux qu'il puisse faire. De toute façon, il n'allait pas abandonner Hubert et Thibault et au pire, ses amis le soigneraient pour qu'il puisse reprendre son envol. Ce n'était pas un ou deux carreaux qui le tueraient.

[Taliesin]

Sur le toit, Hubert avait pu observer la manœuvre du griffon, en déduire ce qu'il comptait faire et en informer Thibault. Lequel esquissa une grimace, poussa un soupir.
-Avec nous deux sur le dos, il ne pourra pas décoller assez vite, souffla-t-il. Il y a toutes les chances que les Ithiliens parviennent à le toucher. Ou à nous toucher.

[Hubert de Maleval]

" Il n'acceptera jamais de laisser l'un d'entre nous sur le toit, Thibault, dit Hubert avec une grimace. Il préférerait être criblé de carreaux que de nous abandonner derrière."
Il regarda le clerc droit dans les yeux.
" Et ça vaut autant pour toi que pour moi, quoi que tu puisses en penser."

[Taliesin]

Thibault soutint son regard.
-Sauf que s'il fait à son idée, nous risquons fort de mourir tous les trois. Alors qu'il y a moyen que deux s'en sortent presque à coup sûr.
Il se détourna un instant pour observer la muraille de lames, les Ithiliens au-delà, avant de revenir au paladin.
-Est-ce que le moment n'est pas venu de se montrer un peu pragmatique ? La Communauté a besoin de lui. Elle a besoin de vous. Et elle s'est très bien passée de moi jusqu'à très récemment.

[Hubert de Maleval]

Hubert secoua la tête.
" Je ne sais pas ce que nous allons sauver... Vous autres, les clercs... Vous pouvez nourrir les gens. Les soigner. Même si Gabriel s'en est tiré, il est trop jeune pour avoir le même impact qu'Albérich et toi. Si quelqu'un doit rester en arrière, ça devrait être moi. D'autant que c'est mon rôle... Je suis paladin. Toi... Ton travail est ailleurs. Et Albérich ne supportera pas de te perdre. Moi, il sait que je suis appelé au sacrifice."

[Taliesin]

Il soupira.
-Hubert, le cœur a ses raisons que la raison ignore. Si vous tombez, il y a encore moins de chances qu'il se relève que si je tombe moi. Ensuite, malgré toutes ses qualités, il n'a rien d'un chef militaire, contrairement à vous. Or, la Communauté aura grand besoin d'un tel chef... Enfin, vous n'êtes appelé au sacrifice que si ledit sacrifice à un sens. Alors dites-moi, qui protégerez-vous en restant ici, en vous faisant tuer ou capturer ? Certainement pas ceux que les Ithiliens ont fait prisonniers. Certainement pas ceux qui fuient vers la cité.

[Hubert de Maleval]

Le paladin lorgna le ciel. Thibault ne comprenait pas que ce qu'il demandait, aussi raisonnable cela puisse-t-il sembler, serait inacceptable pour le Luménien. Il secoua la tête dans un soupir.
" Finalement, nous sommes tous plus butés les uns que les autres. Je vais quand même te dire ceci. Si tu es pris, il viendra te chercher. Si tu meurs, il viendra chercher ton corps. Tu penses que tu le connais, mais tu l'as connu autrefois. Moi je le connais aujourd'hui. Nous ne pouvons pas perdre du temps à ces conciliabules. Je pense que ta décision va terriblement le fragiliser."
Pendant une seconde, il hésita. Assommer le clerc serait terriblement aisé. Il suffirait ensuite à Albérich de le prendre dans ses serres pour l'emmener en sécurité. Mais les paladins ne pouvaient pas faire ce genre de choses. En même temps, il avait tordu le cou à bien des principes, ces derniers jours... Alors que faire ?
Thibault n'avait pas complètement tort, il devait le reconnaître. Il était le chef de guerre de la communauté. Il avait une responsabilité envers les civils qui s'étaient enfuis, envers ceux qui étaient bloqués dans la forteresse.
" Et il va me haïr pour l'avoir acceptée."
Il eut un sourire triste.
" Personne ne gagne, au final."

[Taliesin]

-Si, la Communauté. Et je crois que c'est à elle qu'il faut penser en priorité.
Il sourit. Manifestement, il était soulagé.
-Du reste, comme tu l'as dit, j'ai connu l'Albérich d'avant... parce que je fais partie de sa vie d'avant. Je n'ai pas de place dans la nouvelle, je ne lui aurai rien apporté de bon. Il n'y a qu'à voir comme mon arrivée inopinée à rendu les choses plus compliquées... J'aurais dû réfléchir avant d'agir. Malheureusement, ça n'a jamais été mon fort.
Il fixa les Ithiliens, au-delà de la barrière magique qui ne tiendrait sans doute plus très longtemps.
-Veille bien sur lui. Veille bien sur les autres. Ce serait du gâchis que votre histoire et la leur s'achèvent sur une note aussi injuste.
Un battement d'ailes : le griffon était là.

[Hubert de Maleval]

" Ne fais pas n'importe quoi. Nous viendrons te chercher." dit le paladin en posant une main sur l'épaule du clerc.
Il se tourna ensuite vers le griffon et l'enfourcha. Celui-ci ne décolla pas, poussant un cri aigu, dans lequel on aurait presque pu distinguer une interrogation.
" Il ne vient pas, murmura Hubert. Respecte son choix. Tu as toujours voulu qu'on respecte les tiens."
Mais le griffon cria à nouveau, battant l'air de sa queue de lion, et vint se placer devant le Sunite, manifestement de mauvaise humeur.

[Taliesin]

-Albérich, sois raisonnable, fit Thibault d'un ton doux. Si nous partons tous les trois, nous risquons de mourir tous les trois, criblés de carreaux d'arbalète, ce qui priverait la Communauté de son chef militaire et de son clerc le plus puissant, ce qui serait donc irresponsable. Et tu n'as rien d'un irresponsable, pas vrai ?
Il sourit.
-En plus, souviens-toi comme je sais être agaçant... Ca ne te donne pas envie de plaindre les Ithiliens ? Sans compter que ma hiérarchie m'a tellement en horreur qu'elle serait susceptible de proclamer une croisade contre eux dans le seul et unique but de les pousser à m'exécuter ! Là encore, ça sert les intérêts de la Communauté !
Il se fit plus sérieux.
-Bon, je vais vous couvrir. J'ai encore un petit quelque chose en réserve dont je ne vous ai pas parlé. Mais voilà : on ne se refait pas et je voulais ménager mes effets.
Il tourna le dos au griffon, se déplaça de manière à voir de nouveau l'escouade ennemi.
Puis il incanta.
Subitement, une colonne de feu s'abattit parmi les arbalétriers, en tuant certains, désorganisant les autres.
-Maintenant ! lança le clerc.

[Galathée]

Le griffon obéit et décolla dans un saut, se laissant tomber le long de la forteresse avant de reprendre de la hauteur. Il filait à une vitesse infernale, brassant l'air de ses ailes gigantesques, et pendant une seconde, Hubert trouva cela inouï. Le ciel était noir, le vent glacé, et ils étaient libres !
Mais il aperçut le combat qui avait lieu sous l'arche des portes.
" Dépose-moi près de l'enceinte !" dit-il à Albérich.
Mais le griffon n'en fit qu'à sa tête et le débarqua d'une secousse bien trop loin de la bataille. Hubert n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que la créature était repartie droit sur la forteresse. Exactement comme il l'avait prédit, le Luménien n'était pas prêt à abandonner son vieil ami. Mais tout bien réfléchi, le contraire aurait été surprenant.
Comme il aurait été surprenant qu'Hubert abandonne un autre Sunite en train de livrer son ultime combat...
Il invoqua Grand Vent.

[Taliesin]

Sur le toit, la situation de Thibault était moins précaire qu'on n'aurait pu le croire.
Peut-être était-il davantage prévoyant que ne le laissait supposer sa nature impétueuse.
Peut-être avait-il tenu à ce que sa capture - ou sa fin - soit le plus spectaculaire possible.
Peut-être avait-il voulu signifier à l'ennemi que non, la Communauté ne ploierait jamais le genou.
Difficile à dire.
Toujours est-il que le spectacle devait être visible de loin, car deux nouvelles colonnes de flammes avaient fait leur apparition, achevant de décimer les Ithiliens. Le clerc, lui, courrait sus aux derniers survivants.
Il venait d'en abattre un lorsqu'il aperçut le griffon se posant près de lui.
Son visage fut déformé sous le coup de la colère et il brandit son épée, comme pour le menacer.
-Et que fais-tu de la liberté des individus ? Que fais-tu du respect des choix de chacun ? hurla-t-il. Tu n'es qu'un dictateur ! Un despote ! Un tyran. Un... Un grand prêtre !
Il se tut. Il y avait du bruit du côté de la porte.
-Et voilà ! Si je ne viens pas avec toi, tu risques de te faire tuer ! Et la Communauté d'en pâtir par ma faute ! Oh, merci de me forcer la main par la culpabilisation ! Merci de respecter mon libre arbitre !
Vitupérant toujours, il enfourcha la créature.

[Galathée]

Le griffon s'envola aussitôt en reprenant de l'altitude. Il fila dans l'air froid, plongea vers le bas de la colline, tentant de repérer Giovanni ou les enfants de ses yeux curieusement adaptés à la nuit. L'hydre avait été spectaculaire, le griffon était formidable ; Albérich ne pouvait s'empêcher de penser que s'il survivait, c'était une forme qu'il reprendrait par pur plaisir de goûter à l'ivresse du vol.
De la colère de Thibault, par contre, il se souciait peu. Le Sunite pouvait vitupérer tout ce qu'il voulait. Il le préférait vivant et furieux que mort ou prisonnier. Tant pis si leurs relations en pâtissaient à tout jamais : elles n'étaient déjà pas au beau fixe.

[Taliesin]

Il n'eut guère de mal à repérer le groupe en question.
S'il s'était mis à descendre la route, il ne le faisait que lentement.
L'ensorceleur s'était attardé en arrière, peut-être pour, au besoin, couvrir leur repli grâce à ses boules de feu.
Giovanni, furieux, tançait sévèrement les écuyers, montrant les trous dans son justaucorps : il semblait leur rappeler ce que lui avait coûté leur dernière charge, signe, peut-être, qu'ils en avaient envisagé une nouvelle.
Ce qui n'aurait rien d'étonnant, puisqu'Hubert était aux abonnés absents...
-Ah bas c'est du propre ! lâcha Thibault, toujours aussi véhément. Hubert et toi, même combat ! Vous n'arrêtez pas d'obliger les autres à se mettre à l'abri, à ne pas jouer les héros, mais dès que lesdits autres ont le dos tourné, vous vous ruez stupidement vers le danger !
Il se pencha et souffla à l'oreille du griffon.
-Mais c'est fini. Alors sache que si l'envie te prend de courir aux trousses de ton cher et tendre paladin suicidaire, je ne bougerai pas de ton dos et il te faudra m'exposer au danger. Et oui, la technique de la culpabilisation, ça peut marcher dans les deux sens.

[Galathée]

Albérich se posa sur le sol et s'ébroua pour essayer de se débarrasser de Thibault. Bien sûr qu'il allait voler au secours d'Hubert, mais est-ce que ce crétin de Sunite était incapable de comprendre qu'il était trop lourd pour qu'il y parvienne aisément ? Elles étaient bien belles, ces cottes de mailles, mais elles pesaient une tonne, et il était fatigué. Si son compagnon ne voulait pas comprendre, il faudrait qu'il se roule par terre pour le déloger. Il ne pouvait pas se retransformer avant d'avoir été arracher Hubert à son... sacrifice stupide — de ce côté, Thibault avait raison — et dans l'attente... il ne disposait que du langage des animaux.

[Taliesin]

-Tu peux t'ébrouer tant que tu veux, je ne descendrai pas.
L'instant suivant, le Sunite se cramponnait de plus belle.
-Tu viens de me sauver la vie contre mon gré ? Soit, A présent, je sauve la tienne contre ton gré et tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
Il jeta un regard au groupe qui les observait, incrédule.
-Tu as préféré voler à mon secours plutôt que surveiller Hubert, dont tu connais pourtant l'impétuosité ? Soit. Le chef militaire de la Communauté a pu faire n'importe quoi, abandonner tout le monde, y compris ses écuyers, y compris... toi, tout ça pour céder à un héroïsme stupide qui ne sert à rien et qu'il ne tolérerait pas chez autrui. Mais j'ai envie de dire... C'est son affaire. Et donc, je suis là, moi, et je vais faire en sorte que non, la Communauté ne perde pas un deuxième Conseiller dans la foulée.

[Galathée]

Albérich rua encore quelques fois mais il s'épuisait. Si cela continuait, il n'aurait plus la force de reprendre son envol. Si seulement il avait pu communiquer avec le Sunite, lui expliquer ses intentions. Il était conscient de devoir désormais se consacrer aux civils, mais comme il avait été chercher Thibault sur le toit, il pouvait aller chercher Hubert aux portes. Ensuite, ils se replieraient tous ensemble vers la ville.
Sois miséricordieux, Thibault, songeait-il dans le silence de son crâne. Je vais le chercher, je reviens, nous fuyons, je te le promets.
Il finit par renoncer à désarçonner le clerc. Qu'il vienne, puisque tel était son désir. Pliant les pattes arrières, il tenta de regagner les airs.

[Taliesin]

En vain.
-Alors, ça fait quel effet d'être obligé de se plier à la volonté d'autrui ?
Le clerc soupira.
-Bon, mais je vais... faire le choix de croire qu'il y a encore un peu de bon sens en toi. Et, aussi, laisser libre cours à la partie mauvaise de moi-même qui a terriblement envie que je ne sois pas le seul à être privé d'héroïsme stupide. Alors je vais te laisser aller le chercher, en partant du principe que telle est ton intention. Mais avant, un dernier mot.
Il se pencha à nouveau pour lui souffler à l'oreille :
-Si vous ne revenez pas tous les deux très vite, je charge. Avec les mômes. Avec tout le monde. En criant à qui veut l'entendre que nos chefs ont préféré mourir plutôt que de fuir, en clamant que nous devons suivre la voie que vous avez tracée. De toute façon, sans toi, sans lui, nos chances de succès final sont si minces qu'un suicide est sans doute préférable.
Et il sauta lestement à terre.

[Galathée]

Albérich faillit trébucher tant la différence de poids le surprit. Il cria à l'intention du Sunite, le remerciant pour sa confiance à sa manière d'oiseau difforme, puis s'envola aussi vite qu'il le put. Il n'avait qu'un objectif, trouver Hubert, l'arracher au sol, l'emporter jusqu'à leur groupe puis déguerpir. Il sentait qu'il avait besoin que cette nuit insoutenable touche à sa fin, l'urgence cédait peu à peu la place à la fatigue. Et quand il pensait à tout ce qui les attendrait ensuite, il avait presque le vertige...
Au rythme des battements de ses larges ailes, il fut bientôt en vue des portes...

[Taliesin]

...et constata qu'il arrivait à point nommé.
Certes, le paladin avait sans doute eu pour intention d'inciter les derniers défenseurs à se replier. Cela avait même en partie fonctionné, puisque, sur la route, Albérich avait vu plusieurs guetteurs en fuite.
Mais désormais, Hubert était en mauvaise posture.
En très mauvaise posture.
Cavalier remontant en direction des portes, son arrivée n'était pas passée inaperçue et, rapidement, il avait essuyé quelques tirs d'arbalète. Cela ne l'avait cependant pas empêché d'ordonner la retraite et de commencer à être obéi.
Mais alors, du sommet des remparts, avait retenti une voix qu'il avait déjà entendue à plus d'une reprise.
-C'est Hubert de Maleval, le conseiller à la défense.
Levant les yeux, il avait aperçu, au-dessus des créneaux, le visage familier du comte d'Argencourt.
Sitôt que Louis l'eut identifié, l'officier debout à ses côtés ordonna qu'on le capture.
De bruine éparse, les carreaux s'étaient mis à tomber en averse drue.
Grand Vent, touché par une multitude de traits, s'était affalé sur le flanc, entraînant son cavalier avec lui et l'immobilisant sous son poids.
Le paladin, blessé, n'avait eu d'autre choix que de le renvoyer dans son plan, sous peine de le voir mourir, puis d'essayer de se replier, protégé par Renaud, par Roland, par quelques guetteurs encore.
Rempart infime face à la cohorte de fantassins ennemis qui se ruait par les porte, qui se ruait vers lui.
Ils n'allaient pas tarder à le rejoindre lorsque parut le griffon.

[Galathée]

Albérich plongea, prêt à lacérer de son bec ou de ses griffes quiconque se mettrait en travers de sa route. Pendant une fraction de seconde, il songea aux guetteurs et aux deux paladins sunites, victimes collatérales et malheureuses de ce désastre. Mais il avait fait une promesse à Thibault, et il devait à la communauté toute entière de ne pas prendre de risques, aussi visa-t-il les épaules d'Hubert de ses serres, dans le but de l'emporter vers les cieux puis de rejoindre leurs alliés. Il sentait les blessures du paladin dans sa propre chair, vestige d'un sortilège lancé plus tôt, mais il lui restait suffisamment de sorts de soin pour le sauver dix fois. Tout en volant à son secours, il se demanda comment son coeur tiendrait d'aimer un homme qui frôlait la mort si souvent... et si volontiers.

[Taliesin]

Focalisé sur le chef ennemi dont la capture était si proche - et si importante -, les Ithiliens ne le virent pas approcher.
Mais ils le virent fondre et s'envoler, leur arrachant la proie qu'ils pensaient pourtant prise.
Les carreaux fusèrent.
Beaucoup le frôlèrent.
Plusieurs le touchèrent.
Pas assez, cependant, pour interrompre son vol.
Épuise, blessé, Albérich finit par déposer Hubert sur la route, juste devant le groupe en compagnie duquel, in extremis, il avait réussi à quitter la forteresse conquise.
Entre eux et l'envahisseur, deux paladins, quelques guetteurs. Quelques centaines de mètres, aussi.
Il ne fallait pas traîner.

[Hubert de Maleval]

Hubert glissa sur un genou, la cotte de mailles maculée de sang. Chaque respiration était douloureuse et il avait un goût métallique, de mauvaise augure, dans la gorge. Sans réfléchir trop longtemps, il arracha un carreau qu'il avait dans la cuisse, un second dans la hanche. Il tenta de se soigner mais il ne lui restait pas suffisamment d'énergie : il put tout juste atténuer la douleur. A côté de lui, le griffon soufflait, les flancs battants. Albérich semblait avoir décidé de conserver cette forme encore un certain temps, sans doute pour ne pas se retrouver nu dans le vent glacial de l'hiver.
" Il faut descendre, vite." murmura le paladin d'une voix rauque.

[Taliesin]

Ses écuyers, inquiets, s'étaient précipités vers lui.
Mais Thibault les avait devancés.
-Un jour, je vous le promets, c'est mes pots cassés que vous devrez payer.
L'instant suivant, il incantait, insufflant à Hubert une puissante énergie magique qui le fit aussitôt se sentir mieux. Puis il se tourna vers Albérich, qu'il gratifia également d'un sortilège de soins.
-Qui a ses vêtements ?
-Moi, messire. Mais ils sont aussi trempés et... autant en train de geler que les nôtres.
-Ce sera mieux que rien. Albérich, reprends ta forme normale : tu es trop repérable, comme ça.
-Où ira-t-on quand nous serons en bas ? Les Ithiliens vont nous suivre et si nous allons au même endroit que les autres, nous risquons de les leur livrer...
-On ira ailleurs. Ou on se dispersera pour brouiller les pistes.

[Galathée]

Albérich obtempéra, abandonnant la force et la splendeur du griffon pour retrouver son corps humain fragile, puis récupéra ses vêtements auprès d'Alban.
" Lothar sait parfaitement que nous avons dégagé cette rue, dit-il tout en se rhabillant prestement. S'ils décident de descendre déloger les civils, ils les trouveront tous, et sans difficultés. Nous devrions les évacuer vers la nouvelle zone que nous avons commencé à déblayer..."
Hubert paraissait trop secoué, encore, pour parvenir à dire quoi que ce soit.

[Taliesin]

-Ni toi, ni Hubert, ni Giovanni n'êtes en état de faire grand-chose, sauf à tenir vraiment à y passer, répartit fermement le Sunite. Faut-il que je vous rappelle le nombre de blessures dont vous avez écopé ? Je ne vaux pas beaucoup mieux, mais un peu mieux quand même : j'irai prévenir les gens, je trouverai des relais. De toute façon, il fera moins froid dans les souterrains que dans les maisons.
L'homme et la femme qui les accompagnaient proposèrent de l'aider, tandis que les mages s'offrirent pour demeurer embusqués au bas de la route : entre les baguettes et les boules de feu dont ils disposaient encore, ils avaient de quoi couvrir les guetteurs qui tentaient de fuir, derrière eux, et surtout inciter les Ithiliens à la prudence.

[Galathée]

Albérich avait amorcé le mouvement vers le bas de la colline.
" Les gens ne trouveront pas le chemin seuls et les souterrains qui se trouvent sous ce quartier mènent à la forteresse. On ne peut pas être certains qu'une partie du contingent ithilien ne s'y trouve pas encore, murmura-t-il. Y envoyer les gens pourrait être une catastrophe. L'idéal serait d'arriver à sécuriser un bâtiment en dehors de la rue principale et d'y convoyer tout le monde, par petits groupes discrets. Les Ithiliens n'auront aucun moyen de savoir que nous nous y trouvons, puisqu'il ne fera pas partie de ceux que nous avons officiellement visités."
Il soupira.
" Mais j'ai bien conscience que c'est probablement impossible vu notre état, et ce qui nous suit..."

[Taliesin]

-Effectivement... Je crains donc qu'il ne nous faille compter sur la chance,
Thibault réfléchit.
-Il y a la caserne que nous avons nettoyée l'autre jour : elle est éloignée de la forteresse et assez vaste, je pense, pour que tout le monde puisse y loger. Il faut juste espérer que Lothar ne pense pas à en parler immédiatement aux Ithiliens. L'autre possibilité est de parier sur le fait qu'ils ont subi trop de pertes pour nous poursuivre cette nuit-même s'ils perdent notre trace au bas de la route. Je pourrai alors prévenir tout le monde que nous allons organiser un déplacement et, qui sait, commencer à l'organiser pendant que vous vous mettrez à l'abri. Car à ce niveau, les choses n'ont pas changé : ils ne faut pas qu'ils vous prennent, ni maintenant, ni demain.

[Galathée]

" Je crois que tu te leurres sur notre importance, Thibault, dit Albérich. Mais je ne suis pas en état de polémiquer avec toi. La caserne serait une solution, mais les gens ne savent pas où elle se trouve, elle non plus... Il faudra les guider. Et si c'est la débandade dans les rues, les Ithiliens auront tôt fait de suivre les retardataires et de localiser notre point de chute, surtout s'ils déferlent sur la ville dans les minutes qui viennent. Il faut que cela soit fait discrètement, rapidement... Tu ne vas pas pouvoir t'en charger seul."