[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

Le gosse devint pivoine.
-Je...
Il baissa les yeux, lorgnant avec insistance la pointe de ses bottes.
-Je ne suis pas sûr de moi. J'ai peut-être tout mal interprété. En plus, je n'y connais rien à ces choses là... Mais vous avez fait des choses extraordinaires... Comme face au démon... Et maintenant il y a les portes... Et puis cette fresque...

[Hubert de Maleval]

Hubert grimaça.
" Cette fresque ? Quelle fresque ?"
Bien sûr, il s'interrogeait sur le lien entre sa nature et l'ouverture surnaturelle de ces portes, il ne pouvait pas le nier... Mais il n'était pas complètement certain de vouloir s'appesantir sur cette identité étrange, dans le même temps. Quel rapport pouvait-il y avoir entre un gosse des montagnes du sud, comme lui, et ces cités formidables ?

[Taliesin]

-Et bien...
L'écuyer releva la tête et, apercvant l'expression de son maître, grimaça à son tour.
-Pardonnez-moi, je suis stupide. Vous avez déjà des tas de soucis en tête et je viens vous embêter avec ça... Vous devriez oublier ce que j'ai dit...
Il soupira.
-Mais au cas... Au cas où ça soit important... Messire Giovanni est votre ami, n'est-ce pas ? Peut-être que si je lui en parle... Il pourrait vérifier mon idée. Et venir vous en parler en temps utile...

[Hubert de Maleval]

Hubert se sentit un peu décontenancé. Le petit garçon n'avait manifestement pas envie d'en parler davantage, mais dans le même temps, il en avait déjà trop dit. Le paladin hésita à aller jusqu'au bout de son idée, puis se ravisa.
" Tu n'es certainement pas stupide, Alban. Mais très bien. Parles-en avec Giovanni, si tu préfères."
Le barde ne serait sans doute pas en état de se pencher sur ces histoires avant le lendemain. Mais c'était mieux. Hubert était décidément ambivalent par rapport à ce statut particulier.
" Ne me faites pas lanterner trop longtemps, cela dit."
Le gosse ne percevait pas à quel point ce genre de déclarations avortées était déstabilisant. Le paladin avait à moitié envie de regagner les étages pour examiner ces fresques lui-même. Mais il savait qu'il n'en ferait rien : non, il irait dans les caves ouvrir la porte pour d'éventuels retours et remiserait son angoisse identitaire pour plus tard.

[Taliesin]

Alban paraissait encore plus embarrassé qu'auparavant.
-Je suis désolé, messire. Je m'y prends extrêmement mal... J'aurais peut-être dû en parler avec messire Giovanni sans rien vous dire, pour éviter que vous vous inquiétiez...
Il secoua la tête.
-Je lui en toucherai un mot au plus vite. A mon avis, il comprendra immédiatement que je me fais des idées et je viendrai aussitôt vous prévenir que je me fourvoyais.
L'écuyer recula à nouveau.
-Encore désolé pour ma maladresse, messire. Et encore merci.
L'instant suivant, il détalait.

[Hubert de Maleval]

Hubert le regarda filer, puis haussa les épaules dans un soupir. Quelque part, la révélation qu'il n'était pas complètement humain lui donnait encore plus envie de retourner à Maleval. Il devait fatalement y en avoir d'autres comme lui dans la famille, peut-être des anecdotes inexpliquées jusque là, ou un secret bien gardé qu'on lui révélerait lorsqu'il poserait des questions. Enfin... Pour autant qu'ils lui ouvrent la porte après toutes ces années. Il avait régulièrement eu le mal du pays, envie de retourner se blottir dans les jupes de sa mère, aller courir la montagne avec ses frères, se bagarrer avec sa cadette. Mais jamais autant depuis qu'ils étaient sur les routes... Sans doute parce que Solarcis avait constitué un foyer acceptable et qu'il était aujourd'hui à nouveau vagabond.
Il retraversa les salles et les couloirs, et gagna les sous-sols, puis les portes de fer magique, pour aller attendre l'équipe d'exploration et le barde.

[Taliesin]

Comme convenu, les éclaireurs revinrent sur l'heure de midi. Ils avaient dû se fixer un point de rendez-vous un peu plus loin dans les couloirs car ils se présentèrent tous groupés et Conrad pu faire sans tarder son rapport à Hubert. Ils avaient pu visiter sommairement quatre bâtiments des environs et, quoique leur nature soit difficile à déterminer, il avait dû s'agir d'institutions officielles. Contrairement au palais, elles n'étaient pas hermétiquement closes et avaient beaucoup plus souffert du temps. Néanmoins, il se pouvait qu'on y trouve encore des choses intéressantes...

[Hubert de Maleval]

Hubert était un peu déçu que les explorations n'aient pas rapporté d'informations plus précises et décida d'en parler avec Albérich avant de décider s'il fallait, ou pas, visiter ces bâtiments. Sans doute n'avaient-ils rien de mieux à faire. Il n'était pas certain de savoir exactement ce qu'ils cherchaient : des choses fabuleuses qui ne devaient pas tomber entre les mains ithiliennes. Ça pouvait vouloir dire tout et n'importe quoi. Il remercia et félicita cependant les éclaireurs pour leur travail et les accompagna dans les hauteurs, afin qu'ils puissent se restaurer. Il demanderait à Conrad de venir reporter leurs découvertes sur la carte, et dès qu'il aurait le feu vert du Luménien, Hubert préviendrait Gaspard et Thibault de se rassembler une équipe pour l'après-midi.

[Taliesin]

Conrad s'exécuta volontiers et, de ses ajouts sur la carte, Hubert put constater que les éclaireurs avaient suivi ses consignes : pour brouiller les pistes, ils s'étaient abstenus de mener leurs repérages en rayonnant depuis le palais et avaient donc porté leurs pas vers des édifices plus éloignés.
Pour le reste, l'on s'activait en cuisine : le repas ne tarderait plus à être distribuer et, quand ce serait le cas,Albérich reviendrait probablement vers la salle commune, ce qui éviterait au paladin de le chercher..

[Hubert de Maleval]

Albérich donna effectivement son feu vert à la fouille des quatre édifices que les éclaireurs avaient visité, recommandant cependant au paladin de les envoyer ailleurs pendant l'après-midi : s'ils étaient tombés sur une zone d'administrations et d'institutions, il était probable que les bâtiments voisins seraient du même genre et tant qu'ils ne pouvaient juger de leur utilité, autant chercher ailleurs. Hubert se rangea à son avis et partit prévenir Gaspard et Thibault des dispositions pour l'après-midi. Ensuite, il se restaurerait, superviserait le départ de l'équipe de fouille, puis celui de l'équipe d'exploration, quand ils seraient reposés, tout en guettant le retour de Giovanni.

[Taliesin]

Le groupe mené par le chevalier et le clerc partit donc le premier, non sans avoir emporté avec lui un sac de contenance, lequel faciliterait grandement le transport d'éventuelles découvertes. Le travail qui lui incombait étant par nature plus lent, plus méticuleux que celui des éclaireurs, sans doute ne pourrait-il fouiller qu'un seul bâtiment. Il en irait autrement des seconds, évidemment...
Quand tout ses compagnons eurent disparu dans le couloir, Hubert commença son attente.
Les minutes succédèrent aux minutes, semblant durer une éternité.
De Giovanni, nulle trace. Mais ça n'était encore que le début d'après-midi...

[Hubert de Maleval]

L'oisiveté n'avait jamais été sa tasse de thé, et Hubert n'attendit pas plus d'une dizaine de minutes avant de se remettre en mouvement. Il décida de remonter d'autres tonneaux d'alcool des réserves. Après chaque aller-retour, il irait jeter un oeil dans le couloir, histoire de voir si Giovanni revenait. Mais il croisa Albérich dans le couloir. Celui-ci voulait contacter Marthe, afin de définir plus précisément son heure d'arrivée et donc le moment du rendez-vous avec l'équipe de Gaspard.
Ils ressortirent donc ensemble dans le souterrain, afin de se soustraire à la barrière antimagie de leur refuge.

[Taliesin]

Une fois à l'extérieur du palais et donc hors de portée des étranges protections dont il était doté, Albérich put sans entraves lancer son sortilèges. Et obtenir le contact espéré.
Approchons. Serons là vers minuit.
Marthe avait sauté les salutations, ce qui était fort compréhensible vu le peu de mots qui leur étaient impartis.

[Galathée]

Ils avaient déjà convenu d'emprunter les souterrains à proximité des portes est, aussi Albérich ne devait-il pas répéter cette information.
Vérifiez la présence de sentinelles. Gaspard mènera notre équipe. Prudence et discrétion.
Albérich espérait que les renseignements fournis seraient suffisants pour que les groupes se retrouvent. Il pouvait difficilement dessiner un plan mental à la juge.

[Taliesin]

Silence.
La magistrate ne s'était pas fendue d'un aurevoir. Sans doute avait-elle quelque chose à ajouter.
Cela ne tarda pas à se confirmer.
Si sentinelles : élimination ou annulation ?

[Galathée]

Albérich s'était attendu à cette question.
Escalade muraille possible ?

[Taliesin]

Cette fois, aucune pause ne précéda la réponse.
Possible.

[Galathée]

Albérich sourit intérieurement. Marthe et son équipe étaient pleines de ressources.
Si sentinelles, grimpez cinquante toises au sud. Gaspard attendra au pied.

[Taliesin]

Bien.
Le ton était neutre mais il crut y percevoir une once de déception.
A ce soir, conclut-elle.

[Galathée]

A ce soir, répéta Albérich, avant de rompre le lien magique.
Il demeura un instant immobile et silencieux, surpris à nouveau par la violence qu'il sentait chez la juge, quelque chose qu'il avait du mal à lui associer. Avait-elle été complètement métamorphosée par son voyage à travers les Landes, au point que d'éviter les sentinelles plutôt que de les massacrer lui occasionnait une déception ? Le Luménien avait l'impression de découvrir une personne tout à fait différente de celle dont il avait accompagné le cheval lorsque les cannibales les avaient pris en chasse. Il avait un peu peur de leurs retrouvailles, même si, et c'était une chance, ils partageraient le même but. Qu'il ait l'espoir de reprendre Clairétoile aux Ithiliens ne signifiait pas qu'il ait davantage l'intention de les tuer que la veille, cependant...
" Ça va ? demanda Hubert.
— Oui. J'ai la sensation que Marthe veut du sang, mais à part ça... ça va, oui."
Il soupira.
" Bon, je vais remonter... Tu vas rester à guetter Giovanni ?
— Sans doute, oui. Il me faudrait un bon livre...
— Je vais t'envoyer Alban avec ça."
Puis, sur un clin d'oeil, il laissa le paladin à sa porte et regagna les étages.

[Taliesin]

L'écuyer fit son apparition de longues minutes plus tard, l'air embarrassé. Peut-être à cause de leur récente conversation. Peut-être à cause du livre qu'il avait choisi.
-Ne sachant pas si vous étiez familier de la langue des Anciens, j'ai choisi un ouvrage avec... beaucoup d'images... fit-il, hésitant. Mais comme ce sont des images de la ville autrefois, j'ai pensé... que ça vous intéresserait peut-être.

[Hubert de Maleval]

Hubert rit de bon coeur.
" Un ouvrage avec des images..."
Il se reprit rapidement, se souvenant de la manière dont Alban prenait tout au premier degré.
" Un excellent choix. Merci de ta diligence."

[Taliesin]

Il s'était repris vite mais... pas assez vite, manifestement, car le gosse était devenu pivoine.
-Bo... Bonne lecture, messire, bafouilla-t-il avant de détaler.
Le volume contenait des images, oui. De magnifiques images dont le temps n'avait atténué ni la précision, ni les couleurs. Elles présentaient, avec un luxe de détails inouï, des vues de la cité, qu'il s'agisse de panoramas généraux, de rues ou de places, d'édifices précis, le tout avec des figurations d'habitants de l'époque vaquant à leurs activités. Peut-être y aurait-il moyen, grâce à ses illustrations, de déterminer l'usage de tel ou tel bâtiment... Pour le reste, le texte ne faisait pas défaut, même si Hubert ne pourrait au mieux, en se concentrant énormément, n'en saisir que très vaguement le sens général.

[Hubert de Maleval]

Histoire de ne pas tenter le diable — ou l'Ithilien, en réalité — Hubert décida de rester du côté palais des portes en métal. Il irait jeter un oeil à l'extérieur à intervalles réguliers, s'il n'entendait pas quelqu'un frapper sur la paroi. Puis il se plongea dans l'examen du livre, avec l'intention d'en tirer des informations utiles. Comme il n'était déjà pas très bon lecteur en commun, il n'essaya cependant pas de déchiffrer le texte obscur qui accompagnait les gravures. S'il voyait quelque chose d'utile, il demanderait à Albérich, Giovanni ou l'un des instituteurs de le lui traduire...

[Taliesin]

Grâce en particulier aux personnes figurant sur les images, il lui sembla identifier une bibliothèque, des thermes, des temples, des lieux dédiés au commerce, aux arts ou à des réunions publiques, même des bâtiment à visée sinon militaire, au moins policière ou judiciaire... Le souci était que, dans la réalité, il n'avait vu aucun de ces édifices : sans doute faudrait-il qu'il se renseigne auprès des éclaireurs ou qu'il fasse des comparaison à partir du plan reproduisant le panorama visible depuis les remparts...
Quoi qu'il en soit, le temps s'était écoulé sans qu'il puisse le mesurer. La seule chose certaine, c'est que personne n'avait encore toqué à la porte.

[Hubert de Maleval]

Refermant le livre, il s'étira un moment, puis décida d'aller jeter un oeil dans le souterrain. Il n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, mais s'il avait été vraiment tard, on lui aurait sans doute envoyé un écuyer pour prendre de ses nouvelles. S'il n'y avait personne, il remonterait un ou deux tonneaux de boissons supplémentaires, comme il l'avait prévu avant qu'Albérich ne court-circuite sa première impulsion, puis reviendrait prendre sa garde.

[Taliesin]

Le couloir étant on ne peut plus désert, Hubert mit son plan à exécution.
A l'étage, les membres de la Communauté, autorisés depuis la veille à arpenter salles et couloirs à leur convenance, prenaient peu à peu possession des lieux, explorant, admirant, bavardant entre eux... Si de la lumière filtrait encore par les vitraux, elle se faisait peu à peu moins vive, signe que le crépuscule approchait.
Les diverses expéditions ne tarderaient pas à rentrer. Néanmoins, quand Hubert retourna jeter un coup d’œil dans le couloir, celui-ci était toujours aussi vide.

[Hubert de Maleval]

Puisqu'il en était réduit à attendre et attendre encore, le paladin se mit en quête de quelque chose qui pourrait lui servir de siège : un tonneau, une chaise, n'importe quoi pour poser son postérieur. Tout en musardant dans les caves, il lui apparut clair qu'il était nécessaire de solutionner ce problème de porte au plus vite. Il ne supporterait pas de rester en sentinelle, jour après jour, pour faire entrer et sortir les promeneurs. Il deviendrait fou bien avant la fin de la veille...

[Taliesin]

Les éclaireurs revinrent en premier et Conrad lui apprit qu'ils étaient à nouveau tombés sur un édifice public aux allures de tribunal, sur un autre qui était peut-être le siège de quelque institution ainsi que sur ce qui était manifestement un temple.
Suivirent Thibault, Gaspard et leurs compagnons, ramenant avec eux des documents tirés de coffres de métal : des archives, à vue de nez.
Mais toujours point de Giovanni, alors que la nuit était probablement sur le point de tomber.

[Hubert de Maleval]

Hubert salua tous les groupes qui rentraient, soulagé qu'ils n'aient pas fait de mauvaises rencontres pendant leurs pérégrinations. Il ne les accompagna cependant pas vers les étages : Albérich pouvait les réceptionner et prendre connaissance de ce qu'ils rapportaient. Giovanni manquait toujours à l'appel et le paladin commençait à devenir nerveux. Sans doute le barde avait-il voulu prendre le temps d'évaluer précisément la situation, sachant qu'il ne pourrait sans doute pas retourner une seconde fois jusqu'à la forteresse. Peut-être devait-il faire un détour pour rentrer, afin de ne pas alerter des patrouilles ithiliennes.
Mais il savait qu'on s'inquiéterait pour lui. Il avait promis de rentrer avant la nuit.
Dans les souterrains et les passages secrets, comment savoir l'heure qu'il était ?
Les Ithiliens avaient pu piéger ces passages. Placer des glyphes. Attendre le retour de ceux qu'ils savaient en goguette...
Lothar était membre de l'état-major, il savait beaucoup trop de choses sur la communauté, son savoir, ses intentions.
Mais Giovanni allait rentrer.
Hubert se maudit d'avoir accepté d'envoyer le barde, seul, jusqu'à la forteresse.
Il se demanda comment la nouvelle énergie d'Albérich résisterait à ce genre de perte, d'emblée.
Il soupira, se rassit sur son tonneau, se massa les arcades sourcilières. La journée avait été d'un ennui profond et maintenant, à l'impuissance s'ajoutait l'angoisse. Il n'était décidément pas fait pour ça...