[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

Varamyr arborait désormais une moue dubitative.
-Je comprends et respecte le point de vue de messire Megrall. Cependant, je crains que nous limiter aux actions n'entrainant aucun risque de perte humaine ne nous amène sous peu à ne rien faire sinon attendre. Quoique.. Attendre tandis que des civils sont aux mains de militaires hostiles peut aussi se solder par des morts...
Il haussa les épaules.
-Enfin, je ne suis pas le mieux placé pour donner mon avis : je n'ai pas de parent parmi les prisonniers.

[Hubert de Maleval]

" Le problème c'est que si pour conserver nos chances, nous devons moucher celles des autres, quelle est la justice là-dedans ? Je pense que les parents voudront minimiser les risques pour leurs proches détenus. C'est comme ça que j'agirais, en tout cas, si j'avais quelqu'un de cher entre leurs mains. J'attendrais d'être certain de pouvoir le sauver avant d'intervenir. Je préfère attendre un peu plus longtemps et avoir la certitude de le retrouver, que de me ruer dans une entreprise où sa vie pourrait être balayée."

[Taliesin]

-Attendre un peu, oui. Attendre des mois... je suis déjà plus dubitatif. Or, à moins que des renforts ne soient déjà en route depuis des veilles entières, je ne vois pas comment la situation pourrait se décanter en notre faveur sans que nous ne fassions rien avant... des mois.
Nouveau haussement d'épaule.
-Enfin, nous sommes en démocratie : l'assemblée décidera. Cependant, je préfère te prévenir qu'il ne faudra pas compter sur moi si le plan est de rester enfermé ici. N'y vois pas de la mauvaise volonté : ce n'est nullement le cas. Simplement, les Paludiers ne sont pas des gens qui peuvent vivre cloîtrés.

[Hubert de Maleval]

Hubert faillit lui répondre que les paladins non plus n'étaient pas faits pour crapahuter dans des tunnels, ou veiller sur des portes magiques, mais il s'abstint. Varamyr avait la liberté de disposer de lui-même, il avait rempli sa part du contrat et il les aiderait certainement dans la mesure de ses possibilités. En l'absence de Guillermo, il serait le conseil pragmatique qui leur faisait peut-être défaut. Il ne savait plus exactement où se situait Albérich là-dedans.
" Nous ferions mieux d'aller nous coucher. L'aube sera là assez tôt et j'imagine que le conseil aura lieu juste après la cérémonie à Lathandre. J'ai du sommeil en retard, de surcroît."

[Taliesin]

Le Paludier acquiesça.
-Avant que je n'oublie... Si vous en avez le temps, discutez de la possibilité de laisser mon compagnon s'aérer de temps à autre. Si cela vous paraît trop risqué, ce que je comprendrais très bien, il faudra que nous trouvions une autre solution : je pourrais, par exemple, aller établir un avant-poste à l'extérieur et, depuis ce point, aller observer l'ennemi. C'est ce que font Ézéchiel et ses compagnons et ils semblent ne pas trop mal s'en tirer.

[Hubert de Maleval]

Le paladin s'immobilisa sur la première marche de l'escalier.
" Ezéchiel ? fit Hubert, surpris. Tu l'as vu ? Il va bien ?"

[Taliesin]

-Freya, qui dispose de pouvoirs shamaniques, a rêvé des membres de son clan qui ont accompagné ici les trois Sunites. Elle a vu qu’Ézéchiel et quelques éclaireurs étaient avec eux. Tous en bonne santé, tous occupés à surveiller les mouvements des Ithiliens. Je ne puis pas t'en dire davantage.
Il grimaça légèrement.
-Puisque nous avons abordé le sujet... Qui est ici ? Qui est à la forteresse ? Qui a péri ?

[Hubert de Maleval]

" Barthélémy a péri. Et Mathias. Les deux paladins sunites que tu n'as pas rencontrés. Sinon... Giovanni, Gabriel et Edgar sont avec nous. Comme les mômes. Je ne sais pas s'il y a des gens en particulier dont tu voulais avoir des nouvelles. Guillermo est en maraude dans les couloirs, traquant ses anciens alliés. Etienne est prisonnier. C'est Louis qui nous a vendus aux Ithiliens... et on n'a aucune nouvelle de Frida. Je ne sais pas si elle est dans la forteresse, si elle est sur la route, si elle est morte... Je demanderai à Albérich d'essayer de la contacter, cela dit. Je ne crois pas qu'il l'ait déjà fait."

[Taliesin]

Varamyr n'avait montré sa surprise qu'un bref instant. Puis son expression s'était durcie.
-Je ne l'ai jamais senti, ce chevalier d'opérette, lâcha-t-il. Bien sûr, ce n'est pas une preuve en soi : je déteste les prétentieux, les gens qui se donnent de grands airs... Mais disons que je ne suis pas très surpris que ça vienne de lui plutôt que d'un autre.
Il fixa Hubert, un instant.
-J'imagine qu'on se dispute déjà pour savoir qui aura le droit d'abattre cette charogne ?

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit du franc parler de son interlocuteur.
" Je ne le sentais pas, moi non plus. Je suis heureux que tu partages mon impression, je dois dire. Je commençais à me dire que j'étais le seul à avoir perçu la fêlure avant la trahison."
Il soupira.
" Quant à son destin... Je suis paladin, je ne peux pas imaginer préméditer ce genre d'actes... Mais je n'ai pas l'intention de lui faire de cadeaux, si nous devions croiser le fer."
Il n'oublierait pas de sitôt la manière dont Louis avait lâché les arbalétriers ithiliens sur lui. Ni les morts dont il était responsable, et le rêve brisé de son amant. Comment avait-il pu faire une chose pareille à quelqu'un qu'il aimait ? C'était absolument inimaginable. Sauf si tout avait été trahison, depuis le premier jour.

[Taliesin]

Varamyr lui avait rendu son sourire.
-J'espère que tu ne m'en voudras pas si je l'abat d'une flèche avant que tu n'aies pu l'affronter. Ce ne sera que le fruit d'une maladresse de ma part, je te prie de le croire.
Ils étaient désormais de retour au rez-de-chaussée.
-Hum, tu as parlé de gosses, à l'instant... Rassure-moi : tu parlais de tes écuyers ou des enfants de la Communauté, non des rejetons des cannibales que vous aviez... capturés ?

[Hubert de Maleval]

" Oh si, Varamyr, ils sont avec nous. Une partie du moins, ceux qui sont presque... apprivoisés... C'est Gabriel qui en a la charge et il veille sur eux comme une mère poule. Je te conseille de les ignorer, si leur présence t'est insupportable. Ils ont l'air d'avoir... décidé que nous avions des ennemis communs, ce qui les rend moins dangereux. Vu leur clan d'origine, j'imaginais qu'ils nous considéreraient comme des faibles, d'avoir perdu notre forteresse, mais c'est visiblement le contraire... Enfin, de toute façon, je suis opposé à ce qu'ils se retrouvent une arme dans les mains, quelle que soit la situation."

[Taliesin]

-Des ennemis communs ? Veux-tu dire que leur clan a eu affaire aux Ithiliens ? Hum... Cela expliquerait qu'il se soit à ce point éloigné de ses terres ancestrales. Et cela corroborerait certaines rumeurs voulant qu'Ithilion lance parfois des opérations pour pacifier les régions les plus proches de ses portes...
Sa grimace reparut.
-Peut-être que cela suffira à pousser ces gamins à s'intégrer. Le souci, c'est que c'est un "peut-être", non une certitude. Bref, les amener ici était imprudent, et j'espère que vous les ligotez pendant la nuit ou, au moins, que vous placez toutes vos armes sous bonne garde.

[Hubert de Maleval]

" Je crains que nous ne fassions ni l'un ni l'autre, dit le paladin. Gabriel... Gabriel les gère. Et il ne nous a rien demandé de tel. Je sais que leur présence... est problématique. Mais les Ithiliens les auraient sans doute passé par le fil de l'épée. En cela, nous avons fait une bonne action."
Il haussa les épaules.
" Mais voilà... Je sais que c'est compliqué à comprendre pour quelqu'un de pragmatique comme toi, mais les Lathandrites... sont lathandrites. Nous ne pourrions pas vraiment agir autrement."

[Taliesin]

-Vous, non. Moi, si.
Il s'immobilisa, son front se plissa. Un instant, son regard se fit vague.
-voilà, reprit-il. Mon compagnon viendra de temps à autre s'assurer que tout va bien. Libre à vous de prendre le risque de vous faire égorger pendant votre sommeil mais en ce qui me concerne... Je préfère privilégier la prudence.

[Hubert de Maleval]

Misère, Varamyr était encore plus sinistre que dans son souvenir. Bien sûr, il n'était lui-même pas ravi de la présence des gamins — il aurait de loin préféré que Gabriel s'emploie à faire sortir davantage de colons — mais il ne servait à rien d'entreprendre le jeune prêtre lathandrite sur cette question.
" Aucun de ces gosses n'a l'aura tachée. Egorger quelqu'un... c'est un peu extrême, je pense. Mais tu as raison : prends les précautions qui t'agréent."
Il était encore parti pour une mauvaise nuit : les événements se liguaient contre lui.

[Taliesin]

-Tuer quelqu'un qui a tué tous vos proches n'est pas forcément un acte mauvais.
Le Paludiers paraissait agacé.
-Vous ne connaissez pas ces clans comme nous les connaissons, Hubert. Et vos valeurs, vos principes, pour louables et respectables qu'ils soient... ne sont guère appliqués à un endroit tel que les Landes où souvent, plutôt que de vivre, on se préoccupe de survivre. Alors tant pis si vous me prenez pour un paranoïaque : je fais ce que mon expérience m'a appris à faire en pareilles circonstances. Enfin, pas tout à fait : je toruve un compromis. En l'occurrence, tu n'as pas à t'en faire : mon compagnon ne sera vu et entendu de personne.

[Hubert de Maleval]

" Varamyr, je ne sous-entendais rien de tel... C'est juste... Nous cohabitons avec eux depuis plusieurs jours sans qu'il y ait eu le moindre heurt, la moindre violence, la moindre rixe... Mais je suis prêt à te croire. Et nous en parlerons demain avec Gabriel. Nous pouvons sans difficultés les enfermer dans une autre salle, par exemple, sans qu'il soit besoin de les attacher. Et pour cette nuit, je peux monter la garde, si ça te tranquillise. Je lèverai ma fatigue d'un sortilège demain matin."

[Taliesin]

-Ce ne sera pas nécessaire : mon llynx veillera au grain et nous tirera du sommeil si quoi que ce soit d'inquiétant se produit. Il ne sera pas nécessaire, non plus, de traiter ces gosses d'une manière différente : le faire subitement pourrait même être contreproductif. J'en appelle simplement à la vigilance, car endormir la méfiance de son ennemi est un moyen très efficace pour parvenir à l'éliminer. Peut-être n'ont-ils pas du tout ce genre d'intention : je l'espère sincèrement. Mais voilà, garder un œil sur eux durant la nuit, ça ne coûte rien.

[Hubert de Maleval]

" Ils sont vraiment petits, tu sais." dit le paladin en atteignant les zones où dormaient les colons.
Il réprima un soupir.
" Mais je sais, ça ne veut rien dire."
Ils avaient atteint la salle commune.
" Je te souhaite bonne nuit, Varamyr. Je suis heureux de t'avoir de retour parmi nous, même si les circonstances sont toujours aussi compliquées qu'à ton départ..."

[Taliesin]

-Je dirais même plus compliquées. Car avec les cannibales, on savait à quoi s'en tenir : c'était tuer ou être tué. Ici... C'est un vrai sac de nœuds.
Il esquissa un sourire.
-Mais à tout problème sa solution : nous finirons bien par la découvrir. En attendant, je te souhaite bonne nuit, Hubert. Je suis heureux d'être de retour parmi vous et de constater que tu vas bien.
Sur un salut amical, il alla se chercher un endroit où s'étendre.

[Hubert de Maleval]

Le paladin se faufila sans difficultés jusqu'auprès d'Albérich. Le Luménien dormait profondément, les traits parfaitement détendus, et Hubert se sentit envahi par une bouffée de tendresse qui lui tordit le ventre et lui mena les larmes aux yeux. Il n'avait pas peur pour lui-même, mais se retrouver dans cette situation inextricable auprès de celui qu'il aimait était finalement aussi douloureux que l'avait suggéré Giovanni plus tôt. S'il avait pu, malgré le rôle qu'Albérich devait jouer dans leur destinée, il l'aurait envoyé loin, très loin, à l'abri, dans un endroit où personne ne pourrait jamais le toucher et lui faire du mal.
C'était la fatigue qui parlait bien sûr, le résultat de cette journée à attendre, les effets secondaires de l'étreinte parfaite qu'ils avaient partagée dans cette cave antique. Un peu de tout.
Il se coucha à même le sol, peu gêné par le froid, et regarda le plafond un moment, dont les superbes moulures avaient survécu à mille ans de silence. Il osa tendre le bras pour poser une main sur cette hanche qui l'avait nargué si souvent. Albérich soupira sous sa paume et il sourit.
Il pouvait relâcher sa garde, le lynx veillait et il s'éveillerait cette fois aux côtés du clerc.

[Taliesin]

Il en alla comme il l'avait espéré.
Le lynx ne le tira pas du sommeil et lorsqu'il en émergea, le clerc faisait de même, tout près de lui.
Bien qu'il fasse aussi sombre qu'au moment où il s'était couché, l'aube approchait, il le sentait.
Autour de lui, tout le monde dormait encore, le silence n'était troublé que par de calmes respirations...

[Hubert de Maleval]

Albérich lui décocha un sourire tranquille et ils quittèrent tous deux la pièce à pas de loup. Gabriel ne tarderait sans doute pas à les rejoindre mais ils profitèrent de cet instant en tête à tête, le clerc glissant la main dans le creux du coude du paladin pour qu'il le guide dans l'obscurité.
" Bien dormi ?
— Comme un loir."
Ils s'éloignèrent et le paladin ne reprit la parole que plus loin.
" Est-ce que tu penses que... tu pourrais mémoriser un sortilège pour moi ?
— Heu... Si tu veux. Quoi ça ?
— Une invocation de créatures. Ta plus basique.
— Je peux faire ça, oui. Puis-je savoir pourquoi ?
— Pour les portes. Ce sont des créatures célestes, n'est-ce pas, que tu fais venir à ton aide ?
— Effectivement. Tu veux voir si elles peuvent te remplacer ?
— Ça parait farfelu ?
— Pas forcément. Ça vaut la peine d'essayer, en tout cas."
Ils avaient atteint la pièce où ils priaient d'ordinaire et se mirent en position. La cérémonie pour les colons aurait lieu un peu plus tard, une fois le soleil levé, mais le message serait le même...

[Taliesin]

Ils commencèrent donc à prier, ne tardèrent pas à entrer dans cette forme si particulière de transe, à s'emplir de l'énergie généreusement prodiguée par leur dieu...
Lorsqu'ils émergèrent, comme tant de fois sur le chemin de ronde de la forteresse désormais aux mains des Ithiliens, ils découvrirent un Gabriel radieux à leur côtés.
Mais ils n'étaient point sur des remparts, non : ils se trouvaient dans une salle de leur étrange refuge que les rayons du soleil matinal, filtrant par les vitraux, nimbait de teintes merveilleuses.

[Galathée]

Ils repartirent ensuite vers la salle commune. Albérich était un peu béat, comme de coutume, débordant d'énergie et de bonne humeur. Hubert paraissait déjà concentré et son aura pulsait comme les rayons d'un soleil intérieur. Le Luménien était moins surpris d'avoir été tant affecté par son pouvoir : en ces heures matinales, le paladin dégageait quelque chose de formidable.
" Encore les thermes ?
— Pour aujourd'hui, oui. Je n'ai pas encore trouvé mieux. Et c'est une ouverture aux Sunites.
— C'est un peu étriqué, quand même.
— Il y aura moins de monde aujourd'hui."
Il ferait plus court, aussi.

[Taliesin]

Il y eut moins de monde, effectivement.
Pour autant, les rangs ne furent pas clairsemés et plus de la moitié des colons les rejoignirent aux thermes. Thibault fut du nombre, évidemment, ainsi que Giovanni, ses apprentis - qui semblaient s'ennuyer -, les écuyers d'Hubert - qui devaient estimer que leur place était aux côtés de leur maître en toutes circonstances -, Gaspard, Marthe, tant d'autres encore... En revanche, les instituteurs étaient aux abonnés absents, de même que l'ensemble des Paludiers.

[Galathée]

Albérich ne s'en formalisa en rien. Pour une communauté laïque, ce n'était pas si mal, et il n'avait nulle intention de convertir qui que ce soit. Il voulait que son intervention soit opportune, mais pas opportuniste. Il cessa d'ailleurs très rapidement de s'inquiéter de l'assemblée pour entrer dans le rituel classique de la cérémonie matinale, exactement comme il l'avait célébrée à Luménis autrefois. Quand il en eut terminé, il laissa la place à Thibault, l'estomac grommelant. Dès que le petit déjeuner aurait été expédié, le conseil commencerait, et ils avaient du pain sur la planche.

[Taliesin]

Thibault fit bref. A dessein, sans doute, même s'il n'avait pas non plus les moyens d'organiser le type de rituel que les Sunites offraient d'ordinaires aux profanes.
Albérich s'était à peine engagé dans le couloir que Marthe se porta à sa hauteur.
-Belle cérémonie, fit-elle.
Son sourire se fit embarrassé.
-As-tu eu le temps de contacter Ézéchiel ?

[Galathée]

" Non, je sors de mes prières. Mais je vais y aller de ce pas. Je crois que nous pouvons commencer le conseil sans lui, cependant..."
Il chercha Hubert du regard. Le paladin s'approcha aussitôt.
" Nous descendons déjà dans les profondeurs."
Hubert acquiesça et lui emboîta le pas. Quand ils furent devant la porte de métal, le Luménien prit cependant le temps d'incanter.

Albérich -> Convocation de créatures (1)

Et puisqu'il fallait des mains, il appela un singe céleste.