[Lieu] La ferme Desmoulins

[Galathée]

" Les chevaux ne vomissent pas, apprends-le. Je pense que les vaches non plus. Ta femme doit savoir tout ça. Donc, les elfes, ma foi... Avec leur amour de la verdure, ce n'était pas complètement stupide de les classer parmi les ruminants !"
Il sourit largement. Constance vint s'asseoir à côté de lui.
" Tu racontes encore des bêtises, je suppose.
— J'essaie d'assécher mon potentiel. Histoire de t'épargner quand je remonte à bord."

[Taliesin]

-Et crois-moi, il met le paquet, dit-il au capitaine. Tellement, même, que je pense pouvoir affirmer sans me tromper qu'il sera incapable de dire des bêtises durant... allez, vos deux premiers jours de navigation.
Il refit face au halfelin.
-Et tu es définitivement obligé de venir à mes cours. Parce que le coup de la verdure, c'est un horrible préjugé. Personnellement, j'adore la viande.

[Galathée]

" Constance, capitaine de mon coeur, je vais écourter ma permission. Puis-je remonter à bord dès cette nuit ?
— Vu l'heure, et vu l'endroit où nous nous trouvons, je crains que ce ne soit pas possible..."
Le halfelin soupira.
" Je dois m'occuper de pelleter la crotte de mouton, Taliesin. Je suis désolé. Et puis je suis trop vieux pour apprendre quoi que ce soit. Mes préjugés sont inscrits dans du marbre."

[Taliesin]

-D'une part, il n'est jamais trop tard pour apprendre. D'autre part, tu mésestimes grandement tes capacités d'évolution. Or, comme je suis ton ami, il importe que je t'apprenne à te juger objectivement. Voilà pourquoi tu n'échapperas pas aux cours. Mais allez : si tu es un élève sage et appliqué, si tu donnes le bon exemple au reste de la classe, je te laisserai peut-être lui parler des halfelins.
Il revint à Constance.
-Est-ce que ça te va si je le garde... six mois, disons ? Je pense qu'il sera au point sur les elfes, d'ici là. Sans compter qu'il aura pu nous aider pour les moissons...

[Galathée]

" Désolée, Taliesin, mais c'est mon matelot. Si tu veux le garder, tu dois me payer un lourd dédommagement pour rupture de contrat. Et le payer, bien sûr."
Guéric sourit de toutes ses dents.
" Tu mésestimes la loyauté des marins, Taliesin ! Mon capitaine, c'est mon capitaine !
— De plus, moins il en saura, moins il me contredira. Donc je suis contre son instruction.
— Oh ben heu... Ouais, d'accord, c'est de bonne guerre."

[Taliesin]

Il poussa un profond soupir.
-Bigre. Non seulement Guéric demeura ignare en ce qui concerne les elfes mais, de surcroit, comme nous manquerons de bras pour les moissons, nous n'arriverons pas à les mener à bien, nous serons donc à court de nourriture comme d'argent et, quand vous reviendrez, la ferme aura été vendue à de nouveaux propriétaires tandis que nous serons loin, errant sur les routes pour mandier notre pain... Mais si c'est pour respecter la proverbiale loyauté des marins... Soit.

[Galathée]

" Ah, les bardes. Toujours à raconter n'importe quoi, dit Constance. Tu as trouvé ton maître, Guéric, tu peux capituler.
— Tu as raison. Mais je n'avais nulle envie d'entrer en compétition. Je sais reconnaître un expert quand j'en rencontre un.
— Cela dit, si vous cherchez vraiment du travail après l'été, j'embauche. Pas n'importe qui. Galathée tombe trop vite malade à bord, de ce que j'ai entendu dire, mais toi, si tu as faim... Je veux bien te dépanner. Bon, évidemment, puisque tu seras miséreux, je ne te paierai pas cher. Je veux dire : avoir de quoi manger devrait te suffire.
— Et Baptiste dans la coquerie.
— D'accord."

[Taliesin]

-Hé, mais il semblerait bien que les marins soient concurrents des bardes, pour ce qui est de raconter des bêtises... fit-il, souriant. Il n'empêche : c'est très généreux à toi, Constance. Le seul souci, c'est que je tiens à ce que ma famille reste unie. Par conséquent, si Baptiste et moi venons, il faudra aussi accepter Galathée, Victor, les jumeaux... et le chat, tant qu'on y est. Par ailleurs, comme je ne saurais séparer trop longtemps mes garçons de leurs amis, il sera nécessaire d'embarquer Gurvan, Hippolyte, les petits Merlus... Sans compter leur père, qui tiendra à veiller sur eux. Bref, la Liberté ne manquera ni de bras... ni d'animation.

[Galathée]

" Hé, ce n'était pas ma proposition. Baptiste et toi ou personne. Je ne suis pas une oeuvre de bienfaisance. Si tu es trop gourmand, tu restes à terre. Des matelots à la recherche d'une bonne place sur un voilier solide, il y en a treize à la douzaine !"
Guéric leva des mains désolées.
" Faudra que tu te débrouilles, mon vieux. La moisson, c'est pas au goût de tous. Mais je vous ramènerai du poisson, promis.
— Mais les garçons auront tous pris un an : ils seront plus grands, plus costauds, plus efficaces."

[Taliesin]

-C'est vrai. Mais nous avons perdu Antoine et Robin, les deux plus grands, ainsi que Mathilde. Et ceux qui restent ayant pris de l'âge, qui sait s'ils n'auront pas des velléités de révolte face à un si lourd travail ?
Il sourit.
-Mais en réalité, je ne m'inquiète pas un seul instant. Nous nous en tirerons malgré la scandaleuse défection de Guéric. Au pire, comme Galathée a recommencé à travailler, comme je reprendrai moi-même mes activités de barde, nous aurons de quoi embaucher des ouvriers agricoles.

[Galathée]

HRP : Robin est parti, finalement ? Je pensais qu'on l'avait estimé trop jeune...

" Les enfants Merlus reviendront aider leur père aux moissons, tu le sais bien : ça fait partie de la culture familiale, comme les vendanges ou l'agnelage, dans d'autres familles, dit Guéric, joyeusement. Mais je suis flatté que tu m'estimes à ce point indispensable.
— Je pense qu'il se fichait de toi.
— Je peux faire semblant de ne pas m'en rendre compte."
Tim avait arrêté de jouer de la musique et regardait le ciel un peu plus loin, tranquille. C'était le dernier levé hormis les trois bavards. Guillhem s'était en effet éclipsé un peu plus tôt, discrètement, non sans laisser une bouteille à disposition sur la table.

[Taliesin]

HRP : Il me semble qu'il était quand même parti finalement, chez un mage, pour préparer son entrée future à l'université...

-En fait, je ne me fichais pas de lui : quand il est à la fermei, il ne chôme vraiment pas, bien au contraire. D'accord, personne ne chôme jamais, ici, mais quand même, il fait largement sa part.
Il jeta un long regard en direction du clerc, hésitant. Il avait envie de l'inviter à les rejoindre mais craignait de le déranger sans sa contemplation de la voûte céleste... Quoi qu'il en soit, il prendrait soin de lui dire un mot avant d'aller se coucher.

[Galathée]

" Je sais qu'il ne chôme pas, sinon je l'aurais débarqué depuis longtemps. Mais je vais aller me coucher."
Elle se leva.
" Je ne vous dirai rien, vous n'en tiendriez pas compte." ajouta-t-elle avant de gratifier le halfelin d'un clin d'oeil et de s'éclipser.
Guéric poussa un soupir d'aise.
" Les vagues contre les blés, j'ai choisi, désolé."

[Taliesin]

-Tu ne dois surtout pas être désolé, répondit-il d'un ton léger après avoir souhaité la bonne nuit à Constance. D'accord, tu m'abandonnes. Que dis-je, tu me trahis ! Mais que vaudrais-je si j'imposais à mes amis une vie dont ils n'ont point envie ?
Il se fendit d'un nouveau regard hésitant, cette fois en direction de la bouteille. Mais se servir à nouveau ne serait pas très raisonnable, d'autant qu'ils n'allaient pas tarder à aller se coucher.
-Tu es un marin, Guéric, et c'est comme ça qu'on t'aime, conclut-il.

[Galathée]

Guéric avait saisi le regard du barde et il se leva pour aller remplir leurs verres. Tim musardait toujours dans le jardin, se promenant entre les buissons et les parterres, à la lumière de la lune.
" N'essaie pas de me changer, je suis très récalcitrant." dit le halfelin.
Il s'assit à nouveau.
" De toute façon, ce qui compte, c'est la liberté, pas vrai ?"

[Taliesin]

-Oh que oui. Je ne donnerais pas cher de ma santé mentale si je devais en être privé longtemps...
Il parlait d'expérience mais refusa de s'attarder sur de pénibles souvenirs.
-Et je crois que je ne réalise pas encore à quel point je l'ai retrouvée. D'accord, je n'ai pas de grands projets mais quand même : pouvoir quitter notre domaine, pouvoir aller où je veux, quand je veux... Ça va me faire un sacré changement !

[Galathée]

" Je comprends. J'ai été en prison, moi aussi, plus d'une fois... et je me dis que je devrais t'enseigner à toi les bases du crochetage, plutôt qu'à Victor ! Enfin, à tous les deux, ce ne serait une perte pour personne."
Il bâilla.
" Bon... A toi de me raconter une histoire. Sinon je vais m'endormir et je veux voir l'aube."

[Taliesin]

-Autre solution : on se couche maintenant et tu te lèves très tôt. Ainsi tu pourras la voir ! Tu pourras même l'admirer en compagnie de Gurvan qui, je suppose, sortira pour prier... Je dis ça parce que sincèrement, te raconter une histoire, a fortiori une histoire qui durerait des heures, ça risque d'être un poil compliqué... Bon, je pourrai te narrer la veille qui vient de s'écouler, mais ça n'aurait rien de passionnant et...
Il s'interrompit.
-Oh mince, j'avais promis à mon voisin de la cellule d'à côté que je parlerai de lui à Henri... Apparemment, il est dans le quartier des personnes en attente de procès depuis des lustres et on ne lui donne aucune nouvelle de son dossier...

[Galathée]

" Henri repassera sûrement demain pour le déjeuner. Tu pourras lui en parler à ce moment-là, dit Guéric en haussant les épaules puis bâillant spectaculairement. C'est toi qui dois contempler l'aube, cela dit, pas moi. C'est toi dont c'est le nouveau départ. Moi... j'ai eu ma seconde chance quand je suis monté à bord de la Liberté... Je me souviens que j'ai regardé l'aube, alors. Bon, le bateau était plein de Lathandrites, c'était forcé ! Mais si tu es trop crevé, va donc dormir, et je te réveillerai. Enfin. Peut-être pas."

[Taliesin]

Il s'était fait pensif.
-Peut-être as-tu raison, peut-être devrai-je vraiment contempler l'aube, murmura-t-il. J'ai beau ne pas vraiment faire partie de ses fidèles, j'ai déjà adressé des prières à Lathandre, en certaines circonstances, et comme il est le dieu des nouveaux départs, comme c'est ce que je suis en train de vivre...
Il hocha la tête pour lui-même.
-Je ferai ça. Mais je suis trop crevé pour veillé jusque-là, et toi aussi. Alors il faut que je trouve un moyen d'être réveillé à temps...

[Galathée]

" Hum... Tim ne va pas se lever pour l'aube..."
Le clerc se retourna vers eux.
" Détrompe-toi. Les Milites célèbrent aussi le lever du soleil. Sans doute avec moins de ferveur que les Lathandrites, mais vu que nous ne sommes qu'au printemps, accompagner le jour est moins douloureux qu'en été."

[Taliesin]

-L'aube est un puissant symbole...
Taliesin sourit.
-Bon et bien, j'ai une grande mission à te confier : me réveiller avant d'aller la saluer. Et réveiller Guéric, aussi : après tout, c'est lui qui m'a donné l'idée et il tenait absolument à la voir...

[Galathée]

" Je vais tâcher de régler mon réveil interne, dit le Milite, avant de sourire. Mais je suis surpris... Vous n'avez pas un coq, dans cette ferme ? Ou bien vous êtes tellement habitués que vous ne l'entendez plus chanter ? C'est généralement un excellent signal, pourtant... Bon, on n'a plus trop le temps de se débarbouiller quand il commence à s'égosiller, mais l'aube n'a pas forcément besoin de nous trouver sous nos meilleurs atours..."

[Taliesin]

-De toute façon, être frais, dispos et sur son trente-et-un si tôt, c'est interdit par la morale professionnelle des bardes. Bon, d'accord, elle interdit aussi de se lever avant midi mais je suis bien obligé de faire quelques concessions... Pour le reste, j'avoue que notre coq ne m'a jamais réveillé : je dois être habitué, effectivement...
Il haussa les épeules.
-Mais donc, ne te mets pas martel en tête. Si tu es réveillé à l'aube, pense à moi. Sinon, ce n'est pas bien grave.

[Galathée]

" Ne crains rien, je te réveillerai. Je ne pense pas que je vais aller me coucher : la nuit est magnifique, et je me sens... inspiré. Donc je pense que je vais plutôt musarder sous les étoiles et composer quelque chose..."
Guéric leva les yeux au ciel.
" Mouais. On voit que vous naviguez peu. Ici, l'horizon est bouché de partout. Ce n'est pas comparable.
— Je vis dans des catacombes depuis des années. Je dois faire mon stock de visions magnifiques avant d'y retourner."

[Taliesin]

-J'espère que tu en auras quelques-unes ici, que ce soit cette nuit ou demain...
Il termina son verre.
-Bon, mais je crois que je vais à nouveau déshonorer ma profession et aller me coucher. Comme le disait Guéric tout à l'heure, le travail de la ferme ne s'interromp jamais et je tiens à faire ma part. Après une veille à rester les bras croisés, j'ai besoin de m'activer.

[Galathée]

" Je vais trinquer avec Tim, puis j'irai me coucher, moi aussi, dit Guéric. Et pas besoin de me réveiller pour l'aube, moi. Vous me raconterez."
Le Milite sourit.
" Bonne nuit, Taliesin. Et n'hésite pas à faire semblant que tu ne m'entends pas quand je frapperai à ta porte. Je n'en prendrai nul ombrage et je n'insisterai point. L'intérêt de l'aube, c'est qu'elle revient chaque matin, toujours pleine de promesses.
— Tu parles comme un Lathandrite.
— Hé ! J'ai beau être Milite, je sais d'où je viens !"

[Taliesin]

L'elfe s'était levé.
-Je t'entendrai, Tim. L'aube a beau revenir chaque jour, celle de demain sera spéciale. Ce sera la première d'une nouvelle vie...
Il leur souhaita la bonne nuit puis se dirigea vers les escaliers d'un pas tranquille, songeant que pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, il allait dormir aux côtés de sa compagne. Songeant que pour la première fois depuis ce qui était une éternité, il se réveillerait sans soucis, sans inquiétudes, sans angoissantes échéances...
Oui, l'aube du lendemain serait particulière, indéniablement.
Une page avait été tournée.
Une autre était à écrire.

[Galathée]

Quête : Le Berceau

La campagne luménienne se dorait désormais sous le soleil estival. C’était seulement le début du mois de Kythorn, cependant, qu’on appelait aussi le Temps des Fleurs, et les champs et prairies de la Ferme Desmoulins rivalisaient de beauté pour en chanter les splendeurs.
En quelques semaines, les choses étaient rentrées dans l’ordre sous le toit ardoisé du corps de logis. Les enfants partageaient leurs journées entre jeux, travaux agricoles et heures de classe, Guillhem veillait au bon roulement de l’exploitation avec l’aide de ses deux ouvriers halfelins et Galathée était de plus en plus souvent absente, appelée ici et là pour prendre soin des bêtes dans les fermes aux alentours.
Quant à Taliesin… Taliesin avait recouvré la liberté.

[Taliesin]

Les premiers temps, il s'était contenté de se laisser porter, de reprendre son quotidien là où il l'avait laissé avant son emprisonnement, de profiter, simplement, de la présence de sa famille et de ses amis. Ce n'est que progressivement qu'il réalisa vraiment que l'horizon n'était plus assombri par une sinistre échéance, qu'il avait été acquitté et que, désormais, une vie nouvelle débutait. A présent, il avait pleinement conscience de cet état de fait et les projets d'avenir commençaient à fleurir dans son esprit : la fête du mariage à organiser, la maison à repérer puis acheter, la situation de Victor et surtout de Baptiste à régulariser et même ces éventuelles vacances à Antelucas... Cela lui faisait tout drôle d'ébaucher de tels plans : il n'y était plus habitué et c'était bien là le signe qu'il venait de franchir un cap important dans son existence jusqu'alors mouvementée.