[Lieu] La ferme Desmoulins

[Galathée]

" Ah non, Taliesin, dit le gamin, le doigt levé et le sourire mutin. Ton objectif, ta mission, c'est d'explorer les ruines. Nous, notre objectif, c'est de nous éclater !"
Il se leva d'un bond.
" Et je crois que je vais m'éclater dans cette rivière, pour commencer !"
Il se tourna vers Baptiste.
" T'inquiète pas. Le dernier drake aqueux qu'on a vu dans la Lézarde, c'était à plus de deux lieues !"
Fier comme un coq, il sauta vers la rive et entreprit de se débarrasser de ses chausses.
" Je le hais." remarqua Baptiste d'un air tout à fait blasé.

[Taliesin]

-Moi aussi, répliqua-t-il avec un large sourire.
Il s'étira;
-N'hésite pas à aller piquer une tête si tu en as envie. On dit souvent que c'est déconseillé juste après un repas mais je crois que c'est plutôt pendant la digestion qu'il faut éviter... Et de toute façon, comme on ne s'arrêtera pas longtemps, c'est maintenant ou jamais.

[Galathée]

Baptiste acquiesça et entreprit de se déshabiller. Victor, de son côté, avait sauté dans la rivière avec énergie, avant de pousser des hurlements car l'eau était manifestement glaciale, sous ses dehors aguicheurs. Son frère y descendit avec davantage de circonspection, mais finit par s'immerger complètement lui aussi. Pendant un moment, ils s'ignorèrent, nageant chacun de son côté, puis Victor repéra un saule pleureur un peu en aval et ne résista pas à inviter Baptiste. Nul doute que si Jehan ou Benoît avait été là, les choses se seraient passées autrement.
Ils jouèrent un moment à se balancer dans les branchages, se lâchant au-dessus de l'eau dans de grandes éclaboussures. L'après-midi était idyllique... et ils venaient à peine de partir.

[Taliesin]

Il les laissa jouer un moment, tout en rangeant leurs affaires et en se disant que ce serait une bonne chose si ce périple pouvait renforcer leur complicité - et il était plus que probable que ce soit le cas. Enfin, conscient qu'il leur restait du chemin à parcourir, il les héla :
-Les gars, on part dans cinq minutes, vous feriez donc mieux de sortir de l'eau pour vous sécher.
Puis, pour se prémunir face à de prévisibles protestations :
-Et ne vous en faites pas, on croisera des tas de rivières dans les jours à venir.

[Galathée]

Mais ils ne protestèrent pas, nagèrent vers lui et grimpèrent sur la berge pour s'y sécher un moment. Ensuite, ils se rhabillèrent et l'accompagnèrent vers la route. Quelques minutes plus tard, donc, exactement comme l'avait espéré le barde, ils étaient repartis. Baptiste musardait à l'arrière, désormais, toujours à cueillir ses plantes. Victor menait Minuit en tête. Le soleil tapait fort et chacun s'était muni d'un couvre-chef, que Galathée avait sans doute rajouté dans les sacs in extremis. En milieu d'après-midi, la charrette d'un fermier les rattrapa. Elle était vide, un peu sale, et l'homme semblait aller dans leur direction.

[Taliesin]

Comme ils avaient enchaîné plusieurs heures de marche, comme les garçons devaient commencer à fatiguer, il n'hésita pas un seul instant avant de l'interpeller.
-Bonjour messire, fit-il poliment. Désolé de vous déranger mais... Pourriez-vous me dire à quelle distance se trouve le prochain village disposant d'une auberge ?
En fonction de sa réponse, il lui demanderait peut-être la permission de prendre place sur sa charrette...

[Galathée]

Le charretier, une homme rubicond d'une cinquantaine d'années, le regarda puis lui sourit.
" Je vais justement le traverser. Si vous voulez, avec vos apprentis, vous pouvez monter. Bon, ça sent un peu la fiente de poule, faites attention où vous posez les fesses... mais je crois qu'il y a une bâche sous le siège, elle doit être plus ou moins propre."
Il arrêta son chariot.
" Je sais pas comment vous faites pour marcher avec un soleil pareil. Moi, j'fais rien, et je transpire comme un glaçon."

[Taliesin]

Il lui rendit son sourire.
-Je vous rassure : la chaleur ne nous épargne pas non plus. Votre offre est donc fort bienvenue et je vous en remercie.
Il fit signe aux garçons : le tout était d'embarquer et d'atteler Minuit rapidement, pour ne pas mettre l'homme en retard.
Mine de rien, il avait bien fait de s'en remettre au hasard.

[Galathée]

Mais l'homme paraissait ravi de leur rendre service et il patienta bien volontiers pendant que Baptiste dépliait la bâche et que Victor attachait Minuit à l'arrière du chariot. Il paraissait cependant délicat de voyager tous les trois dans le dos du fermier, aussi Taliesin fut-il invité à rejoindre Gabin — c'était son nom — sur le banc à l'avant. L'homme revenait du marché de Bourg-les-Roses, un patelin dont le barde avait entendu parler, au sud de Pré-aux-Sources, où il avait écoulé pas moins de soixante pondeuses de première qualité, ainsi que plusieurs centaines d'oeufs. Il élevait des poules dans une petite exploitation au bord d'un des nombreux affluents de la Lézarde, plus au nord, et traverserait Montsilence avant de bifurquer sur la sente de terre qui y menait.
" C'est un bourg intéressant, pour un homme de votre art, — il avait repéré la harpe sur le bât de leur cheval —, il y a une légende sur la petite éminence qui la voisine. Mais je vous laisse la découvrir quand nous y serons."

[Taliesin]

-J'en connais un qui va être content, dit-il en jetant un regard par-dessus son épaule.[color=#FFFFF66] Pas plus tard qu'à midi, il insistait pour que nous nous renseignons sur les légendes des localités qui jalonnent notre parcours.[/color]
Leur collecte commencerait encore plus tôt que prévu... Mais ce n'était guère étonnant : pour peu qu'on s'y intéresse un minimum, on pouvait trouver des histoire intéressantes sur à peu près n'importe quelle portion de territoire, pour peu qu'elle soit - ou ait été - habitée.

[Galathée]

" Est-ce que c'est une histoire de monstre ?" demanda Victor, subitement intéressé.
L'éleveur de volailles rit joyeusement.
" Pas du tout, alors là... Sauf si tu considères que certaines personnes, même bien intentionnées, puissent être des monstres à leur façon.
— Ça c'est sûr !" s'exclama le petit Desmoulins avant de retourner sur sa bâche.
Ils progressèrent rapidement mais curieusement, le trajet était plus ennuyeux. Gabin n'était pas antipathique, mais il avait une vie très rangée et peu de choses passionnantes à partager.
Ils parvinrent à Montsilence alors que le ciel fonçait doucement à l'est. Le village se trouvait à l'écart de la route et Gabin s'arrêta un moment pour qu'ils puissent descendre et détacher leur cheval. Ensuite, il les salua et s'en fut dans une allée bosselée qui serpentait vers l'ouest, à travers champs.
Montsilence ne comptait pas plus d'une cinquantaine de maisons, disséminées dans l'herbe. La butte dont avait parlé l'éleveur se trouvait au nord, colline bombée au sommet de laquelle poussait un unique arbre.
" On peut aller voir tout de suite ?" demanda Victor, excité après cette longue période d'immobilité.

[Galathée]

Taliesin et les quatre enfants avaient effectué les dernières lieues à pied, après qu'un fermier charitable les ait avancés sur leur parcours. Partout autour d'eux, les moissons battaient leur plein et il y avait peu de passage sur la route : tout le monde était aux champs. Malgré la chaleur torride, Victor et Baptiste marchaient d'un bon pas. Titus et Marius étaient moins enthousiastes, Taliesin percevait leur inquiétude, mais aucun des deux n'avait voulu parler lorsqu'il les avait interrogés. Minuit paraissait également flairer la proximité de l'écurie, et lorsqu'ils arrivèrent en vue de leur petit domaine, le hongre tira sur sa longe, passant du pas au trot et du trot au pas en fonction de la fermeté du barde. Victor se mit à courir, Baptiste resta plus calme, et le petit Desmoulins fut le premier à franchir le portail et à disparaître au coin de la haie, tandis que des aboiements joyeux résonnaient à son approche.
Ils étaient, enfin, rendus.

[Taliesin]

La fin d'un long périple.
Le début d'une nouvelle étape.
Taliesin avait hâte de revoir Galathée, car sitôt qu'il n'avait plus été dans le feu de l'action, plus obnubilé par l'urgence, elle s'était mise à lui manquer de plus en plus. Dans le même temps, il appréhendait un peu leurs retrouvailles, à cause de Marius et Titus. Certes, son épouse avait bon cœur ; certes, il l'avait prévenue de leur arrivée ; certes, il était convaincu d'avoir agi pour le mieux. Toutefois, ramener deux nouveaux enfants à la maison, ça n'était pas rien...
Enfin, dans le fond, il se disait qu'il s'inquiétait pour rien.
Et le plaisir d'être de retour l'emportait sur tout le reste. D'autant qu'outre la rôdeuse, il allait retrouver les jumeaux, qui avaient dû beaucoup grandir, ainsi que les Merlus...

[Galathée]

Ils remontèrent donc l'allée qui menait à la ferme et débouchèrent dans la cour. Hormis le chien gris et noir qui les avait accueillis et Gaillard, le coq de la ferme, il semblait n'y avoir personne aux alentours. Plusieurs fenêtres étaient ouvertes, pourtant, et on percevait encore une vague odeur de nourriture dans l'air.
" Y'a personne ! se scandalisa Victor. On rentre après des MOIS et y'a personne !
— C'est parce que c'est les moissons, remarqua Baptiste. Ils sont sûrement dans les champs. Tu crois quoi ? Qu'ils allaient nous guetter depuis la fenêtre ?
— Ils auraient pu ! Ils auraient dû !"
Le chien s'était approché et reniflait Titus, sous toutes ses coutures, en remuant la queue. Le faune paraissait terrorisé.

[Taliesin]

-Ne crains rien : il est très gentil, lui dit l'elfe, aussi apaisant que possible.
Pour en donner la preuve, il se mit à caresser l'animal.
-Nous allons ranger nos affaires, annonça-t-il à la petite troupe. Ensuite, nous irons voir les autres aux champs. Nous pourrons en profiter pour leur amener de quoi étancher leur soif...

[Galathée]

Mais la porte s'ouvrit aussitôt : leur raffut avait alerté quelqu'un à l'intérieur. Il s'avéra qu'il s'agissait de Flore, la jeune femme qui s'occupait des jumeaux. Elle avait déjà écarquillé les yeux et posé le doigt sur la bouche, prête à les tancer pour un boucan qui menaçait certainement de réveiller de petits enfants endormis, mais sa surprise de les découvrir là la laissa pétrifiée.
" C'est Flore ! dit joyeusement Victor.
— Chuuuuuut, malheureux ! répondit finalement la jeune fille. Si tu réveilles les monstres, c'est toi qui les rendors !"
Puis elle s'empourpra en croisant le regard de Taliesin.

[Taliesin]

Il la salua amicalement avant de refaire face aux enfants.
-Bon, on va procéder le plus silencieusement possible, d'accord ? Parce que rendormir les jumeaux, pour ceux qui ne le savent pas, c'est très, très, très difficile ! Bref, comme l'a dit Flore, ceux qui les réveillent devront s'en occuper !
Il avait hâte de les revoir, c'était certain, mais mieux valait ne pas interrompre leur sieste...

[Galathée]

Flore s'était approchée.
" Ils viennent seulement de s'endormir et ils sont d'une humeur atroce quand ils n'ont pas assez de sommeil... Sans parler des... tracas."
Elle lui jeta un regard éloquent mais ne rajouta rien.
" Mais bienvenue chez vous... Il y a de quoi boire et manger, bien sûr, mais je crains que tout le monde ne soit sorti. Avec les grandes chaleurs, votre épouse est demandée un peu partout, et Guillhem est aux champs avec les ouvriers agricoles et ses enfants."

[Taliesin]

-D'accord, c'est ce que je pensais. Nous allons ranger nos bagages, silencieusement, cela va de soit. Ensuite, je me disais que nous pourrions leur apporter des rafraichissements. Vu la chaleur, je pense que ce serait plutôt bien accueilli...
Dans l'absolu, il faudrait leur donner un coup de main. Et ils le feraient. Quant à savoir si ce serait dès aujourd'hui... A voir s'ils avaient le temps et si c'était probant.

[Galathée]

" Je pense qu'ils ont emporté le nécessaire, et puis il y a la source, mais ils seront contents de vous voir, c'est sûr. Et Galathée devrait rentrer avant la nuit. Ou juste après. Ça dépend des jours."
Elle les précéda dans la maison silencieuse. Victor passa le premier et observa les lieux avant de partir vers l'escalier. Baptiste, de son côté, abandonna son sac et fila vers la cuisine. Marius et Titus semblaient, de leur côté, hésiter à franchir le seuil.

[Taliesin]

Il leur sourit.
-Allez, venez : je vais vous faire faire le tour des lieux. Ensuite, si cela vous dit, je vous montrerai le domaine.
Il agissait avec simplicité, sans cérémonie, se disant que c'était le meilleur moyen de dédramatiser la situation et de les aider, en douceur, à prendre leurs marques.

[Galathée]

Titus décida finalement de ne pas rentrer. Il avait posé la main sur la tête du chien, qui remuait toujours la queue avec emphase, et il jeta un regard désespéré à Taliesin, comme s'il l'emmenait à l'équarrisseur. De son côté, Marius se planta devant lui et le regarda droit dans les yeux.
" Si ça me plait pas, je m'en vais, je te le dis déjà." déclara-t-il.

[Taliesin]

Bigre, on ne pouvait vraiment pas dire qu'ils lui facilitaient la tâche.
-A ta guise. Comme je te l'ai déjà dit à maintes reprises... Tu es libre.
Il les regarda, l'un et l'autre.
-Mais rappelez-vous quand même que c'est ici que j'habite, ici qu'habitent Baptiste et Victor. Vous commencez quand même à nous connaître, depuis le temps. Vous devez donc pouvoir imaginer que notre maison n'est pas un enfer !
Le tout dit sur le ton de l'humour.

[Galathée]

" Je rentrerai tout à l'heure, dit Titus avec un sourire nerveux. Promis. Pas maintenant."
Marius franchit le seuil d'un air bravache, mais toute son hostilité disparut aussitôt, remplacée par son habituelle curiosité, et Taliesin comprit qu'il pourrait rester des heures à tout inspecter s'il n'était pas guidé au bon endroit. Mais son sac tenait en très peu de choses, des trésors cachés sur lesquels il était interdit de poser le regard (et probablement chapardés à toutes les étapes de leur parcours), une tenue de rechange, gracieusement offerte par Amrod, et son costume de Féérie. Baptiste était en cuisine et Taliesin entendit qu'il poussait des cris étouffés, tandis que Flore, postée un peu plus loin, faisait la grimace. Victor, lui, ne tarda pas à redescendre de l'étage, un chapeau de paille vissé sur la tête.
" Allons-y !" clama-t-il, avant de rougir en réalisant qu'il avait oublié de baisser la voix.
Heureusement, il n'y eut nul sanglot.

[Taliesin]

-Je dois rester ici un moment : Titus est vraiment intimidé et je voudrais lui faire visiter les environs, dans l'espoir qu'il trouve un endroit à sa convenance. Il faudrait aussi que je montre la maison à Marius...
Il jeta un regard dans la direction de ce dernier.
-Mais n'hésite pas à rejoindre les autres aux champs, Victor. Je te rejoindrai un peu plus tard.

[Galathée]

" Tu ne crois pas qu'on devrait plutôt y aller tous ensemble, tout de suite ? demanda Victor. Ça les décoincera, de voir le pré, et tout ça."
Il haussa les épaules.
" Enfin tu fais comme tu veux ! Moi j'y vais. C'est genre... à deux minutes, de toute façon."

[Taliesin]

-A tout de suite.
Il pénétra alors dans la maison pour se rapprocher de Marius.
-Je vais aller montrer les environs à Titus : souhaites-tu nous accompagner ? Sinon, tu peux explorer à ta guise. Et en cas de besoin, eh bien... Tu sais où trouver Baptiste.
Dans un cas comme dans l'autre, le petit faune allait sous peu découvrir que leur petit domaine recelait quelques endroits susceptibles de lui plaire. Du moins, c'est ce qu'espérait le barde.

[Galathée]

" Je vais explorer, dit Marius. Mais je vais éviter Baptiste, il a l'air de mauvaise humeur."
Flore jeta un coup d'oeil incertain vers Taliesin, mais ne bougea pas d'un poil. A l'extérieur, Titus avait fait la connaissance de l'un des nombreux chats de la ferme et, escorté par Gaillard, semblait décidé à jeter un oeil à l'intérieur du poulailler, nullement incommodé par son odeur épouvantable.

[Taliesin]

Ce n'était pas plus mal que Titus explore également de son côté : c'était sans doute le plus sûr moyen pour qu'il prenne ses marques. Toutefois, par acquis de conscience, Taliesin lui laissa le choix : l'accompagner pour un tour du domaine ou continuer à faire ce qu'il faisait pendant que lui-même allait saluer les Merlus aux champs, sachant qu'en cas de besoin, Baptiste et Flore étaient à proximité. Il agirait ensuite en fonction de la réponse obtenue.

[Galathée]

" Je vais rester ici, proposa Titus. Ici et autour. Je promets de ne pas m'éloigner."
Il ne restait plus à Taliesin qu'à rejoindre Victor.
Les Merlus étaient fatalement dans le vaste champ de blé : ils avaient longé les autres champs en arrivant à la ferme et ne les avaient pas vus. Taliesin traversa donc la grange dont les deux portes étaient ouvertes pour déboucher sur le chemin de terre qui longeait la ferme par l'est. Le champ de blé se trouvait juste au delà et le barde aperçut rapidement ceux qu'ils cherchaient. Ils s'étaient manifestement arrêtés pour saluer Victor : l'elfe devina la silhouette de Guillhem et celle de cinq ou six plus petites ombres, qui s'avérèrent être Félix, Benoît, Jehan et Mathieu, ainsi que les deux halfelins qui leur servaient d'ouvriers agricoles, Mungo et Bulbo.
Guillhem lui fit signe dès qu'il le vit et vint à sa rencontre, tandis que les enfants paraissaient — évidemment — plus intéressés par le récit de Victor. On le salua cependant avec chaleur.
" Bienvenue ! s'exclama le fermier en lui serrant la main. Juste à temps pour les moissons, c'est parfait !"