[Lieu] Le Pont des trois Sires

[Galathée]

" Quoi ? Heu... Qu'est-ce qu'on mange ?" demanda-t-il.
Juste à cet instant, le balafré écrasa la main du demi-orque sur la table en poussant un cri guerrier dans une langue rugueuse. La foule explosa en acclamations enthousiastes ou scandalisées tandis que la colère miroitait un instant dans le regard orangé du perdant, qui garda cependant son calme et serra la main du vainqueur. Un nain, perché sur une table, prit note du résultat et proclama le nom du vainqueur, Ribald de Vortigern. Victor applaudit à tout rompre, puis suivit le barde en se faufilant entre les gens, au prix de mille excuses.
" C'est trop bien ! C'est le concours intervillages du solstice ! Y'a des épreuves toute la semaine !"

[Taliesin]

En voilà un qui aurait envie de s'attarder quelques temps ici. Malheureusement, s'ils commençaient à le faire alors qu'ils étaient partis depuis à peine deux jours, ils n'étaient pas prêts d'arriver...
-Peut-être en verras-tu d'autres ce soir ou demain matin, tandis que nous serons en quête d'une carte et d'un coche, dit-il néanmoins. Quant à savoir ce qu'on mange... Surprise !

[Galathée]

Ils arrivèrent à table où ils découvrirent Baptiste entouré de mets délicieux. Il paraissait saliver mais les avait attendus. Victor écarquilla des yeux stupéfaits en découvrant l'assiette qui se trouvait à sa place. Son frère eut un petit sourire satisfait mais ne dit rien. On leur avait aussi apporté du pain et du beurre, un saladier plein de pousses vertes mélangées, et rechargé leurs boissons.
" Bon appétit !" lança Baptiste avant d'attaquer ses moules.
Victor acquiesça mais ne répondit rien, toujours perdu dans la contemplation de son assiette. Le marcassin avait l'air bien goûteux, lui aussi.
" Qu'est-ce que tu faisais, alors, Victor ? demanda Baptiste.
— Je te montre dès qu'on a fini de manger ! C'est trop bien !"

[Taliesin]

Quelque chose lui disait que ces deux-là n'iraient pas se coucher tôt... Mais ce n'était pas un problème et il n'entendait pas les priver d'une agréable soirée. Après tout, ils avaient passé une journée ennuyeuse à souhait à l'arrière d'un chariot et y avaient même dormi, en tout cas Baptiste. Bref, ils avaient bien mérité de s'amuser.... Et s'ils dénichaient un coche pour l'étape suivante, ce qui n'était pas impossible, ils auraient tout le lendemain pour s'y reposer.
-Prends quand même le temps de manger : tout ça a l'air fameux, ce serait dommage de l'engloutir sans savourer, dit-il d'un ton léger tout en s'attaquant à sa propre assiette.

[Galathée]

Et ils savourèrent tous les trois : c'était délicieux. Baptiste paraissait particulièrement ravi, mangeait lentement, et il sortit bientôt son carnet pour y noter quelques mots.
" Tu écris quoi ?" demanda finalement Victor, tout en se délectant de ses grenouilles qu'il mangeait avec ses doigts.
Baptiste rosit légèrement et haussa les épaules.
" Des notes... Des idées... Des associations d'aliments... Ce genre de choses."
Victor grimaça.
" Des recettes, quoi.
— C'est l'occasion, non ?"

[Taliesin]

-Tu aurais tort de te priver, intervint-il.
L'instant suivant, il se tournait vers Victor.
-Et si tu apprécies tes cuisses de grenouilles, tu devrais lui proposer de les goûter : ainsi, tu aurais une chance d'en manger de temps en temps à la maison. D'ailleurs, Baptiste, ça ne te tente pas, un morceau de marcassin ? Il est fameux !

[Galathée]

Ils finirent par s'échanger leurs plats, et Baptiste goûta de tout, prenant des notes au fur et à mesure de sa dégustation. Victor trouvait cela manifestement très bizarre, mais il se retint de faire le moindre commentaire. Quand ils eurent terminé, Victor tourna un regard suppliant vers le barde.
" Je peux l'emmener voir le tournoi ? S'il te plait, s'il te plait, s'iiiiiil te plait ?"
Baptiste haussa les épaules. Il était clair que si Victor était partant pour une nuit blanche, son frère ne tiendrait pas jusqu'à l'aube... mais il semblait encore investi d'une certaine énergie...

[Taliesin]

-Bien sûr, répondit-il. Mais je compte sur vous pour rester à l'intérieur et pour revenir me voir de temps en temps. Je serai soit ici, soit dans la salle d'à côté.
Lui-même entendait bien profiter de l'ambiance... et garder discrètement un œil sur eux. Pour le reste, s'il était prêt à laisser Victor se coucher plus tard que de coutume, cela n'irait quand même pas jusqu'à la nuit blanche : le contraire ne serait pas très responsable de sa part.

[Galathée]

Les deux garçons déguerpirent aussitôt, abandonnant leurs assiettes pour se faufiler dans la foule. Taliesin les perdit de vue dès qu'ils franchirent l'embrasure de l'arche qui séparait les deux salles. Malgré l'heure tardive, des convives continuaient à arriver. Le barde pouvait partir à la recherche des enfants, mais il lui serait probablement nécessaire de porter d'abord ses affaires dans leur chambre, s'il ne voulait pas se retrouver chargé comme un baudet — et bien peu mobile — pendant ses pérégrinations.

[Taliesin]

Songeant qu'il aurait quand même été bien inspiré de demander aux enfants de l'aider à porter leurs affaires jusque dans la chambre haut perchée qui leur avait été attribuée, l'elfe entreprit un premier voyage - au moins deux seraient nécessaires, assurément. Sa tâche accomplie, il s'offrirait un petit verre bien mérité puis, à son tour, observerait les diverses attractions de la grande salle.
Une chose était certaine : il avait l'esprit beaucoup, beaucoup plus léger que la veille.

[Galathée]

Il lui fallut effectivement faire le trajet deux fois, et ce n'était pas rien : l'auberge était un antique bâtiment aux escaliers de bois vertigineux et le troisième étage, sous le toit, était étonnamment silencieux. Le vacarme ne reprenait qu'au second étage, comme si le dernier était protégé par un sort de silence... ou de bons planchers, simplement. La chambre en elle-même n'était pas grande, signe sans doute que les hôtes du Repos des Bottes demeuraient généralement dans la grande salle. Hormis trois lits étroits, placés le long du mur l'un à côté de l'autre, il n'y avait rien. Ni table, ni chaises, tout juste trois pots de chambre, un sous chaque lit.
Une fois tous les sacs montés, le barde put gagner le comptoir, où il dut se frayer un passage parmi les nombreuses personnes qui y bavardaient ou y commandaient des boissons. Personne ne s'offusqua de sa progression, cependant : c'était la méthode admise.
Trois personnes s'affairaient derrière le bar, trois jeunes gars solides et concentrés. Derrière eux, sur un tabouret, se trouvait une grand-mère naine, qui les surveillait d'un oeil acéré, vociférant de temps en temps un ordre ou un commentaire.
" Pour vous, ce s'ra quoi ?" demanda un des serveurs à Taliesin, avec un ton qui signifiait que le barde n'avait pas le temps d'hésiter, lui non plus.

[Taliesin]

Et il n'hésita pas.
-Une bière, s'il vous plait. Blonde, si possible.
L'ambiance du lieu se prêtait davantage à siroter une mousse qu'à déguster du vin, sans compter qu'il serait plus aisé de se déplacer avec une pinte en main plutôt qu'une coupe. Car se déplacer, il le faudrait : boire au comptoir tenait de l'impossible, avec l'affluence continue...

[Galathée]

Il fut servi promptement, puis le flux naturel de la foule le renvoya vers l'arrière et les zones moins densément peuplées, entre les tables. Là aussi, personne ne semblait s'offusquer d'avoir des gens debout entre les convives assis : c'était apparemment la norme en ces soirs d'affluence. Le barde nota qu'il restait du monde autour des compétiteurs du tournoi intervillages, apparemment toujours en cours, et que les musiciens étaient toujours à l'oeuvre : ils étaient heureusement une demi-douzaine et pouvaient se relayer pour divertir les personnes intéressées par la danse. Taliesin remarqua qu'on jouait aux cartes d'un côté, qu'on avait déplié des plateaux de jeu ailleurs, qu'on bavardait partout. S'il voulait participer à la fête... cela ne tenait qu'à lui.

[Taliesin]

Le barde n'avait rien contre disputer quelques parties de cartes ou participer à un jeu quelconque, du moment que parier de l'argent n'était pas absolument indispensable - il se voyait mal prendre le risque de dilapider leur petit pécule alors qu'ils venaient tout juste de se mettre en route, sans compter le mauvais exemple que cela donnerait aux garçons. Mais d'abord, il voulait voir ce que faisaient ces derniers. Non qu'il soit inquiet les concernant. Simplement... Il se méfiait un peu de l'enthousiasme de Victor. Et puis, veiller sur eux, s'assurer que tout allait bien, c'était son rôle et l'ambiance festive ne devait pas le lui faire oublier.

[Galathée]

Taliesin dut rapidement se rendre à l'évidence : les deux garçons s'étaient séparés. Victor était près des tables de bras de fer, encourageant à nouveau les belligérants, comme s'il avait appartenu à l'un des villages qui s'opposaient. Baptiste, lui, semblait avoir disparu. Mais vu sa taille et la foule... le chercher équivalait à retrouver une aiguille dans une botte de foin. D'autant que rien ne disait qu'il demeurait en place... et il était du genre à s'être glissé en cuisine pour aller observer les marmitons à l'oeuvre et poser ses questions...

[Taliesin]

Après une longue hésitation, Taliesin décida de ne pas se lancer à ses trousses : il ne voulait pas lui donner l'impression d'être en permanence sur son dos et se disait que lui-même était assez repérable pour que Baptiste puisse le trouver s'il en ressentait le besoin. Cependant, s'il ne le voyait pas reparaître d'ici une demi-heure, il aviserait. Et en attendant, il se dirigea vers les tables où l'on jouait aux cartes, pour voir de quel jeu il était question et si tout le monde pariait...

[Galathée]

Il n'y avait nuls paris, mais dès qu'il parut s'intéresser aux jeux, il fut repéré par une table.
" Hé, heruamin, voulez-vous jouer à la Souple avec nous ? Il nous manque un joueur. Si vous ne connaissez pas, on vous apprend." le héla un demi-elfe aux cheveux châtains, sans doute un sang mêlé d'elfe des bois, ce qui expliquait son salut en elfique.
A ses côtés se trouvaient une jeune femme blonde, vêtue simplement, d'une robe de toile claire, et un homme nettement plus âgé, barbe fournie, le grand chapeau posé sur le siège à côté de lui.

[Taliesin]

Et bien, puisqu'une occasion se présentait...
-Volontiers, répondit-il, jovial. Je connais les principes de la souple mais je sais aussi qu'il existe diverses variantes. Donc si vous pouviez m'expliquer rapidement la manière dont vous jouer, ce ne serait effectivement pas de refus.
Et, sans tergiverser, il s'installa à la place libre.

[Galathée]

Le demi-elfe ouvrit le paquet de cartes pour lui présenter les figures qu'il connaissait déjà bien.
" On joue avec les épées dominantes, le 7 prend toujours le Seigneur, et quand on n'a plus de cartes, on en reprend trois, et pas deux, comme dans la variante luménienne.
— Mais on vous expliquera en jouant, si vous avez des doutes, dit la jeune femme, avec un sourire chaleureux.
— On peut faire un tour pour du beurre, de toute façon, pour commencer." ajouta le vieillard, tout en bourrant sa pipe.

[Taliesin]

-Très bien, faisons ainsi.
Il but une lampée de sa bière et entreprit d'imiter le vieil homme.
Et il se prit à sourire, songeant que quelques jours plus tôt, il ne se serait jamais imaginé jouer aux cartes dans une taverne située à des lieux de la ferme. La vie réservait vraiment bien des surprises et... Il avait l'impression qu'il ne tarderait pas à y reprendre goût.

[Galathée]

La partie était aussi un prétexte pour deviser de choses et d'autres, et Taliesin comprit rapidement que ses adversaires, s'ils aimaient jouer, n'étaient pas des acharnés pour autant. Il comprit aussi qu'ils ne s'étaient rencontrés que quelques heures plus tôt, à la faveur de la fête. Emma était sage-femme dans les environs du Pont, Halder était menuisier plus au nord et le vieux Claudius se présenta simplement comme promeneur, le regard pétillant et le sourire aux lèvres, mettant Taliesin au défi de le contredire.
La Souple était un jeu où la qualité de la main était prépondérante, aussi avaient-ils tous plus ou moins le même niveau. Claudius bluffait volontiers, on pouvait deviner la qualité du jeu d'Halder sur son visage, tandis qu'Emma restait en retrait, observatrice, et spécialiste des derniers coups imprévus. La serveuse qui s'était occupée de Taliesin et des garçons plus tôt ne fut pas surprise de le retrouver en pareille compagnie et leur servit de la bière, toujours blonde, tandis qu'ils jouaient.
Bien qu'ils soient volontiers bavards, ses compagnons de jeu n'étaient pas indiscrets, et personne ne le pressa de questions sur les raisons de son périple, se contentant de ce qu'il voulait bien leur donner.

[Taliesin]

L'elfe ne fit pas mystère de sa profession, laquelle était de toute façon évidente pour tous ceux qui l'avaient vu transporter ses bagages. Il expliqua aussi qu'il se rendait dans le nord pour son travail, sans pour autant préciser ni le lieu exact, ni la teneur de sa mission. Pour le reste, il écouta beaucoup, discuta volontiers et joua avec sérieux mais sans pression. Il n'oublia pas, non plus, de jeter de temps à autre des regards pour tenter de localiser Victor et surtout Baptiste, qu'il n'avait pas vu depuis un bon moment...

[Galathée]

Ses regards n'échappèrent pas à ses comparses.
" Vous attendez quelqu'un ?" finit par lui demander Emma.
Le vieux Claudius gloussa.
" Il cherche quelqu'un, nuance."
Halder, de son côté, mélangeait les cartes.

[Taliesin]

-Je cherche mes enfants, expliqua-t-il - pourquoi en faire mystère ? Il y a peu encore, l'un assistait avec passion aux bras de fer, mais je n'ai pas revu l'autre depuis que nous avons fini de manger : peut-être est-il déjà allé se coucher. Mais s'ils ne montrent pas rapidement le bout de leur nez, j'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous abandonner un moment : ils ont beau être autonomes et raisonnables, j'aime autant... savoir où ils sont.

[Galathée]

" Ah, c'est sûr que les duels de bras de fer, c'est quelque chose." dit Halder en distribuant une nouvelle donne.
Emma grimaça en retroussant le nez.
" Quelle horreur. Ces fiers à bras tout suants... Très peu pour moi. Je préfère de loin les courses, demain, ou mieux encore : le concours de tarte aux pommes."
Halder ouvrit des yeux stupéfaits, tandis que Claudius riait joyeusement.
" Les tartes aux pommes, c'est sérieux ?"
Pendant que les deux plus jeunes se chamaillaient, le plus âgé se tourna vers le barde.
" Et vous comptez monter loin, dans le nord ?"

[Taliesin]

Un concours de tartes aux pommes ? Bon, s'il était de mise malgré l'heure tardive, il commençait à avoir une idée de l'endroit où se trouvait Baptiste
-Jusqu'à la vallée du Nirvana. répondit-il au vieillard.
Cela aussi, il pouvait le dire sans risques.
-Et vous, où vous mènent vos promenades, si ce n'est pas indiscret ?

[Galathée]

" Plus ou moins partout, répondit le vieillard, tout aussi sibyllin. Mais je suis resté sur Hélonna. C'est une île très vaste, déjà, et quand on la parcourt à pied, il y a bien des endroits où se perdre."
Il haussa les épaules avec un sourire.
" Maintenant que je me fais vieux, je songe parfois à traverser. Voir Dorrandin, juste une fois. Je sais, je sais, vous me direz que c'est beaucoup plus grand ! C'est pour ça que j'hésite. Quelle frustration ce serait de la découvrir magnifique et de réaliser que je n'ai plus le temps pour la voir en entier."

[Taliesin]

Il acquiesça, compréhensif.
-J'y ai fait de brefs séjours et, même si je n'en ai eu que de petits aperçus, je peux dire qu'il y a là-bas bien des lieux intéressants. Totuefois, les splendeurs d'Helonna y sont fort réputées : peut-être un signe qu'elles n'y ont point d'équivalent ? Après tout, par certains aspects, cette île est plutôt... féérique, je dirais.

[Galathée]

" Je crois qu'il y a des lieux intéressants partout, parfois juste sous notre nez sans que nous soyons capables de le réaliser. On peut choisir de prendre son temps et de voir quelques choses, à son aise, ou de courir pour en voir un maximum, superficiellement... Enfin, la question se pose moins quand on est elfe, bien sûr.
— Oh oh." dit Halder.
Son regard passait au-dessus de l'épaule de Taliesin, vers la porte de l'auberge. En se retournant, le barde vit qu'un détachement d'une dizaine d'hommes en armure et uniforme venaient d'entrer.
" Je crois que la fête est finie." souffla Emma, désolée.

[Taliesin]

-C'est une sorte de... couvre-feu ? s'enquit-il, stupéfait.
Son hypothèse ne le convainquait qu'à moitié mais il ne voyait pas comment expliquer autrement. Certes, en faisant preuve d'imagination, il pouvait l'interpréter comme la descente de soudarts d'un voisin seigneur mais... Cela ne collait pas trop avec la région. Ni avec l'île, d'ailleurs.
-Il est sans doute temps que j'aille voir ce que font mes fils...